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22/11/2024

[Trump II] - Les dilemmes de l'Italie de Meloni

[Trump II] - Les dilemmes de l'Italie de Meloni
 Marc Lazar
Auteur
Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie

Le retour de Donald Trump et les conséquences qu'il implique pour une Europe en mal de leadership interrogent en Italie comme ailleurs. Giorgia Meloni, qui cultive son lien avec Donald Trump et Elon Musk, doit-elle se réjouir de l'élection d'un homme qui partage nombre des valeurs qu'elle défend ? Comment comprendre la chaleur très tempérée avec laquelle la dirigeante a accueilli la nouvelle de l’élection du républicain ? Balance commerciale italienne, guerre en Ukraine, Otan et défense européenne, tactique de posture et stratégie de positionnement : les fils de la politique domestique, européenne et transatlantique se tressent en un écheveau pour le moins emmêlé, que Marc Lazar débrouille pour nous.

La victoire de Donald Trump a été bruyamment célébrée par deux responsables politiques italiens. Giuseppe Conte, le leader du Mouvement 5 étoiles, parti de l’opposition résolument pacifiste, a salué la promesse d’une paix rapide en Ukraine formulée par Trump - avec lequel il entretient de bons rapports depuis ses années à la présidence du Conseil (de 2018 à 2021). Matteo Salvini, dirigeant de la Ligue, ministre des Transports et vice-président du Conseil des ministres, s’est enthousiasmé sur X : « Quelle joie, quelle victoire, journée historique. Lutte à l’immigration clandestine, réduction des taxes, racines chrétiennes et retour à la paix, liberté de pensée et non aux procès politiques. Aux États-Unis aussi le bon sens, la passion et le futur gagnent ». Par contraste, le message de Giorgia Meloni semble un modèle de sobriété : "En mon nom et en celui du gouvernement, les plus sincères félicitations au président élu des États-Unis, Donald Trump. L’Italie et les États-Unis sont des nations "sœurs", liées par une alliance indéfectible, des valeurs communes et une amitié historique. C’est un lien stratégique, et je suis certaine, désormais, que nous le renforcerons davantage".

Le pro-atlantisme fait consensus entre les forces politiques transalpines depuis des décennies.

Giorgia Meloni reste dans son rôle de cheffe de gouvernement. Elle rappelle la relation historique instaurée depuis la fondation de la République après la Seconde guerre mondiale entre l’Italie et les États-Unis. En effet, le pro-atlantisme fait consensus entre les forces politiques transalpines depuis des décennies

Aussi, Rome quel que soit le gouvernement en place, cherche à s’entendre au mieux avec Washington, quel que soit le président. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé entre Giorgia Meloni et Joe Biden. Il n’en demeure pas moins que la sobriété de la réaction de Giorgia Meloni atteste une certaine prudence qui interpelle.

Elle est en effet politiquement et idéologiquement extrêmement proche de Donald Trump. Elle avait exprimé sa grande satisfaction lors de sa première accession au pouvoir en 2016. Deux ans plus tard, lors la convention annuelle de son parti, appelée "Atreju", elle avait accueilli l’un des proches du président Trump, Steve Bannon qui, à l’époque, ambitionnait de rassembler les nationaux-populistes européens. Son parti, Fratelli d’Italia, entretient de bons rapports avec le Parti républicain. Elle-même a participé en 2019 et 2022 à la Conférence annuelle de ce parti où elle a exposé ses idées conservatrices, voire traditionalistes, qui tournaient autour de son triptyque "Dieu, famille, patrie" et furent chaleureusement applaudies. Elle se retrouve dans quelques-unes des orientations déclinées par Donald Trump durant sa campagne électorale, comme la lutte contre l’immigration clandestine, la baisse des impôts, la dénonciation du wokisme et de la cancel culture. Par ailleurs, elle suit avec intérêt, admiration, et peut-être même fascination Elon Musk, qui fut lui aussi invité à Atreju en 2023. Lorsque le think tank basé à Washington Atlantic Council a décerné à Meloni le Global Citizen Award, elle a souhaité que Musk lui remette en personne cette distinction. Tout au long de la cérémonie qui s’est déroulée le 23 septembre 2024, ils ont affiché leur excellente entente, voire même une forme de complicité. 

