AccueilExpressions par Montaigne[Trump II] - Institutionnaliser le trumpisme : le plan d’action du Projet 2025L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.30/10/2024[Trump II] - Institutionnaliser le trumpisme : le plan d’action du Projet 2025 États-Unis et amériquesImprimerPARTAGERAuteur Soli Özel Expert Associé - Relations Internationales et Turquie Présidentielle américaine : Trump IIÀ quelques jours d’une élection cruciale, Soli Özel revient sur les principaux inspirateurs de l'idéologie qui prévaut dans un parti républicain noyauté par le trumpisme. Quelles sont les racines de la ligne illibérale aux États-Unis ? D’où vient le Projet 2025 promu par la Heritage Foundation et où veut-il aller ? En quoi la réforme de l’État profond qu’il poursuit pourrait-elle faire basculer la démocratie américaine, déjà dysfonctionnelle, dans une pratique du pouvoir inédite ? Quels enjeux pour la politique extérieure et pour les Européens, largement concernés par les heurs et malheurs de la vie politique outre-atlantique ?"La révolte était proche. Tout le monde ne la voyait pas et, parmi ceux qui la voyaient, tous ne la prenaient pas au sérieux, mais Trump, lui, l'a vue. Il l'a prise au sérieux. Et il s’est fait l’improbable porte-voix des insurgés, lui, le magnat du commerce qui a prospéré en arnaquant les petits, qui a employé des travailleurs illégaux, qui a délocalisé sa production à l'étranger, qui a augmenté une fortune acquise par droit de naissance grâce à des escrocs, des magouilleurs et des avocats, et qui dénonce un contrat social en lambeaux depuis le penthouse doré de son gratte-ciel de Manhattan. Mais ce que Trump ne comprend pas, c'est que son mantra populiste "Make America Great Again", celui d’un pays replié sur lui-même, est moins une révélation qu'une résurrection."Tim Alberta, American Carnage : Sur les lignes de front de la guerre civile républicaine et de l'ascension du président Trump. "C'est la bataille finale. Avec vous à mes côtés, nous allons démolir l'État profond. Nous expulserons les va-t'en guerre du gouvernement, nous chasserons les mondialistes, nous bannirons les communistes, nous éliminerons une classe politique tarée qui nous hait, nous balayerons les soi-disant médias d'information et nous libérerons l'Amérique de ceux qui lui veulent du mal, une fois pour toutes." Donald TrumpDonald Trump, héraut à contre-emploiComme le souligne Tim Alberta, nul ne pouvait jouer plus à contre-emploi que Donald Trump le rôle de héraut et de caisse de résonance du profond ressentiment des hommes blancs américains - qui sont pour la plupart peu éduqués et s’estiment laissés pour compte - qui a éclaté lors des élections présidentielles de 2016. Le mouvement populiste qui porte son nom, le trumpisme, a cependant de nombreux antécédents. Les difficultés économiques rencontrées par ceux qui étaient, d'une manière ou d'une autre, victimes de la mondialisation galopante, ainsi que l'éloignement croissant entre les classes populaires et les élites libérales cosmopolites, qui s'est traduit par un furieux kulturkampf, pavaient la voie à un bouleversement de la politique américaine. En outre, une veine illibérale ou antilibérale a toujours couru dans le corps politique américain et n'a été (temporairement) vaincue qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque le pays jusqu’alors isolé a exercé une hégémonie internationale. Mais même alors, dans l'ère "libérale" de la Guerre froide, le conservatisme américain était bien vivant, quoiqu’attaqué et loin d’avoir le vent en poupe.Donald Trump le rôle de héraut et de caisse de résonance du profond ressentiment des hommes blancs américains - qui sont pour la plupart peu éduqués et s’estiment laissés pour compte - qui a éclaté lors des élections présidentielles de 2016.Le socle de la vision du monde conservatrice et de son succès a été posé bien avant l'élection inattendue et presque inéluctable de Donald Trump. Nul doute que sa candidature, qui a remis en cause à la fois l'oligarchie du parti républicain et le consensus libéral et mondialiste incarné par sa rivale Hillary Clinton en 2016, a joué le rôle de catalyseur. Avec son élection, le conservatisme plus sombre, introverti, chrétien-nativiste de la tradition politique américaine, qui avait gardé ses distances avec l'internationalisme et le cosmopolitisme, est revenu en force, tout comme la vision du monde raciste et manichéenne qui était la base du "style paranoïaque" dont parlait l'historien Richard Hofstadter il y a