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23/09/2024

La France peut-elle redevenir audible à l’international ?

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La France peut-elle redevenir audible à l’international ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Alors que s’ouvre la 79e session de l’Assemblée générale des Nations-Unies, où se rendra le président français, dans quel état se trouve la politique étrangère française ? Si les signes d’affaiblissement sont plus profonds qu’on ne le dit, dans un contexte géopolitique fortement détérioré, la “voix française” reste toutefois attendue. Enjeux globaux, conflits en cours (Gaza, Ukraine), quelles sont les initiatives que peut prendre notre pays et à quelles conditions seraient-elles rendues possibles ? Michel Duclos dresse les perspectives de ce que pourrait être une relance de l'action diplomatique française en notant au passage la probabilité d’une version du “domaine réservé” comportant un élément de collégialité.

Le président de la République se rend à New-York les 24 et 25 septembre à l’occasion de l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations-Unies. C’est un déplacement de routine pour un chef de l’État français, même si M. Macron, peu à l’aise avec l’exercice, avait dérogé l’année dernière à la tradition.

La France est-elle affaiblie ?

Cette année toutefois, le pèlerinage à New-York, qui sera suivi d’une visite au Canada, revêt une signification exceptionnelle pour le président. D’une part, en effet, le monde connaît un état de tension rarement atteint depuis des années, si l’on songe notamment à la prolongation de la guerre en Ukraine et aux risques que comporte le conflit au Proche-Orient mais aussi aux divergences qui se creusent entre le Sud dit global et les Occidentaux. D’autre part, et surtout, la configuration politique intérieure française, et aussi les difficultés financières du pays, suscitent l’impression que "la France est affaiblie" sur le plan international ou encore que "la voix de la France" ne s’entend guère depuis plusieurs mois.

On peut certes discuter ce diagnostic. La France post-dissolution de l’Assemblée nationale ne connaît pas une situation plus difficile politiquement qu’une Allemagne au gouvernement également fragile, des États-Unis en proie à des divisions profondes, ou encore une Inde post-élections générales peu favorables à M. Modi. Sans compter bien sûr le trou d’air économique que connaît la Chine et la saignée qu'entraîne pour la Russie son aventure ukrainienne. Sur le plan du soft power, les Jeux Olympiques de Paris ont montré que ce vieux pays est encore capable d’étonner le monde. On peut aussi observer qu’en Europe, si le prestige de M. Macron est sans doute égratigné, ses idées d’autonomie stratégique ont beaucoup fait école et c’est vers Paris que les États membres finissent toujours par se tourner pour faire avancer la cause commune.

En Europe, si le prestige de M. Macron est sans doute égratigné, ses idées d’autonomie stratégique ont beaucoup fait école et c’est vers Paris que les États membres finissent toujours par se tourner.

Il reste cependant un ensemble de signaux qui doivent inquiéter les dirigeants français. C’est entre M. Biden et le Premier ministre britannique, M. Starmer, qu’a été discutée la question de l’emploi des armes occidentales pour des frappes ukrainiennes en territoire russe - après un voyage commun à Kiev des ministres américain et britannique des Affaires étrangères. Le remplacement à la dernière minute de M. Breton à la Commission européenne par M. Séjourné tranche avec le rôle majeur qu’avait joué Emmanuel Macron dans la formation de la première Commission von der Leyen en 2019.

Au Proche-Orient, même les États-Unis ne parviennent pas à imposer leur volonté, mais rarement les positions exprimées par Paris ont reçu aussi peu d’écho dans la région, sans compter en Israël même bien sûr.

Ajoutons que si "affaiblissement de la France" il y a, il serait erroné de l’attribuer seulement aux récents développements politiques internes. Les causes d’une plus grande difficulté pour la France à se faire entendre remontent à plus loin : illusions très longtemps entretenues sur la Russie, revers majeurs au Sahel et perte d’influence en Afrique de l’Ouest, priorités contestables au Proche-Orient (et échec au Liban), enfin poids économique en baisse dans un monde où les "middle powers" (les "moyennes puissances") de notre série de cet été - de l’Australie à la Turquie, en passant par l’Inde, l’Indonésie, l’Arabie saoudite, le Kazakhstan et beaucoup d’autres - s’affirment de plus en plus. Allons jusqu’au bout du constat en relevant deux autres points : le consensus sur la politique étrangère - traditionnel sous la Ve République - n’est plus désormais assuré, qu’il s’agisse de l’Europe, de la Russie ou du Proche-Orient ; et il reste à voir comment le non moins traditionnel "domaine réservé" du président sur ces questions va fonctionner dans un contexte politique intérieur devenu plus compliqué et, au moins potentiellement, plus instable.

Quelle relance ?

