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12/11/2024

[Trump II] - Quelles conséquences pour le Moyen-Orient ?

[Trump II] - Quelles conséquences pour le Moyen-Orient ?
 Jean-Loup Samaan
Auteur
Expert Associé - Moyen-Orient

Suite à l’élection de Donald Trump comme 47e Président des États-Unis, nous poursuivons notre série de décryptages sur les conséquences internationales du scrutin. Aujourd’hui, Jean-Loup Samaan, expert associé à l’Institut Montaigne, examine la situation au Moyen-Orient, où Trump a laissé des souvenirs positifs en Israël, au Maroc ou dans certains États du golfe. Mais comment réactivera-t-il ses réseaux avec Riyad, Abu Dhabi et Jérusalem dans une période bien différente de celle qu’il a connue entre 2016 et 2020, désormais marquée par la guerre ? Quelles incidences sur l’Iran, Gaza et le processus de normalisation engagé lors de son précédent mandat ? Explications.

Au Moyen-Orient, la victoire de Donald Trump lors de l’élection présidentielle américaine n’a pas suscité d’émoi semblable à ce que l’on peut observer en Europe. D’une part, le soutien indéfectible de l’administration Biden à la guerre israélienne à Gaza et au Liban, et l'incapacité de Kamala Harris à s'en distinguer, ont suscité un rejet profond du parti démocrate dans le monde arabe. Par ailleurs, Donald Trump a laissé un bon souvenir dans plusieurs pays de la région. En Israël, sa décision de déménager l'ambassade américaine à Jérusalem ou sa reconnaissance de la souveraineté israélienne sur le Golan lui valent le soutien d'une majorité de la population israélienne.

Au Moyen-Orient, la victoire de Donald Trump lors de l’élection présidentielle américaine n’a pas suscité d’émoi semblable à ce que l’on peut observer en Europe.

Au Maroc, le soutien de Trump à la souveraineté de Rabat sur le Sahara occidental reste aussi dans les mémoires. Enfin, l’équipe Trump, en particulier son gendre et conseiller Jared Kushner, avait tissé des liens extrêmement étroits avec les hommes forts de la région, Benjamin Netanyahou (ami personnel de la famille Kushner), le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman, et le président des Émirats Arabes Unis, Mohammed bin Zayed.

Il est fort probable que ces réseaux entre la Maison Blanche, Riyad, Abu Dhabi, et Jérusalem seront réactivés par la nouvelle administration.

"Finir le job" à Gaza

Dans l'immédiat, Trump ne s’est guère exprimé sur la guerre à Gaza, si ce n’est pour appeler Netanyahou à "finir le job". Au Liban, il s’est cantonné à promettre de mettre un terme "à la souffrance et la destruction" mais sans s'aventurer sur les conditions d'une sortie de guerre. En réalité, Trump ne divergera probablement pas de Joe Biden sur ce dossier. L’aide militaire américaine à Israël sera sans le moindre doute maintenue, voire augmentée. Celle-ci ne s’accompagnera pas de conditionnalités supplémentaires ou d’intervention de Washington dans la conduite de la guerre. Durant son premier mandat, Trump ne se préoccupait pas de stratégie militaire et il pourrait ainsi laisser au gouvernement israélien et à Tsahal une forte latitude pour conduire, et peut-être achever, les guerres à Gaza et au Liban.

Au demeurant, il ne faut pas surestimer la capacité américaine à influer sur le cours de ces conflits qui obéissent à des logiques locales que Washington ne contrôle pas. De plus, les choses peuvent encore changer, à Gaza comme au Liban, d’ici l’investiture de Trump en janvier. Le Hamas et le Hezbollah sont aujourd’hui fortement affaiblis par l’intensité sans précédent des opérations israéliennes. Pour des raisons liées à la politique intérieure israélienne, Netanyahu pourrait estimer qu’il est désormais en mesure de proclamer la victoire sans perdre le pouvoir à Jérusalem.

Vers une annexion de la Cisjordanie ?

