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26/08/2024

Présidentielle américaine : la diagonale Harris-Walz

Présidentielle américaine : la diagonale Harris-Walz
 François Godement
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Asie et États-Unis

Le retrait de Joe Biden de la course présidentielle américaine a, dans le creux de l’été, rebattu les cartes d’une élection à haut risque. La nomination de Kamala Harris et de son colistier Tim Walz, entérinée lors de la Convention du parti à la fin du mois d’août, donne au ticket démocrate une toute autre nature. Elle vient aussi percuter la stratégie du camp d’en face, celui incarné par le duo républicain Donald Trump/J.D Vance. Ce sont deux rhétoriques diamétralement opposées qui s’affrontent désormais, comme l’explique François Godement dans ce papier de rentrée qui revient sur les derniers rebondissements de cette folle campagne américaine.

La campagne présidentielle américaine va de surprise en surprise. Après l’attentat manqué contre Donald Trump, c’est Joe Biden qui a finalement opté pour une sortie anticipée avant la convention démocrate. La désignation de Kamala Harris, anticipée mais aussi redoutée par de nombreux Démocrates, a été suivie d’un recentrage massif de la nouvelle candidate dans sa campagne : oubliés, les accents plus radicaux de sa candidature manquée aux primaires de 2020. Le soulagement immense du camp démocrate est palpable, comme en témoigne l’enthousiasme du New York Times, qui avait appelé le président à retirer sa candidature, et l’explosion des dons à la campagne, qui ont dépassé ceux du ticket Trump-Vance, alors que ce dernier était en tête pendant des mois. Avec le choix de Tim Walz, le changement d’image est radical. C’est la principale compétition engagée avec Trump et Vance, bien loin des questions de programme que ni l’un ni l’autre camp n’aborde vraiment pour l’instant. Oubliées, les positions plus à gauche de Kamala Harris, dont il ne reste que quelques engagements de dépenses médicales, mais pas une couverture universelle pour Medicare. Oubliées aussi, les hésitations sur le conflit israélo-palestinien : Harris, en plein meeting, enjoint les activistes pro-palestiniens de se taire en les accusant de faire voter Trump, et proclame un soutien sans faille à Israël, au moment où Biden décide de la livraison accélérée de 11 milliards de dollars d’armements. Mais c’est l’image qui compte le plus : au portrait modeste de Kamala Harris, success story de l’immigration, à sa fermeté de procureur (à laquelle les Républicains n’opposent qu’une seule faille, datant de onze ans…), s’ajoute un mari exactement complémentaire sur le plan de l’identité, puisqu’il est juif alors qu’elle est baptiste.

La désignation de Kamala Harris, anticipée mais aussi redoutée par de nombreux Démocrates, a été suivie d’un recentrage massif de la nouvelle candidate dans sa campagne.

Cela n’est rien à côté de ce qu’on pourrait appeler l’invention de Tim Walz. Malgré l’exploit d’avoir remporté un district rural républicain du Minnesota depuis 2009, et une carrière subséquente de gouverneur, il n’avait aucune notoriété nationale, et les observateurs semblent en peine de lui trouver des positions très tranchées, même s’il a plutôt favorisé les dépenses sociales dans son État.

Ce flou est bien sa première qualité. Dans un couloir d’aéroport du Midwest, vous pourriez sans difficulté croiser des sosies de Tim Walz, sexagénaires souriants et sans prétention, à qui on achèterait sans hésiter une voiture d’occasion. Walz symbolise physiquement une classe moyenne blanche américaine que les Républicains s’acharnent à montrer expirante. Le "c’était mieux avant" devient "ce sera comme avant mais en mieux". Handicapé par sa fragilité physique, Joe Biden n’arrivait plus à incarner l’optimisme américain. Tim Walz le ressuscite. Sa biographie - professeur du secondaire, coach sportif, membre de la Garde Nationale - l’éloigne certes de l’Amérique entrepreneuriale, dont Kamala Harris n’a pas été plus proche. À tout le moins, cela leur évite de passer pour des "Démocrates de Wall Street" et leur permet de conserver des accents de progressisme social dans leur campagne, à défaut d’un programme.

Nous sommes donc en présence de deux campagnes aux stratégies très différentes. Trump, avec le choix de Vance comme colistier et la persistance de sa rhétorique sur la perte de l’Amérique, poursuit une tactique de droite radicale, y compris dans le choix des attaques contre les nouveaux candidats. Est-ce un choix d’instinct, puisqu’on disait ses conseillers plus partisans d’un recentrage à l’occasion de l’attentat du 13 juillet ? Vance l’a accompagné dans cette voie, dénonçant Kamala Harris pour ne pas avoir d’enfants biologiques, et traitant Walz de menteur sur son passé militaire.

