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12/07/2024

Israël - Hezbollah : la guerre inévitable ?

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Israël - Hezbollah : la guerre inévitable ?
 Jean-Loup Samaan
Auteur
Expert Associé - Moyen-Orient

Le Hezbollah a répliqué à l’élimination d’un de ses combattants par une frappe de drone israélien en envoyant des roquettes sur Israël, le 4 juillet. Comment l’État hébreu pourrait-il réagir ? Son armée, très éprouvée par la guerre à Gaza, a-t-elle encore les capacités pour faire face à un Parti de Dieu mieux équipé et mieux préparé que le Hamas ? Face au chaos qui résulterait d’un nouveau front, l’équilibre de la terreur peut-il encore tenir ? Quel rôle pourraient jouer la France et les États-Unis pour éviter l’embrasement du Liban ? Une analyse de Jean-Loup Samaan.

Depuis le début du mois de juin, l'escalade entre Israël et le Hezbollah libanais a franchi un nouveau seuil, avec des attaques de plus en plus fréquentes et de plus en plus massives. Le 4 juillet dernier, le Hezbollah tirait plus de 200 roquettes sur le nord de l'État hébreu, en réponse à l'assassinat d'un de ses commandants militaires la veille. Après plusieurs mois de tentatives diplomatiques françaises et américaines infructueuses, une sorte de fatalisme imprègne le discours des responsables des deux côtés de la frontière. Aux yeux de beaucoup d'Israéliens et de Libanais, la question n'est désormais plus de savoir si un nouvel affrontement aura lieu mais quand.

Aux yeux de beaucoup d'Israéliens et de Libanais, la question n'est désormais plus de savoir si un nouvel affrontement aura lieu mais quand.

À très court terme, l'obtention d'un cessez-le-feu à Gaza, exigé par le Hezbollah, pourrait réduire les tensions à la frontière israélo-libanaise mais il serait naïf de penser que les deux parties reviendraient alors naturellement au statu quo précédent. Le contentieux entre Israël et le Hezbollah est ancien et obéit à sa propre logique. Pour de nombreux décideurs politiques et militaires israéliens, il n'est plus possible de tolérer la menace du Parti de Dieu.

Quelques jours après les attaques du Hamas en octobre dernier, le ministre de la défense Yoav Gallant avait envisagé une attaque préventive contre le Hezbollah. Yoav Gallant postulait que face à l'échec tragique de Tsahal à dissuader une attaque de grande ampleur du Hamas, Israël ne pouvait plus prendre le risque de croire en un statu quo avec le Hezbollah. Autrement dit, si le Hamas était capable de commettre les atrocités du 7 octobre, qu'est-ce qui pouvait garantir que le Hezbollah ne serait pas tenté de suivre un tel mouvement ? L'option préventive avait été alors rejetée, semble-t-il en grande partie par les deux centristes (et anciens généraux) membres du cabinet de guerre, Benny Gantz et Gadi Eizenkot, ainsi que l'administration Biden. Néanmoins, elle n'a pas disparu et imprègne clairement les débats dans les cercles militaires israéliens.

Pour le nouveau gouvernement français qui doit désormais être formé à l'issue des élections législatives, l'hypothèse d'une nouvelle guerre entre Israël et le Hezbollah pourrait bien être l'une des premières grandes crises internationales qu'il devra gérer.

Une escalade continue depuis le 7 octobre 2023

Pour saisir l'engrenage duquel Israël et le Hezbollah semblent aujourd'hui incapables de sortir, il faut revenir à la situation qui prévalait avant les attaques du Hamas le 7 octobre 2023. Depuis la guerre de 2006, la "ligne bleue", délimitant la frontière israélo-libanaise, était restée relativement calme. Le Hezbollah s'était largement réarmé mais à partir de 2011, ses combattants s'étaient surtout engagés sur le théâtre syrien pour soutenir le régime de Bachar al-Assad face aux rebelles. De son côté, l'armée israélienne s'était focalisée sur la bande de Gaza, où les opérations contre le Hamas ont rythmé les deux dernières décennies.

Ce statu quo ne signifiait pas que les deux parties avaient réglé leurs différends. En réalité, c'est la logique de la dissuasion mutuelle qui permettait d'éviter une nouvelle déflagration : les dirigeants israéliens, comme ceux du Hezbollah, ne souhaitaient pas revivre la guerre de 2006 et avaient conscience qu'un nouvel affrontement serait pire que le précédent.