Compte-tenu de ces différents éléments, comment l’Élysée et le gouvernement peuvent-ils envisager une "relance" de notre politique étrangère ? Et dans quelle mesure le déplacement à New-York du président peut-il en marquer les prémisses ?

Un premier axe évident d’un rebond de notre action extérieure réside dans le rôle de la France dans la gestion multilatérale des "enjeux globaux" : à New-York, et même si apparemment le président n’assistera pas au "sommet du Futur" organisé par le Secrétaire Général Antonio Guterres juste avant l’ouverture de l’Assemblée Générale, il sera beaucoup question de développement, de transition climatique, d’intelligence artificielle ou encore de gouvernance globale. C’est un champ d’action sur lequel la France dispose d’une certaine crédibilité depuis l’activisme en ce domaine de Jacques Chirac, le coup d’éclat qu’a constitué le sommet de Paris sur le climat de 2015, et compte tenu des initiatives qu’a multipliées le président Macron pour faire fructifier et moderniser l’héritage de ses prédécesseurs (cf. : la série des "One Planet summits" entre autres, ou le Forum de Paris sur la Paix).

Le président peut d’autant plus jouer cette carte - et au-delà de lui, la diplomatie française - que la France accueillera par exemple en février une conférence internationale sur l’intelligence artificielle et en juin, à Nice, un important sommet mondial sur les océans ; et qu’il appartient au président d’assurer le suivi du Pacte financier international - rebaptisé par l’Élysée "Pacte de Paris pour la Planète et les Peuples" - issu d’un sommet qui a eu lieu dans notre capitale en juin de l’année dernière. Cette entreprise est destinée à dégager de nouvelles sources de financement pour les pays en voie de développement et de réformer dans ce but les institutions financières internationales. L’intention de M. Macron est de réunir plus d’une soixantaine de pays à New-York autour de l’initiative, à laquelle pourraient se joindre le Brésil et le Royaume-Uni.

L’activisme français sur ces créneaux - que le président déploiera aussi au sein d’une rencontre du "sommet des démocraties", à l’invitation de MM. Lula et Sanchez (président brésilien et Premier ministre espagnol) - prend tout son sens si on l’inscrit dans la perspective d’un effort pour réduire le fossé entre le Sud global et l’Ouest, tel qu’il a été aggravé par le Covid et maintenant par la guerre à Gaza. Il ne faut pas se cacher les limites de ce vaste dessein. Par exemple, jusqu’ici les projets nourris au sein du "Pacte de Paris" pour réformer les institutions financières internationales se heurtent à la résistance résolue du Congrès américain et donc à un "non possumus" de l’administration américaine. Avec ce résultat paradoxal que les Occidentaux risquent de laisser le champ libre à la Chine pour faire avancer son propre agenda en direction des pays du Sud.

Par ailleurs, si important soit-il, l’axe des "enjeux globaux" ne dispense pas la France d’exister sur les deux défis géopolitiques en quelque sorte "massifs" du moment, l’Ukraine et Gaza. Sur les deux sujets, aucune rencontre, aucune prise de position, a fortiori aucune décision n’est pour l’instant balisée pour le déplacement présidentiel à New-York ; beaucoup dépendra des rencontres bilatérales ou autres que pourra avoir le président en marge de l’assemblée générale des Nations-Unis avec M. Zelenski et le président américain d’une part, avec ses homologues présents à New-York venant du Proche-Orient (dont le président iranien) d’autre part.

L’activisme français [...] prend tout son sens si on l’inscrit dans la perspective d’un effort pour réduire le fossé entre le Sud global et l’Ouest, tel qu’il a été aggravé par le Covid et maintenant par la guerre à Gaza.

Sur l’Ukraine, il serait souhaitable que la France relance les efforts qu’elle avait entrepris en février dernier, à l’occasion d’une rencontre des chefs d’État et de Gouvernement européens à l’Élysée, pour développer l’aide militaire à Kiev. Cela fait partie des actions qui ont paru subir une éclipse du fait des turbulences intérieures françaises ; c’est pourtant à l’aune de la contribution à l’effort de guerre ukrainien que s’établira l’influence des uns et des autres sur la fin de partie. Une prise de position nette sur la question des frappes en profondeur serait un autre moyen pour Paris de revenir dans le jeu. Des contacts à haut niveau à New-York pourraient aussi traiter la question des dispositifs à mettre en place pour être prêts à une négociation que désormais M. Zelenski n’écarte plus. Si Paris, Londres, Berlin, Washington et éventuellement Varsovie ne constituent pas avec Kiev un groupe de contact en vue d’une négociation avec la Russie, il est inscrit dans les astres qu’en cas de négociation, tout se fera en direct entre Washington et Moscou, a fortiori si Donald Trump revient à la Maison-Blanche mais sans doute aussi si ce n’est pas le cas. Un "format" Européens-États-Unis-Ukraine n’exclut pas des passerelles à trouver avec les grands États du Sud, qui entendent jouer un rôle dans le règlement du conflit.

