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07/11/2024

[Trump II] - Quel nouveau partenariat entre la France et les États-Unis ?

[Trump II] - Quel nouveau partenariat entre la France et les États-Unis ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Donald Trump et Emmanuel Macron se connaissent mais le second mandat de l’"homme de Mar-a-lago" n’annonce guère une comédie de remariage. Peut-on s’appuyer sur l’expérience passée pour traverser le mandat à venir, face à une Europe qui a changé et à un magnat des finances plus radical ? Dès lors, que faire d’ici l'investiture de Donald Trump ? Et une fois en place, à quoi pourrait ressembler une diplomatie transactionnelle réaliste mais sans compromission sur les sujets brûlants de l’Ukraine et de la défense européenne, des relations commerciales, ou des partenariats avec les puissances moyennes ? Les Européens pourront-ils collectivement se mettre en ordre de marche ou la France a-t-elle intérêt à jouer en soliste ? Perspectives et analyse de Michel Duclos. 

Reverra-t-on entre Emmanuel Macron et Donald Trump une scène équivalente à celle de la "longue poignée de main", qui avait inauguré le 25 mai 2017, la relation entre les deux chefs d’État, alors l’un et l’autre débutants ? Suivie du spectaculaire geste de distanciation du président français - "make the planet great again" - lorsque son homologue américain décidait, le 1er juin de la même année, de quitter l’Accord de Paris sur le climat ? Puis de l’étonnante visite à Paris, le 14 juillet, également en 2017, d’un Trump complètement séduit par le défilé militaire sur les Champs Élysées ?

Le premier mandat de Donald Trump à la Maison-Blanche avait constitué un moment fort pour la politique étrangère d’Emmanuel Macron, avec des hauts exceptionnels (le G7 de Biarritz, août 2019 par exemple) et des bas non moins remarquables (les bordées d’insultes de M. Trump). Il avait permis au président français de bénéficier d’un lustre particulier sur le plan international en endossant le double rôle de "chef de l’opposition légitimiste" et de "leader par défaut de l’ordre libéral international"- Theresa May et Angela Merkel étant l’une et l’autre disqualifiées aux yeux du président américain. Peut-on imaginer que le second mandat de l’homme de Mar-a-Lago offre au locataire de l’Élysée un statut du même ordre ?
 

Le fait que Trump connaisse déjà Macron, même s’il a multiplié les quolibets contre lui lors de la campagne présidentielle, constitue sans doute un avantage.

Il est permis d’en douter, pour toute une série de raisons. Certes, dans le monde raréfié des chefs d’État, le fait que Trump connaisse déjà Macron, même s’il a multiplié les quolibets contre lui lors de la campagne présidentielle, constitue sans doute un avantage. Ce n’est le cas en Europe ni du Chancelier Scholz ni du Premier Ministre Starmer. En revanche, toujours parmi les Européens, et aussi perturbant que cela puisse paraître, le Premier Ministre hongrois, MM. Orbán et peut-être (à vérifier) la présidente du conseil italien, Madame Meloni, auront un accès privilégié à la Maison-Blanche en raison de leurs propres tropismes populistes.

Mais surtout, les différences avec la période 2017-2021 sont importantes : Trump lui-même est, dit-on, un autre homme, beaucoup plus radical et décidé à mettre en œuvre sa politique ; la position de M. Macron en France et en Europe n’est plus aussi forte qu’auparavant, à la suite des récentes législatives ; les défis internationaux, à commencer par la guerre en Ukraine et le conflit au Proche-Orient, mais aussi la rivalité sino-américaine, apparaissent beaucoup plus graves etc. La réélection de Donald Trump marque sans doute un réalignement sur le plan intérieur américain (la jonction classes populaires-grands capitalistes) comme il s’en produit deux par siècle mais aussi peut-être un basculement vers une posture isolationniste, protectionniste, anti-multilatérale et - au mieux- "transactionnelle", comportant entre autres une redéfinition fondamentale des relations transatlantiques et une intensification de la rivalité sino-américaine

