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29/01/2025

L’Argentine de Javier Milei, un an après : le chantier de l'économie

L’Argentine de Javier Milei, un an après : le chantier de l'économie
 Alexandre Marc
Auteur
Expert Associé - Amériques et développement

"Ils espèrent gagner de l’argent en Argentine" écrivait Apollinaire… Au-delà d’une paronomase trompeuse, la richesse proverbiale du pays d’Amérique latine avait depuis longtemps fait long feu, laissant place aux incertitudes politiques et à une situation économique catastrophique. Un an après l’arrivée au pouvoir d’un président populiste, anarcho-capitaliste autoproclamé qui suscita les plus fortes inquiétudes, quel bilan faire du vaste chantier économique qu’il a entrepris et qui semble en passe de réussir ? Quelles ont été les voies prises par le rétablissement des finances publiques en Argentine ? Quel avenir à plus long terme pour la stabilisation du pays et quels sont les chantiers qui restent à ouvrir ? Le premier des deux volets qu'Alexandre Marc consacre au bilan de Javier Milei un an après sa prise de fonction s'attache à la situation économique ambivalente d'un pays fragilisé.

Le vaste chantier des mesures économiques destinées à redresser l’Argentine a été lancé par Javier Milei voilà plus d’un an. Leur radicalité avait marqué les esprits, sans prendre personne de court toutefois, puisque le président en campagne, qui se présentait comme un anarcho-capitaliste, avait annoncé qu’il userait d’une "tronçonneuse" pour couper dans les dépenses publiques. Pour Javier Milei, aux grands maux, les grands remèdes : il fallait être radical. Il a tenu promesse.

Les Argentins, fatigués et appauvris par une crise inédite depuis 2001, aux prises avec une inflation de plus de 211 % en 2023 et confrontés à un déficit fiscal qui ne cessait de se creuser, étaient lassés par les politiciens installés, prompts à promettre mais avant tout préoccupés par leur propre intérêt, et jugés coupables de dilettantisme et de corruption. Ils avaient largement élu Milei, séduits essentiellement par sa promesse de mettre fin à l’inflation galopante via une thérapie de choc. À l’arrivée au pouvoir du nouveau président, les experts se sont montrés hautement dubitatifs quant à ses chances de succès. Son style populiste, ses excentricités, ses provocations constantes et sa propension à insulter ses interlocuteurs avaient suscité de très sérieux doutes sur sa capacité de mener à bien les réformes qu’il avait annoncées, et en particulier de négocier avec un parlement où son parti, le Parti libertarien, était très minoritaire.

Après un an de thérapie de choc et à l’issue de ce qui est probablement le programme d'ajustement économique le plus drastique du XXIe siècle, l’économie argentine se redresse.

Pourtant, après un an de thérapie de choc et à l’issue de ce qui est probablement le programme d'ajustement économique le plus drastique du XXIe siècle, l’économie argentine se redresse. Non seulement l’inflation est tombée à moins de 3 % par mois mais les premiers signes d’une reprise économique se font sentir et la pauvreté commence à baisser. Qui plus est, l’amplitude de cet ajustement non seulement n’a pas érodé la popularité du Président Milei, mais encore sa côte d’approbation dépasse aujourd’hui les 50 %.

Quelles raisons peuvent expliquer que son équipe économique ait mis un frein à l’inflation et ait rétabli, du moins partiellement, l’équilibre des comptes publiques ? La reverdie peut-elle perdurer ?

Un ajustement inédit des dépenses publiques

L’ajustement entrepris par l’équipe Milei est des plus classiques et ne s’écarte guère des recommandations prisées par le consensus de Washington et les organismes financiers internationaux, en particulier le FMI et la Banque mondiale. Les premières mesures ont consisté à arrêter l’émission monétaire incontrôlée qui avait permis aux gouvernements péronistes précédents, depuis la présidence de Cristina Kirchner, de financer des programmes de dépenses publiques extrêmement généreux et de s’assurer la fidélité politique de ses supporteurs. Ces largesses avaient nourri l'inflation et alimenté une corruption endémique des institutions et du système politique. Le bref passage au pouvoir du candidat de centre droit Mauricio Macri, entre 2015 et 2018, n’avait guère réussi à changer la donne ; au contraire, l'accord de prêt de 56 milliards de dollars conclu avec le Fonds monétaire international (FMI) en échange d’un plan d'austérité budgétaire avait grevé les finances publiques d’une dette colossale à l’égard de cette institution.

