AccueilExpressions par Montaigne[Réarmer la France] - Menaces sur la France : un état des lieuxLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Sécurité et défense18/07/2025ImprimerPARTAGER[Réarmer la France] - Menaces sur la France : un état des lieuxAuteur Nicolas Baverez Expert Associé - Défense Auteur Bernard Cazeneuve Expert Associé - Défense Découvreznotre série Réarmer la FranceRéarmer la France, face à quels périls ? Dans ce deuxième épisode de leur série [Réarmer la France], Nicolas Baverez et Bernard Cazeneuve passent en revue nos adversaires et leurs moyens d'action : guerre hybride de la Russie, ambivalence chinoise, rhétorique des sphères d'influence et sa légitimation des expansionnismes, menace djihadiste ... L'Europe est cernée par des menaces de divers ordres, dont la moindre n'est pas la vulnérabilité qu'entraîne sa fragilité économique.Le contexte stratégique de 2025 est celui d’un approfondissement de menaces transverses, notamment de la part de nos compétiteurs stratégiques, qui s’attachent à remettre en cause l’ordre international hérité de la période post-Seconde Guerre mondiale et l’architecture de sécurité post-Guerre froide, par une contestation de plus en plus décomplexée du modèle politique occidental.Les nouveaux impérialismes s'attaquent à l'ordre construit après la Seconde Guerre mondialeLa réalité internationale dans laquelle nous évoluons désormais est marquée par l’affirmation de nouveaux impérialismes qui s’attaquent à l’ordre du monde construit après la Seconde Guerre mondiale. Ils sont le fait de régimes souvent autoritaires qui pour certains connaissent une dynamique de radicalisation (Russie, Turquie, Iran, Chine), mobilisant le levier de la revanche contre l’Occident, mais aussi des leviers religieux, s’appuyant sur un narratif révisionniste.Puissance impérialiste et révisionniste, la Russie adopte une posture d’intimidation, en premier lieu bien sûr par ses prétentions et provocations territoriales, mais aussi par le recours à des instruments de désinformation adossés à une montée en puissance d’outils technologiques (notamment spatiaux et satellitaires). Cette posture se caractérise par une multiplication des stratégies de subversion relevant de l’hybridité. La Chine, "rivale systémique" de l’Europe, compétitrice économique mais partenaire diplomatique, poursuit son rapprochement avec la Russie, tout en multipliant les tentatives d’entrisme dans les organisations internationales, notamment au plan normatif. Dans le cadre du conflit en Ukraine, on assiste à la constitution d’une alliance implicite Chine-Russie, qui prend notamment forme dans le rapprochement économique déployé pour faire face aux sanctions occidentales, ou dans le soutien de l’Iran à la Russie, comme en témoignent les livraisons de Shahed sur le front ukrainien, ou de la Corée du Nord (artillerie, obus, soldats).La Chine, "rivale systémique" de l’Europe, compétitrice économique mais partenaire diplomatique, poursuit son rapprochement avec la Russie.Ces dynamiques impérialistes s’accompagnent d’une exacerbation de la compétition de puissances et de la prégnance, de Washington à Pékin en passant par Moscou, d’une rhétorique des "sphères d’influence".Par ailleurs, l’administration Trump a repris à son compte les principes promus par les empires autoritaires : structuration du monde en zones d’influence, refus du principe de souveraineté nationale et de l’intangibilité des frontières, complaisance face à certaines atteintes portées aux droits de l’hommes, contestation du multilatéralisme. Un phénomène d’accélération et d’intrication des crisesEn l’espace de cinq ans, nous avons fait face à une pandémie mondiale, au retrait américain d’Afghanistan signant de factola fin de la "pax americana" dans le monde, au déclenchement d’une guerre de haute intensité sur le continent européen, à l’attaque terroriste de grande ampleur du Hamas qui rappelle la persistance et la dangerosité de la menace islamiste, à la réponse militaire d’Israël et aux polémiques qu’elle a engendrées sur le respect du droit de la guerre, à la chute du régime de Bachar el-Assad, et au tournant dans la relation transatlantique, marqué par le discours du Vice-président américain J.D. Vance à la conférence sur la sécurité de Munich.L’alliance Chine-Russie donne corps, pour la première fois depuis 1942, à un entremêlement inédit des théâtres de crise. Elle marque un continuum déjà exacerbé par le biais des détroits stratégiques entre l’Europe et l’Indopacifique en passant par le Golfe, qui participe d’un phénomène d’intrication profonde des menaces, renforcées par celles liées aux trafics internationaux et aux conséquences du dérèglement climatique.