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Note d'éclairage
Juin 2024

[Législatives 2024]
Quelle politique étrangère après le 7 juillet ?

Auteur
Michel Duclos
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Michel Duclos est Conseiller spécial et Resident Senior Fellow en Géopolitique et diplomatie.

Un consensus politique transpartisan et une relative indifférence des électeurs : deux aspects de la politique extérieure qui, selon Michel Duclos, ne se vérifient plus dans la configuration politique actuelle et interdisent de se prévaloir des expériences passées pour envisager la nouvelle cohabitation qui se profile. Quels sont alors les paramètres conjoncturels et constitutionnels qui peuvent être considérés ? Quels sont les principaux points de clivage partisans sur les dossiers brûlants des Affaires étrangères ? Et quelles seraient les conséquences d’une "cohabitation contentieuse", et des risques d’affaiblissement qu’elle ferait courir à l’Hexagone, pour la place de la France dans le monde ? Éléments de réponse.

Quel tour prendra la politique étrangère de la France à l’issue des prochaines élections législatives ? Il n’y a pas de réponse simple à cette question. D’abord bien sûr parce que les scénarios restent ouverts sur le sort des urnes : majorité pour le Rassemblement National, majorité pour le Nouveau Front populaire, ou absence de majorité absolue - qui conduirait à une assemblée plus composite et difficilement gouvernable encore que la précédente. 

Ensuite parce qu’il est vraisemblable que les règles non-écrites qui prévalaient lors des précédentes cohabitations ne s’appliqueraient pas - ou en tout cas pas de manière absolue - à une cohabitation entre le président Macron et l’une ou l’autre des forces d’opposition précitées. C’est par ce point que nous aborderons notre analyse avant de répertorier les principaux sujets sur lesquels pourraient se jouer une cohabitation en matière diplomatique, que celle-ci soit conflictuelle ou non, qu’elle débouche sur une crise ou non, sans négliger l’hypothèse d’une nouvelle coalition prolongeant l’actuelle majorité présidentielle. 

Vers une cohabitation contentieuse ?

Dans une large mesure, le "domaine réservé" a laissé le président aux commandes de la politique étrangère lors des trois cohabitations qu’a connues la Ve République (1986-1988, 1993-1995, 1997-2002). Il est tentant de penser qu’une quatrième cohabitation respecterait la tradition établie. Par ailleurs, les enjeux de politique extérieure sont réputés ne pas jouer un rôle majeur dans le choix des électeurs, donc dans la vie politique française. 
Il nous semble que ces deux présupposés méritent d’être mis en question si les élections à venir portent au gouvernement une force politique opposée au président Macron. 

a) S’agissant du sort du "domaine réservé" en cas de cohabitation, la première expérience de ce type - entre le président Mitterrand et le Premier ministre Jacques Chirac, de 1986 à 1988 - a joué un rôle majeur dans la codification des règles du jeu, par exemple s’agissant de la représentation bicéphale aux sommets (UE, G7). Ces règles se sont appliquées grosso modo entre le président Mitterrand et le Premier ministre Balladur entre 1993 et 1995 puis entre le président Chirac et son Premier ministre Lionel Jospin entre 1997 et 2002. La cohabitation Mitterrand-Balladur a été vue sur le moment comme une "cohabitation de velours" alors que les deux autres ont été marquées par un duel à fleuret moucheté entre l’Élysée et le chef du gouvernement. En quoi la situation d’aujourd’hui diffère-t-elle de ces trois précédents ? Sur le plan des procédures, seul le président siège désormais au Conseil européen (Traité de Lisbonne), même si sa voix ne portera qu’autant que les délégations françaises dans les différentes enceintes européennes défendent la même ligne que lui. Sur le fond, la différence principale tient à l’effritement, voire à l’effacement du consensus en politique extérieure. Nous reviendrons sur ce point par la suite à travers quelques exemples clefs, mais notons dès maintenant que sur la relation avec la Russie, sur l’appartenance de la France au camp atlantique ou sur l’intégration européenne, il existe aujourd’hui des clivages profonds entre les forces politiques. Ce n’était pas le cas dans les précédentes cohabitations ; lors de celles-ci, les tensions ont pu venir de la répartition des rôles ou de la paternité des initiatives, elles ne portaient pas, ou rarement, sur le fond. La période 1986-1988 avait certes connu de vives tensions entre l’Élysée et Matignon sur les questions européennes, mais sans aller jusqu’à la crise ouverte. L’autre cohabitation "dure" (Chirac- Jospin) n’avait pas empêché une collaboration harmonieuse entre les deux pôles de l’Exécutif. Ce fut le cas par exemple lors de la présidence française de l’Union Européenne en 2000, débouchant sur le difficile sommet de Nice du 7 au 10 décembre, marqué par un dur affrontement franco-allemand sur la modification des règles de vote au sein de l’UE dans le contexte de l’élargissement. Quant à la "cohabitation de velours", elle avait laissé le Premier ministre Balladur libre de mener des initiatives particulières (révision de la négociation du Gatt ou mécanisme judiciaire pan-européen par exemple)…