Bon an mal an, cet équilibre a tenu jusqu'au 7 octobre 2023. Or, les attentats perpétrés par le Hamas et la guerre à Gaza ont ébranlé les certitudes des deux côtés. Non sans hésitations, le Hezbollah s'est senti obligé d'exprimer sa solidarité envers les combattants palestiniens et s'est mis dans les jours suivants à tirer des roquettes sur Israël. Au départ, ces attaques étaient symboliques, n'atterrissant que dans des zones inhabitées. Dans son premier discours, le 3 novembre, le secrétaire général du mouvement, Hassan Nasrallah, faisait montre d'une grande prudence : en substance, il affirmait que le Hezbollah soutenait la cause palestinienne mais n'entraînerait pas le Liban dans la spirale d'un conflit régional.

Quand bien même le Hezbollah affirme qu'il ne souhaite pas une nouvelle guerre avec Israël, il présente désormais pour l'État hébreu un profond dilemme de sécurité. La multiplication des attaques à la roquette sur le nord israélien a non seulement conduit à une intensification des frappes de Tsahal sur les positions du Hezbollah au sud Liban, elle a aussi et surtout entraîné un exode des populations. Environ 90 000 Libanais et 70 000 Israéliens ont abandonné leur résidence et vivent temporairement dans des hôtels ou chez des proches. De facto, les affrontements ont créé un champ de bataille qui s'étend sur près de 20 kilomètres des deux côtés de la frontière et où les civils ne peuvent plus vivre.

La prolongation de cette crise est désormais devenue un enjeu de politique intérieure en Israël : beaucoup de résidents évacués s'indignent d'un abandon de leur gouvernement et s'inquiètent de la scolarité discontinue de leurs enfants. Ce mécontentement ne cesse de s'amplifier alors que la fréquence et l'intensité des attaques des deux côtés ont fortement augmenté au fil des mois. Les Libanais, de leur côté, apparaissent résignés face à l'impuissance de leur État à changer la donne vis-à-vis du Hezbollah.

Quand bien même le Hezbollah affirme qu'il ne souhaite pas une nouvelle guerre avec Israël, il présente désormais pour l'État hébreu un profond dilemme de sécurité.

Pendant ce temps, les États-Unis et la France ont multiplié les initiatives diplomatiques pour mettre un terme à l'escalade. L'objectif de ces tentatives porte sur le redéploiement des forces du Hezbollah au nord du fleuve Litani, conformément à la résolution 1701 de l'ONU qui avait mis un terme à la guerre de 2006. Sur le papier, l'objectif est réaliste. Or le gouvernement libanais, interlocuteur par défaut de la diplomatie occidentale, est incapable d'imposer de telles mesures au Hezbollah. En outre, ce dernier argue que la condition préalable à toute tractation serait l'obtention d'un cessez-le-feu à Gaza - ce que les Israéliens refusent de considérer comme un élément de négociation sur le front libanais.

Face à l'échec de la diplomatie occidentale, le discours israélien s'est fortement durci et Tsahal a signalé être prêt à tout moment à lancer une opération sur le Liban.

Un scénario de guerre sans précédent

S'il devait advenir, un affrontement entre Israël et le Hezbollah serait très différent de ce que l'on a observé jusqu'ici à Gaza. Le Hezbollah reste aux yeux des militaires israéliens la plus redoutable force arabe qu'ils aient affrontée. Depuis la guerre de 2006, le parti de Dieu s'est muni d'un arsenal de roquettes (plus de 150 000 selon les services israéliens et américains), mais aussi de missiles balistiques de courte portée et de drones, sans équivalent pour un acteur non-étatique. Ces capacités sont plus nombreuses et plus précises que celles opérées par le Hamas.

Le Hezbollah n'est pas seulement mieux équipé que le Hamas, il est aussi mieux entraîné. Le mouvement palestinien s'est en réalité largement inspiré des troupes d'élite du Hezbollah, les unités Radwan, pour former celles qui ont conduit les attentats du 7 octobre dernier. En outre, les forces du Hezbollah bénéficient d'une expérience combattante majeure en Syrie : au cours de la décennie écoulée, ses combattants ont mené une véritable campagne contre-insurrectionnelle au service du régime syrien de Bachar al-AAssad. Ce faisant, ils ont appris à se battre aux côtés des Gardiens de la Révolution Islamique iraniens mais aussi de l'aviation russe déployée en Syrie après la décision de Moscou de sauver le dictateur syrien en 2015.

Tout cela est connu de la hiérarchie militaire et des services de renseignement israéliens, qui ont toujours fait du Hezbollah une de leurs priorités, contrairement au Hamas, jugé (à tort) comme un irritant secondaire plutôt qu'une menace sérieuse.

