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Argentine - Javier Milei, phase 2 : les défis qui résistent à la tronçonneuse présidentielle

Argentine - Javier Milei, phase 2 : les défis qui résistent à la tronçonneuse présidentielle
 Alexandre Marc
Auteur
Expert Associé - Amériques et développement

Le 26 octobre, presque deux ans après l'élection à la présidence de Javier Milei, les Argentins renouvelaient la moitié de leurs députés nationaux et le tiers de leurs sénateurs. Ces élections de mi-mandat représentaient une sorte de passage de la Mer rouge pour celui qui se compare volontiers à Moïse. Pourtant, derrière la victoire et malgré le soutien de l'indispensable allié américain, les défis s'amoncèlent pour l'émule de Trump : casse-tête de la stabilisation des changes et de l'inflation, réformes macro-économiques en souffrance, scandales à répétition, sans parler d'un style éruptif qui commence à passer de mode.

Une victoire incontestable malgré un taux de participation décevant

Les législatives de mi-mandat : elles étaient l’échéance que tous attendaient, un passage de la Mer Rouge pour celui qui se compare volontiers à Moïse. L’épreuve a incontestablement été franchie, et avec succès : La Libertad Avanza (LLA), le parti de Javier Milei, président de l’Argentine depuis le 10 décembre 2023, a fait mieux que ne le prédisaient la plupart des sondages : 40,68 % des votes pour la chambre des députés, 42,64 % pour le Sénat, pourcentages qui correspondent à peu près aux taux d'approbation du président qui ressortent des enquêtes depuis juillet. La victoire ne constitue donc pas une surprise totale. 

On sera en revanche plus étonné par l’effondrement de l’opposition constituée par la gauche péroniste : elle n’a obtenu que 31,69 % des voix à la chambre des députés et 28,5 % des voix au Sénat. Les péronistes ont même été devancés par La Libertad Avanza dans leur bastion de la région de Buenos Aires : c’est leur pire défaite depuis 1983. Il est vrai que le parti est plongé dans une crise profonde, marquée par des désaccords entre ses dirigeants, un manque de vision notoire, et la condamnation par la justice de l’ancienne présidente de la République, Cristina Fernandez de Kirchner, interdite à vie de se présenter à des élections et détenue à domicile pour une vieille affaire de corruption dans l’attribution de marché public. La victoire inattendue de Mileil est d’ailleurs largement imputable à la crainte, partagée par les Argentins, d’un retour en arrière à l’époque du kirchnerisme - une sorte de péronisme radicalisé. C’est ainsi que la Libertad Avanza et ses alliés politiques du PRO, le parti de centre droit de l’ancien Président Mauricio Macri, ont maintenant 93 députés sur 257 et 20 sénateurs sur 72. La Libertad Avanza ne possédait que 10 députés et 1 sénateur dans l’ancienne législature.

La victoire inattendue de Mileil est d’ailleurs largement imputable à la crainte, partagée par les Argentins, d’un retour en arrière à l’époque du kirchnerisme.

Le basculement est important mais atténué par l’organisation des institutions argentines. Le Sénat se renouvelant par tiers et la chambre des députés par moitié à chaque élection, une partie importante de l’ancienne législature se maintient en place.

Si Milei possède désormais une majorité suffisante parmi les députés et les sénateurs pour éviter que ses vetos ne soient remis en question, il ne détient la majorité absolue dans aucune des chambres. Le président est dans une position plus confortable mais n’est pas exonéré de négocier avec les nombreux petits partis locaux et les puissants gouverneurs de province s'il veut passer son ambitieux programme de réformes législatives. Il va aussi devoir prendre en compte les positions de ses alliés du PRO - Propuesta Republicana, un parti de centre droit fondé par l’ancien Président Mauricio Macri en 2005, ce qu’il a rarement fait dans le passé. La capacité de nuisance des péronistes n’est pas non plus négligeable, sans compter que la Libertad Avanza voit son enthousiasme tempéré par un taux de participation décevant : 68 % - le taux de participation le plus bas depuis 1983 - dans un pays où, pourtant, le vote est obligatoire. Les Argentins semblent pris d’une certaine lassitude démocratique, et aucun des candidats, quel que soit leur bord, n’a réussi à mobiliser pleinement les électeurs.

