AccueilExpressions par Montaigne[Réarmer la France] - À l’heure du troisième âge nucléaireLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Sécurité et défense25/07/2025ImprimerPARTAGER[Réarmer la France] - À l’heure du troisième âge nucléaireAuteur Nicolas Baverez Expert Associé - Défense Auteur Bernard Cazeneuve Expert Associé - Défense Découvreznotre série Réarmer la FranceEmmanuel Macron s’était dit prêt, le 28 février dernier, à "ouvrir la discussion" sur la dissuasion nucléaire à ses partenaires européens : sans qu’il soit question de remettre en cause l’indépendance stratégique française, l'enjeu nucléaire comporte sans conteste une dimension européenne. Face au développement de nouvelles armes technologiques, à la menace du désengagement américain et à la levée du tabou nucléaire, affirmée de plus en plus vigoureusement par nos adversaires, comment adopter notre doctrine et articuler forces conventionnelles et dissuasion ? Retrouvez le quatrième épisode de la série [Réarmer la France] de Nicolas Baverez et Bernard Cazeneuve.Nous vivons au temps du "troisième âge nucléaire".L’arme nucléaire est de nouveau au cœur de la compétition des puissances, dans un contexte d’affaiblissement des régimes de contrôle : les négociations menées dans le cadre du Traité de non-prolifération (TNP) sont de plus en plus difficiles, la Russie a suspendu la mise en œuvre du Traité New Start, qui expirera en 2026, et annoncé son intention de dénoncer le Traité sur l'interdiction des essais nucléaires (TICE). La Russie utilise le bouclier nucléaire pour sanctuariser ses guerres de conquête dans le but de reconstituer son glacis protecteur, donnant une illustration de la stratégie du "fait accompli" et de la "sanctuarisation agressive".Dans le cadre du conflit ukrainien, la Russie utilise le bouclier nucléaire pour sanctuariser ses guerres de conquête dans le but de reconstituer son glacis protecteur, donnant une illustration de la stratégie du "fait accompli" et de la "sanctuarisation agressive". Elle a par ailleurs opéré de nombreux signalements stratégiques par le biais de déploiement de vecteurs (Biélorussie), et a fait évoluer sa doctrine dans le sens d’un abaissement du seuil d’emploi, tandis que la Chine procède à l’accroissement et à la modernisation de son arsenal nucléaire (au moins 600 ogives nucléaires selon le SIPRI).Les puissances régionales comme l’Arabie saoudite font également le calcul de la prolifération comme condition de la survie dans leur environnement proche comme plus global. Les tensions entre l’Inde et le Pakistan début 2025 auraient pu transformer ce bref conflit conventionnel en crise nucléaire.Aux États-Unis, en Europe et en Asie (Chine, Corée du Nord), le SIPRI Yearbook 2025 s’inquiète d’un développement d’une nouvelle course aux armements nucléaires, le rythme du démantèlement ralentissant tandis qu’on "observe une tendance à l’augmentation des arsenaux nucléaires" et une "exacerbation de la rhétorique nucléaire". Le développement de technologies comme l’IA et le cyber ainsi que le spatial et la technologie quantique créent d’autres sources potentielles d’instabilité sur le moyen ou long terme.Le rééquilibrage des capacités militaires se fait en défaveur de l’Europe, participant d’un développement des moyens d’agression sous la voûte nucléaire. "L’imbrication entre forces conventionnelles et nucléaires [est] caractérisée par le développement d’armes duales ou l’ambiguïté sur la nature des armes", comme le rappelle Emmanuelle Maître. Par ailleurs, aux côtés de la France et du Royaume-Uni, ce sont principalement les États-Unis, au sein de l’OTAN, qui étendent leur parapluie nucléaire à l’Europe. Leur désengagement affaiblirait la dissuasion nucléaire de notre continent face à la Russie.Dans ce cadre, la question de l’épaulement reste centrale : d’une part, la modernisation de la dissuasion nucléaire permet de préserver sa crédibilité en garantissant la capacité à exercer une pression stratégique, notamment à travers un dialogue dissuasif avec un adversaire potentiel, afin d’éviter tout contournement "par le haut". D’autre part, le maintien de forces conventionnelles robustes permet de prévenir une surprise stratégique, d’empêcher l’instauration rapide d’un fait accompli, ainsi que de tester la détermination de l’adversaire ou de le contraindre à révéler ses véritables intentions, ce qui contribue à éviter un contournement "par le bas" face à une menace de moindre ampleur. Les capacités de frappe dans la profondeur constituent, à cet égard, un outil de réassurance ou de signalement. Les capacités de défense sol-air répondent à une logique d’épaulement et de garantie de notre liberté d’action pour répondre à la montée en gamme capacitaire des compétiteurs.Même si la posture de dissuasion française n’est à ce stade pas modifiée par ces changements, nous ne pourrons faire l’économie d’interrogations tant capacitaires que doctrinales face au retour du nucléaire au cœur de la géopolitique du XXIe siècle.Même si la posture de dissuasion française n’est à ce stade pas modifiée par ces changements, nous ne pourrons faire l’économie d’interrogations tant capacitaires que doctrinales face au retour du nucléaire au cœur de la géopolitique du XXIe siècle.À l’image de ce que font les Britanniques qui augmentent leur nombre de têtes (faisant du Royaume-Uni, aux côtés de la Chine, le seul membre du P5 à augmenter quantitativement ses stocks nucléaires de 225 à 260), et réinvestissent dans une seconde composante aérienne qu’ils avaient pourtant abandonnée en 1998 (le Royaume-Uni prévoit d’acquérir une douzaine de F-35A capables de transporter la US B61-12, et rejoint la mission nucléaire aérienne à double capacité de l’OTAN), il conviendra d’engager une réflexion sur le relèvement du seuil de suffisance dans un avenir proche, ainsi que sur le format et le déploiement des vecteurs de la composante aérienne - le débat sur le nombre de tête ne se pose cependant pas dans l’immédiat, étant entendu que ni la stratégie ni la doctrine de la stricte suffisance ne changent.Contours d'une éventuelle extension de la dissuasion française à la défense de l’EuropeIl convient de prendre en compte dès maintenant les conséquences d’un potentiel désengagement des États-Unis d'Europe. Une telle hypothèse pose la question de l'inclusion des armes nucléaires dans les garanties de sécurité américaines en Europe, et à terme du dimensionnement de la dissuasion des partenaires européens. La question se pose avec d’autant plus d’acuité du fait de la forte dépendance britannique aux États-Unis en matière nucléaire. L’indépendance des forces nucléaires stratégiques françaises en ferait, dans ce contexte, un atout stratégique sans équivalent en Europe.Si cela n'implique en aucun cas le partage de la décision d'enclencher le feu nucléaire, le ministre des Armées l’a encore récemment affirmé : "depuis le général de Gaulle, plusieurs chefs d'État, jusqu'à Emmanuel Macron, ont dit : "Nos intérêts vitaux ont une dimension européenne".Au-delà de l’opportunité d’élargir ou non la définition de nos intérêts vitaux, nous serons amenés à nous coordonner plus étroitement avec le Royaume-Uni, à saisir l’ouverture l’Allemagne, démontrée par le chancelier Merz, et de la Pologne dont la posture évolue. Des signes d’ouverture et de volonté de discussion se font sentir également en Lituanie, en Finlande et en Suède.Copyright image : Punit PARANJPE / AFP Un Rafale français sur le porte-avions Charles-de-Gaulle, à Goa, le 4 janvier 2025. 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