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11/09/2024

[Le monde vu d’ailleurs] - Nouveau Premier ministre : le dernier espoir d’Emmanuel Macron ?

[Le monde vu d’ailleurs] - Nouveau Premier ministre : le dernier espoir d’Emmanuel Macron ?
 Bernard Chappedelaine
Auteur
Ancien conseiller des Affaires étrangères

Tout en relevant ses qualités de négociateur, sa capacité d’écoute et son expérience européenne, les commentateurs soulignent l’ampleur de la tâche qui attend Michel Barnier, en premier lieu sur le problème de la dette, dans un contexte où il dispose d’une marge de manœuvre très étroite sur le plan politique et doit faire entendre sa différence par rapport au Président Macron.

Le choix de M. Barnier reflète-t-il le résultat des élections législatives ?

Le choix de Michel Barnier comme nouveau premier Ministre, annoncé le 5 septembre, "met un terme à deux mois de querelles politiques et de procrastination", écrit The Economist. La décision d'Emmanuel Macron clôt "un chapitre turbulent", mais elle pourrait "en ouvrir un autre, encore plus éprouvant", selon le quotidien britannique. Le rapport des forces à l'Assemblée nationale rappelle à Die Zeitl’impasse politique au Landtag de Thuringe à l'issue des élections du 1er septembre, au sein duquel aucune majorité ne se dégage en raison de la forte progression des partis extrêmes. "Michel Barnier a la réputation d'être en mesure, dans des situations qui semblent inextricables, de concilier des points de vue contraires, ce qui est un argument en sa faveur, néanmoins sa nomination apparaît à certains égards à contre-courant", juge Die Zeit. En effet, observe l'hebdomadaire de Hambourg, "Barnier est un conservateur classique, le représentant d'un parti et d’un système de partis qui n'existent plus en France, avec lequel Emmanuel Macron lui-même avait rompu il y a sept ans". "Le nouveau chef du gouvernement français marque un glissement à droite", juge le Handelsblatt. Emmanuel Macron a tranché en faveur de l’option d’une France qui penche à droite, estime Le Temps, "quitte à faire entrer, ne serait-ce que passivement, dans la majorité qui maintiendra ce gouvernement au pouvoir les députés Rassemblement national dont il avait martelé qu’ils en étaient exclus par le succès du front républicain. La plupart des messages du discours introductif du nouveau premier Ministre français jeudi soir étaient adressés à ce camp". "Idéologiquement, analyse le journal helvétique, la nomination de Michel Barnier donne une impression de continuité totale, dans la droite ligne d’un macronisme qui se droitisait au fil des ans, que ce soit sur les questions économiques ou sécuritaires. On peut légitimement penser que c’est la bonne voie pour le bien commun des Français, mais ce n’est pas l’esprit de leur vote".

"Barnier est un conservateur classique, le représentant d'un parti et d’un système de partis qui n'existent plus en France, avec lequel Emmanuel Macron lui-même avait rompu il y a sept ans".

La nomination de M. Barnier conduit le pays en "territoire politique inconnu", analyse pour sa part Politico. Le nouveau premier Ministre n'appartient pas au camp présidentiel, il n’est pas non plus un adversaire déterminé du Président français, note le média européen, aussi est-il impossible à ce stade d'anticiper la nature de la relation qui va s'instaurer entre les deux dirigeants et de définir le rôle effectif du chef de gouvernement. "Malgré une défaite électorale claire, Macron souhaite visiblement poursuivre sa politique", affirme la Tageszeitung.

Il a "immédiatement exclu une cohabitation" avec un Premier ministre issu des rangs de ses adversaires politiques et espère maintenant que Michel Barnier va dès que possible former un gouvernement qui lui convienne et présenter le projet de budget 2025, préparé par son prédécesseur, affirme le quotidien berlinois. "Le choix de son gouvernement s'annonce comme un exercice d'équilibriste et un crash n'est pas exclu", prévient la Neue Zürcher Zeitung. Quant à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, elle approuve la désignation de M. Barnier, qualifié par certains de "Joe Biden français", note le quotidien, et met en exergue sa longue carrière politique et son engagement européen. "Comparé à la fonctionnaire sans expérience politique de la Mairie de Paris, proposée par le Nouveau Front Populaire", il s'agit d'un "bon choix pour la France, confrontée à des défis tout aussi majeurs que l'Allemagne", se félicite Nikolas Busse, il est "incontestable que Michel Barnier possède les qualités nécessaires pour occuper le poste de premier Ministre", en effet, "peu de responsables politiques français disposent d'autant d'expérience, au plan national et international, que ce Républicain de 73 ans", relève le quotidien.