Une fois ajoutées ces concessions de rigueur, il n’en reste pas moins que la victoire de Milei est incontestable. On ne saurait pas en comprendre les raisons en passant sous silence les élections locales de la région de Buenos Aires, en septembre 2025, que LaLibertad Avanza avait perdues avec plus de 14 points d’écart contre les péronistes. Cette défaite fut un électrochoc pour tous ceux qui, bien que n’appréciant guère Milei, voulaient à tout prix éviter de donner les manettes du pouvoir aux kichneristes. De même, les investisseurs internationaux se sont vivement alarmés, d’où le soutien exceptionnel des États-Unis pour éviter l’effondrement du peso : Donald Trump a d'ailleurs conditionné une injection de 20 milliards de dollars dans les finances argentines à la victoire électorale de son allié.

Le style politique de Milei, combatif, anarchique et provocateur, a un certain succès sur le terrain mais abîme aussi la confiance de la majorité des Argentins (les enquêtes d’opinions le révèlent), et celle des investisseurs internationaux dans la capacité de construire les coalitions au parlement, essentielle pour mener les réformes en profondeur qui sont urgentes. Il faut ainsi interpréter ces élections législatives pour ce qu'elles sont : une chance donnée par les électeurs au Président pour qu’il continue ses réformes, le signe de la peur d’un retour en arrière, mais aussi un avertissement. Le président doit absolument corriger le tir et il n’aura probablement pas de seconde chance dans deux ans, au moment de la prochaine présidentielle.

Une dégradation récente de la situation économique

Depuis deux années qu’il est au pouvoir, Milei a fait naître beaucoup d’espoirs. La première année de son mandat a signé le retour des grands équilibres macroéconomiques et surtout la réduction de l’inflation dramatique qui sévissait dans le pays : elle est passée de près de 200 % qui avaient cours à son arrivée au pouvoir à 31 % aujourd’hui en chiffre annuel. La majeure partie de la population a consenti à d’importants sacrifices en termes de pouvoir d’achat et a accordé au président sa confiance, en espérant une amélioration économique. Milei les avait prévenus qu’il fallait s’attendre à des temps durs, et les Argentins y étaient prêts : avec environ 50 % de taux d’approbation durant les dix-huit premiers mois de son mandat, Milei a conservé une cote de popularité très élevée malgré la sévérité de l’ajustement économique.

Après avoir réussi à stabiliser le taux de change et à faire baisser considérablement l’inflation en rétablissant les équilibres budgétaires, le gouvernement argentin a obtenu le soutien du FMI à hauteur de 20 milliards de dollars le 30 mars 2025. Ce soutien s’est accompagné d’autres financements multilatéraux qui ont haussé le programme d’appui à l’Argentine au niveau considérable de 42 milliards de dollars. Le FMI a félicité le pays pour son programme de stabilisation, saluant "d’impressionnants progrès". L’accord prévoyait la mise en place d’un taux de change flottant dans une bande comprise entre 1000 et 1400 pesos par mois, qui devait augmenter de 2 % par mois, augmentation ensuite ramenée par le gouvernement à 1  %.

Le système a semblé fonctionner durant la première année du mandat de Milei, et le peso s’est maintenu dans la fameuse bande de fluctuation - "banda cambiaire" - par laquelle on désigne les limites de variation du taux de change du peso par rapport au dollar, établi par le gouvernement. La croissance a repris de la vigueur à la fin de 2024, date à laquelle le FMI prévoyait même une croissance de près de 6 % pour 2025. Milei a réduit de nombreuses impositions bureaucratiques mises en place par ses prédécesseurs, fait baisser certains impôts, libéralisé les mouvements de capitaux et mis en place une amnistie fiscale pour ceux qui ramenaient leurs capitaux en Argentine ou les sortaient de sous leurs matelas. Cela a permis aux banques d’offrir du crédit, notamment hypothécaire, qui avait pratiquement disparu. Le marché immobilier a repris et les loyers ont baissé tandis que les offres d’appartements se multipliées

La croissance a repris de la vigueur à la fin de 2024, date à laquelle le FMI prévoyait même une croissance de près de 6 % pour 2025.

