AccueilExpressions par Montaigne[Trump II] - Après son triomphe, Donald Trump a-t-il les mains libres ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.21/11/2024[Trump II] - Après son triomphe, Donald Trump a-t-il les mains libres ? États-Unis et amériquesImprimerPARTAGERAuteur Amy Greene Experte Associée - États-Unis Présidentielle américaine : Trump IIL’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le 5 novembre, suivie de l’obtention de la majorité absolue au Sénat et à la Chambre des représentants, ainsi que l’annonce de plusieurs nominations frappantes - Robert F. Kennedy Jr. à la Santé, Matt Gaetz à la Justice ou Pete Hegseth à la Défense - marquent le tournant pris par la démocratie américaine. Quelles sont les voix dissonantes éventuelles parmi les républicains ou les figures de l’opposition démocrate appelées à jouer un rôle important ? Le check and balances institutionnel peut-il faire contrepoids ? Amy Greene, nouvelle experte associée à l’Institut Montaigne, analyse le nouveau paysage américain reconfiguré par des électeurs qui ont massivement voté pour leur ex ex-président. La victoire de Donald Trump le rend-il tout puissant au sein de son parti ? Existe-il une opposition interne dans le GOP ? La démocratie américaine est-elle en péril ?Donald Trump est seulement le deuxième président américain à avoir été réélu pour un nouveau mandat après avoir échoué à sa propre réélection (NDLR : Grover Cleveland a été le premier président réélu après avoir "manqué" le succès entre deux campagnes victorieuses). Sa seconde victoire est plus décisive que celle de 2016 : il s’est acquis non seulement plus de 310 grands électeurs (avec une très confortable avance sur les 270 requis pour l’emporter), mais aussi le vote populaire, avec un avantage de plus de deux millions sur Kamala Harris. Fort du pouvoir exécutif, le parti républicain remporte également la majorité au Sénat et, à quelques sièges près, à la Chambre des Représentants. La Cour suprême est composée majoritairement de juges conservateurs, notamment en raison des nominations de Trump lors de son premier mandat. Est-ce à dire que les États-Unis signent un blanc-seing à leur nouveau président ? Pas nécessairement : si les électeurs ont affirmé clairement leur insatisfaction à l’égard du parti démocrate, ainsi que leur souhait de rupture, incarnée par Donald Trump, cela ne signifie pas pour autant que ce dernier ne fait face à aucun obstacle, y compris jusque dans son propre camp. Parmi les républicains, certains devront en effet composer avec leurs propres vulnérabilités électorales, ce qui pourrait les empêcher de voter mécaniquement le programme de Donald Trump. À la Chambre, des députés républicains ont été élus dans des circonscriptions susceptibles de basculer facilement à gauche. Ils ne pourront pas se permettre de soutenir aveuglément le président, ou courent le risque de se faire éjecter dans deux ans lors des élections de mi-mandat. Une dynamique comparable pourrait se jouer au Sénat, dont un tiers sera soumis au renouvellement en 2026, dans une cartographie plus favorable aux démocrates. Si ces élus adhéraient complètement au projet de Trump, ils s’exposeraient au risque de perdre leurs électeurs et de compromettre une majorité pour l’heure acquise aux républicains. Nous assisterons donc à un jeu d’équilibre local-national. Face à un président élu qui entend compter sur la loyauté totale de ses troupes, certains républicains se trouveront donc face à un dilemme entre Donald Trump et leurs électeurs.Face à un président élu qui entend compter sur la loyauté totale de ses troupes, certains républicains se trouveront donc face à un dilemme entre Donald Trump et leurs électeurs. Les incitations et paramètres en jeu sont nombreux, le pouvoir de contestation, ou du moins de négociation interne, n’est donc pas nul. De plus, certains sénateurs républicains d’envergure nationale préfèrent garder leur autonomie vis-à-vis du président. C'est notamment le cas en Alaska avec Lisa Murkowski et dans le Maine avec Susan Collins. Susan Collins s’est par exemple opposée à la nomination à la Cour suprême de la juge Amy Coney Barrett et ne manquera pas de faire entendre ses divergences sur tel ou tel sujet sensible. Elle est appuyée par des électeurs notoirement "indépendants", qui n’hésitent pas à voter démocrate lors des élections présidentielles et républicain au Congrès. La sénatrice Murkowski s’est aussi attiré les foudres de Donald Trump, restées sans effet pour l’instant, en faisant partie des sept républicains qui, lors de la procédure d’impeachment contre Trump en 2021, avaient voté en faveur d’une condamnation pour motif d’incitation à une insurrection. En 2024, elle affirme n’avoir voté ni pour lui ni pour Kamala Harris lors de la Présidentielle. Donald Trump va sans doute procéder par Executive order ou en utilisant des clauses de sécurité nationale qui lui permettront de faire passer rapidement certaines mesures de son programme, mais ces procédures ne pourront pas