L’expérience, notamment européenne, du nouveau Premier ministre et ses qualités de négociateur et d’écoute sont des atouts indéniables

M. Barnier a une réputation de médiateur pragmatique, doté d'une capacité d'écoute, souligne aussi The Irish Times. Ministre des Affaires européennes de Jacques Chirac dans les années 1990, il acceptait de dialoguer avec Jean-Marie Le Pen, parlementaire européen, élu par le suffrage populaire, rappelle The Spectator. "À la différence des derniers Présidents et premiers ministres, souligne l'hebdomadaire britannique, Michel Barnier est conscient du fait qu'insulter ou ignorer Marine Le Pen ne va pas faire disparaître magiquement son électorat". Citant l'un de ses anciens conseillers, le Financial Times (FT) crédite le nouveau premier Ministre "d'une très grande capacité à se concentrer sur l'essentiel, à écouter et à parler à tout le monde, y compris avec ceux avec lesquels il est en profond désaccord". Cette ouverture dont fait preuve Michel Barnier est un atout qui le distingue d'Emmanuel Macron, remarque aussi Niklas Záboji, correspondant à Paris de la FAZ. Son bilan de négociateur du Brexit est un autre avantage pour ses nouvelles fonctions. Au Royaume-Uni, il a peu d'amis chez les Brexiters - sa nomination pourrait les "irriter", selon The Independent - mais il est parvenu à maintenir la cohésion des Européens en dépit des tentatives britanniques pour les diviser, rappelle le FT. Certains au Royaume-Uni n'ont pas oublié cette longue négociation, à l'instar du New Statesman, qui dépeint M. Barnier comme un "négociateur obstiné, dur" qui aurait "torturé le gouvernement de Theresa May" et comme une "personnalité impopulaire, froide et sans charisme". Le quotidien conservateur The Telegraph invite les Brexiters à "ne pas s'inquiéter", l'inflexibilité de M. Barnier sur les "lignes rouges" de l'UE pourrait rendre difficile le rapprochement souhaité par le gouvernement travailliste avec Bruxelles. M. Barnier a survécu aux négociations du Brexit, ces prochains mois il devra faire preuve d'autant de "ténacité et d'agilité" pour "résister et ne pas tomber", remarque The Economist. En effet, estime The Irish Times, ce nouveau défi est encore plus redoutable que la négociation du Brexit.

La désignation comme Premier ministre du négociateur en chef du Brexit, note le journal irlandais, a été accueillie "avec enthousiasme" à Dublin et à Bruxelles, Politico rappelle cependant que Michel Barnier a refusé de soutenir la reconduction de la présidente de la Commission, reprochant en particulier à Ursula von der Leyen sa politique agricole et environnementale, qui a, selon lui, "pénalisé" les agriculteurs, notamment allemands et français.

Il est parvenu à maintenir la cohésion des Européens en dépit des tentatives britanniques pour les diviser.

L'ancien commissaire européen a également durci son discours sur la question de l'immigration ces dernières années, craignant qu'elle ne devienne incontrôlable, relève The Independent. Dans sa campagne lors des primaires du Parti Les Républicains en vue de l'élection présidentielle, Michel Barnier avait appelé à inverser la hiérarchie des normes pour faire prévaloir la loi française et imposer un moratoire sur l'immigration, prise de position jugée "cynique et opportuniste" de la part du pro-européen qu'est Michel Barnier, note le FT, il avait alors expliqué au quotidien qu'il s'agissait pour lui de répondre aux préoccupations populaires qui ont conduit au Brexit. Si les préoccupations liées à l'immigration constituent l'un des principaux thèmes du Rassemblement national, l'attitude que va adopter ce parti à l'égard du gouvernement Barnier alimente de nombreuses spéculations. "Lors des derniers scrutins, Emmanuel Macron a appelé à ne pas confier le pouvoir aux extrêmes, il leur tend maintenant une épée de Damoclès à suspendre au-dessus du prochain gouvernement", s'étonne Politico. La nomination de Michel Barnier a un prix, estime également le FT, un "droit de veto et une forte position de négociation accordée à M. Le Pen, l'éternelle rivale de Macron", dont le prochain gouvernement dépend de "l'indulgence" de la dirigeante du RN, relève aussi Politico. C'est paradoxalement M. Barnier, qui a fait carrière dans les institutions européennes, qui doit justifier à Bruxelles l'endettement de la France et obtenir un accord à son budget de la part de "l'anti-européenne Marine Le Pen", constate Die Zeit.

