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16/09/2024

De Paris à Bruxelles, une semaine sous haute tension pour composer

De Paris à Bruxelles, une semaine sous haute tension pour composer
 Blanche Leridon
Auteur
Directrice Exécutive, éditoriale et Experte Résidente - Démocratie et Institutions

Pour la troisième fois depuis le mois de juin, les agendas politiques français et européens se rejoignent dans une étonnante concordance des temps. Michel Barnier doit former son gouvernement, Ursula von der Leyen a présenté la formation de sa nouvelle Commission. Équation complexe pour l’un comme pour l’autre, alors que la démission du commissaire français Thierry Breton et la désignation de Stéphane Séjourné rebattent les cartes. Chacun doit tenir compte des nouveaux équilibres électoraux, affronter d’importants défis budgétaires et sociétaux, le tout sous l’étroite “surveillance” de formations nationales-populistes en progression.

Le 9 juin dernier, les calendriers parlementaires français et européen se percutaient, le premier étant brutalement accéléré par les résultats électoraux du second. Quelques semaines plus tard, début juillet, les calendriers se rejoignaient à nouveau, la réélection de la présidence de l’Assemblée nationale coïncidant, au jour près, avec celle de la Commission européenne. La concordance des temps se doublait d’une concordance des faits, les deux sortantes - aux postes et aux prérogatives bien différentes - retrouvaient leur siège.

Cette semaine à nouveau, les calendriers politiques hexagonaux et européens se rejoignent. Michel Barnier doit former son gouvernement, Ursula Von Der Leyen doit présenter son collège des commissaires. D’un côté, Michel Barnier, ancien Vice-Président du Parlement européen rompu à la négociation, membre du PPE et des Républicains ; de l’autre, Ursula von der Leyen, appartenant à la même famille des Démocrates-chrétiens, ancienne ministre d’Angela Merkel, membre d’une CDU qui pourrait revenir au pouvoir en Allemagne en 2025. Au-delà de cet alignement des calendriers et des colorations politiques, les défis des deux dirigeants se répondent, et sont révélateurs des nouvelles lignes de force politiques de notre temps. Défi du casting et des portefeuilles d’abord. Qui seront les ministres de Barnier, qui seront les commissaires de von der Leyen et - surtout - quels seront les périmètres de chacun ? Quelle place occuperont les ministres et commissaires sortants ? L’annonce de la non reconduction de Thierry Breton pour la France rebat les cartes de ce point de vue. Quelle influence les partis d’extrême droite auront-ils sur cette composition ? Sur cette dernière question, la tension monte d’un côté comme de l’autre. À Bruxelles, les débats se cristallisent autour de l’Italien Raffaele Fitto, candidat de Giorgia Meloni qui s’est vu confié, mardi,  une Vice-Présidence exécutive de la Commission, en charge des politiques de cohésion et de réforme, cadeau jugé contre-nature par les Verts, les socialistes et les centristes du Parlement, qui rappellent que le parti de Meloni n’a pas voté pour la reconduction de von der Leyen et qu’il défend des politiques foncièrement anti-européennes. En France, les défis se ressemblent mais l’équation ne se pose pas de la même façon. Pas question d’intégrer un ministre RN dans le gouvernement Barnier, mais nombreux sont ceux qui redoutent son influence dans son programme et dans sa composition. La suppression de l’aide médicale d’État (AME) ou le retour des peines planchers, mesures que plébiscitent les LR et le RN, sont les lignes rouges des centristes, de la gauche et de l’ex-majorité présidentielle.

Au-delà de cet alignement des calendriers et des colorations politiques, les défis des deux dirigeants se répondent, et sont révélateurs des nouvelles lignes de force politiques de notre temps.

Au-delà de la présence ou de l’influence des extrêmes-droites dans les exécutifs français et européens, on retrouve des défis programmatiques communs. Celui de l’économie et du budget d’abord, dans une France enferrée dans sa dette et une Europe promise au déclassement si elle n’engage pas un sursaut, comme le prophétise l’ancien président du Conseil italien, Mario Draghi, qui appelle les Européens, dans un rapport remis la semaine dernière, à investir 800 milliards d’euros supplémentaires par an pour retrouver le chemin de la croissance, de la compétitivité et de l’innovation.

Défi commun aussi des questions migratoires et sécuritaires, alors qu’un nouveau drame a eu lieu dans la Manche ce week-end, entraînant la mort d’au moins huit migrants lors d’un naufrage en mer. La dette environnementale enfin, que Michel Barnier a affirmé vouloir résorber, quand les groupes nationaux-populistes du Parlement européen veulent détricoter un Green Deal pourtant déjà adopté.

Mais là où la comparaison s’arrête, c’est dans l’attitude des acteurs en présence. Si les centres, en France et en Europe, veulent s'imposer comme pivots face à une extrême-droite qui se rêve en faiseur de rois et une extrême gauche tentée par le soulèvement, l’intransigeance des postures françaises détonne avec la souplesse et l’ouverture européenne. Sur la nomination de l’Italien Fitto, ils sont de plus en plus nombreux, à Bruxelles, à invoquer le bénéfice du doute, à reconnaître que les scores de la formation de Giorgia Meloni doivent, d’une manière ou d’une autre, être pris en compte. La commission von der Leyen, présentée mardi, doit désormais passer le contrôle scrupuleux d’auditions parlementaires et obtenir le vote des députés européens, avant son entrée en fonction au plus tard en décembre. Pas de blanc seing donc, et le souvenir de 2019, où la première commission Von der Leyen avait été retoquée par les députés, incite à la prudence, à la négociation et à la préparation. L’absence - à l’heure où nous écrivons ces lignes - de commissaire issu des Verts pourrait rendre cette adoption plus périlleuse encore, comme la question du respect de la parité, voulu par Von Der Leyen. En France, la menace de la censure produit l’effet inverse, elle inhibe la nuance, rigidifie les postures, atomise le compromis et donne lieu à des comportements de principes qui excluent ce bénéfice du doute.

Nombreux sont ceux qui menacent ou censurent a priori un gouvernement à la composition et au programme pourtant inconnus, alors qu’une majorité de Français appelle à la stabilité et à la concorde. Une majorité qui aspire aussi à davantage de clarté et d’explications concernant le choix présidentiel. Il est grand temps, dans ces conditions, d’engager une conversion rapide et durable à l’art, bien connu à Bruxelles, de la négociation et du compromis.

En France, la menace de la censure produit l’effet inverse, elle inhibe la nuance, rigidifie les postures, atomise le compromis.

Image Copyright : Nicolas TUCAT / AFP

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