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07/10/2024

Un an après le 7 octobre, 4 points sur la situation au Proche-Orient

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Un an après le 7 octobre, 4 points sur la situation au Proche-Orient
 Jean-Loup Samaan
Auteur
Expert Associé - Moyen-Orient

Le 7 octobre marque la première année d’un conflit causé par l’assaut terroriste du Hamas, (1 160 victimes, 251 otages) et qui a profondément bouleversé le Moyen-Orient. Les perspectives d’une issue prochaine, alors qu’environ 40 000 morts sont recensés à Gaza et que le Liban s’est embrasé, semblent peu probables. Que change l’opération "Flèche du Nord-Liban" engagée depuis le 23 septembre ? Quelle place occupe désormais Gaza dans la stratégie d'Israël ? Comment pourraient évoluer les relations d’Israël avec ses alliés ? Enfin, quel état des lieux peut-on dresser de la situation domestique d’Israël ? Entretien avec Jean-Loup Samaan.

Hezbollah, l’ennemi n°1 : retour impossible au statu quo ante

Après des mois d’affrontements de basse intensité, la guerre larvée entre le Hezbollah et Israël, menée en parallèle de la guerre à Gaza, a changé de nature à la fin septembre. L’intensification de la campagne aérienne israélienne, l’assassinat ciblé des leaders du Parti de Dieu - et en particulier de son chef Hassan Nasrallah-, et le lancement d’une invasion terrestre du sud-Liban ont rendu définitivement caducs les espoirs de garder le Liban à l’écart du conflit commencé il y a un an. L’ouverture de ce second front ferait presque passer la situation à Gaza, pourtant toujours aussi chaotique, au second plan. Revirement de l’approche pour l’État hébreux ? Il s’agit plutôt d’un retour aux priorités stratégiques israéliennes avant le 7 octobre 2023. En effet, le débat israélien a toujours moins porté sur le risque représenté par Gaza que sur le Liban, et par extension sur l’Iran. Après les attaques surprises du Hamas, l’idée d’un affrontement inéluctable avec le Hezbollah s’est alors installée au sein de la communauté de sécurité israélienne. Nous retrouvons donc une situation qui avait cours depuis au moins dix ans. Avant le 7 octobre, Gaza n’était pas considérée comme une priorité : le territoire était jugé secondaire politiquement par rapport à la Cisjordanie et la menace du Hamas était jugée être tout au plus une "nuisance" gérable. À l’inverse, le Hezbollah et l’Iran mobilisaient la majeure partie des ressources de l’appareil de sécurité, de l’armée et du renseignement. Cette configuration "classique" que l’on retrouve à présent donne à Israël l’avantage d’exécuter une stratégie élaborée de longue date, contrairement à la guerre de Gaza lancée dans la précipitation au lendemain des attaques du 7 octobre.

Avant le 7 octobre, Gaza n’était pas considérée comme une priorité : le territoire était jugé secondaire politiquement par rapport à la Cisjordanie et la menace du Hamas était jugée être tout au plus une "nuisance" gérable.

En attaquant le Hezbollah au Liban, Israël fait aussi le pari que l’Iran ne voudra pas engager d’action pour soutenir le Parti de Dieu. Cela neutralise en partie la question iranienne, sans régler celle de ses proxies. L’exemple des Houthis au Yémen, qui ne cessent de lancer des missiles balistiques sur Israël, rappelle ainsi qu’il n’existe pas un front unifié et cohérent mais que chaque acteur conduit sa propre stratégie.

La première leçon du front libanais actuel est que le niveau d’acceptabilité de ses vulnérabilités par Israël a changé par rapport à la situation qui prévalait avant le 7 octobre. La guerre a fait voler en éclats la logique de la dissuasion qui avait prévenu l’escalade entre l’État hébreu et le Hezbollah depuis 2006. Le mouvement libanais a certainement sous-estimé le changement de perception israélien et a cru qu’il pouvait mener une campagne d’attaques à la roquette sans subir de représailles massives. Hassan Nasrallah, observateur pourtant attentif de la vie politique israélienne, a ainsi commis une erreur qui lui a été fatale. Pour le gouvernement Netanyahou, la pression devenait intenable alors qu'environ 70 000 civils israéliens ont été évacués des zones à risque. Quel est le seuil de menace - lequel repose davantage sur une appréciation politique, pour ne pas dire psychologique, que militaire, des risques - à partir duquel il sera possible pour eux de revenir au Nord d’Israël ? L’opération en cours entend démanteler les sites du Hezbollah dans le sud du Liban mais on peut craindre que la résolution de la crise s’avère plus compliquée…

Certes, contrairement à l’opération à Gaza, l’objectif israélien au Liban est clair : que le Hezbollah redéploie ses troupes au nord de la rivière Litani, conformément à la Résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations-unies, adoptée à l’issue du conflit israélo-libanais de 2006, et que la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) assure la stabilité de la région. Mais cet objectif final une fois posé, le moyen d’y arriver reste incertain. Pour l’heure, Israël pourrait sans doute s'accommoder d’un affaiblissement du Hezbollah sans exiger sa disparition, mais si des frappes sur Haïfa survenaient, et si elles occasionnaient ne serait-ce "que" quelques dizaines de morts, le scénario d’un affrontement total serait irrécusable. Il est aussi possible que le gouvernement israélien, galvanisé par des premiers succès tactiques au Liban, se laisse tenter par l’idée d’en finir une fois pour toute avec le Hezbollah. C’est de façon similaire que Tsahal s’était retrouvée en 1982 à remonter tout le pays et finir par occuper Beyrouth.