Mais le peso a vite commencé à se renforcer par rapport au dollar encouragé par les interventions indirectes de la Banque centrale et les opportunités que la croissance offrait pour les acteurs économiques.

Les Argentins, désireux de profiter de leur taux de change avantageux, se sont précipités dans les pays voisins pour faire des affaires et consommer des produits beaucoup moins chers qu’en Argentine. La frontière avec le Chili, soudain devenue un supermarché géant pour les Argentins, s’est trouvée embarrassée de queues considérables ; la contrebande de produits de consommation courante, de la machine à laver au papier hygiénique, a connu un boom extraordinaire à la frontière de la Bolivie et du Paraguay. En revanche, du fait du renchérissement des prix, le tourisme international a chuté de près de 20 %, tandis que les Argentins ont passé leurs vacances à l’étranger, mettant en difficulté toute la filière tourisme. Le gouvernement, en réduisant les taxes sur les importations et en libéralisant les transferts monétaires, a accéléré cette ruée sur les importations et les achats à l’étranger.

Ainsi, dès juin-juillet, la situation macro-économique a commencé à se dégrader. À l’approche des élections à mi-mandat, les Argentins se sont persuadés que le gouvernement allait devoir dévaluer le peso faute de réserves suffisantes pour maintenir le cours de la monnaie à l’intérieur de la fameuse bande de fluctuation. Simultanément, le flux d’importation à bas prix a mis en difficulté les industries produisant pour le marché local, dont beaucoup de PME.

Les derniers mois ont été difficiles pour le Président. Son taux d’approbation dans les sondages est tombé aux alentours de 40 %. Une série de scandales, combinés avec la dégradation d’un certain nombre d’indicateurs (notamment une croissance économique quasi nulle au mois d'août et de septembre). Le FMI a révisé ses prévisions pour 2025 à la baisse, pour les établir à 4,5 %.

La défaite de Milei aux élections locales dans la province de Buenos Aires, en septembre dernier, et les mauvais résultats économiques des deux derniers mois, ont créé une crise de confiance dans le gouvernement. À l’annonce des résultats, les acteurs économiques, qui anticipaient la défaite de Milei aux élections législatives, se sont rués sur le dollar

Pour répondre à cette demande massive, la banque centrale a dû épuiser ses maigres réserves : elle aurait dépensé près de deux milliards de dollars en quelques jours. Face à l’urgence, Milei s’est envolé pour Washington afin de demander l’aide de l’allié Donald Trump.

Les États-Unis ont répondu immédiatement à l’appel, avec l’établissement d’un Swap de devises par le Trésor américain pour un montant de 20 milliard de dollars. Il est très rare que l’on mette en place un mécanisme de Swap pour aider un pays à revenu moyen et cet engagement ne manque pas de surprendre. L’Argentine ne présente guère d’intérêt stratégique pour les États-Unis. Le pays n’est pas une source d’émigration, n’exporte pas de drogue mais en revanche fait figure de concurrent sérieux pour l’agriculture américaine notamment dans la filière soja, dont l’Iowa est un grand producteur. S'agissait-il de réduire l’influence de la Chine en Amérique latine ? La raison est plus probablement idéologique : soutenir un allié proche du mouvement MAGA. Trump a justifié son soutien en rappelant que Milei était un de ses partisans les plus fervents.

Quoi qu'il en soit, l’Argentine ne fait pas exception dans les décisions prises par Donald Trump : ses raisons d’agir et les influences à l'œuvre demeurent obscures.