C’est plus dans la phase post-guerre que l’administration Trump imposera son empreinte. Lors de son premier mandat, le président américain avait jugé le conflit israélo-palestinien secondaire par rapport aux tensions avec l’Iran. Un plan de paix, très favorable à Israël, avait été proposé par la Maison Blanche et aussitôt rejeté par l’Autorité palestinienne (AP). Les relations exécrables entre Trump et le Président Mahmoud Abbas ne faciliteront pas la question d’une reprise en main de Gaza par l’AP, une hypothèse que le gouvernement Netanyahu rejette de toute façon ouvertement. L’équipe Trump pourrait s’accommoder de solutions hybrides sur Gaza qui comprendraient le maintien d’un contingent militaire israélien au nord du territoire, voire le déploiement de sociétés militaires privées (une solution un temps envisagée par Trump pour l'Afghanistan).

In fine, pour les conseillers du président américain, Gaza n’est pas le vrai enjeu, qui reste la Cisjordanie. L’ancien ambassadeur américain en Israël, David Friedman (et proche conseiller de la campagne Trump) milite ouvertement pour l’annexion de l’intégralité du territoire cisjordanien. Netanyahou et ses partenaires d’extrême droite (Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir) sont exactement sur la même ligne.

In fine, pour les conseillers du président américain, Gaza n’est pas le vrai enjeu, qui reste la Cisjordanie.

Cela s’inscrirait dans la suite logique de la reconnaissance par Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël et du Golan occupé depuis la guerre de 1967. Une telle décision mettrait un terme quasi-définitif à l’idée de voir un jour éclore un État palestinien sur les territoires de 1967. Elle aurait très certainement un retentissement dans l’ensemble des pays musulmans et déstabiliserait fortement la Jordanie, le pays voisin déjà affaibli économiquement et qui se retrouverait sommé d’accueillir un nouveau flux de réfugiés palestiniens.

Porter l’estocade au régime iranien

À l’échelle régionale, le dossier iranien sera aussi une priorité pour le nouveau locataire de la Maison Blanche. Lors de son premier mandat, Trump avait mis un terme à l’engagement américain dans l’accord nucléaire de 2015. Cela avait fourni un bon prétexte à Téhéran pour accélérer son programme d’enrichissement de l’uranium. L'administration américaine d'alors, notamment Mike Pompeo et John Bolton, avait milité pour une politique de "pression maximale" sur l’Iran qui s’apparentait à une stratégie d’étouffement économique pour précipiter l'effondrement du régime. La situation actuelle devrait favoriser la reprise de cette posture. Les "faucons" qui entourent Trump pourraient se convaincre que le moment est venu pour, non seulement lancer des frappes aériennes sur les sites nucléaires iraniens, mais aussi faire tomber le régime. Les dernières frappes israéliennes sur l’Iran, le 26 octobre dernier, auraient détruit une majeure partie de la défense aérienne iranienne, laissant penser que s’il devait y avoir de nouveaux raids, Tsahal (et peut-être, la prochaine fois, l’US Air Force) pourraient cibler sans difficulté les installations servant au programme nucléaire.

Cette tentation américaine du regime change n'est pas sans rappeler les ambitions de l’administration Bush avant l’invasion d’Irak en 2003. Trump n’a pas d'appétence pour les idées néo-conservatrices et la majeure partie des représentants de cette mouvance au sein du parti républicain se sont insurgés contre lui. Néanmoins, la détestation du régime iranien est profonde à Washington et face à un Iran acculé par la guerre avec Israël, la nouvelle administration pourrait y voir l'opportunité d'infliger un coup décisif.

Relancer le processus de normalisation entre Israël et l’Arabie Saoudite

Tout cela amène à poser la question des relations entre Trump et les monarchies du Golfe. Celles-ci seraient directement touchées par une exacerbation du conflit israélo-iranien. Les dirigeants locaux abhorrent le régime à Téhéran mais ils craignent encore plus l’instabilité qui pourrait découler d’un effondrement de la république islamique. Ils devraient ainsi rester spectateurs d'une telle escalade. Dépendant encore fortement de l’armée américaine pour leur sécurité, les États du Golfe ne pourraient pas véritablement s’opposer à une nouvelle stratégie de "pression maximale" et se rangeraient tacitement derrière Washington.