Il n’en reste pas moins un paramètre humain que l’on tend à oublier : jusqu’où Israël serait-il prêt à investir ses troupes au sol dans les opérations au Liban, alors que l’armée est composée à 70 % de réservistes, donc de civils, mobilisés à des niveaux inédits depuis un an ? Face à la multitude des paramètres et des incertitudes, le Liban pourrait être pour Israël un équivalent de ce que fut le Viet-nam pour les États-Unis.

À Gaza, le drame perdure

Aussi bien du côté des médias que de celui des décideurs politiques israéliens, Gaza semble être devenu secondaire, à présent qu’une bonne partie de l’attention de la communauté internationale est portée sur le Liban. L’opinion israélienne n’ignore pas la dimension humanitaire dramatique de l’enclave mais la minore face à une guerre perçue comme existentielle. Cela explique en partie pourquoi la question de la reconstruction de Gaza reste au point mort, d’autant plus que toute solution concertée exigerait un interlocuteur légitime apte à poser et défendre les bases d’un accord politique. Or, une fois écarté le Hamas (qu’il soit détruit ou non, le mouvement islamiste est l’ennemi avec lequel il n'est plus possible de traiter pour les Israéliens), et prenant acte de la délégitimation de l’Autorité palestinienne auprès des Palestiniens comme des Israéliens, quel interlocuteur asseoir au banc des négociations, surtout face à un Benjamin Netanyahou aux positions maximalistes ? Ce dernier a en effet fait du "corridor de Philadelphie", bande de terrain de 14 km de long frontalier entre l’Égypte et Gaza, contrôlé par Le Caire jusqu’à sa prise par Tsahal le 29 mai, un préalable vital à tout cessez-le-feu. Ainsi, alors que tous les regards sont tournés vers le Liban, Gaza pourrait s’enkyster, aggravant un état déjà critique.

Europe, Golfe, États-Unis : quels alliés pour Israël ?

Les trois ensembles qui constituent les principaux soutiens d’Israël, pays européens, pays du Golfe, États-Unis, sont loin d’être alignés.

Avec l'Europe, et tout particulièrement avec la France, l’écart de perception avec Israël n’a fait que se creuser. Depuis Paris, on peine à saisir l’ampleur du choc du 7 octobre sur l’opinion publique de l’État hébreu, et ses conséquences sur la conduite de la guerre à Gaza. On mesure aussi mal le sentiment d’indignation et d’humiliation suscité par l’interdiction faite aux entreprises israéliennes de participer à Eurosatory, le salon international de la Défense et de la Sécurité, qui se tenait du 17 au 22 juin dans notre capitale.

Les trois ensembles qui constituent les principaux soutiens d’Israël, pays européens, pays du Golfe, États-Unis, sont loin d’être alignés.

Plus généralement, les relations politiques d’Israël avec la France sont difficiles. Le relatif bon fonctionnement des canaux diplomatiques entre Paris et Tel-Aviv est de peu d’utilité dans un contexte où les diplomates israéliens sont marginalisés dans leur propre système et où les politiques tiennent l'essentiel du pouvoir. Israël ne considère qu’avec une ignorance polie les propositions pour le Liban émanant de la France et de l’Europe. Il faudrait presque parler, entre la France et Israël, de dissonance cognitive. L’État hébreu, aux prises avec une guerre qu’il considère comme existentielle, estime que ceux qui évoquent le drame humanitaire seraient "sortis de l’Histoire", et seraient incapables de voir qu’Israël n’aurait pas le choix dans une guerre assimilée à la reprise de Mossoul des mains de l’État islamique en 2017 ou au débarquement de 1944, autant de référentiels qui justifient la nature des opérations menées et qui, selon Israël, démontreraient que la proportionnalité de la riposte, principe nodal du droit de la guerre, est respectée. En Israël, le 7 octobre est considéré comme le point originel du conflit en cours, sans être réintégré à une histoire israélo-palestinienne longue de soixante-dix ans. Peu d’observateurs sur place - hormis dans les cercles de gauche - veulent aussi juger l’escalade avec le Hamas à l’aune de l’approche de plus en plus offensive du gouvernement Netanyahou, avant la guerre, en matière de colonisation de la Cisjordanie. Ainsi, alors que les Israéliens se perçoivent comme les Ukrainiens agressés, les Européens les voient plutôt dans le rôle des Russes. Tout cela explique pourquoi Israël ne se préoccupe pas prioritairemente du risque réputationnel et de la détérioration profonde de l’image d'Israël en Europe (voire l’assimile uniquement à une recrudescence de l’antisémitisme). Sa relation avec les agences de l’ONU, au-delà de la seule UNRWA (United Nations Relief and Works Agency), s’est aussi gravement détériorée. Pour autant, les deux alliés principaux, l’Allemagne et les États-Unis, au-delà de l’émotion de leurs opinions publiques, ne remettent pas en cause leur soutien.