quelques décennies.La haine profonde à l’encontre de la morale libérale et de ses grandes leçons "droit de l’hommistes" ; les graves bouleversements d’une économie de marché débridée ainsi que l'effritement social et l’exacerbation des inégalités économiques auxquels ils ont conduit ; la peur de perdre le "privilège blanc" ; un fanatisme anti-New Deal souvent exprimé en des termes évangéliques : tout cela a propulsé Donald Trump au sommet du pouvoir aux États-Unis. Cette tendance, qui a rapidement versé dans un mouvement nationaliste chrétien dont la ligne de force tient dans "une réaction culturelle militante combinée en un unilatéralisme en matière de politique extérieure et une économie populiste" et dont Trump est devenu l'icône, ne recueille pas le soutien d’une majorité de l'électorat américain au sens large, encore moins si l’on observe les centres métropolitains, même dans les États "rouges".Le mal vient de plus loinDès lors, comment comprendre que la "tradition illibérale ou antilibérale" ait acquis une telle prééminence, voire une telle suprématie politique dans le système fédéral ? Plusieurs facteurs en rendent raison, depuis les particularités du système électoral américain ou l'évolution spectaculaire des États conservateurs vers une version plus dure, voire réactionnaire, du républicanisme, jusqu’à la reddition totale du parti républicain face la volonté de Trump en passant par la présence, au sein de la Cour suprême et de nombreux postes de la magistrature fédérale, de juges aux opinions conservatrices ou réactionnaires.Bien sûr, que de nombreux donateurs et milliardaires, à commencer par Elon Musk, qui avaient dédaigné Trump en 2015-2016, le soutiennent aujourd'hui sans réserve, après avoir totalement désavoué les remarques désobligeantes qu'ils avaient formulées à son égard suite à la tentative de coup d'État du 6 janvier 2021, n’est pas pour rien dans la situation actuelle des États-Unis.Toutefois, l’unanimité n’a pas cours, y compris au sein du trumpisme. Certains partisans de l'agenda trumpiste, à l’instar du candidat opportuniste à la vice-présidence, J. D. Vance, sont favorables à de meilleurs salaires et à des politiques économiques populistes en faveur des travailleurs afin de garantir à la fois la réindustrialisation et le caractère sacré de la famille, dont l'érosion est en grande partie attribuée aux difficultés économiques. On assiste donc à un affrontement entre les milliardaires et les populistes économiquement "de gauche" au sein du mouvement, les premiers ayant le dessus."Institutionnaliser le trumpisme"Cette résurgence de la "tradition illibérale/antilibérale" dans la politique américaine compte s'approprier l'avenir du pays et le transformer à son image. L'un des artisans clefs de cette ambition, qui la théorise et la met en œuvre, est la Heritage Foundation, sise à Washington. Longtemps un groupe de réflexion influent, Heritage a acquis sa notoriété grâce au mandat de Ronald Reagan. Lorsqu'il est devenu président en 1981, son administration a mis en œuvre 60 % des recommandations d'un rapport que l'organisation avait publié l'année précédente Mandate for Leadership (Un mandat pour diriger).Aujourd'hui, Heritage a préparé un volumineux rapport, "Project 2025", qui évalue la meilleure manière de transformer la politique américaine, sa structure administrative et sa politique étrangère. En plus de ce rapport, l'organisation a préparé plusieurs listes de candidats potentiels, qu'elle a passés au crible d’un examen minutieux afin de vérifier leur aptitude à servir dans une deuxième administration Trump. Dans une interview qu'il a accordée au New York Times, le président de la Heritage Foundation, Kevin Roberts, a déclaré que la tâche de son organisation consistait à "institutionnaliser le trumpisme".En raison des vives réactions suscitées par de nombreuses recommandations du Projet 2025, qui se sont révélées remarquablement impopulaires et ont inquiété de nombreux électeurs y compris chez les Républicains, M. Trump s'est désolidarisé du rapport, non sans audace, en déclarant qu'il ne l'avait pas lu et en affirmant qu'il n'avait "aucune idée de ceux qui étaient derrière". En réalité, d'anciens fonctionnaires et collaborateurs de son administration y ont travaillé et, en 2022, Trump lui-même a déclaré que Heritage allait "poser les bases et détailler des plans pour établir exactement ce que notre mouvement allait faire".On assiste donc à un affrontement entre les milliardaires et les populistes économiquement "de gauche" au sein du mouvement, les premiers ayant le dessus.Quoi qu'il en soit, le Projet 2025 est aussi proche que possible d'un plan d'action pour un éventuel second mandat de Trump. Ainsi, contrairement au premier mandat présidentiel, M. Trump, qui dispose désormais en la personne de J. D. Vance d'un colistier jeune, idéologiquement consistant, incisif et bien éduqué, n'aurait pas à s'appuyer sur ceux que l’on qualifie avec condescendance des "adultes dans la salle", et serait en mesure de travailler avec des proches enclins à obéir à ses caprices et à ses volontés. Ainsi, le rêve, tant attendu par le "mouvement conservateur", de dominer pleinement la politique américaine en disposant du pouvoir exécutif à une époque de déclin hégémonique américain et de polarisation culturelle interne pourrait enfin se matérialiser. L'ironie de la chose, bien sûr, est que le pays dans son ensemble ne partage ni socialement ni culturellement les opinions ou les croyances de ces conservateurs, pas plus que leur zèle religieux, maintenant que la fréquentation des églises dans celui des pays développés qui est resté le plus pieux est passée sous la barre des 50 %.Un rapport, des objectifs, une méthodeLes recommandations du document ne peuvent pas toutes être mises en œuvre et, dans un rapport aussi volumineux, certains articles rédigés par différents auteurs ne sont pas compatibles les uns avec les autres. Néanmoins, il ne fait aucun doute, au vu des inclinations et des déclarations de Trump lui-même et de la trajectoire idéologique de la droite illibérale, que la perspective et la vision d’ensemble du projet reflètent la philosophie et les objectifs généraux d'une éventuelle seconde administration Trump. Cette doctrine va jusqu'à militer en faveur d’un "exécutif unitaire" qui ne se soucie pas particulièrement de la séparation des pouvoirs, qui donne l’avantage à l'exécutif et qui rend le président irresponsable. Elle propose également de politiser en profondeur le personnel bureaucratique qui dirige l'administration américaine. En résumé, beaucoup considèrent que les partis pris, la philosophie, les préférences politiques et l'approche sociale du projet rapprochent les États-Unis d'un régime autoritaire.Le rapport repose sur quatre piliers fondamentaux et décrit avec force détails la manière dont les objectifs qu’ils fixent seront mis en œuvre :Remettre la famille au cœur de la vie américaine et protéger nos enfants.Démanteler l'administration et rendre au peuple américain son indépendance.Défendre la souveraineté, les frontières et les richesses de notre nation contre les menaces étrangères.Garantir les droits individuels que Dieu nous a donnés pour vivre librement, conformément à ce que notre Constitution appelle "les bienfaits de la liberté". Politique étrangère : les faucons ont les mains libresEn matière de politique étrangère et de sécurité, le document est résolument "faucon" (en faveur d’une ligne dure) et toutes ses recommandations politiques visent à maintenir la primauté américaine dans le système mondial tout en réduisant autant que possible la place du multilatéralisme et les institutions multilatérales. L'objectif est de laisser les mains entièrement libres à l'administration en matière de politique étrangère. Par conséquent, la politique étrangère proposée est résolument unilatérale et désireuse de se débarrasser des responsabilités et des engagements de l'Amérique dans ce que l'on appelle "les règles de l'ordre international". Elle n'est pas strictement isolationniste, mais privilégie la retenue et priorise l'Asie. Bien que les caprices de Trump rendent imprédictibles ses choix en matière de politique étrangère ou empêchent de savoir à l’avance ceux des domaines dans lesquels sa rhétorique belliqueuse pourrait l'emporter, on peut estimer, d’après son bilan passé, qu'il préfère éviter les guerres.La Chine est considérée comme le principal rival ou adversaire de la puissance américaine, la Russie, la Corée du Nord, l'Iran et le Venezuela étant cités comme des pays d’importance moindre, quoique non négligeables. En ce qui concerne la Chine, le Projet est explicite : "Ce pays tyrannique, qui compte plus d'un milliard d'habitants, a la vision, les ressources et la patience nécessaires pour atteindre ses objectifs. Pour protéger les États-Unis contre les desseins de la République populaire de Chine, il faudra combiner une approche offensive-défensive ferme, qui comprendra la protection des citoyens américains et de leurs intérêts, ainsi