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06/11/2024

[Trump II] - La Chine dans la relation transatlantique avec Donald Trump

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[Trump II] - La Chine dans la relation transatlantique avec Donald Trump
 François Godement
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Asie et États-Unis

La politique à l'égard de la Chine, enjeu décisif et prioritaire pour Donald Trump, décidera aussi en partie des relations transatlantiques. Selon la prédominance du parti de la "priorité chinoise", de celui des internationalistes, ou de la voie de l’isolationnisme, quel avenir se dessinera pour la Chine, Taiwan, mais aussi, symétriquement, pour les Européens et l'Ukraine ? Quels sont les enjeux économiques et stratégiques de Trump II concernant la Chine? Quels seront les invariants par rapport aux administrations précédentes ? Comment l'Europe pourrait-elle ajuster, sans la rompre, une relation transatlantique indispensable, à l'heure où une armée asiatique, celle de la Corée du Nord, est envoyée sur son sol ? Une analyse de François Godement

Entre isolationnisme - "sortir des guerres", priorisation du défi chinois - "que les Européens assument l’Ukraine" - et une rémanence internationaliste parfois qualifiée de reaganienne, il est difficile de savoir où Donald Trump penchera durant son second mandat. L’opinion se focalise surtout sur les débats américains par rapport à la Chine. En fait, c’est souvent celle-ci qui a eu l’initiative - du découplage économique à la montée en puissance et à la projection militaire en passant par les défis lancés à la face de ses voisins, la quasi-alliance sino-russe, ou encore la dénonciation permanente des États-Unis et de l’Occident, y compris aux Nations-Unies. À Pékin, les débats sont largement opaques, à Washington ils se font à ciel ouvert, pour ne pas parler d’une Europe dont les États-membres défendent souvent chacun dans leur propre vision.

Il y a tout de même des invariants probables. Comme ses prédécesseurs, Trump II fera face à deux défis chinois : la montée en gamme du défi économique et technologique, qui ne s’accompagne pas d’une hausse des coûts, au contraire. Plus que jamais, la Chine écrase la concurrence. L’autre, c’est la menace stratégique. En septembre 2023, Xi Jinping à San Francisco avait semblé concéder à Joe Biden une année électorale sans surprise chinoise. Les États-Unis ont multiplié les démarches - Jake Sullivan, Anthony Blinken, Janet Yellen - pour stabiliser la relation. Or la Chine a renforcé son rôle de soutien à la Russie, ne s’est guère dissociée de l’Iran et a ignoré le risque houthi. C’est pendant l’interlude de l’été, dans la campagne présidentielle - ce moment où Kamala Harris a semblé faire jeu égal avec Donald Trump - que Pékin a engagé un simulacre de négociation avec l’Union européenne sur les voitures électriques, et concédé à l’Inde une baisse de la tension sur la frontière du Ladakh. Cela s’est accompagné d’une reprise de l’offensive en mer de Chine de l’Est et face à Taiwan : manière d’indiquer une priorité stratégique. Il y a eu une manœuvre navale conjointe avec la Russie face au Japon, et surtout, pour la première fois, une esquisse de blocus naval tout autour de Taïwan avec la participation nouvelle de nombreux navires garde-côtes chinois.

Comme ses prédécesseurs, Trump II fera face à deux défis chinois : la montée en gamme du défi économique et technologique, qui ne s’accompagne pas d’une hausse des coûts, au contraire. Plus que jamais, la Chine écrase la concurrence. L’autre, c’est la menace stratégique.

C’est donc non pas un mais au moins deux défis chinois auxquels Trump II devra faire face à court terme - le "derisking", les politiques industrielles et d’innovation sont à plus long terme. Ces deux défis ne pourront être vraiment séparés : gêner ou bloquer le tsunami commercial chinois a toutes les chances de provoquer une fuite en avant de Xi Jinping, qui, comme Vladimir Poutine, donne la priorité à sa légitimité au sein du Parti communiste chinois (PCC). Assumer un conflit armé en Asie orientale a des conséquences globales incalculables, et c’est aussi le contraire de la "sortie des guerres" voulue par une large part de l’électorat populaire américain.

À ce dilemme, il y a deux réponses possibles : le "deal" trumpien généralisé, avec des accords commerciaux d’une part, et un recul stratégique pour l’avenir sur Taïwan. Sur le premier point, si un deal commercial avec la Chine s’accompagne d’une montée globale des droits de douanes - le commerce européen est très excédentaire avec les États-Unis - les conséquences ne sont pas forcément négatives. L’Américain moyen continuera à acheter ses biens de base chez Walmart à bas prix, les droits de douane globaux encourageront les fabricants et investisseurs aux États-Unis pour les biens plus hauts de gamme. Sur un "deal" pour Taiwan, Kamala Harris est elle-même revenue en arrière sur la clarté stratégique vers laquelle Joe Biden avait tendu à trois reprises pendant son mandat. La volonté de défendre Taiwan se jugera finalement le jour venu.