b) Dans le même ordre d’idée, la cohabitation en matière de politique étrangère pouvait d’autant mieux se déployer que ces sujets étaient censés avoir peu d’impact sur la vie politique nationale. On postule en France que les électeurs ne sont pas motivés par les questions de politique étrangère. C’est le second postulat qui paraît à notre sens également moins évident aujourd’hui. Lors des élections de 2017, la posture favorable à un "Frexit" de Madame Le Pen lui a certainement coûté des voix ; d’ailleurs, elle a fait évoluer sa position sur ce point par la suite. De même, en 2022, alors que la guerre en Ukraine était enclenchée, sa compréhension passée pour Vladimir Poutine l’a handicapée. Nous sommes d’accord sur ce point avec Gilles Gressani dans sa tribune récente dans le Figaro

Peut-être faut-il pousser plus loin l’analyse. Le consensus français sur la politique étrangère ne reposait pas seulement sur la référence commune à l’œuvre du général de Gaulle. L’ancien président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Bourlanges, fait observer qu’il correspondait aussi à la structuration de l’échiquier politique (note : conversation avec le signataire de cette note, 22 juin 2024). À l’époque de la bipolarisation droite-gauche, les pro-européens au minimum équilibraient les souverainistes dans chacun des deux camps. Dans la tripartition actuelle, l’essentiel des pro-européens se retrouvent dans le "bloc central" (Modem, Horizon, Renaissance), ils pèsent d’un poids beaucoup moins grand au sein du Nouveau Front populaire - dominé a priori par les souverainistes de LFI - et, par définition, n’existent pas au RN. 

Quelles conclusions tirer de ces différents points ? Si les bases du "domaine réservé" - consensus en politique étrangère et faible impact de celle-ci en politique intérieure - sont fragilisées, on peut passer d’une cohabitation plus ou moins apaisée ou tendue, comme dans le passé, à une cohabitation vraiment contentieuse. Le caractère purement jurisprudentiel du "domaine réservé" risque de constituer à cet égard une faiblesse pour le président de la République. En effet, chaque disposition de la Constitution qui lui attribue un rôle propre est contrebalancée par d’autres dispositions établissant les pouvoirs du gouvernement ou du Premier ministre. C’est ainsi que le président assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités"(article 5). Mais c’est le gouvernement qui "détermine et conduit la politique de la nation" (article 20). Selon l’article 15, "le président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale". Mais, aux termes de l’article 20 "le gouvernement dispose de l’administration et de la force armée". Et pour renchérir sur ce point, l’article 21 précise que "le Premier ministre dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de la défense nationale".

On sait que ces formulations pas totalement concordantes résultent des conceptions non identiques du général de Gaulle et de Michel Debré au moment de la rédaction de la Constitution. En cas de divergences d’interprétation entre le président et le gouvernement, il n’est pas impossible que le Conseil constitutionnel soit amené à trancher.

Équations personnelles et intérêt politique

Deux autres données apparaissent de nature à orienter une éventuelle cohabitation. D’abord, comme toujours en politique, les hommes (et les femmes) comptent. Ensuite, l’intérêt politique devrait normalement déterminer le jeu des acteurs.

a) Sur le premier point, les précédentes cohabitations avaient été marquées par une grande homogénéité du personnel politique et administratif. Si l’on prend l’exemple de l’expérience la plus longue, Chirac-Jospin, les deux hommes provenaient du même moule (l’ENA), leurs entourages appartenaient au même monde ; le ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, entretenait une relation symbiotique à l’égard du Quai d’Orsay, avec lequel il avait longuement travaillé lorsqu’il était à l’Élysée auprès de François Mitterrand ; membre du Conseil d’État, le ministre de la Défense, Alain Richard, inspirait aussi confiance aux hauts fonctionnaires. L’un et l’autre établirent de bonnes relations avec le président et avec l’Élysée. Autrement dit, au sein du personnel dirigeant, les différences d’options politiques n’effaçaient pas une compréhension commune de l’intérêt de la Nation au plan international. Qu’en serait-il dans une cohabitation aujourd’hui ? Il est très difficile de se prononcer. D’autant que la dernière cohabitation remonte à plus de vingt ans. Les règles implicites établies lors des expériences précédentes sont probablement à redécouvrir par les acteurs d’aujourd’hui, parmi lesquels on compte (heureusement) de nombreux nouveaux venus. 