Le jeu possible de la France

Comment dans un tel contexte, la France doit-elle aborder le nouveau chapitre de la relation avec Washington ? Et d’abord autour de quels enjeux fondamentaux ? Le premier est incontestablement le sort de l’Ukraine. Les Européens ont été bien légers de ne pas prendre dès le début de cette année des décisions fortes pour être en mesure de compenser une baisse prévisible, peut-être drastique, du soutien militaire américain à l’Ukraine. Le paradoxe est que l’Allemagne est actuellement le plus grand fournisseur de matériel militaire aux Ukrainiens après les États-Unis tout en souhaitant désormais l’ouverture d’une négociation rapide. C’est une telle négociation que Donald Trump a en tête, peut-être dès la période de transition, avant donc son installation au pouvoir en janvier prochain, en direct avec Moscou et en court-circuitant bien entendu les Européens et plus ou moins les Ukrainiens.

Il n’est pas certain que M. Poutine - qui n’avait pas su lors du premier mandat de M. Trump exploiter la bienveillance de celui-ci à l’égard de la Russie - soit davantage capable aujourd’hui de profiter de l’ouverture d’un Trump II sur l’Ukraine. L’avenir nous le dira. En prévoyant toutefois le pire, Paris aurait le plus direct intérêt à se rapprocher dans les jours qui viennent de Londres, Berlin, Varsovie et Kiev, voire d’autres capitales pour bâtir un programme en trois volets : réévaluation à la hausse de leur aide militaire à Kiev, mise au point de "garanties de sécurité" vis-à-vis de l’Ukraine en cas de règlement du conflit avec la Russie, "engagement" de M. Trump et de ses équipes sur le dossier. Il va de soi que les trois volets sont liés : pour "engager" le président élu, il faut montrer à celui-ci que les Européens peuvent lui apporter quelque chose, notamment en mettant des garanties de sécurité dans la balance ; un bon message à lui faire passer serait aussi que pour obtenir un bon "deal" de Poutine, le mieux serait de commencer par renforcer le potentiel militaire des Ukrainiens, mais un tel message n’aurait des chances de passer que si les Européens eux-mêmes montraient l’exemple.

Parmi les autres enjeux, se situent la probabilité d’une "guerre commerciale" euro-américaine (le terme est impropre, mais des hausses de tarifs n’en apparaissent pas moins inévitables), et celle d’une nouvelle sortie des États-Unis de l’Accord de Paris, voire, s’il suit les recommandations de la Heritage Foundation ("Projet 2025"), d’un certain nombre d’organisations internationales ; une menace de désengagement de l’OTAN et plus généralement de la sécurité européenne ; une approche du conflit israélo-palestinien alignée sur celle de M. Netanyahou ; enfin, l’exercice d’une forme de chantage vis-à-vis de l’Europe - déjà entamée sous l’administration Biden - sur ses relations avec la Chine, pour que les Européens se rangent aux côté de l’Amérique dans leur grande querelle actuelle.

Un bon message à lui faire passer serait aussi que pour obtenir un bon "deal" de Poutine, le mieux serait de commencer par renforcer le potentiel militaire des Ukrainiens, mais un tel message n’aurait des chances de passer que si les Européens eux-mêmes montraient l’exemple.

Sur tous ces sujets, les alliés de l’Amérique disposent d’un peu de temps - jusqu’en janvier - pour bâtir une" offre" aux nouveaux dirigeants américains, sur une base naturellement transactionnelle puisque c’est apparemment la philosophie de base de l’ancien promoteur immobilier new-yorkais. À titre d’exemple, c’est en prenant des engagements forts sur leurs dépenses militaires que les Européens peuvent retenir par la manche des Américains enclins à se détourner de la défense de l’Europe. Une telle démarche n’exclut pas d’ailleurs de faire valoir des "lignes rouges" - sur la nécessité par exemple de laisser se développer une base industrielle de défense européenne ou d’avoir une approche différenciée de la Chine. Sur le Proche-Orient, des opportunités peuvent aussi s’ouvrir, permettant aux Européens de se réinsérer dans le jeu, ce dont l’administration Biden ne s’était guère préoccupée.