Plus lourd de conséquences que la détérioration des liens avec les pays européens, considérés, de toute façon, comme acquis à la cause palestinienne de longue date, le gel des relations avec les pays du Golfe compromet un processus inédit dans lequel Israël plaçait d'importants espoirs. Israël continue à espérer une normalisation des relations avec l’Arabie saoudite à court terme, sans voir qu’en l’absence d’une amorce de processus de paix, il sera impossible à Riyad d’envisager le rétablissement des négociations, à l’instar des Émirats arabes unis qui ont mis en suspens de nombreux projet. Le gouvernement de Benjamin Netanyahou persiste pourtant à s’opposer à la création d’un État palestinien, et bénéficie du soutien de la Knesset, comme le montre une résolution en ce sens approuvée, le 18 juillet, par 68 voix contre 9.

Concernant les États-Unis, le bilan des relations est mitigé : Benjamin Netanyahou, très lié à son soutien américain, a supplanté Winston Churchill comme le dirigeant étatique à s’être le plus exprimé devant le Congrès, passant devant Churchill. Pourtant, lors de sa visite à Washington et de son discours face au Congrès, le 24 juillet, le dirigeant israélien n’a pas bénéficié de relais médiatiques à la hauteur de ses espérances. Dans quelle mesure une victoire républicaine, le 4 novembre, changerait-elle les choses ? Il ne faudrait pas trop exagérer les divergences de vue entre Joe Biden et Kamala Harris, ni même entre les démocrates et Donald Trump. La candidate démocrate n’a pas démontré de réelle volonté à s’opposer à la ligne dure de Benjamin Netanyahou, y compris sur la question controversée des munitions employées à Gaza, et quant au programme de Donald Trump, il se résume, en la matière, à un laconique "il faut finir le job". Continuité des aides et cantonnement à une escalade ciblée et contrôlée resteraient, quoi qu’il en soit, les grandes lignes de la politique américaine sur ce conflit.

Situation politique domestique en Israël : la paradoxale confortation de Benjamin Netanyahou

La dynamique des mobilisations populaires qui avaient tenté de pousser Benjamin Netanyahou vers la sortie, en 2023, au moment des manifestations contre la réforme constitutionnelle, ne se voit plus dans les sondages. Au contraire, les positions du chef de la coalition sortent renforcées de la guerre en cours, non pas tant du fait de sa popularité personnelle que parce que l'opposition n’a aucune figure crédible à mettre en face. Benjamin Netanyahou reste l’acteur incontournable. Benny Gantz, qui est resté jusqu’au mois de juin dans la coalition, n’est pas une alternative foncièrement différente et reste aligné avec le gouvernement sur la question du Liban ou de Gaza.

Benjamin Netanyahou reste l’acteur incontournable. Benny Gantz, qui est resté jusqu’au mois de juin dans la coalition, n’est pas une alternative foncièrement différente.

L’opposition en est réduite à espérer que l’extrême-droite ne fasse exploser la coalition. Or, cette dernière n’y a aucun intérêt. Ni Bezalel Smotrich ni Itamar Ben-Gvir (Sécurité nationale) n’ont l’intention de claquer la porte. L’extrême droite détient, via Bezalel Smotrich, le portefeuille des Finances, par lequel transite le financement de l’Autorité palestinienne, qui se trouve asphyxiée, incapable de payer ses fonctionnaires.

Le risque - l’espoir, du côté des extrémistes - est celui de son implosion, qui conduirait à l’occupation totale par Israël des territoires palestiniens. Autant la gauche et le centre sont divisés sur le bien fondé, ou non, d’occuper Gaza, autant on observe un relatif consensus, en ce qui concerne l’occupation de la Cisjordanie, autrement appelée la Judée et Samarie (selon la terminologie la plus courante en Israël). La perspective d’un futur sans Benjamin Netanyahou semble donc peu d’actualité. En dépit d’une issue incertaine à Gaza, où les objectifs initiaux étaient inatteignables, Benjamin Netanyahou fait le calcul d’engranger le maximum de victoires sur le terrain d’ici l’élection américaine. Les opérations au Liban pourraient à cet égard redorer son blason. À plus long terme, la Cisjordanie demeure la préoccupation principale. C’est bien parce que les troupes israéliennes étaient concentrées sur le territoire palestinien, après que Benjamin Netanyahou avait approuvé la plus grosse extension en Cisjordanie depuis les années 90, que l’armée s’est laissée surprendre le 7 octobre. La guerre n’a pas enrayé cette tendance : la colonisation s’est encore accélérée, et les collusions entre l’armée, ses réservistes et les colons sont de plus en plus inquiétantes.

Propos recueillis par Hortense Miginiac

Copyright image : Abir SULTAN / POOL / AFP
Benjamin Netanyahou et son ministre des Finances Bezalel Smotrich à Jérusalem, le 25 juin 2023

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