être reconduites éternellement. Si certaines lois ne requièrent que la majorité simple, comme le vote du budget ou le rehaussement du plafond de la dette, d’autres peuvent se voir opposer une minorité de blocage, de sorte qu’un projet de loi jugé trop radical pourra réunir contre lui un petit angle bipartisan avec quelques résistants républicains. Il serait donc prématuré de dire que la démocratie américaine est en péril. Pour l’instant, le processus électoral n’a pas été détourné, on sait que le président n’est pas le seul garant des institutions et que lors de son précédent mandat, la démocratie américaine avait résisté. Une pratique inhabituelle des institutions n’est pas de nature, à elle seule, à la remettre en cause. Donald Trump montre toutefois son intention de tester les limites du cadre institutionnel qu’on lui impose : il a affirmé vouloir se passer de la validation du Sénat pour la nomination de ses ministres, ce qui représenterait une rupture normative, alors que la Constitution confère au Sénat un rôle de conseil et de consentement. Cette démarche est un premier test, et le résultat une première indication importante pour la suite. Désormais, c’est toute la société américaine qui doit veiller à la protection du système démocratique américain et de l’ensemble de la société civile et institutionnelle. Et bien sûr, les élections de mi-mandat constitueront le prochain rendez-vous démocratique permettant au peuple américain de sanctionner, ou d’approuver, la présidence Trump.Dans un système fédéral comme les États-Unis, quelle est la marge de manœuvre de chacun des États face aux mesures du 47e président ?Les États fédéraux et le gouvernement central disposent chacun de leur périmètre et de leurs compétences : les États pourraient s’opposer à certaines mesures voulues par Donald Trump, comme à Los Angeles, où le chef de police refuse d’office à participer aux déportations en masse.. Les questions climatiques offrent aussi des occasions pour légiférer en l’absence de toute ambition centrale. Les États-Unis vont fonctionner à deux, voire plusieurs, vitesses. Les États-Unis vont fonctionner à deux, voire plusieurs, vitesses. À présent que la composition de la future administration est mieux connue, quelle est la vision dominante au sein des républicains ? Dans quelle mesure le Projet 2025 irrigue-t-il le programme de Donald Trump et quelles seront les priorités de la nouvelle équipe ?Échaudé par l’expérience de 2016, quand son équipe l’avait selon lui suivi avec trop de réserves, Donald Trump compte se passer du Sénat pour confirmer ses nominations. Celles-ci sont instructives : les noms annoncés nous montrent qu’il souhaite s’entourer de fidèles pour agir vite, quitte à entrer en conflit frontal avec certaines oppositions au sein des agences fédérales. Mike Waltz, ancien militaire et représentant de la Floride, nommé conseiller à la Sécurité nationale, partisan d’une ligne très dure à l’égard de la Chine et de l’Iran, et Marco Rubio, sénateur de Floride, nommé secrétaire d’État, font exceptions en étant les seuls à avoir une véritable expertise dans les champs d’action qui seraient les leurs. Les autres choix de Donald Trump s’avèrent plus disruptifs : Stephen Miller, ancien artisan de la politique d’immigration et de la polémique séparation des familles aux frontières, devrait être chef adjoint de cabinet, Kristi Noem, une fidèle actuellement gouverneur du Dakota du Sud, serait secrétaire du Département de la Sécurité intérieure. Certaines nominations sonnent comme de véritables provocations : Pete Hegseth à la Défense - ce dernier a beau avoir servi en Irak et en Afghanistan, il a surtout passé ces dernières années sur la matinale de Fox News où il a dénoncé les dérives prétendument "wokistes" de l’armée. Concernant Matt Gaetz à la Justice, l’opposition très large suscitée par cette nomination est telle qu’on peut penser qu’elle ne sera pas validée.Elon Musk sera nommé à la tête d’une commission d’audit sur l’efficacité gouvernementale, le DOGE - Department of Government Efficiency. Néanmoins, les tentatives de Musk pour s’imposer (en rencontrant de son propre chef, selon le New York Times, l’ambassadeur d’Iran Amir Saeid Iravani, ou en donnant son avis concernant les nominations au sein de l’appareil républicain) ne suscitent pas que l’admiration. Donald Trump a pu exprimer son irritation, tout comme certains dirigeants républicains.Un aspect du Project 2025 suscite un intérêt particulier : la réactivation potentielle du Schedule F, visant à requalifier des dizaines de milliers de postes de fonctionnaires en un statut plus précaire. Ces fonctionnaires seraient ainsi plus faciles à licencier et à remplacer ensuite par des alliés politiques. Un autre sujet qui interroge est la préparation d’une proposition de décret - dont on ignore encore s’il sera signé par Trump - pour créer une commission ayant pour objectif de passer en revue le haut commandement militaire. Les généraux et amiraux estimés inaptes feront l’objet d’une recommandation