que celle des alliés des États-Unis contre les attaques et les abus du régime qui sapent la compétitivité, la sécurité et la prospérité des États-Unis." Trump lui-même pourrait choisir de se montrer plus radical sur le terrain économique et plus conciliant sur la confrontation stratégique, afin de faire la démonstration de son "talent de négociateur".Il faut donc s’attendre à ce qu’une éventuelle administration Trump se montre très agressive en matière de politique économique étrangère, favorable à l'imposition de droits de douane sur les produits du monde entier, particulièrement exorbitants à l’endroit de la Chine.Il faut donc s’attendre à ce qu’une éventuelle administration Trump se montre très agressive en matière de politique économique étrangère, favorable à l'imposition de droits de douane sur les produits du monde entier, particulièrement exorbitants à l’endroit de la Chine. Le projet, tout comme Trump, se tient à distance de l'Alliance atlantique. Il insiste pour que les alliés européens dépensent davantage pour la défense et soulève la question des différends commerciaux transatlantiques. Il privilégie des engagements bilatéraux avec les pays européens, à la suite de la politique menée par Trump au cours de son premier mandat.En conséquence, Trump a déclaré à de nombreuses reprises qu'il chercherait à mettre rapidement un terme à la guerre en Ukraine, quitte à se débarrasser de la question ukrainienne ou à la laisser à la seule charge des Européens. Ses proches font valoir que puisque l'Ukraine est en train de perdre la guerre, il serait moralement plus juste de favoriser un règlement rapide : voilà ce à quoi l'on devrait attendre si Trump prêtait serment.Dans le même ordre d'idées, ils affirment que le président Biden aurait dû discuter avec le président Poutine pour calmer les choses, comme les États-Unis l’avaient fait avec l’URSS durant la Guerre froide. On sait maintenant que Trump a continué à parler à Poutine après avoir quitté la présidence. Les récentes révélations, selon lesquelles Elon Musk, désormais le porte-parole de Trump auprès du secteur de la technologie, s'est également entretenu avec Poutine à plusieurs reprises, suggèrent que l'attitude d’une administration Trump envers la Russie de Poutine serait radicalement différente de celle de l'administration Biden. L'équipe Trump prend également ses distances avec l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, du moins si elle doit être envisagée à brève échéance.Prendre le contrôle de l’appareil administratifEn politique intérieure, l'objectif de longue date des conservateurs était de démanteler l'administration. Le Projet reprend à son compte, en ce qui concerne la répartition du pouvoir, la "théorie de l'exécutif unitaire" longtemps promue par les conservateurs, qui veut que le président ait la mainmise sur le pouvoir exécutif et ne tolère pas la présence d'agences indépendantes, comme le Département de la Justice. Le récent arrêt de la Cour suprême sur l'immunité des présidents, qui a écarté presque toutes les poursuites pénales potentielles à l'encontre de l'ancien président Trump, ou de tout autre président après qu'il a quitté ses fonctions, va dans le sens d’une telle théorie.S'il est élu, on sait que Trump est déterminé à mettre fin à l'indépendance du Département de la Justice et se servir de son personnel et de ses capacités pour mener la charge contre ses opposants ou contre toute personne considérée comme une "menace". Le Département de la Justice peut également craindre la mise en œuvre du deuxième pilier cité plus haut, à savoir le démantèlement de "l'État profond" : il ne fait aucun doute que la fonction publique américaine a grand besoin d'une réforme globale. Elle n'attire plus les meilleurs profils du pays. Mais il ne s’agit pas de cela : les objectifs proposés par le projet vont bien au-delà d'une réforme de la fonction publique et visent plutôt le démantèlement de son autonomie en facilitant les licenciements et en exigeant une adhésion et une loyauté politiques et idéologiques de la part des postes à responsabilité de la bureaucratie.Par ailleurs, en proposant de rétablir l'Annexe F, décret qui permet de licencier des fonctionnaires sur la base d'un test de loyauté, le Projet 2025 a les moyens de remodeler le gouvernement fédéral et de configurer son mode de fonctionnement afin d'élargir les rangs des fonctionnaires nommées pour raisons politiques au sein du gouvernement fédéral et de politiser complètement la