La nouvelle administration aura à cœur de reprendre l’entreprise de normalisation entre Israël et les pays arabes sur laquelle le premier mandat Trump s’était achevé.

Au-delà de la problématique iranienne, la nouvelle administration aura à cœur de reprendre l’entreprise de normalisation entre Israël et les pays arabes sur laquelle le premier mandat Trump s’était achevé. Joe Biden avait prolongé la dynamique des accords d'Abraham de 2020, en faisant du rapprochement entre l’État hébreu et l’Arabie Saoudite l’objectif principal de sa politique dans la région.

Compte tenu des liens personnels entre l’équipe Trump et Mohammed bin Salman, le dossier devrait certainement rester au premier plan. Dans le sillage de ce processus de normalisation, le vaste projet de corridor Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC en anglais) lancé par l’administration Biden pourrait être repris par Trump, tant il s’inscrit dans la continuité des initiatives de la première présidence de ce dernier. Le cas échéant, la Maison Blanche en changera certainement l’appellation, afin d’éviter d'accorder le moindre mérite à Joe Biden…

Malgré ces ambitions de l'équipe Trump, il est difficile d’imaginer aujourd’hui Riyadh signer le moindre accord sans une contrepartie sur le dossier palestinien. La diplomatie saoudienne a clairement signifié qu’une normalisation n’est pas envisageable sans avancée en direction d’un État palestinien. Or, un enlisement à Gaza, voire une annexion de facto de la Cisjordanie, rendrait la position saoudienne intenable.

Contrecarrer les ambitions chinoises au Moyen-Orient

Si le dossier de la normalisation irriguera les efforts de l’équipe Trump dans la région, la problématique de la Chine au Moyen-Orient devrait aussi s’inviter sur l’agenda. Celle-ci n’a émergé que dans la dernière année de la première présidence Trump, lorsque les dirigeants américains ont commencé à émettre des soupçons sur les activités militaires chinoises avec des partenaires des États-Unis tels que l’Arabie Saoudite et les EAU. Depuis lors, la présence de Pékin s’est accrue : l’armée chinoise participe désormais à des manœuvres navales et aériennes avec les pays du Golfe et ses compagnies ont fortement pénétré les infrastructures portuaires et les réseaux électroniques de la région. En septembre dernier, l’Égypte obtenait de l’administration Biden le transfert de son aide militaire annuelle d’1,3 milliard de dollars. À peine un mois plus tard, Le Caire annonçait sans la moindre gêne l'achat de l’avion de combat chinois J-10.

Cette ambivalence des pays arabes entre Washington et Pékin reflète la volonté des dirigeants dans la zone de ménager de bonnes relations avec les deux grandes puissances. Elle découle aussi d’une lente érosion de l’image des États-Unis au Moyen-Orient depuis une quinzaine d’années. Néanmoins, on peut prédire que ce rapprochement avec la Chine ne sera pas du goût de la nouvelle administration Trump. La rivalité commerciale et stratégique avec Pékin est la priorité de la nouvelle Maison Blanche. Celle-ci est conçue comme un jeu à somme nulle, où les pays tiers sont sommés de s’aligner ou subir les conséquences de leurs ambivalences. Dans un tel contexte, Trump ou ses conseillers proches n’auront guère de sympathie pour la volonté de leurs partenaires traditionnels de maintenir, voire d'élargir, leurs relations avec la Chine.

En somme, Donald Trump devrait être tiraillé au Moyen-Orient entre son désir de reprendre les initiatives de sa première présidence, en particulier la normalisation avec l’Arabie Saoudite, la nécessité de mettre un terme aux guerres en cours entre Gaza, le Liban et l’Iran, et enfin sa volonté, plus générale, de contenir l’influence chinoise.

Copyright image : Mandel NGAN / AFP
Donald Trump et Jared Kushner aux côtés de Mohammed ben Salmane à Riyadh le 20 mai 2017

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