S’agissant d’Israël et de Gaza, mais il faudrait dire aussi d’Israël, de la Cisjordanie et du Liban, chaque jour qui passe apporte de nouveaux développements. Jusqu’ici, on a assisté d’une part à un massacre dans l’enclave palestinienne sans qu’Israël ne parvienne ni à vaincre le Hamas ni à libérer les otages restants, d’autre part à une escalade avec l’Iran et le Hezbollah mais une escalade très ciblée, contrôlée - qui laisse l’impression que finalement la guerre régionale n’aura pas lieu. C’est possible en effet mais il faut bien mesurer la logique de ce qui est en train de se passer : M. Netanyahou peut réussir le pari de la droite dure israélienne, qui est de finir par chasser une partie des habitants de Gaza et de prendre le contrôle total de la Cisjordanie, de façon à régler définitivement la question palestinienne ; tout en décapitant au passage le Hezbollah, quitte à laisser le Liban en ruines ; tandis que l’Iran pourrait profiter de cette situation - et de la nécessité pour Moscou de bénéficier de transferts d’armes en provenance de Téhéran- pour franchir les derniers mètres lui permettant d’atteindre l’arme nucléaire.

M. Netanyahou peut réussir le pari de la droite dure israélienne, qui est de finir par chasser une partie des habitants de Gaza et de prendre le contrôle total de la Cisjordanie, de façon à régler définitivement la question palestinienne.

Comment casser cette logique ? À sa mesure, la France peut y contribuer en sortant enfin du bois sur la reconnaissance de l’État palestinien, dans un cadre à définir (avec d’autres membres du G7 ?), en relançant peut-être la négociation d’une résolution du Conseil de Sécurité sur le conflit et en tout cas en contribuant à une coalition euro-arabe pour gérer l’après conflit, y compris relever les zones détruites et mettre en place les dispositifs de sécurité dont Israéliens comme Palestiniens auront besoin. Nous reprenons là des suggestions faites par le groupe d’experts réunis par le Couvent de Bernardins et l’Iremmo.

Quoi qu’il en soit, c’est sur ces différents sujets mais aussi sur la défense des impératifs humanitaires et la protection des droits de l’Homme qu’est attendue la "voix de la France" dans l’enceinte onusienne et bien sûr au-delà.

Retour à la politique intérieure.

Deux fils communs réunissent les analyses que nous venons d’esquisser ci-dessus sur les enjeux globaux, l’Ukraine et le Proche-Orient.

D’une part, dans les trois cas, il est difficile d’avancer sans une certaine entente avec les États-Unis. On ne niera pas qu’avec ce grand pays, certes, "l’union est un combat", selon une formule qui eut cours jadis dans un autre contexte. Il n’en demeure pas moins que pour les Européens en général et les Français en particulier, préparer en profondeur une approche de la prochaine administration américaine, quelle qu’elle soit, constitue une tâche essentielle. D’autre part, ne minimisons pas ce que nous avons noté dans la première partie de ce papier : pour que la France retrouve une audience aussi forte que possible dans le monde, et compte-tenu de l’érosions du consensus sur la politique extérieure, il faut qu’au moins les partis de gouvernement soutiennent un programme tel que nous l’avons esquissé ci-dessus. Cela implique sans doute que le président fasse moins cavalier seul sur les sujets de politique internationale et que, sans remettre en cause le "domaine réservé", cette politique fasse l’objet d’une élaboration plus concertée avec le gouvernement et au moins certaines forces politiques.

Ceci est peut-être encore plus vrai pour les questions européennes, que nous ne traitons pas dans ce papier mais qui revêtent évidemment un caractère central. Comment rétablir notre position vis-à-vis de Bruxelles dans le contexte de déficit budgétaire français que l’on sait ? Comment soutenir la mise en œuvre des propositions de M. Draghi pour remédier au déclin technologique et industriel de l’Europe alors que notre partenaire allemand ne paraît pas sur cette ligne ? En termes de personnes, le pedigree de M. Barnier, le profil du nouveau ministre des Affaires étrangères, M. Barrot, la désignation avec M. Haddad d’un ministre délégué aux affaires européennes rattaché à la fois aux Affaires étrangères et au Premier ministre, tout cela s’inscrit bien dans la double nécessité d’un fonctionnement plus collégial de notre politique étrangère - M. Barnier a parlé de "domaine partagé" - et d’une orientation européenne forte.

Copyright image : Angela WEISS / AFP

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