Et il y a aussi la possibilité d’engager les deux conflits à la fois, ou de les laisser se dérouler en fonction de l’attitude de la Chine.

Les deux choix auront des conséquences majeures pour les alliés de l’Amérique. Une sortie de la question de Taiwan par une sorte d’accord en creux évoquant le cas de Hong Kong défait le réseau d’alliances américaines en Asie orientale. Il place les Asiatiques en première ligne, tout comme un abandon de l’Ukraine pour les Européens. Un "deal" commercial avec la Chine accompagné d’un tournant protectionniste global place l’Europe dans un étau. Nous deviendrions le marché de dernier recours pour le tsunami chinois, sauf à adopter une politique entièrement protectionniste. Et, grands exportateurs de biens vers les États-Unis, importateurs de services irremplaçables dans l’univers digital, nous n’aurions pas les moyens dont une partie de notre monde politique se targue - "autonomie (ou souveraineté…) stratégique". En réalité, nous sommes souvent "sous-traitants" (Donald Tusk) - nos industries de défense et des énergies de transition illustrent cela jusqu’à la caricature.

S’il est devenu, à la faveur des gouffres dont il s’est sorti, un très gros joueur, Donald Trump peut faire le choix des affrontements avec la Chine. S’il reste un tacticien géopolitique comme il l’a toujours été dans les affaires, ce seront des "deals". L’Europe n’a dans ce dernier cas aucun levier, sauf à concéder encore plus à la Chine.

Compte tenu de la quasi-alliance Chine-Russie, qui est un des leviers de la guerre en Ukraine, l’Europe ne peut mettre de côté les défis chinois. Elle a voulu croire à des réserves de la part de la Chine - sur la menace ou l’emploi d’armes nucléaires par la Russie, aujourd’hui à un mécontentement chinois quant à l’envoi de milliers de soldats nord-coréens sur le front en Ukraine. C’est une politique de l’autruche, et le silence européen sur l’implication sans précédent d’une armée asiatique en Europe, sur les millions d’obus que la Corée du Nord envoie en Russie, est assourdissant.

Un "deal" commercial avec la Chine accompagné d’un tournant protectionniste global place l’Europe dans un étau. Nous deviendrions le marché de dernier recours pour le tsunami chinois.

Qu’ils soient des partisans de la priorité chinoise ou des internationalistes, les Américains ont besoin du soutien des Européens face à la Chine sur les deux plans - commerce et dissuasion militaire. Ce sera certainement une condition a minima d’une continuité vis-à-vis de l’Ukraine - si toutefois les divisions européennes et la pusillanimité du gouvernement Scholz n’y mettent pas fin de notre côté (la même tentation existe au Japon, où Shigeru Ishiba tente d’engager un "reset" avec la Chine, pendant qu’un de ses conseillers décrit le Japon comme "seul "). On peut dire aussi que les Européens seraient bien inspirés de ne pas se montrer en champions d’accords avec l’Iran, tellement le soutien à Israël, pour le coup, fait partie des valeurs du socle trumpien.

Il se trouve que la présidente de la Commission européenne a anticipé certains de ces développements : Commission "géopolitique" (ce qui déplaît à certains États membres défendant leurs prérogatives…), tournant commercial et technologique face à la Chine, dialogue transatlantique permanent avec l’administration Biden (un interlocuteur moins facile qu’on ne le croit). C’est cela, et des propositions positives, qui doit constituer le socle de démarrage avec l’administration Trump II.

Le silence européen sur l’implication sans précédent d’une armée asiatique en Europe, sur les millions d’obus que la Corée du Nord envoie en Russie, est assourdissant.

Prendre au contraire acte de façon unilatérale d’une rupture, nous dresser sur les ergots d’une autonomie stratégique qui est loin d’être en vue, tout en continuant à négliger les réformes politiques et budgétaires nécessaires, ce serait ouvrir la voie au troisième courant trumpien : celui de l’isolationnisme pur et dur, avec la généralisation des "deals" centrés sur une vision rétrécie des intérêts américains.

 

Copyright image : Jim WATSON / AFP
Donald Trump, alors 45e président des États-Unis, et Xi Jinping à Pékin, le 9 novembre 2017.

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