Peut-être aussi faut-il y voir une raison d’ordre plus personnel, comme l’a sous-entendu Paul Krugman, prix Nobel d’économie et ancien chroniqueur du New York Time. Selon lui, il y a, à Wall Street, beaucoup d’amis de Scott Bessent, secrétaire au Trésor Américain, dont les portefeuilles contiennent de nombreux actifs argentins. Quoi qu'il en soit, l’Argentine ne fait pas exception dans les décisions prises par Donald Trump : ses raisons d’agir et les influences à l'œuvre demeurent obscures.

Comme il en va de même pour le président argentin, le vrai motif de ce sauvetage restera sans doute inconnu. Il est en tout cas tombé à point nommé pour Milei.

L'Argentine est loin d'être tirée d'affaires car elle n’arrive pas à accumuler suffisamment de réserves en devises pour pouvoir payer ses dettes à venir et elle ne peut emprunter sur le marché privé international car le risque pays est trop élevé. Sa situation reste donc extrêmement fragile avec une balance des capitaux structurellement déficitaire. Dès le lendemain des élections nationales, la ruée vers le dollar a pris fin et le cours du peso est remonté de près de 10 %, tandis que les actions argentines se renflouaient et reprenaient près de 23 % de leur valeur, les bons du trésor quant à eux remontant en flèche. Les États-Unis n’avaient plus besoin d’intervenir. 

De grands défis post-électoraux

Milei ayant gagné les élections, la ruée sur le dollar a pour le moment pris fin. Les défis économiques et politiques demeurent et la seconde partie du mandat présidentiel dépendra du succès des réponses qu’on leur apportera : établir une politique du taux de change optimal, montrer que l’ajustement produit un effet positif palpable sur la situation économique des ménages, parvenir à mettre en œuvre des alliances politiques solides afin de conduire à bien un ambitieux programme de réformes

La politique du peso fort en question

Le président, arrivé au pouvoir en promettant qu’il allait dollariser l’économie argentine et qui répétait à qui voulait l’entendre que le peso ne valait rien, a finalement agi à l’opposé de ce qu’il avait annoncé. Il s’est lancé dans une politique de soutien sans condition au peso avec comme objectif unique la réduction de l’inflation. Cela devait, selon le gouvernement, pousser les acteurs économiques à abandonner progressivement le dollar comme valeur refuge et les encourager à épargner dans la monnaie nationale. Pour un un pays dont l’histoire est marquée par les crises économiques et financières et qui est celui qui a connu le plus grand nombre de programmes de sauvetage du FMI, rétablir la confiance dans la monnaie nationale est un défi colossal

Juan Pablo Spineto, éditorialiste pour Blomberg, souligne que l’Argentine est un pays bi-monétaire où les acteurs économiques, même les plus modestes, opèrent en deux monnaies, le peso et le dollar. Tout le monde spécule et passe d’une monnaie à l’autre au gré des évènements. Dès lors que les Argentins possèdent, en Argentine et à l’étranger, l’équivalent de 450 milliards de dollars, le peso souffre d’une fragilité structurelle.

Une baisse des taux de change de la monnaie nationale se traduit immanquablement par une montée des prix sur les marchés nationaux puisque les Argentins pensent en dollars et ajustent la valeur des produits qu’ils mettent en vente en fonction du prix de cette devise. Maintenir un peso fort contribue donc à réduire l’inflation mais épuise les précieuses réserves en dollars dont le gouvernement a besoin pour payer sa dette. Le peso fort fait également baisser le coût des importations, ce qui menace les industries qui produisent pour le marché local.

La plupart des économistes et les représentants des institutions financières internationales, comme le FMI, considèrent que le gouvernement doit laisser le peso flotter car il serait surévalué. Même si le gouvernement n’intervient pas directement pour le soutenir, la Banque Centrale et le Trésor mènent de nombreuses interventions indirectes pour soutenir le peso, comme par exemple sur les marchés de devises à terme. De ce fait, le gouvernement dépense les précieuses réserves de change en dollars dont il a besoin pour payer les échéances de dettes qui sont particulièrement élevées pour 2026 et 2027. Il accroît les risques d’une ruée sur le dollar, les acteurs économiques craignant une dévaluation très forte en l’absence de réserves.