Ce qui paraît assuré, c’est que les questions de personne seront, en cas de cohabitation, et comme dans les cas précédents, le premier test de la relation entre les deux pôles de l’Éxécutif. Le président est là sur un terrain relativement ferme : "il nomme aux emplois civils et militaires", dispose l’article 13 de la Constitution ; il le fait cependant sur proposition du gouvernement. Les textes nommant les hauts fonctionnaires sont signés par le président mais contre-signés par des membres du gouvernement. Il est arrivé par le passé que certaines nominations fassent l’objet d’âpres marchandages. S’agissant du gouvernement lui-même d’ailleurs, les expériences précédentes ont vu le président refuser la nomination de tel ou tel ministre. On voit mal le président accepter aux postes de ministres des Affaires étrangères et de ministre des Armées des personnalités avec lesquelles il ne se sentirait pas en mesure de travailler. 

À la charnière entre les ministres et l’appareil de l’État, trois postes interministériels essentiels à la politique extérieure sont rattachés au Premier ministre : le secrétaire général du gouvernement (SGG), le secrétaire général aux Affaires Européennes (SGAE) et le Secrétaire Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN). Ce dernier assure notamment le secrétariat des Conseils de Défense qui, sous M. Macron, sont devenus un rouage important du fonctionnement de l’État sur les sujets de sécurité dans un sens très large. Pour l’instant, le rattachement à Matignon de ces deux derniers organismes cités est surtout formel. Qu’en sera-t-il en temps de cohabitation ? Dans le même ordre d’idée, et comme l’a indiqué François Heisbourg dans un entretien au Monde, les services de renseignements jouent dans le monde d’aujourd’hui un rôle plus important qu’autrefois et sont plus directement commandés depuis l'Élysée. Il va de soi qu’en cas de cohabitation - et compte-tenu des liens anciens des dirigeants du RN avec la Russie comme des orientations anti-occidentales des Insoumis - le contrôle de ces services revêtirait une importance particulière

b) Au-delà des organigrammes, on peut penser que c’est l’intérêt politique qui devrait dicter le jeu des acteurs. Dans les précédentes "cohabitations dures" (1986-1988, 1997-2002), le Premier ministre cherchait à affirmer son rôle dans l’élaboration de la politique étrangère mais sans remettre en cause la prépondérance du président dans le "domaine réservé". Et cela, au-delà du texte de la Constitution et d’un consensus de fond sur les grandes options, pour éviter un double risque : celui de choquer une opinion publique attachée à ce que la France s’exprime "d’une seule voix" vis-à-vis de l’étranger, celui en outre d’affaiblir une fonction présidentielle à laquelle le Premier ministre souhaitait lui-même accéder lors des élections suivantes.

En sera-t-il de même en cas de cohabitation après le 7 juillet ? C’est ce que pense un observateur averti, Jean-Claude Casanova (émission Commentaire sur radio classique, 22 juin), s’agissant du Rassemblement National. Certains observateurs vont plus loin et estiment que le "recentrage du RN" non seulement sur la Russie mais aussi sur l’Alliance atlantique est appelé quoi qu’il arrive à se prolonger. D’autres estiment au contraire que le parti de Madame Le Pen, au-delà de quelques fluctuations tactiques pour arriver au pouvoir, ne changera pas d’ADN sur ces sujets fondamentaux. S’agissant du Nouveau Front Populaire, le diagnostic est encore plus difficile dans la mesure où celui-ci réunit des formations qui, sur les grandes questions de politique étrangère, ont défendu des options très différentes ("souverainistes" pour La France insoumise, pro-européennes et atlantistes pour une grande partie du PS et des Verts et pour Place Publique). 

C’est peut-être en examinant quelques cas-tests que l’on peut le mieux cerner les incertitudes en ce domaine.

Quelques cas-tests en cas de cohabitation

Ukraine : sur ce sujet le "recentrage" récent du RN a été spectaculaire, tout en restant limité. Le programme présidentiel de Madame Le Pen en 2022 s’opposait à toutes sanctions contre la Russie, y compris à l’embargo sur le pétrole, et prônait une issue diplomatique au conflit dans le cadre de l’ONU. Le livret thématique Défense du RN n’est d’ailleurs plus en ligne sur le site officiel du parti. Entre 2019 et 2022, le RN n’a voté aucune résolution au Parlement européen blâmant la Russie, même s’agissant de l’affaire Navalny ou de la fermeture de l’ONG Mémorial.