- Sur le flanc Est, de l’Europe à la Mer NoireLe flanc Est de l’Europe est entré dans une "nouvelle phase de contestation stratégique", qui oblige non seulement à revoir notre posture de défense, mais aussi à clarifier la menace et à prendre un rôle moteur dans le renforcement de l’autonomie stratégique de l’Europe, par la construction d’un pilier européen de l’OTAN. Dans le futur, la solidité de l’article 5 pourrait être testée, notamment au moyen d’une provocation sur les pays baltes.La mer Noire, qui voit se multiplier les mines dérivantes mettant en danger les activités maritimes de certains pays de l’Alliance (Bulgarie, Roumanie, Turquie) et des menaces d’interdiction navale, est encore aujourd’hui inaccessible aux bâtiments de guerre. Les pertes économiques sont majeures pour les pays riverains de cette artère du commerce mondial, et au-delà (40 % des exportations de céréales y passaient avant 2022). La zone est en outre le réceptacle des rapports de force entre la Turquie, l’Iran et la Russie, qui pourrait retrouver une supériorité navale et un accès à la Méditerranée si la résolution de la guerre se faisait en sa faveur.- Sur le flanc SudLe flanc Sud de l’Europe constitue un arc de crises stratégique mêlant insécurité, flux migratoires (et leur instrumentalisation) et compétitions de puissances. Il concentre, en Méditerranée, des foyers d’instabilité persistante, en Libye, au Proche et Moyen-Orient, en Méditerranée orientale. En mer Rouge, zone d’instabilité majeure, le désengagement américain libère la voie pour l’affirmation d’antagonismes régionaux (Égypte, pays de la Corne de l’Afrique, Russie, pays du Golfe). La menace houthie pèse lourdement sur la sécurité et la liberté de circulation dans les détroits stratégiques du Golfe. La région du Golfe et du bassin méditerranéen, par sa compacité et le nombre de ses détroits, multiplie en outre les menaces sur les câbles sous-marins, plus facilement accessibles depuis la terre qu’ailleurs sur le globe.- Dans la zone indopacifiqueLe flanc Sud de l’Europe constitue un arc de crises stratégique mêlant insécurité, flux migratoires (et leur instrumentalisation) et compétitions de puissances.La zone indopacifique est aujourd’hui un épicentre de la compétition stratégique mondiale, marquée par la rivalité sino-américaine. Pékin cherche à redéfinir l’ordre régional via une présence militaire accrue et des stratégies de déni d’accès (A2/AD), notamment en mer de Chine méridionale, posant des entraves à la liberté de navigation.La menace sur Taïwan s’intensifie, avec une militarisation croissante et des pressions politico-économiques visant à forcer la réunification. Parallèlement, la région connaît une montée des tensions périphériques, comme entre l’Inde et le Pakistan. L’Azerbaïdjan poursuit son entreprise de déstabilisation de nos intérêts par un soutien circonstanciel aux mouvements indépendantistes en Nouvelle-Calédonie, alimentant les dynamiques d’ingérence dans les territoires français. La souveraineté française sur les îles Éparses est mise en cause dans un contexte de compétition pour les ressources maritimes. Cette zone, par sa vastitude, est également propice à la prolifération de trafics. Sa forte composante maritime la place au cœur des enjeux de liberté de navigation.- En Arctique. Espace d’intérêt stratégique croissant à la croisée d’enjeux climatiques, économiques et géopolitiques, deuxième région prioritaire de la Russie après son "étranger proche", l’Arctique devient le théâtre renouvelé d’une compétition entre puissances et de stratégies d’accès qui pourraient engendrer, à long terme, un risque accru de confrontation. L’agression de l’Ukraine a mis un terme à l’illusion d’une exception arctique fondée sur la gouvernance coopérative, sept des huit États riverains faisant partie de l’OTAN, face à la Russie qui réinvestit la zone dans une logique de sanctuarisation, par le renforcement des capacités de déni d’accès, le déploiement de systèmes de défense aérienne et la projection de sous-marins vers l’Atlantique. La Chine, se considérant comme une puissance du " proche Arctique" depuis 2018, structure quant à elle une stratégie arctique globale combinant investissements, coopération scientifique et entrisme normatif.La menace russe : multi-fronts et multiformeLa guerre d’annexion initiée par Vladimir Poutine en février 2022 en Ukraine révèle une accentuation de la violence dans tous les milieux et tous les champs. Le recours à des stratégies d’intimidation nucléaire, les attaques dans les champs cyber et informationnel, les actions de sabotage et d’espionnage, la détention de ressortissants, l’acheminement de forces nord-coréennes sur le sol européen, l’activation de leviers hostiles dans les espaces partagés (extra-atmosphériques, fonds marins), les ingérences électorales, forment une menace globale qui prend pour cible les démocraties occidentales.La menace russe pour la France et l’Europe s'inscrit dans une trajectoire révisionniste amorcée depuis les années 2000 dont la guerre en Géorgie (2008), l’annexion de la Crimée (2014), l’intervention en Syrie (2015) puis l’invasion de l’Ukraine (2022) marquent les jalons principaux.L’espace de confrontation couvre une large partie du globe, de l’Europe et de la Méditerranée à l’Arctique en passant par l’Afrique et le Moyen-Orient. En Europe, l’agression contre l’Ukraine vise non seulement à restaurer une sphère d’influence post-soviétique, mais aussi à affaiblir durablement l’unité européenne et transatlantique par l’utilisation de proxies étatiques et non étatiques. Au plan militaire, la Russie se réarme et continue de pousser des déstabilisations et actions sous le seuil, par la stratégie du fait accompli, tout en plaçant le conflit sous voûte nucléaire. La menace russe est également informationnelle (comme le montre le mode opératoire informationnel mis à jour par Viginum, "Storm 1516", touchant les dirigeants européens afin de décrédibiliser le soutien à l’Ukraine) : la Russie cherche ouvertement à subvertir les sociétés démocratiques, au premier rang desquelles la France.