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[Réarmer la France] - Financer la montée en puissance

[Réarmer la France] - Financer la montée en puissance
 Nicolas Baverez
Auteur
Expert Associé - Défense
 Bernard Cazeneuve
Auteur
Expert Associé - Défense
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notre série 
Réarmer la France

L’argent, le nerf de la guerre : alors que la France s’est engagée, lors du sommet de l’OTAN en juin dernier, à hausser ses dépenses de défense à 3,5 % de son PIB pour se préparer à la guerre de haute intensité, l’autre urgence guette : elle est d’ordre budgétaire. Comment hiérarchiser les priorités ? L’objectif n'est plus de réparer l’armée du XXe siècle, mais de construire l’armée du XXIe siècle, nous disent Nicolas Baverez et Bernard Cazeneuve dans l’épisode conclusif de leur série [Réarmer la France]. 

Le très ambitieux objectif de La Haye

La condition première du réarmement demeure la visibilité donnée aux industriels dans un secteur structuré par le temps long de la commande publique, dont seul un budget de défense rehaussé permettra la mise en œuvre. 

Avec un déficit public s’élevant à 5,8 % du PIB fin 2024, les déficits cumulés de la France la placent en situation d’alerte budgétaire. La dette publique, à hauteur de 114 % du PIB, est la troisième la plus importante de l’UE. Pour stabiliser ce chiffre à horizon 2030, François Ecalle et Olivier Blanchard estiment qu’il faudrait couper 150 milliards de dépenses publiques. 

Avec un déficit public s’élevant à 5,i %me i PIB fin 2024, les déficits cumulés de la France la placent en situation d’alerte budgétaire.

Nos obligations européennes (le dernier plan budgétaire fourni à la Commission fait état d’un ajustement structurel de 5 points de PIB), ainsi que certaines priorités non compressibles (besoins d’investissement nécessaires au respect de nos engagements climatiques, dépenses nécessaires pour assurer notre productivité), nous contraignent d’autant plus dans l’atteinte de cette cible.

Pour rappel, des dépenses équivalentes à 2 % du PIB représentent 60 milliards d'euros par an. Il a fallu dix ans à la France pour hausser son effort de défense de 1,5 à 2 points de PIB entre 2014 et 2025.

La cible de dépenses de défense à 3,5 % du PIB en 2035, que la France s’est engagée à poursuivre au sommet de La Haye de juin 2025, porterait ces dépenses à 120 milliards d’euros courants, soit un effort supplémentaire de plus de 5 milliards d’euros par an. Toutes choses égales par ailleurs, cet objectif augmenterait le déficit à 9,3 % du PIB en 2030 et la dette à 142 % du PIB – trajectoire évidemment non-soutenable.

La nécessité de soutenir l’effort de défense en redéployant d’autres dépenses publiques

L’augmentation de l’effort financier pour l’atteinte de cette cible suppose le vote d’une nouvelle Loi de programmation militaire (LPM), la trajectoire en vigueur ne permettant pas de couvrir les besoins actuels, sachant que 90 % des crédits de la mission “Défense” en 2025 hors dépenses de personnels servent à apurer le stock des restes à payer, selon le rapport du sénateur de Legge.

À taux de prélèvements obligatoires constant (57 % du PIB), sans marge de manœuvre pour une augmentation du déficit et sans augmentation des impôts - hypothèse exclue par l’exécutif -, cet effort ne pourra être financé par la dette de manière soutenable.

Tout effort supplémentaire de dépense devra donc conduire parallèlement à une réduction des postes perçus comme non-essentiels sur les trois volets de la dépense publique, et notamment la protection sociale.

Tout effort supplémentaire de dépense devra donc conduire parallèlement à une réduction des postes perçus comme non-essentiels sur les trois volets de la dépense publique, et notamment la protection sociale dont le poids dépasse désormais un tiers du PIB. Il imposera  des réformes structurelles sur le marché du travail (retraites, taux d’emploi), avec un possible effet récessif sur l’économie et des risques d’effets de bords sur l’industrie de défense.

Cet effort financier très significatif a pour condition un aggiornamento de la posture stratégique, du format de la dissuasion et du modèle d’armée conventionnelle pour adapter notre pays à la guerre de haute intensité en Europe. L’objectif n’est plus de réparer l’armée de la fin du XXe siècle mais de construire celle du XXIe siècle.

Conclusion

Dans un contexte d’hybridation croissante des menaces, d’intrication des théâtres de crise et de contestation capacitaire et stratégique, le cloisonnement entre sécurité militaire, économique, technologique ou encore cognitive ne peut plus constituer un mode d’action pérenne. Face à la multiplication des formes d’agression – guerre informationnelle, coercition économique, capture technologique ou pression militaire – seule une approche intégrée permet de préserver notre liberté d’action et notre souveraineté.

À l’âge des empires et des prédateurs, les années à venir seront décisives pour préserver sur le long terme la paix sur le continent européen, ainsi que notre liberté et notre mode de vie. Aucun discours de puissance n’est cependant possible sans les moyens qui vont avec : le réarmement nécessite des décisions immédiates et fortes, qui auront un impact sur notre modèle économique et social. La nature et l’ampleur de l’effort à consentir nécessitent d’être abondamment présentées et expliquées aux citoyens, pour répondre aux inquiétudes des Français et les mobiliser face aux menaces qui pèsent sur la France et l’Europe.

Face à la multiplication des formes d’agression – guerre informationnelle, coercition économique, capture technologique ou pression militaire – seule une approche intégrée permet de préserver notre liberté d’action et notre souveraineté.

Dans La guerre du Péloponnèse, Thucydide affirmait déjà que “ce ne sont pas les pierres mais les hommes qui constituent le meilleur rempart des Cités”. Si le monde de 2025 diffère profondément de celui de l’Athènes du Ve siècle avant J.C., sa maxime reste d’une étonnante actualité.

Dans un environnement stratégique bouleversé, face à la révolution en cours de l’art militaire, le réarmement de la France ne doit pas être seulement militaire mais aussi économique, politique, intellectuel et moral.

Copyright image : Christian Hartmann / POOL / AFP
Donald Trump, le chancelier allemand Friedrich Merz et Emmanuel Macron à la Haye, le 25 juin 2025.

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