Un tel programme est-il réaliste ? On en voit bien les limites : la tentation sera forte pour un certain nombre de capitales européennes de se livrer à une "course" en ordre dispersé à Washington pour tenter de sauver leurs intérêts nationaux. Bâtir une posture européenne n’ira pas de soi, loin de là. Sur les différents sujets que nous avons mentionnés, des coalitions entre certains Européens - à défaut de réunir tous les États de l’UE - peuvent toutefois émerger. S’agissant du défi le plus grave, l’Ukraine, les pays les plus "atlantistes", au moins à l’Est (la Pologne notamment) peuvent adopter une posture de résistance à un éventuel lâchage américain. La France a d’ailleurs des cartes à jouer, telle par exemple de rendre plus attractive son offre d’extension de son parapluie nucléaire à ses voisins en se rapprochant du "Nuclear Planning Group" de l’OTAN. Si de surcroît, à la suite du limogeage du ministre des Finances, l’Allemagne devait aller plus rapidement que prévu à de nouvelles élections conduisant à une nouvelle coalition, notre marge de manœuvre pour dégager un front européen serait accrue.

Mais la France, justement, a-t-elle intérêt à jouer collectif ou, compte-tenu des risques qu’aucune vraie approche européenne ne soit possible, ne doit-elle pas elle aussi viser à préserver ses intérêts en jouant à fond la relation bilatérale avec l’Amérique ? Dans la réalité, la différence entre les deux approches n’est pas aussi tranchée. Ce qui est vrai, c’est que nous aurons d’autant plus de crédit à Washington que nous apparaîtrons - au moins sur un certain nombre de sujets- comme des porte-parole de l’ensemble de l’Europe. Avons-nous encore assez de poids au sein de l’Europe pour jouer un tel rôle ? Les rencontres qui vont se dérouler dans les prochains jours - Communauté Politique Européenne dès les 7 et 8 novembre, Conseil Européen des 19 et 20 décembre - apporteront de premiers éléments de réponse à cette question. Tactiquement, nous aurions intérêt, pour mieux fédérer, à bannir de notre rhétorique "l’autonomie stratégique européenne" …pour mieux faire avancer celle-ci dans les faits. De même, il serait très important vis-à-vis de nos partenaires que les deux branches de l'Exécutif français apparaissent bien sur la même longueur d’onde dans une stratégie à l’égard de Washington. Compte-tenu de l’équation personnelle de M. Barnier, ce serait un facteur d’un retour de l’influence française dans l’UE.

Tactiquement, nous aurions intérêt, pour mieux fédérer, à bannir de notre rhétorique "l’autonomie stratégique européenne" …pour mieux faire avancer celle-ci dans les faits.

Enfin, c’est l’ensemble des équilibres mondiaux qui vont être secoués par le retour de Donald Trump. On a vu le succès récent - au moins optique sinon sur le fond - du sommet des Brics à Kazan. Un repli américain, de surcroît querelleur vis-à-vis du reste du monde, risque d’accentuer la tendance des "middle powers" du Sud à se coaliser avec la Chine et la Russie.

Les idées françaises de "pacte de Paris pour les peuples et la planète" - autour desquelles le président Macron a réuni plus de soixante délégations à New-York lors de la dernière assemblée générale des Nations-Unies - peuvent constituer le début d’un antidote à cette tentation. Elles pourraient en effet fournir une base à une coalition en réalité plus naturelle entre "moyennes puissances" du Sud et de l’Ouest (européennes essentiellement).

 Un premier test pourrait être fourni à ce sujet lors de la réunion du G20 les 18 et 19 novembre à Rio de Janeiro : ne peut-on imaginer à cette occasion une première rencontre informelle de puissances du Sud et de puissances de l’Ouest, sans les États-Unis d’une part ni la Russie et la Chine de l’autre ?

Copyright image : Ludovic MARIN / AFP
Emmanuel Macron et Donald Trump, lors du G7 de Biarritz, le 26 août 2019. 

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