AccueilExpressions par Montaigne[Réarmer la France] - Quelle politique de réserve pour protéger le territoire national ?La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Sécurité et défense01/08/2025ImprimerPARTAGER[Réarmer la France] - Quelle politique de réserve pour protéger le territoire national ?Auteur Nicolas Baverez Expert Associé - Défense Auteur Bernard Cazeneuve Expert Associé - Défense Découvreznotre série Réarmer la FranceL’abolition du service militaire par Jacques Chirac en 1997 a entériné une nette séparation des "civils" et des "militaires", qu’il convient de questionner au regard des besoins opérationnels et dans le contexte de la guerre informationnelle. Alors que l’armée n’est plus présente dans 2 départements sur 3, comment consolider le lien armée / nation et mobiliser les cœurs et les esprits ? Volontaire en Pologne, obligatoire en Lettonie, sélectif en Suède : comment le service militaire peut-il être remis au goût du jour ? Le sixième épisode de la série [Réarmer la France], par Nicolas Baverez et Bernard Cazeneuve, fait le bilan.L’Institut Montaigne alertait en 2023 sur le "dilemme" de la conscience collective, et la nécessité de développer les forces morales individuelles au sein de la société civile, en particulier chez notre jeunesse. Les exigences de défense du territoire national englobent désormais, au-delà des scénarios de mobilisation d’une plus large partie de la population en complément de la force de réserve militaire, la construction des conditions de la résilience des esprits face aux avatars de la guerre cognitive et informationnelle dont nous sommes la cible.Nécessité de la montée en puissance de la réserveLa résurgence d’un conflit majeur aux portes de l’Europe, la montée en puissance de l’hybridité et le délitement des cadres de régulation de la violence, plaident pour un renforcement de la culture de défense et la préparation de l’ensemble du pays à un scénario d’engagement majeur. Dans la mesure où serait exclue l’option du retour de la conscription de masse et où il est communément admis, par les autorités politiques comme par les militaires d’active, que les forces armées ne pourraient pas accomplir toutes les missions qui leur sont assignées sans les réservistes, il convient d’examiner les options de montée en puissance de la réserve opérationnelle, pour répondre à la priorité de reconstitution de la masse.La résurgence d’un conflit majeur aux portes de l’Europe, la montée en puissance de l’hybridité et le délitement des cadres de régulation de la violence, plaident pour un renforcement de la culture de défense et la préparation de l’ensemble du pays à un scénario d’engagement majeur.Deux enjeux contradictoires doivent à cet égard être conciliés : celui de la masse, qui rejoint le problème de l’attractivité des armées en termes de recrutement et de fidélisation, et celui du lien Armées-Nation, qui doit être développé mais ne pas conduire à un dévoiement de la fonction combattante des armées au profit de fonctions palliatives des apories politiques, économiques et sociales (gestion de la sécurité intérieure, des crises sanitaires, structure éducative de dernier ressort, etc.), le tout dans un contexte de baisse du taux de natalité.L’évolution rapide des technologies et leur impact sur la transformation du champ de bataille appelle en outre à la constitution de réserves spécialisées. Un emploi et un recrutement de la réserve à moderniser- Réserve et défense du territoire.La LPM 2024-2030 prévoit un doublement du nombre de réservistes afin que les armées comptent 2 réservistes pour un militaire d’active, avec une cible à 105 000 en 2035 (et 50 000 dans la gendarmerie). La montée en puissance de la réserve doit permettre aux armées de disposer de la totalité des aptitudes et compétences leur permettant d’opérer sur tout le spectre de la conflictualité. Une réserve conséquente répondrait à l’enjeu de la masse, en étant pleinement intégrée à la manœuvre de défense opérationnelle du territoire (DOT) et sur un maillage territorial (départemental) à l’image de la réserve en gendarmerie. Le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire dans son rapport dédié à la réserve de septembre 2024 rappelle qu’en 2023, plus de 73 000 personnes volontaires avaient déjà signé un engagement à servir dans la réserve opérationnelle. Une note de Futuribles souligne qu’en additionnant les jeunes engagés dans l’armée, la gendarmerie et la police, et les volontaires du service civique, près de 20 % d’une classe d’âge s’engage déjà au service de la Nation (soit 140 à 160 000 personnes par an). Ces chiffres laissent penser que le défi n’est pas dans l’attractivité de la réserve, mais dans son emploi.L’exemple ukrainien démontre l’importance d’assurer un continuum sécurité-défense, assis sur la réserve. Les forces de défense territoriale ukrainiennes, formées à partir des bataillons de défense volontaires, ont pour mission de protéger les autorités publiques et infrastructures stratégiques mais aussi le maintien de l’ordre et de la sûreté au niveau territorial, et peuvent intervenir comme un service de recherche, de sauvetage et d’intervention. Elles participent activement au combat terrestre et relèvent du commandement des forces armées. Les forces supplémentaires destinées au service actif sont la Garde nationale, les gardes-frontières, et le Service de sécurité ukrainien.Le combat de haute intensité provoque des rétroactions sur le territoire national, qu’il s’agit de défendre. La protection du territoire français est cependant fragilisée par un maillage militaire parcellaire, l’armée n’étant plus présente dans deux départements sur trois et mobilisée pour la protection du territoire dans le cadre de l’opération Sentinelle. Détachés au sein d’unités pour renforcer des brigades, ou au sein d’unités dédiées, un contingent de 50 à 70 000 réservistes pourrait à terme être formé dans le but de se voir confier des missions