bureaucratie. Traditionnellement, un nouveau président nomme environ 3 000 alliés politiques aux postes les plus élevés de la bureaucratie. Le rétablissement et la mise en œuvre de l'annexe F, que Trump a instituée par un décret au cours de son premier mandat et que Biden a annulée, conduiraient à ce que des dizaines de milliers de nominations dans la bureaucratie soient effectuées sur la base d'une conformité politique et idéologique. Ces fonctionnaires "loyaux" seraient aux ordres du président qui les a nommés plutôt qu’attachés à faire respecter la constitution ou les codes juridiques du pays.Comme on pouvait s'y attendre, de nombreux articles du Projet 2025 sont anti-mondialisation, anti-immigration, anti-environnement, opposés à la Chine ainsi que, dans la mesure où le secteur coopère avec la Chine, anti-big Tech. Les organisations internationales, en tant qu’elles pourraient restreindre l’action américaine ou limiter sa souveraineté, sont honnies. Enfin, tout comme l'administration Biden, le Projet 2025 milite en faveur de la restauration de la base industrielle et manufacturière, et donc, malgré toute la rhétorique du marché libre, il défend une ligne fondamentalement protectionniste.Un kulturkampf à l’américaine ?Au-delà du projet politique, le Rapport de Heritage cherche à revenir sur les évolutions sociales et culturelles des dernières décennies. Le Projet 2025 est d'inspiration réactionnaire en ce qui concerne le rôle et la place des femmes dans la société, sa conception de la famille et bien sûr sa position sur les questions de genre ; il vilipende en particulier ses deux bêtes noires, le "wokisme" et la "Critical race theory" ("Théorie critique de la race").Au-delà du projet politique, le Rapport de Heritage cherche à revenir sur les évolutions sociales et culturelles des dernières décennies.Il est vrai que le kulturkampf aux États-Unis tourne principalement autour de ces deux concepts et l'on peut affirmer que ce que l'on appelle la gauche aux États-Unis s'est aliénée le grand public par son attitude péremptoire et dédaigneuse à l'égard de ceux qui se situent de l'autre côté du fossé culturel et ne partagent pas ses visions. D'une certaine manière, se joue de nouveau l’un des antagonismes structurants de l'histoire politique et sociale américaine, celui qui sépare les "rednecks" et les "cols blancs". C’est d’ailleurs le niveau d'éducation qui marque la principale ligne de partage entre préférences politiques à l'ère de Trump.Pourtant, comme le montre avec acuité la lutte qui fait rage sur la question du droit à l'avortement, laquelle pourrait bien s'avérer être la question décisive dans une course présidentielle très serrée, l’imaginaire conservateur a besoin de contrôler le corps des femmes, quitte à inverser la courbe en matière de progrès obtenus par ces dernières. En bref, le conservatisme d'inspiration religieuse qui sous-tend le Projet 2025 refuse aux femmes, quoi qu’il en dise, leur affirmation en tant qu'individus et citoyens égaux.Si Donald Trump obtient un second mandat présidentiel et met en œuvre ne serait-ce que 60 % du Projet d’Heritage, comme le fit en son temps Ronald Reagan, c’est une ambiance politique régressive et autoritaire qui s’installera sur une démocratie américaine dysfonctionnelle, hyperpolarisée et institutionnellement affaiblie. Dans quelle mesure Donald Trump serait-il disposé à mettre en œuvre les recommandations du Projet 2025 ? Sans le savoir avec certitude, on peut penser, compte-tenu du personnage, que les préférences sociales, culturelles et politiques d'un groupe démographique en déclin, ainsi que les intérêts économiques du monde de la tech et ceux d'autres milliardaires et entreprises, définiront le cours de la politique américaine pendant un certain temps encore, quoique Donald Trump ait réalisé, pour différentes raisons, quelques percées dans les communautés noires et latinos.Étant donné le rôle central que jouent les États-Unis dans la politique mondiale, non seulement par leur politique étrangère, mais aussi par l'exemple qu’offre leur scène intérieure, une telle éventualité devrait préoccuper et inquiéter tous les démocrates à travers le monde.Copyright image: Andrew Harnik / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFPLe drapeau de la Heritage Foundation flotte sur le bâtiment le 30 juillet 2024 à Washington, DC.ImprimerPARTAGERcontenus associés 06/11/2024 [Trump II] - Taiwan et Trump 2.0 : partenaire ou monnaie d’échange ? 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