Par conséquent, face à un tel ordre de bataille, quelle forme pourrait prendre l’affrontement ? Vraisemblablement, l'armée israélienne se focaliserait sur deux objectifs : réduire les arsenaux du Hezbollah et repousser ses combattants au nord du Litani. Dans le premier cas, cela impliquerait une vaste campagne aérienne qui irait bien au-delà du sud Liban. Elle inclurait des cibles à Beyrouth et sa banlieue, depuis laquelle opère la hiérarchie militaire et politique du Hezbollah. Ces cibles se trouvant au milieu des populations civiles, les dommages collatéraux seraient considérables. Il est fort probable que l'aviation israélienne viserait également des infrastructures civiles ou gouvernementales libanaises, notamment l'aéroport de Beyrouth : celui-ci avait été frappé dès les premiers jours du conflit en 2006 et le Hezbollah est soupçonné d'y stocker une partie de son arsenal.

L'armée israélienne se focaliserait sur deux objectifs : réduire les arsenaux du Hezbollah et repousser ses combattants au nord du Litani.

Depuis des années, les dirigeants israéliens, de Benny Gantz à Benjamin Netanyahou, affirment qu'en cas de guerre, ils ne feront pas de distinction entre le gouvernement libanais et le Hezbollah. Selon la logique israélienne, les gouvernements successifs au Liban se sont rendus complices des agressions du Parti de Dieu, en acceptant l'hégémonie militaire de ce dernier sur son territoire.

Dans un tel scénario, la grande inconnue est le rôle des États-Unis : il est difficile de déterminer jusqu'à quel point l'administration Biden tolérerait une campagne aérienne qui ne discriminerait pas entre le Hezbollah et le gouvernement libanais. Contrairement à la situation à Gaza sous contrôle du Hamas, Washington entretient des relations avec le pouvoir à Beyrouth et joue notamment un rôle direct dans la formation de l'armée libanaise. C'est ce qui en 2006 avait conduit l'administration de George W. Bush à faire pression sur Israël pour mettre un terme à son offensive de l'époque.

Le deuxième objectif, forcer un redéploiement des combattants du Hezbollah au nord du fleuve Litani afin de rétablir la zone tampon démilitarisée au sud-Liban exigée par la résolution 1701, serait tout aussi compliqué. Il ne peut être atteint sans un engagement au sol des troupes israéliennes. Une opération terrestre de ce type rappelle l'invasion israélienne du Liban en 1982 qui entendait déjà établir une "zone de sécurité" afin de protéger le nord du pays contre les attaques, à l'époque, de l'OLP de Yasser Arafat. L'opération était rapidement devenue un bourbier, qui avait favorisé la naissance en 1985 du Hezbollah en réaction à l'occupation israélienne. Celle-ci ne s'était achevée qu'en 2000 à l'issue d'une décision unilatérale de retrait du premier ministre Ehud Barak.

Une telle opération exposerait l'infanterie israélienne à un combat difficile face à des soldats du Hezbollah qui afficheraient une résistance plus redoutable que celle des miliciens du Hamas. En outre, un tel scénario sous-entend une mobilisation massive des réservistes israéliens : armée d'appelés, Tsahal dépend de ces derniers depuis le 7 octobre dernier, et ce dans des proportions sans précédent. À Gaza, le recours aux réservistes pour de longues campagnes a déjà dévoilé ses effets délétères avec les problèmes récurrents de discipline des soldats souvent peu expérimentés, ou encore la suspension de l'activité économique pour la société israélienne. En réalité, le recours à la réserve, nécessaire pour un petit État comme Israël, a été conçu dans l'hypothèse de conflits de courte durée tels que les guerres de 1967 ou 1973. Une nouvelle guerre, cette fois-ci sur le front nord, mettrait donc sous pression un modèle d'armée israélien, qui a déjà atteint ses limites après neuf mois de guerre à Gaza.

Il faut enfin ajouter à ces paramètres la réponse du Hezbollah lui-même. En 2006, le mouvement était capable jusqu'aux derniers jours du conflit de frapper avec ses roquettes le nord d'Israël. Dans l'hypothèse d'un nouveau conflit, le mouvement procéderait à des attaques dont l'intensité se calerait sur celle de la campagne aérienne israélienne. Depuis de nombreuses années, le Hezbollah affirme être en mesure de viser non seulement les grands centres urbains israéliens (Haïfa, Jérusalem, Tel Aviv) mais aussi ses infrastructures portuaires, ses réseaux électriques.