Depuis lors, le RN a durci le ton sur la politique de Moscou. Dans ses propos à EuroSatory le 19 juin, M. Bardella déclarait qu’il souhaitait que l’Ukraine dispose à la fois en munitions et en matériel de "tout ce dont elle a besoin pour tenir le front". Il fixe cependant d’importantes "lignes rouges" : pas de transferts à l’Ukraine de missiles longue portée ou "d’armes pouvant toucher le territoire russe" ; pas non plus d’instructeurs militaires français en Ukraine, ni d’envoi d’avions de combat Mirage 2000-5 ou de formation en France de pilotes ukrainiens. Sur tous ces points, la ligne qu’il défend s’écarte donc de celle que tient désormais M. Macron.

S’agissant du Nouveau Front Populaire, le programme présenté à la presse le 14 juin énonce une position en flèche sur le soutien à l’Ukraine : "nous défendrons indéfectiblement la souveraineté et la liberté du peuple ukrainien ainsi que l’intégrité de ses frontières" en particulier "par la livraison d’armes nécessaires". Cette formulation tranche évidemment avec la ligne classique défendue par Monsieur Mélenchon et son mouvement. Il est donc légitime de s’interroger sur la politique qui serait effectivement menée.

Union européenne/OTAN : c’est sur l’Alliance atlantique que le "recentrage" du RN apparaît le plus net. Lors de sa visite à Eurosatory, M. Bardella a déclaré "ne pas remettre en cause [en cas de victoire] les engagements" de la France à l’international en matière de défense. Cependant, s’il soutient désormais le maintien de la France dans l’organisation intégrée (contrairement à une ligne établie depuis longtemps), c’est "tant que dure la guerre en Ukraine". Il ne s’agit pas d’un engagement définitif.

S’agissant de l’UE, le programme publié par le RN sous le titre "la France revient, l’Europe revit" comporte une opposition à toute forme d’élargissement de l’UE (notamment Ukraine et Turquie), à tout accroissement des pouvoirs de la Commission et à tout assouplissement du droit de véto des États-membres. Il prend aussi le contre-pied des politiques européennes sur l’immigration en prévoyant de restreindre la libre circulation au sein de l’espace Schengen aux seuls ressortissants de l’UE, ainsi que le rétablissement de la frontière nationale en plus de la frontière européenne ("double frontière"). Surtout, les porte-paroles du RN défendent maintenant l’idée que la France devrait limiter sa contribution au budget européen à la hauteur de ce qu’elle reçoit de l’UE. On peut donc se demander si l’on est pas en présence d’une politique de "Frexit "rampant.

Le programme commun adopté par le nouveau Front Populaire est silencieux sur l’Otan. Il reste succinct sur l’Union européenne : refus d’un pacte de stabilité budgétaire, réforme de la politique agricole commune, mettre fin aux traités de libre-échange, instauration d’un "protectionnisme écologique et social aux frontières de l’Europe", ou encore "réindustrialisation de l’Europe sur le plan numérique, de l’industrie des médicaments, de l’énergie etc." et "installation d’une règle verte pour prioriser les investissements verts". 

Gaza : Le RN se présente désormais comme la principale force pro-Israël en France. Madame Le Pen pose "l’élimination du Hamas" comme préalable pour "déverrouiller la mise en œuvre de la création d’un État palestinien tout en assurant la sécurité d’Israël". David Khalka, directeur à la Fondation Jean Jaurès, estime que "Marine Le Pen a identifié l’antisémitisme de son père comme hypothèque à lever dans une stratégie assumée de conquête du pouvoir", comme en témoigne sa tribune au Figaro datée du 20 juin.

Sur une ligne très différente, le programme du NFP propose de "rompre avec le soutien coupable du gouvernement français au gouvernement suprématiste d’extrême droite de Netanyahu pour imposer un cessez-le-feu immédiat à Gaza" et de "reconnaître immédiatement l’État de Palestine". Un embargo sur les armes à Israël, des sanctions contre le gouvernement de Netanyahu, la suspension de l’accord d’association UE-Israël sont, entre autres choses, demandés. 