- La persistance du péril djihadisteSi la menace djihadiste reste protéiforme, transnationale et évolutive, il importe de la graduer.La priorité est à accorder à la menace projetée depuis l’étranger, qui provient principalement de l’État islamique et dans une moindre mesure d’Al-Qaïda. L’État islamique, affaibli au Levant par les revers militaires, se réorganise autour de "franchises" actives, notamment en Afrique (Nigéria, RDC, corne de l’Afrique), au-delà de quelques foyers moyen-orientaux (Syrie, Irak). L’État islamique au Khorasan (EI-K) devient une menace exogène majeure, avec un contingent de plusieurs milliers de combattants, et un ciblage direct de la France comme en novembre et décembre 2022. Son activité s’étend largement en Europe (Allemagne, Suisse, Suède, Belgique, Pays-Bas). Au Proche et Moyen-Orient, la menace persiste. Al-Qaïda a bénéficié du retour au pouvoir des Talibans en Afghanistan et conserve un réseau logistique en Iran, qui lui permet d’entretenir des capacités de coordination et de projection.La zone sahélienne s’affirme comme le nouvel épicentre de la menace djihadiste mondiale (État islamique au grand Sahara et Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, rattaché à Al-Qaïda), menaçant au premier chef la stabilité des pays de la région ou des ressortissants français sur place. La forte instabilité politique et économique de la zone, accentuée par l’influence russe et la compétition entre grandes puissances, favorise cependant une projection de cette menace vers l’Europe.Enfin, même si la menace relève de la sécurité intérieure, un risque d’attentat sur le territoire national persiste, porté par la porosité des espaces informationnels, le développement des phénomènes d’hybridation criminelle (terrorisme - narcotrafic - délinquance) et la multiplication de zones de non-droit qui brouillent la division entre sécurité intérieure et extérieure.La stagnation de l’économie, la crise financière et la fragmentation de la société française la rendent perméable aux stratégies adversesSur un autre front, moins visible mais tout aussi préoccupant, la France se trouve fragilisée par les effets conjoints de la stagnation économique et de la fragmentation sociale.Sur un autre front, moins visible mais tout aussi préoccupant, la France se trouve fragilisée par les effets conjoints de la stagnation économique et de la fragmentation sociale. Cette vulnérabilité interne constitue une brèche que les puissances adverses exploitent à travers des stratégies informationnelles sophistiquées.La stagnation économique persistante depuis les années 2000, marquée par une trajectoire de croissance faible (désormais toujours inférieure à 3 % sauf épisode de rattrapage après des crises majeures comme 2011 et 2021, et sous les 1,5 % annuels en potentiel selon le consensus des économistes), un surendettement de l’État (114 % du PIB en 2024), un chômage structurel élevé (7 %) et une désindustrialisation lancinante, engendre le déclassement, facteur de polarisation sociale mais aussi de décrochage à l’international.Le phénomène séculaire de montée de l’individualisme se conjugue à l’effondrement des structures d’appartenance et des "grands récits" traditionnels", alimentant une défiance profonde d’une partie des citoyens envers les institutions. La cible de cette défiance dépasse les institutions démocratiques pour toucher le monde scientifique, académique et médiatique - en témoigne une sensibilité aux fake news et au complotisme prégnante et grandissante ( 35 % des Français déclarent croire aux théorie du complot selon une enquête IFOP de 2023 pour l’Ambassade des États-Unis en France), terreau fertile pour les stratégies informationnelles adverses, émanant de compétiteurs étatiques comme de mouvances complotistes transnationales s’appuyant sur les opportunités offertes par le terrain numérique.Copyright image : Mohammed HUWAIS / AFP De nouvelles recrues houthis à Sanaa, au Yémen, le 3 janvier 2017Télécharger le pdfImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneFévrier 2025Pour une administration stratégique de notre sécurité nationaleFace à un ordre international bouleversé, la France peine à s’imposer. Notre étude propose trois scénarios pour redonner des marges d’action à l’État : renforcer le SGDSN, créer un Conseil de sécurité nationale modeste, ou une nouvelle administration intégrée. L'objectif : redonner à la France des marges d’action face aux défis géopolitiques et budgétaires.Consultez la Note d'action 11/07/2025 [Réarmer la France] - Mutations de la guerre et de la violence : la guerre ... Bernard Cazeneuve Nicolas Baverez