Face à la quantité et la qualité de cet arsenal, la défense aérienne israélienne ne pourrait garantir ni la protection de ses citoyens ni la permanence de ses infrastructures. On estime qu'en cas de guerre de haute intensité, le mouvement pourrait conduire des attaques continues de milliers de roquettes sur Israël pendant plusieurs jours, voire semaines. De telles attaques seraient sans précédent pour l'État hébreu (ou pour quelque État au monde) et mettraient à mal son dispositif de défense.

Le Hezbollah affirme être en mesure de viser non seulement les grands centres urbains israéliens (Haïfa, Jérusalem, Tel Aviv) mais aussi ses infrastructures portuaires, ses réseaux électriques.

Une telle quantité saturerait rapidement les batteries du Dôme de fer. Par ailleurs, les centaines de drones et missiles balistiques opérés par le Hezbollah seraient encore plus difficiles à intercepter. Par conséquent, les civils israéliens se préparent déjà à l'hypothèse de vivre pendant plusieurs semaines dans des abris anti bombes.

Enfin, au-delà du Hezbollah, se pose la question d'une intervention iranienne. Les dirigeants à Téhéran laissent eux-mêmes planer le doute sur la possibilité de leur intervention en soutien à leurs coreligionnaires du Hezbollah. Celle-ci ne serait pas automatique. L'Iran n'est jamais intervenu directement pour soutenir le Hezbollah dans les guerres précédentes. Vraisemblablement, un tel conflit verrait Téhéran inciter ses partenaires non-étatiques au Yémen, en Irak et en Syrie à lancer des attaques conjointes sur le sol israélien. Pour autant, le régime iranien qui doit composer avec la prise de fonction d'un nouveau président, éviterait très probablement de rentrer dans un conflit frontal avec Israël.

Les modalités d'un retour au statu quo ante

On l'aura compris, les conséquences humaines, économiques et stratégiques d'un conflit entre Israël et le Hezbollah seraient catastrophiques. Pour l'instant, c'est la raison principale pour laquelle celui-ci n'est jusqu'ici pas advenu : le gouvernement israélien comme le Hezbollah sont conscients qu'une telle guerre ne permettrait pas une victoire décisive mais au contraire engendrerait des niveaux de destruction sans précédent pour les deux pays. On peut donc affirmer que l'idée de dissuasion, autrement dit d'équilibre de la terreur, entre les deux parties reste opérante.

Mais on ne peut pas s'en remettre uniquement à la foi en le pouvoir stabilisateur de la dissuasion. Aux côtés des États-Unis, la France a plus que jamais un rôle à jouer pour créer les conditions d'une dé-escalade et un retour au statu quo d'avant le 7 octobre 2023. Si Washington est l'allié essentiel d'Israël, la France est la seule à maintenir pour sa part des canaux d'échange avec l'ensemble des acteurs impliqués - y compris le Hezbollah.

Paris et Washington doivent donc travailler ensemble à la refonte et au renforcement de la force d'interposition de l’ONU pour la zone. Au cours des années qui ont suivi le conflit de 2006, la FINUL a joué un rôle essentiel de médiateur entre les parties impliquées. Néanmoins, elle souffre d'un manque d'effectifs (environ 10 000 soldats au lieu des 15 000 prévus au départ). Sa capacité à assurer la démilitarisation du sud-Liban s'est toujours heurtée à la capacité du Hezbollah à cacher ses arsenaux au sein des habitations et des infrastructures civiles. Compte tenu de l'urgence de la situation, il est nécessaire de non seulement retourner à l'esprit de la résolution 1701 mais d'élargir les responsabilités et les ressources de la FINUL. Certaines de ces modalités peuvent être appliquées sans même modifier le mandat de la force auprès du Conseil de Sécurité.

À plus long terme, le conflit entre Israël et le Hezbollah ne pourra être résolu sans une véritable réforme de l'État libanais, et en particulier de son armée régulière. Plus de trente ans après la fin de la guerre civile, le Hezbollah reste le seul acteur non-étatique à ne pas avoir déposé les armes et à embarquer régulièrement l'ensemble du pays dans ses aventures militaires. L'armée libanaise n'est pas incompétente : en 2017, au pic de la guerre civile syrienne, elle s'est montrée efficace dans des opérations frontalières contre des groupes jihadistes. Il est temps néanmoins qu'elle assure, enfin, le monopole légitime de la violence pour le Liban.

Copyright image : Kawnat HAJU / AFP

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