Mais la surprise, c’est le mordant des deux candidats démocrates contre leurs rivaux. Ils ont été rejoints en cela par les anciens présidents Clinton et Obama, ainsi que par Michelle Obama et finalement Joe Biden lui-même. Le choix du milieu de terrain est évident, depuis que Tim Walz a eu l’esprit de qualifier les candidats républicains de gens "bizarres". Le thème de la liberté, si cher aux Américains mais capturé par la droite anti-fédérale, est repris avec la dénonciation des Républicains qui veulent "s’immiscer dans vos consultations médicales" en interdisant l’avortement. Ce positionnement est important pour emporter des districts charnières qui, à eux seuls, peuvent faire basculer une élection nationale. Et derrière la symbolique de Tim Walz, représentant d’une région rurale emblématique, il y a un pari. La rhétorique du ressentiment à l’égard des élites côtières et métropolitaines, la crainte de la mondialisation et des emplois délocalisés ou occupés par des immigrés existent bien. Mais elles peuvent être équilibrées par deux facteurs : l’extraordinaire croissance américaine et sa création d’emplois, qui expliquent largement le bond de l’immigration, et l’importance d’autant plus grande des crédits fédéraux et des aides à la personne qu’une région est défavorisée. L’accent mis sur la santé par le camp démocrate, répondant au combat de J.D. Vance contre les opioïdes, paiera-t-il en même temps que l'abandon du but d'un Medicare universel qui divise l'opinion ?

Plus généralement, l’équipe Harris/Walz aura fort à faire pour défendre un bilan économique pourtant excellent. L’Américain moyen en a surtout retenu les pointes d’inflation de 2021 et 2022. C’est tout récemment que celle-ci apparaît sous contrôle, permettant au gouverneur de la FED Jerome Powell d’annoncer une baisse des taux d’intérêt en septembre. Son impact arrivera-t-il à temps pour l’élection de novembre ? En attendant, les débats entre les candidats devraient logiquement permettre à Trump et Vance de dénoncer le passé plutôt dépensier de Tim Walz, ou les positions antérieures de Kamala Harris.

Le "c’était mieux avant" devient "ce sera comme avant mais en mieux". Handicapé par sa fragilité physique, Joe Biden n’arrivait plus à incarner l’optimisme américain. Tim Walz le ressuscite.

La campagne de ces deux derniers vit actuellement une lune de miel médiatique et dans l’opinion, comme en témoignent des sondages qui leur donnent à nouveau la tête dans plusieurs États contestés. Peuvent-ils conserver cette position centrale jusqu’au bout, en rejetant l’équipe Trump/Vance vers l’extrémisme ?

À ce stade, il est trop tôt pour parler des conséquences internationales d’une victoire démocrate. D’abord parce que la campagne s’inscrit pour l’instant dans la continuité de l’administration Biden tout en évitant ses tangages. Ensuite parce qu’aucun des deux candidats démocrates n’a réellement imprimé sa marque en matière de positionnement international. Tout au plus peut-on dire que Kamala Harris, longtemps assistée à la vice-présidence par l’européaniste Philip Gordon, est à mille lieues des éclats trumpiens contre les meilleurs alliés de l’Amérique et des lâchages explicites auxquels il fait allusion de temps à autre. Quant à Tim Walz, c’est évidemment sa longue expérience personnelle de la Chine, au travers d’échanges sportifs et de jeunesse, allant jusqu’à la pratique du chinois, qui peut retenir l’attention. Certains, notamment Républicains, tirent argument de ses déclarations favorables à la culture chinoise ou à ces échanges pour en faire un "panda". En réalité, Tim Walz a vécu de plein fouet l’expérience de la répression de Tiananmen en 1989, et est plutôt actif dans la critique politique de la Chine depuis lors. L’arrivée au pouvoir de quelqu’un qui connaît la Chine autrement que comme ambassadeur ou comme homme d’affaires n’est pas une bonne nouvelle pour Pékin, comme l’avait montré la trajectoire de l’Australien Kevin Rudd. En tout cas, le front des dictatures - Russie, Chine, Iran… - serait inquiet de positions moins isolationnistes et moins polémiques avec les alliés. Les États les plus dépendants au monde pour leur sécurité - Ukraine, Israël, Taïwan - n’ont pas eu à se plaindre de la présidence Biden et redoutent la versatilité opportuniste de Donald Trump.

Copyright image : Kamil KRZACZYNSKI / AFP

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