locales comme nationales. La Garde nationale, adossée aux réserves des Armées et de l’Intérieur, devient essentielle dans le continuum sécurité-défense en ce qu’elle structure l'engagement citoyen via un cadre juridique clair et protecteur, et devra, en cas d'engagement extérieur des armées, assurer le relais sur le territoire national. Sur le plus long terme, il sera sans doute nécessaire de penser une forme d’hybridation des régiments dans les missions opérationnelles.o Comment recruter la réserve ?Exemples européensLa Suède a réintroduit dès 2017 une conscription sélective pour les hommes et les femmes, basée sur l'identification ciblée de talents répondant aux besoins opérationnels des armées, représentant chaque année 7,5 % d’une classe d’âge. Ce système semble bénéficier d’une adhésion de la jeunesse, et s’intègre dans le concept plus large de défense totale, qui mobilise tous les pans de la société au quotidien dans la défense du territoire et la préparation à une attaque armée.La Pologne a rétabli un service militaire volontaire en 2022, reposant sur une formation initiale de 28 jours au terme desquels le conscrit peut choisir de rejoindre une formation spécialisée ou directement la réserve.La Lettonie a remis en place en 2024 un service militaire obligatoire de douze mois pour les hommes par attribution par tirage au sort, et pourrait étendre l’obligation aux femmes d’ici à 2028. La montée en puissance de la réserve doit permettre aux armées de disposer de la totalité des aptitudes et compétences leur permettant d’opérer sur tout le spectre de la conflictualité.De ces trois exemples, il ressort que le mode de constitution de la réserve devrait reposer, au moins en grande partie et dans un premier temps, sur le volontariat. De l’exemple suédois, il ressort qu’un nombre limité de volontaires par classe d’âge peut suffire à condition qu’il fasse l’objet d’une sélection ciblée.On pourrait dès lors imaginer mettre en place un mécanisme incitatif et sélectif pour cibler une fraction d’une classe d’âge et attirer à terme 50 à 70 000 volontaires. Des scénarios hybrides proposés par le Haut-Commissariat au plan, basés sur un service civil obligatoire pour tous incrémenté d’un service militaire volontaire avec l’hypothèse de 60 000 jeunes engagés, il ressort que le coût estimé ne dépasserait pas 5 milliards d’euros.Se pose dès lors la question du mode de recrutement des réservistes, qui doit prendre en compte les pratiques digitales des nouvelles classes d’âge, ainsi que leur circuit d’intégration qui présente de larges marges d’amélioration.Raccourcir et rationaliser le processus de sélection (qui peut prendre aujourd’hui entre 7 mois et un an), fidéliser, par un effort sur la formation, d’équipement (T2 et matériel) et sur l’emploi des réservistes, sont des prérequis afin d’opérationnaliser et de crédibiliser la réserve. Sa montée en puissance doit dès lors s’accompagner d’une montée en charge budgétaire constante.La réactivité (disponibilité en cas de conflit) est également un enjeu majeur, qui pourrait être améliorée par la généralisation des conventions signées avec le secteur privé pour réduire les délais d’appels et augmenter le nombre de jours dédiés à la réserve, avec un système financier incitatif (déduction fiscale).Raviver l’"esprit de défense"L’"esprit de défense" désigne la volonté de la société et des pouvoirs publics de résister aux conséquences d’une agression majeure, et leur capacité à le faire. Comme le souligne la note signée par Louis-Joseph Maynié pour l’Institut Montaigne, il dépend de la convergence des volontés individuelles dans une volonté commune d’affronter collectivement une menace, exprimée dans le langage de la "trinité clausewitzienne" d’une énergie potentielle des Armées préparées, combinée à l’énergie cinétique d’une décision politique à la hauteur des enjeux auxquels elle est confrontée et à l’énergie de liaison portée par le soutien populaire.Au-delà d’une liste des risques ou des menaces, la définition des contours de l’intérêt national dans un monde complexe et incertain suppose de renouer avec une compréhension claire de son identité et de ses valeurs fondamentales. Cette introspection nationale repose très certainement sur la réaffirmation des principes républicains et une capacité à articuler les enjeux internes et externes de manière cohérente. Elle doit également nous amener à introduire la conscience des enjeux de défense et le goût de la prise de risque dans tous les secteurs, afin de renforcer la capacité de la Nation à anticiper collectivement les crises et à leur résister.La définition des contours de l’intérêt national dans un monde complexe et incertain suppose de renouer avec une compréhension claire de son identité et de ses valeurs fondamentales.Par ailleurs, dans un contexte de guerre informationnelle, la perméabilité aux stratégies d’influence adverses est un défi réel posé à notre capacité à faire face en tant que Nation, et la résilience cognitive devient dès lors primordiale. "Les cœurs et les esprits" sont les champs d’affrontement de demain quand, plus encore que nos territoires, ce sont nos modèles de société qui sont menacés.La société civile est autant une cible qu’un acteur de cette bataille, qu’il s’agit d’armer intellectuellement, par un enseignement plus performant de l'esprit critique et une sensibilisation aux enjeux de défense.Copyright image : Patrick Valasseris / AFPTélécharger le pdfImprimerPARTAGERcontenus associés 11/07/2025 [Réarmer la France] - Mutations de la guerre et de la violence : la guerre ... Bernard Cazeneuve Nicolas Baverez 18/07/2025 [Réarmer la France] - La défense de l’Europe Nicolas Baverez Bernard Cazeneuve 18/07/2025 [Réarmer la France] - Menaces sur la France : un état des lieux Nicolas Baverez Bernard Cazeneuve 25/07/2025 [Réarmer la France] - Guerre de haute intensité en Europe : un modèle d'arm... 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