AccueilExpressions par MontaigneFaut-il reconnaître l’État de Palestine ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.16/04/2025Faut-il reconnaître l’État de Palestine ? Moyen-Orient et AfriqueImprimerPARTAGERAuteur Michel Duclos Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie Reconnaissance de la Palestine : coup d’épée dans l’eau ou épée de Damoclès ? Au terme d’une visite en Égypte, Emmanuel Macron a annoncé que l'annonce pourrait en être faite par la France en juin, à l'occasion d'une conférence sur la solution à deux États, co-organisée avec l'Arabie saoudite à New York. Après la rupture du cessez-le-feu par Israël, le 18 mars, et dans le contexte récent de la barbarie perpétrée par le Hamas, comment juger de cette mise à l’agenda diplomatique ? Comment la France se positionne-t-elle, à la fois sur le plan doctrinal, politique et tactique ? Quels pourraient être les effets de cette annonce en termes symboliques et stratégiques ? Par Michel DuclosLe président de la République, au retour de sa visite en Égypte, a annoncé le 9 avril son intention de reconnaitre un État palestinien "probablement" en juin - date d’une conférence internationale co-présidée à New-York par l’Arabie saoudite et la France sur la solution à deux États. Emmanuel Macron a précisé quelques jours plus tard qu’il entendait de cette manière "déclencher une série d’autres reconnaissances…mais aussi la reconnaissance d’Israël par des États qui aujourd’hui ne le font pas".Ces déclarations ont immédiatement fait débat sur le plan national - sans compter une réaction négative vigoureuse du gouvernement israélien. En France, une partie de la classe politique estime que procéder maintenant à la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État serait "apporter une récompense au Hamas". Le mouvement terroriste palestinien s’est d’ailleurs félicité de ce "premier pas" accompli par la France. En sens inverse, des responsables politiques qui soutiennent la cause palestinienne considèrent que le geste de Paris, outre qu’il intervient tard (la moitié des États européens a déjà reconnu un État palestinien, tout comme 147 pays dans le monde, soit 75 % des membres de l’ONU - mais aucun membre du G7), ne va pas assez loin. Ils soupçonnent qu’après avoir joué avec l’idée, le Président reculera devant l’acte de reconnaissance lui-même.On peut plaider aussi que c’est le désintérêt depuis des années de la communauté internationale pour le conflit israélo-palestinien - dont la France elle-même avait cessé en pratique de se préoccuper depuis 2017 - qui a créé les conditions de l’agression du 7 octobre.Ces différentes réactions ne sont-elles pas dans un sens ou dans l’autre excessives ou peu pertinentes ? Il est exact que c’est l’attaque atroce du 7 octobre qui a remis la question palestinienne sur le devant de la scène diplomatique internationale ; on peut plaider aussi que c’est le désintérêt depuis des années de la communauté internationale pour le conflit israélo-palestinien - dont la France elle-même avait cessé en pratique de se préoccuper depuis 2017 - qui a créé les conditions de l’agression du 7 octobre. Dans cette logique, faire avancer la cause de la solution à deux États, ou simplement entretenir l’espoir à son sujet, est le meilleur moyen de priver le terrorisme palestinien de légitimité.Il ne faut pas nier cependant que dans le mouvement fait par Emmanuel Macron, s’il n’y a aucune sympathie pour le Hamas, entre sans doute une part de blâme vis-à-vis du gouvernement Netanyahou : envisager maintenant de reconnaître un État de Palestine, c’est aussi marquer notre désapprobation face aux actions de force du gouvernement israélien en Cisjordanie et à la rupture de la trêve par Israël, qui a entraîné à Gaza une situation humanitaire abominable et de nouveau des centaines de morts.Il faut rappeler en outre que la France avait déjà franchi de premiers pas dans la direction d’un État palestinien en votant pour les deux résolutions des Nations-unies - au Conseil de sécurité le 18 avril 2025 et à l’Assemblée générale le 10 mai - qui attribuaient un siège plein et entier à la Palestine dans l’enceinte de New-York (la décision a été bloquée par un véto des États-Unis lors du vote au Conseil de Sécurité). Est-ce à dire que le président de la République ira jusqu’au bout de sa démarche en juin ? En indiquant que la France entend s’inscrire dans une dynamique de reconnaissances mutuelles, ne se réserve-t-il pas la possibilité de ne pas franchir le pas décisif si en fait aucune dynamique en ce sens n’intervient en juin ? Allons plus loin : compte tenu de l’attitude actuelle du gouvernement israélien, y a a-t-il la moindre chance qu’un État arabe ou musulman (l’Indonésie est un cas emblématique) reconnaisse actuellement Israël ?Avant d’aller