Comment alors expliquer la sobriété de la réaction de Giorgia Meloni, qui tranche avec l’exaltation de son ministre Matteo Salvini ? Plusieurs facteurs interviennent. Si le nouvel élu instaure des droits de douane importants, cela frappera de plein fouet l’économie italienne, le marché américain étant le second des florissantes exportations italiennes. Les conséquences sociales, et donc politiques, pour ses électeurs - notamment les chefs des petites et moyennes entreprises - pourraient être redoutables alors que les prévisions de croissance pour le pays ne sont pas bonnes. 

Si le nouvel élu instaure des droits de douane importants, cela frappera de plein fouet l’économie italienne, le marché américain étant le second des florissantes exportations italiennes. 

Donald Trump et ses proches ont annoncé qu’ils règleraient en 24 heures la guerre en Ukraine, mais en attendant que la paix soit signée, il n’est pas certain qu’il continuera d’envoyer des armes aux Ukrainiens. Or, Giorgia Meloni s’est fortement engagée sur ce sujet. Non seulement, alors qu’elle était dans l’opposition, elle a condamné l’invasion russe, mais encore, une fois au pouvoir en 2022, elle a poursuivi la livraison d’armes initiée par son prédécesseur Mario Draghi. Elle n’a pas cédé aux pressions de l’important mouvement pacifiste soutenu entre autres par le Mouvement 5 étoiles ni à ses alliés, Forza Italia et la Ligue de Matteo Salvini toujours aussi pro-russe, qui se montrent plus prudents et n’acceptent de fournir que de l’armement défensif. Au sommet de Rio du G20, Giorgia Meloni s’est montrée toujours aussi ferme ; elle a soutenu la décision américaine de permettre l’utilisation par Kiev des missiles longue portée jusque sur le territoire russe, déclaré que l’heure n’était pas au dialogue avec Poutine et assuré au président Zelensky que l’Italie continuera ses livraisons de matériel militaire en 2025. Enfin, certaines déclarations de Donald Trump et ses proches suggèrent que les États-Unis ne seraient plus tellement intéressés par l’OTAN. Or plusieurs bases de cette organisation sont installées dans la péninsule et en Sicile. Le scénario du pire - réduction des troupes voire leur hypothétique retrait et la fermeture des bases - ne paraît pas crédible. En revanche, celui plus probable consistant à exiger un gros effort de financement aux pays membres de l’Alliance, contraindrait l’Italie à résoudre le problème de sa sécurité. Avec l’obligation pour Giorgia Meloni de prendre une position claire sur la défense européenne et d’augmenter les dépenses pour son armée qui actuellement ne représentent que 1,5 % de son budget. Ce qui, d’une part, aurait un impact sur l’ensemble des finances publiques et, d’autre part, supposerait de se confronter à la puissante culture pacifiste de l’Italie.