Les Argentins pensent en dollars et ajustent la valeur des produits qu’ils mettent en vente en fonction du prix de cette devise.

Quelques économistes estiment toutefois que le peso est moins surévalué qu’il n’y paraît : ils se réfèrent à l’index du taux de change réel effectif qui, après une chute importante durant le premier semestre 2024, a commencé à remonter et indique une amélioration de la compétitivité de l’économie argentine.

Seulement, cet index ne dit rien de la capacité du système productif intérieur à résister à l’assaut massif des importations à bon marché : c’est la menace qui pèse actuellement le plus sur la croissance argentine.

Milei prévoit de mettre en place une refonte du système fiscal, des réformes du code du travail, des retraites, de l’administration, des entreprises publiques. Celles-ci, essentielles pour améliorer la croissance à long terme de l’économie, vont prendre du temps à être conçues, acceptées, et mises en place. Les deux ans qui restent à Milei avant de parvenir au terme de son mandat n’y suffiront probablement pas. Maintenir un peso fort durant tout l'intervalle en attendant que les réformes améliorent de manière tangible la compétitivité de l’économie risque de se solder par la destruction d'une partie du système productif argentin, notamment les PME et les industries qui produisent pour le marché local - en admettant que le gouvernement dispose de suffisamment de réserves de change pour maintenir un peso élevé sans provoquer de nouvelle ruée sur le dollar.

Il faudra que l’Argentine trouve la bonne stratégie pour gérer la période de transition qui se dessine entre la relative stabilisation de l’économie et la véritable reprise de la croissance qui suivra un succès des réformes de structure.

La plupart des économistes s’accordent à considérer que la dévaluation est la seule solution pour éviter la déperdition de devises : inévitablement, la contrepartie est d’accepter que l’inflation ne se réduise que progressivement.

L’urgence d’une amélioration du pouvoir d’achat de la population

La croissance économique est pour le moment très inégalement répartie à travers les secteurs et génère peu d’emploi. La croissance est portée par l’agriculture d’exportation qui a bénéficié de bonnes conditions climatiques en 2025, par le secteur minier qui a profité de nouveaux investissements et par l’énergie, où l’on voit enfin les bénéfices des investissements passés (exportations de gaz et de pétrole). La croissance reste en berne dans de nombreux autres secteurs et la politique du peso élevé renforce cette situation.

Pour de nombreux ménages, les résultats économiques se font attendre. Les chiffres de l’INDEC, l’Institut de la statistique, montrent que si le pouvoir d’achat a commencé à se stabiliser, de grandes différences demeurent entre groupes sociaux. Plus de la moitié des retraités ont perdu en pouvoir d’achat par rapport à 2023, pourtant année noire de la crise inflationniste. Beaucoup d’employés du secteur public n’ont pas non plus retrouvé leur pouvoir d’achat d’avant 2024 et peinent à boucler les fins de mois. En revanche, la baisse relative des prix de l’immobilier et des locations a donné plus de marge de manœuvre aux jeunes et les employés du secteur privé formel ont retrouvé en moyenne leur niveau de pouvoir d’achat d’avant la crise.

Le taux de chômage reste stable, aux environs de 7 %, mais l’emploi informel a beaucoup augmenté. Enfin, le maintien des allocations familiales au niveau de l’inflation a permis de stabiliser la pauvreté à 31,6 %, niveau encore très élevé mais bien inférieur à celui de 2024 et 2023. Les secteurs de la santé et de l’éducation publiques, en particulier les universités, souffrent du manque de moyens. Peu avant les législatives, le parlement avait voté une hausse des dépenses en faveur des universités et des hôpitaux pédiatriques et rassemblé suffisamment de voix pour remettre en question le veto du Président : premier avertissement envoyé à la politique d’austérité.