La dette est le premier défi majeur du gouvernement Barnier

La question est de savoir, s'interroge Politico, si M. Barnier, qui doit négocier des compromis avec ceux qui le soutiennent au centre-droit et au centre-gauche, peut satisfaire une extrême-droite, opposée aux nombreuses coupes budgétaires attendues pour traiter la "terrible question de la dette de la France". Le programme économique du RN est contradictoire, note Die Zeit, le parti refuse des hausses d’impôt, tout en remettant en cause l’âge de départ à la retraite (64 ans) et en voulant investir massivement dans la police et dans les hôpitaux. Avec plus de 3 200 milliards d'euros, soit plus de 110 % de son PIB, aucun autre État-membre de l'UE n'est autant endetté en chiffres absolus que la France, souligne le Handelsblatt, le quotidien économique juge "très incertaine" la mise en œuvre réelle des plans de réduction de cet endettement en raison de la situation politique. Les gouvernements d'Emmanuel Macron n'ont pas seulement violé les règles européennes, ils ont aussi contrevenu à leurs propres engagements, pris lors des deux campagnes présidentielles, à savoir réduire la dette, remarque également Die Zeit, sceptique sur les chances de succès de M. Barnier ("Son premier budget pourrait être son dernier"), bien que, en matière de fiscalité, Emmanuel Macron et Michel Barnier soient sur "la même ligne" de réduction de la charge fiscale. D'ores et déjà, "Michel Barnier, qui a déclaré ne pas vouloir augmenter la dette, est confronté à des pressions considérables sur le volet dépenses de la part des différentes forces politiques, qu'il va devoir équilibrer pour que son gouvernement ne soit pas renversé", relève le FT. Si l'exécutif français n'agit pas, la dérive budgétaire pourrait encore s'aggraver l'an prochain et dépasser les 6 % du PIB, met en garde le Handelsblatt. La pression des marchés est "énorme", observe Niklas Záboji, pratiquement aucune amélioration n'est perceptible en France concernant la surprime sur les obligations d'État et la sous-performance du marché des actions depuis la nomination de M. Barnier.

Les gouvernements d'Emmanuel Macron n'ont pas seulement violé les règles européennes, ils ont aussi contrevenu à leurs propres engagements, pris lors des deux campagnes présidentielles, à savoir réduire la dette.

L'ambition de ramener au plus tard en 2027 le déficit budgétaire en deçà du seuil des 3 % du PIB fait plus que jamais question, écrit le Handelsblatt. Comme les six autres États-membres visés par une procédure de déficit excessif (Belgique, Italie, Hongrie, Malte, Pologne et Slovaquie), la France devait présenter à Bruxelles un plan de réduction de sa dette, pour les quatre années à venir, indique le Handelsblatt, mais Michel Barnier a demandé un délai, précise le FT. L'attitude de la Commission servira de test pour la crédibilité de ces règles, souligne le quotidien économique.

L’exécutif européen se montrera plus accommodant avec un gouvernement conduit par Michel Barnier, dont l'engagement européen rassure, il va aussi prendre en compte la fragmentation du paysage politique français, estime Politico. Compte tenu de son expérience européenne, on s'attend à ce que Michel Barnier ait une plus grande influence à Paris sur les dossiers européens, note aussi le site d'information. La tradition veut que le président de la République représente la France aux conseils européens, mais il est arrivé qu'en période de cohabitation, le Premier ministre prenne part à certaines réunions. "Si j'étais le Président, déclare à Politico Bernd Lange, eurodéputé allemand, je m'appuierais sur lui, je ferais confiance à son expérience et lui donnerais des marges pour défendre les intérêts de la France au sein de l'UE". Du côté allemand, on est aussi très attentif à la position qu'adoptera le nouveau gouvernement français en matière de libre-échange, remarque Niklas Záboji. Ces derniers temps, rappelle-t-il, le projet d'accord commercial avec les États-membres du Mercosur s'est heurté à une forte résistance en France.

La constitution de son équipe gouvernementale est la tâche immédiate à laquelle est confronté le nouveau Premier ministre, qui doit lui permettre de faire preuve d'autonomie à l'égard du Président, analyse la BBC à l’instar d’autres commentateurs. S'il s'avère que le "barniérisme" n'est qu'une variante du "macronisme", les talents tant vantés de négociateur de Michel Barnier lui seront de peu d'utilité face à la réaction d'une Assemblée nationale hostile. À en croire Die Zeit, M. Barnier incarne "le dernier espoir de Macron", car l’échec de Michel Barnier signerait aussi celui du Président.

Copyright image : Frederick FLORIN / AFP
Ursula von der Leyen et Michel Barnier en février 2020, alors que celui-ci était négociateur en chef du Brexit

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