plus loin dans l’analyse, peut-être faut-il brièvement rappeler d’où vient la position française sur ce sujet. Sur le plan doctrinal, dans le droit international tel qu’il est compris en France, la qualité d’État implique un territoire, une population et une autorité effective pour gouverner l’un et l’autre. Il est difficile de prétendre que ces conditions soient remplies dans l’état actuel des choses dans le cas de la Palestine. "Reconnaitre un État palestinien", c’est donc en réalité reconnaitre une réalité virtuelle, si l’on ose ce paradoxe. Sur le plan politique, la diplomatie française avait jusqu’à présent considéré que la reconnaissance vraiment importante d’un État palestinien serait celle d’Israël lui-même ; c’est donc par un dialogue entre Israéliens et Palestiniens que devrait naitre un État palestinien viable, et ne menaçant pas la sécurité d’Israël.Rappeler cette dernière position, c’est en même temps observer à quel point l’attaque du 7 octobre et la réaction d’Israël ont rendu encore plus improbable qu’un tel dialogue intervienne, de surcroit avec pour conclusion la création d’un État palestinien.La qualité d’État implique un territoire, une population et une autorité effective pour gouverner l’un et l’autre.Nous entrons ainsi dans une troisième série de considérations, touchant à l’opportunité politique, ce qui reste en politique internationale très souvent l’ultima ratio. L’opinion israélienne reste divisée sur la politique à suivre en beaucoup de domaines mais le soutien à la "solution à deux États" a pratiquement disparu chez les Israéliens. Pour les acteurs extérieurs au dossier - et donc pour la France - la question est donc de savoir si reconnaitre aujourd’hui un État palestinien constitue un moyen de pression sur Israël, un signal vis-à-vis de la communauté internationale, acquise majoritairement, comme on l’a déjà relevé, à la reconnaissance, ou simplement un coup d’épée dans l’eau.Pour échapper à ce type de dilemme, l’Élysée a pu un temps considérer qu’une option optimale aurait été une reconnaissance groupée avec d’autres États du G7, tels que le Royaume-Uni, l’Italie, le Japon et le Canada. Force est de constater que cette option s’éloigne, au moins s’agissant des trois premiers États considérés, sous l’effet du facteur "administration Trump II", même si bien entendu le charme de cette dernière est que l’on ne sait jamais, jusqu’au dernier moment, de quel côté Donald Trump lui-même va tomber. Il lui arrive, comme on le voit sur le cas iranien, de résister à M. Netanyahou, qu’il ne paraît pas particulièrement porter dans son cœur. Une autre ligne d’action pour M. Macron est d’insister sur un certain nombre de points, sans qu’on sache s’ils constituent ou non, de même que le mouvement vers une reconnaissance croisée d’Israël et de la Palestine, des conditions préalables à une reconnaissance de l’État palestinien : libération de tous les otages israéliens, élimination du Hamas de la gouvernance de Gaza, réforme de l’Autorité palestinienne, garanties de sécurité à Israël.C’est précisément pour traiter cet ensemble de questions qu’est convoquée la conférence de juin. Dans le meilleur des cas, on peut espérer que cette conférence apportera un certain nombre de réponses aux problèmes sur la table, même si ultimement l’attitude des États-Unis et d’Israël lui-même resteront en fait déterminantes.L’enjeu pour la France ne réside pas seulement dans l’affaire israélo-palestinienne mais aussi dans sa capacité à servir de pont entre l’Ouest et le Sud, qu’on le qualifie de global ou non.Dans la mesure où ces réponses constitueront au mieux des perspectives ou des plans d’action, le dilemme pour la France risque de se poser avec d’autant plus d’acuité : pourra-t-on différer encore à titre national la reconnaissance d’un État palestinien, en reportant l’échéance à un moment où la dynamique de reconnaissance des deux États s’enclencherait pour de bon ? Ou ne perdrions-nous pas toute crédibilité à force de reculer encore ? De ce dernier point de vue, l’enjeu pour la France ne réside pas seulement dans l’affaire israélo-palestinienne mais aussi dans sa capacité à servir de pont entre l’Ouest et le Sud, qu’on le qualifie de global ou non.On serait tenté de dire, en paraphrasant Raymond Aron : reconnaissance difficile, non-reconnaissance improbable, sinon impossible.Copyright image : Ludovic MARIN / POOL / AFP Emmanuel Macron au Caire, le 7 avril 2025.ImprimerPARTAGERcontenus associés 24/10/2024 En Israël, entre polarisation et traumatisme : état des lieux Denis Charbit 07/10/2024 Un an après le 7 octobre, 4 points sur la situation au Proche-Orient Jean-Loup Samaan 30/09/2024 Proche-Orient : Israël en position de force Michel Duclos 12/07/2024 Israël - Hezbollah : la guerre inévitable ? Jean-Loup Samaan