Pour relancer la croissance et favoriser la relance en attendant l’impact des réformes en profondeur, un taux de change plus flexible sera donc nécessaire : le gouvernement met beaucoup d’espoir dans un accroissement des investissements par le secteur privé national et international. Or, sans stabilisation politique, les investisseurs attendront avant de placer leurs capitaux.

Vers une création d’alliances politiques stables et la normalisation du style ?

Le tempérament extrêmement versatile et agressif du président a exaspéré et souvent effrayé les Argentins, ce qui a retardé les discussions autour de réformes nécessaires. Milei s’est mis à dos plusieurs puissants gouverneurs de province, y compris parmi ceux qui soutenaient le principe d’une réforme structurelle de l’économie. Alors qu’en 2023, la majorité des Argentins attendait un changement politique en profondeur, ils aspirent aujourd’hui à plus de normalité, selon les sondages. 

La série de scandales qui ont secoué le président et son proche entourage en 2025 a certainement contribué à faire baisser son niveau de popularité dans les sondages, alors que Milei avait fait de la lutte contre la corruption et contre les manœuvres politiciennes de "la caste" (politiciens, presse officielle, entrepreneurs) une priorité. Celui qui s’était construit une image de justicier offre plutôt celle d’amateurisme politique.

Le tempérament extrêmement versatile et agressif du président a exaspéré et souvent effrayé les Argentins.

On se souvient du scandale de la cryptomonnaie $Libra : le président s’est trouvé impliqué (davantage du fait d’un excès de naïveté que de manière mal intentionnée) dans l’effondrement d’une nouvelle monnaie qui a affecté des centaines de milliers de personnes ; les poursuites judiciaires en cours aux États-Unis impliquent le Président. 

Plus récemment, un autre scandale de pots-de-vin, lié à des achats contestés de médicament par l’Agence nationale du handicap, a directement impliqué Karina Milei, la sœur du Président. Enfin, durant la campagne pour les législatives, un scandale a touché la tête de liste du parti du président pour Buenos Aires, Jose Luis Espert, accusé de liens avec un narcotrafiquant argentin poursuivi par la justice américaine. Il a dû se retirer à la dernière minute de la liste présidentielle.

Milei a toujours considéré le compromis comme une faiblesse. Fort des chiffres de l’élection présidentielle, qu’il avait gagnée avec 56 % des voix et où il était apparu comme le sauveur que l’Argentine attendait pour éviter l’effondrement économique, il ne semble pas avoir intégré le fait que la situation politique a changé et que la patience des Argentins s’est affaissée. Milei persiste et signe dans sa résistance à toute nouvelle alliance. Les négociations avec le PRO (parti de centre droit de l’ancien président de la République Mauricio Macri), son principal allié sur le programme de réformes économiques, ont été très difficiles. Elles ont finalement abouti à un accord pour une liste commune dans la province de Buenos Aires où les péronistes sont traditionnellement très puissants.

Dans le reste du pays, la Libertad Avanza a voulu affronter ses concurrents seule, en créant des listes uniques. Karina Milei, présidente de la Libertad Avanza, que son frère surnomme "El Jefe", "le boss" [employant à dessein le masculin, par une sorte de misogynie paradoxale qui le conduit à trouver valorisant de désigner sa soeur comme si elle était un homme], a supervisé l’organisation de la campagne, présentant dans les provinces une masse de candidats souvent inconnus et le plus souvent novices en politique - certains éprouvant des difficultés à mener une simple interview avec la presse. Toutefois cela n’a pas desservi LLA dans cette élection car la majorité des électeurs votaient contre le retour des péronistes, mais cela va certainement peser sur la qualité du travail législatif.

Milei peut-il changer ?

Pour que le programme de réformes puisse avancer, il faudra deux choses. D’abord, plus de réalisme et moins d’idéologie concernant la gestion du taux de change et le soutien à la croissance intérieure, afin qu’elle soit plus équilibrée et plus génératrice d’emploi. Cela passera par une flexibilisation du taux de change mais devra être accompagné par d’autres mesures pour protéger les entreprises argentines qui produisent pour le marché local, en attendant que la compétitivité puisse revenir en Argentine. 