Relation franco-allemande : c’est sans doute un signe des temps que la relation franco-allemande apparaît pratiquement absente en tant que telle des programmes des formations d’opposition. On est loin des projets ambitieux d’Emmanuel Macron lorsqu’il se présentait pour la première fois aux électeurs en 2017. Les invocation par le RN de projets européens - et donc peut-on supposer en accord avec l’Allemagne - dans des domaines comme l’aérospatial, la défense, l’intelligence artificielle, le cloud, l’hydrogène et la voiture propre, paraissent en singulier décalage par rapport à la réaffirmation d’un souverainisme sourcilleux. C’est évidemment un point capital : la France pourrait se détourner de l’Europe, et de notre principal partenaire au sein de celle-ci, au moment où - nous allons le voir dans quelques paragraphes - nous aurons besoin plus que jamais de l’Union européenne. 

D’une crise à l’autre ?

Les éléments d’analyse présentés ci-dessus conduisent principalement à deux types de scénarios : celui, classique, de coopération contrainte entre le président et un gouvernement d’opposition soit RN, soit NFP, dont le "domaine réservé" fournit un champ naturel ; et celui, finalement sans réel précédent, d’une crise vraiment grave sur un sujet de politique étrangère entre les deux pôles de l’exécutif (pouvant conduire à une rupture ?), compte tenu de différents facteurs que nous avons identifiés : l’homogénéité moins grande aujourd’hui du personnel politique et administratif, l’éloignement des positions sur certains sujets-clef (Ukraine, Europe principalement), sur fond de multiplication des crises internationales et de "moment populiste" sur le plan interne. Un des éléments d’incertitude porte, nous l’avons vu, sur l’analyse que les différents acteurs feront de leur propre intérêt politique dans la gestion d’une éventuelle cohabitation. 

Deux autres scénarios doivent être signalés. D’abord, celui que nous avons mentionné au début de cette note, qui verrait une absence de majorité à l’Assemblée nationale et donc une forme, inédite sous la Ve République, d’instabilité politique. Si dans cette hypothèse un gouvernement parvenait à être formé, la nature du rapport entre le Premier ministre et le président serait différente de ce qu’elle est d’habitude en période de cohabitation. Le Premier ministre serait en effet l’émanation d’une coalition qu’il lui appartiendrait de faire tenir ensemble. Il reste à voir dans cette hypothèse quelles seraient les conséquences pour la conduite des affaires extérieures du pays : maintien malgré tout d’une forme résiduelle de "domaine réservé présidentiel" ou au contraire interprétation limitative du rôle du chef de l’État, devenant ce personnage "neutre" dont on parle dans les manuels de droit constitutionnel, assurant seulement la régularité des pouvoirs publics ? C’est un des paradoxes de la période présente que la prééminence absolue de l’Élysée en matière de politique étrangère paraît désormais moins assurée, quel que soit le résultat des prochaines élections

Dernier type de scénario, hélas très vraisemblable, celui d’une crise non pas au sein de l’exécutif (président /gouvernement) mais d’une crise économique et financière profonde. La Commission européenne vient de notifier que la France fait désormais partie des pays en grave difficulté budgétaire. Les chiffrages auxquels Montaigne s’est livré sur les programmes des principales forces d’opposition laissent penser que les chiffres du déficit du budget de l’État, de l’inflation, du commerce extérieur etc. vont s’aggraver. D’ores et déjà, du fait des perspectives politiques, le spread s’aggrave et les taux d’intérêt grimpent. Nous pourrions nous trouver un jour dans une situation similaire à celle de la Grèce il y a quelques années, dépendant d’un repêchage par le FMI et finalement par l’Europe. Assisterions-nous alors de la part d’un gouvernement national-populiste au pouvoir à un aggiornamento comparable à celui opéré par le gouvernement Mauroy en 1983 ou à une fuite en avant dans l’aventure ? 

Ce que l’on vient d’indiquer en matière économique et financière pourrait avoir son pendant sur le plan stratégique. Quels que soient les résultats des élections présidentielles américaines, les États-Unis vont durcir encore leur politique chinoise et rassembler autour d’eux leurs alliés en Europe et en Asie sur un axe militant à l’égard de Pékin. En Europe, le Royaume-Uni, après les élections générales, va redevenir un partenaire fiable pour Washington. En raison de ses difficultés intérieures, une France affaiblie - et d’ailleurs l’Allemagne - risquent de ne pas être en mesure de peser dans un tel réaménagement des rapports de force à l’échelon mondial. Alors même que la situation incertaine des deux principaux États européens pourrait aviver l’instinct prédateur de la Chine, en alliance avec la Russie.

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