Donald Trump ne fait pas de l’Union européenne sa priorité et celle-ci en est fortement déstabilisée. Là aussi, Giorgia Meloni est maintenant à l’heure des choix. Elle qui, dans un passé assez récent, était favorable à une sortie de l’Union européenne et de l’euro, a changé de position avant 2022 et plus encore depuis qu’elle a la charge de la direction de son pays. Elle a besoin de l’Union puisque l’Italie est la principale bénéficiaire du plan Next Generation EU. Aussi a-t-elle noué de bonnes relations avec la présidente Ursula von der Leyen, lesquelles se poursuivent malgré son non soutien pour sa reconduction à la tête de la Commission européenne voulue par une majorité PPE, socialistes, libéraux et écologiste à laquelle Giorgia Meloni ne pouvait - ni ne voulait - se rallier. Davantage, elle vient de réussir à placer son ancien ministre des Affaires européennes, Raffaele Fitto, au poste de vice-président de la Commission, en dépit de l’hostilité initiale des élus libéraux, de gauche et écologiques. Désormais, son dilemme est clair. La dirigeante italienne, dont le parti siège au Parlement de Bruxelles et de Strasbourg dans le groupe des Conservateurs et réformistes européens, entend-elle converger avec son ami politique Viktor Orbàn, grand admirateur et inspirateur de Trump, qui s’oppose à toute progression de l’intégration politique de l’Union européenne afin de recouvrer plus de souveraineté nationale, ce qui représente l’un des desseins de Meloni et de son parti ? Ou, à l’inverse, profitant de l’affaiblissement de Berlin et de Paris et de sa position de force en Italie où la stabilité gouvernementale n’est pas menacée et où sa popularité personnelle reste élevée, cherchera-t-elle à déplacer le centre de gravité de l’Union européenne vers la droite ? Cette deuxième possibilité est la plus vraisemblable car elle est déjà en cours. En effet, les propositions des différents groupes de la droite radicale et de l’extrême droite en matière de lutte contre les mouvements migratoires, l’immigration clandestine et afin de reconsidérer le contenu du Pacte vert séduisent de plus en plus le PPE. La nomination de M. Fitto à la Commission démontre d’ores et déjà que la majorité parlementaire sera à géométrie variable, les Conservateurs et réformistes européens s’y intégrant selon les sujets abordés et mis au vote. De la sorte, Giorgia Meloni pourrait jouer sur deux tableaux. Défendre les intérêts de l’Italie dans une négociation bilatérale qui sera âpre avec la nouvelle administration, comme chacun des membres de l’Union européenne sera tenté de le faire. S’ériger en grande leader non seulement des diverses forces national-populistes par rapport au premier ministre hongrois et Marine Le Pen, toujours dans l’opposition et aux prises avec ses démêlés judiciaires, mais de l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement. L’Italie apparaîtrait ainsi comme l’interlocutrice privilégiée de Washington. Elle dispose donc d'une formidable carte à jouer, mais il n’est pas dit que Giorgia Meloni puisse l’abattre. D’une part, parce qu’une partie des membres de son parti et de son électorat restent fondamentalement eurosceptiques et qu’elle ne souhaite pas que Matteo Salvini, très critique de l’Union européenne, l’attire vers lui. D’autre part, parce que cela suppose de franchir une nouvelle étape dans sa rupture avec ses idées antécédentes, et rien ne dit qu’elle le puisse et le veuille, tant elle reste fidèle à son engagement et à une partie de la culture politique acquise durant sa jeunesse et sa maturité. 
 

L’Italie apparaîtrait ainsi comme l’interlocutrice privilégiée de Washington. Elle dispose donc d'une formidable carte à jouer, mais il n’est pas dit que Giorgia Meloni puisse l’abattre.

Giorgia Meloni ne peut pas non plus se permettre d’apparaître comme complètement assimilée à Donald Trump pour des raisons de stricte politique interne. Elle ne partage pas sa défiance manifeste envers Zelensky ni son respect pour Poutine. De même, étant pro-atlantiste et, maintenant, plutôt pro-Union européenne, elle ne saurait reprendre les critiques que lui adressent Trump et beaucoup de ses amis.

Par ailleurs, elle a entrepris une stratégie de crédibilisation qui n’empêche pas que, de temps à autre, elle recourt au complotisme pour expliquer les difficultés rencontrées par son gouvernement et déploie une grande agressivité contre ses ennemis, la gauche, les magistrats, les médias. Mais elle ne saurait imiter le style violent de Donald Trump et sa volonté incessante de polarisation de la vie politique. Elle est donc très attentive à son positionnement à l’égard du nouvel exécutif. À peine Trump élu, Elon Musk a lancé un message pour exiger le départ des juges italiens qui s’opposent pour raisons juridiques aux transferts voulus par Giorgia Meloni de migrants dans un camp monté et géré par les Italiens en Albanie. Matteo Salvini a immédiatement soutenu Musk, mais Sergio Mattarella, le président de la République, l’homme le plus populaire d’Italie, a publié une mise au point extrêmement ferme en soulignant que son pays était souverain en la matière. Après un moment d’hésitation, Giorgia Meloni, manifestement très embarrassée, a déclaré qu’il fallait toujours écouter avec grand respect les propos du Président, sans pour autant exprimer son désaccord avec son ami Musk, lequel a ensuite fait un peu profil bas, sans doute après un appel de la cheffe du gouvernement. Par conséquent, en attendant que Donald Trump retrouve le bureau ovale et précise ses orientations et sa politique, l’attitude de Giorgia Meloni peut se résumer en une formule bien connue : wait and see

Copyright image : Tiziana FABI / AFP
Giorgia Meloni au Palazzo Chigi le 5 novembre, après sa rencontre avec Mark Rutte, secrétaire général de l’OTAN.

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