Ensuite, une approche politique d’alliances, surtout avec les gouverneurs de province et les partis de centre droit, ce qui exigera beaucoup d’habileté dans les négociations - qualité assez étrangère à Milei et à son équipe. Milei a néanmoins démontré qu’il pouvait se montrer pragmatique en certaines occasions. Avant les élections, il avait déjà annoncé un changement de son gouvernement et la nomination probable d’un de ses proches, Santiago Caputo, que l’on appelle aussi le "Mage du Kremlin" en raison de son influence sur Milei, à un poste stratégique. Celui-ci était favorable à un rapprochement avec les gouverneurs durant la campagne électorale, contre l’avis de Karina qui poussait un agenda populiste.

Milei, dès l’annonce de la victoire de LLA et encore sous le choc du résultat des élections locales de septembre à Buenos Aires, a donné l’impression qu’il était prêt à initier un changement profond. À l’étonnement général, lors de l’annonce de la victoire de LLA, il avait remplacé son inséparable jaquette de cuir par un costume et une cravate bleu ciel, a pris soin de remercier de nombreuses personnalités, bien que certaines ne fissent pas partie de LLA, et s’est attaché à limiter autant que possible ses gesticulations. Il a même eu des mots doux pour Mauricio Macri, le président du PRO, son allié politique qu’il adore maltraiter. Enfin, il s’est engagé à mettre en place un cabinet plus diversifié et à engager des discussions avec les gouverneurs des provinces soutenant les réformes. Deux jours après, il a participé à une réunion aux côtés d’une vingtaine de gouverneurs provinciaux - même s’il en a exclu quatre, dont Axel Kicilloff, de la province de Buenos Aires, car il était trop opposé aux réformes. La réunion avait été organisée par Guillermo Franco, son chef de cabinet, qui a joué un rôle prépondérant durant les deux premières années au pouvoir de Milei pour arrondir les angles et maintenir un minimum de dialogue avec les centristes. Au dire des protagonistes, la réunion s’est déroulée dans un climat cordial et a été constructive.

Milei, dès l’annonce de la victoire de LLA et encore sous le choc du résultat des élections locales de septembre à Buenos Aires, a donné l’impression qu’il était prêt à initier un changement profond.

Cela va-t-il durer ? Cinq jours après l’annonce de la victoire de Milei, Jorge Liotti, chroniqueur à La Nacion, l’un des plus importants journaux d’Argentine, titrait son article de première page : "D’un dimanche de résurrection à une vendredi de confusion", [Del domingo de resurrección al viernes de confusion].

Selon lui, les récents gestes d’ouverture ont créé beaucoup d’espoir mais ont fait long feu : le président a reformé son groupe d’experts à la présidence de la République et annoncé le départ de Guillermo Franco, remplacé par un de ses proches et un intime de sa soeur Katarina, plus jeune, beaucoup plus marqué idéologiquement bien que novice en politique, proche de Milei mais surtout de sa sœur Karina : Manuel Adorni.

Les alliés du Pro en ont été très mécontents. La nomination renforcela puissance de la sœur de Milei, dont la classe politique considère pourtant qu’elle manque singulièrement de compétence politique et qu’elle conforte son frère dans ses instincts les plus destructeurs. Pendant ce temps-là, Santiago Kaputo, conseiller stratégique de Milei qui avait poussé pour des alliances avec les gouverneurs et devait jouer un rôle plus important dans la nouvelle administration, se trouve pris entre deux feux.

Dans ce contexte, les Argentins attendent la composition complète du nouveau cabinet et assistent déjà au retour des vieux réflexes. Les trois prochaines semaines seront absolument déterminantes pour mettre à l’épreuve la réalité du changement d’approche de Milei.


Copyright image : Marc Kevin Dietsch / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

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