de licenciement. Ceci devrait permettre de limoger les officiers dits "woke" et de s’en prendre aux militaires jugés comme des obstacles aux ambitions de Trump.Quel peut être l’avenir de Kamala Harris et de sa ligne au sein des démocrates ? Quelles figures s’imposeront dans l’opposition et quelle orientation peuvent-elles donner au Parti bleu ?Les figures démocrates émergentes sont nombreuses. Kamala Harris a mené une bonne campagne, malgré sa défaite et bien qu’elle ait perdu des électeurs par rapport aux voix remportées par Joe Biden. Elle devra compter avec d’autres figures, comme Pete Buttigieg, le secrétaire aux transports de l’administration Biden, Gretchen Whitmer, la gouverneur du Michigan, ou encore Josh Shapiro, gouverneur de Pennsylvanie. En Californie, Gavin Newsom est également une voix qui porte mais pourrait ne pas être le mieux placé pour se rallier le vote des classes populaires ou se rapprocher de l’Amérique profonde. Il est encore trop tôt pour juger du rapport de force qui se dessinera entre ces différentes figures mais une nouvelle génération de démocrates est bel et bien en ordre de bataille. Il est encore trop tôt pour juger du rapport de force qui se dessinera entre ces différentes figures mais une nouvelle génération de démocrates est bel et bien en ordre de bataille.La prochaine échéance qui se dessine est celle des mid-terms : les démocrates ont deux ans pour mettre en avant leurs figures les plus talentueuses et élaborer un message à même de rallier les électeurs : il s’agira là d’un exercice d’introspection majeur face aux lacunes structurelles du parti de l’Âne, qui doit se positionner pour former une opposition efficace contre Donald Trump en ouvrant un espace politique nouveau.La défaite a ouvert un chantier considérable : on a assisté à une remise en cause de la ligne du parti démocrate, dont la politique identitaire est en échec face à la prégnance des questions socio-économiques. L’élection de Trump témoigne d’une très forte volonté de changement, dans ce qu’il faut qualifier de "nouvel esprit du temps", caractérisé par la méfiance à l’égard des institutions et des individus qui les incarnent. Quelle a été la part de l’électorat jeune dans la victoire de Donald Trump ? Le vote des jeunes s’est dans l’ensemble porté vers le parti démocrate, mais dans des proportions moindres qu’en 2020. Les premières analyses sérieuses nous montrent que 56 % des hommes de moins de trente ans ont voté en faveur de Donald Trump : ils étaient le même nombre à avoir voté en faveur de Joe Biden en 2020. Les jeunes femmes de la même catégorie d’âge ont été un peu moins de 60 % à voter pour Kamala Harris, contre 65 % en 2020. Selon les critères plus identitaires, les jeunes noirs et asiatiques ont voté le plus pour Harris (environ 72 à 74 %) suivi des jeunes hispaniques (moins de 60 %), tandis que les jeunes blancs ont préféré Trump (54 %). Plus globalement, les démocrates n’ont pas su mobiliser les électeurs les plus jeunes autant qu’en 2020 : seuls 40 % environ d’entre eux se sont rendus aux urnes cette année.Qu’attendre durant les quelques semaines qui restent à Joe Biden ?Joe Biden a autorisé l’utilisation de missiles à haute portée ATACMS pour frapper la Russie en profondeur, afin de repousser les attaques menées par des soldats nord-coréens. Le président compte également faire tout le nécessaire pour dépenser les sommes allouées par le Congrès à l’Ukraine avant l’arrivée au pouvoir de Trump. Sur d’autres sujets nationaux, comme l’infrastructure et l'environnement plus particulièrement, le gouvernement de Biden tâche, en hâte, de dépenser les milliards de dollars autorisés par le Congrès avant la fin de son mandat.L'objectif de Joe Biden est de préserver les ambitions phares de sa politique, ambitions que Donald Trump a indiqué vouloir renverser. Biden le fait au travers des subventions et d’autres financements à destination des organisations, des entreprises et d’acteurs plus ou moins locaux qui ont la charge de mener à bien ces projets. Le président démis s’engage donc dans une course contre la montre pour dépenser tout le budget autorisé afin de sécuriser ce qui pourra l’être et protéger autant que possible son héritage politique.Le président démis s’engage donc dans une course contre la montre pour dépenser tout le budget autorisé afin de sécuriser ce qui pourra l’être et protéger autant que possible son héritage politique.Propos recueillis par Hortense Miginiac Copyright imge : Lex WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP Joe Biden lors de sa rencontre avec Donald Trump au Bureau oval de la Maison Blanche, le 13 novembre 2024.ImprimerPARTAGERcontenus associés 06/11/2024 [Le monde vu d'ailleurs] - Trump II, Fatalisme et interrogations à Moscou Bernard Chappedelaine 06/11/2024 [Trump II] - La Chine dans la relation transatlantique avec Donald Trump François Godement 06/11/2024 [Trump II] - Taiwan et Trump 2.0 : partenaire ou monnaie d’échange ? 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