Réduire les émissions monétaires impliquait des coupes drastiques dans le budget de l’État fédéral, première des tâches à laquelle s’est attelé Luis Caputo, dit "Toto", le ministre des Finances, ancien ministre et président de la Banque centrale pendant la présidence de Mauricio Macri mais aussi spécialiste de la finance internationale passé par Wall Street. Le gouvernement a réussi à dégager un surplus budgétaire dès les premiers mois de 2024, qui a atteint 357 millions de dollars en novembre 2024, pour une réduction totale des dépenses publiques de 35 % en 2024. Ceci s’est traduit par la mise à l’arrêt de pratiquement tous les travaux publics, le non-renouvellement des contrats des nombreux consultants des agences publiques et une baisse des salaires réels dans la fonction publique de 16 % en 2024, du fait de leur non-indexation sur l’inflation. Le gouvernement a réduit le nombre de ministères, supprimé certaines agences publiques, réduit les coûts de fonctionnement des administrations et a fait une chasse aux nombreux "noquis", ces fonctionnaires absentéistes nommés par faveurs politiques ou personnelles. Un programme de privatisation des entreprises publiques a été initié pour réduire les subventions publiques aux entreprises déficitaires, ce qui s’est traduit par exemple par la vente de la société métallurgique Impsa à des investisseurs américains. Le parlement n’a toutefois pas donné son accord à un certain nombre de privatisations, dans le cas de secteurs considérés comme stratégiques : ainsi de la compagnie aérienne nationale Aerolineas Argentina, pourtant largement déficitaire. Le gouvernement a aussi réduit de plus de 76 % en 2024 les transferts aux gouvernements régionaux, plongeant les régions les plus pauvres dans une situation financière grave. Mais c’est la réduction brutale des subventions aux services qui a porté le coup le plus dur à la population. En Argentine, l’électricité, le gaz, les transports et d’autres services sont très largement subventionnés, ce qui constitue une part chaque année plus importante du budget de l’État.

L’aspect le plus controversé de l’ajustement a été le retard dans l’indexation des pensions, qui a permis à l’État de réaliser des économies importantes. Le montant des pensions a baissé en terme réel de 17,5 % en un an selon l’OPC, le bureau qui analyse le budget pour le Congrès argentin. Le poids des pensions dans les dépenses publiques argentines est élevé pour un pays de revenu médian, et c'est de loin la part la plus large du budget de l’État, équivalente à 7,1 % du PIB en 2024, soit autour du quart des dépenses budgétaires. Le régime des pensions est généreux en Argentine : les femmes accèdent par exemple à la retraite à taux plein à 60 ans -elle est fixée à 65 ans pour les hommes -, il existe aussi un régime universel qui donne accès à une pension minimum même si les bénéficiaires n’ont pas contribué à la hauteur nécessaire durant leur vie active. Or, le nombre de retraités a quasi doublé depuis 2000, l’Argentine, pays vieillissant rapidement, ayant une des espérances de vie les plus élevées d’Amérique Latine.

En parallèle, le gouvernement de Milei a augmenté certains plans d’aide sociale afin d’éviter que l’ajustement ne pèse de manière disproportionnée sur les plus pauvres. Les dispositifs préexistants étaient pourtant peu efficaces : plus de 141 plans différents, mis en place par les gouvernements successifs, se dupliquaient les uns les autres sans parvenir à enrayer une pauvreté en constante augmentation depuis plus d’une décennie.

Le gouvernement de Milei a augmenté certains plans d’aide sociale afin d’éviter que l’ajustement ne pèse de manière disproportionnée sur les plus pauvres.

Le gouvernement de Milei s’est lancé dans un effort de restructuration de ces différents plans sociaux dont la plupart ont vu leur montant s’effondrer avec les coupes budgétaires. Le gouvernement a recentré l’aide de l’État sur deux programmes importants, les prestations familiales pour les Argentins sous le seuil de pauvreté et la carte alimentaire. Il a privilégié l’aide directe, supprimant en cascade des intermédiaires dont certains étaient accusés d’appartenir au système corporatiste très politisé favorisé par les kirchneristes (supporters de l’ex-présidente Cristina Kirchner). Le nombre de bénéficiaires de la carte alimentaire a été étendu mais sa valeur a quelque peu baissé alors que les prestations familiales, elles, ont augmenté de 43 % en valeur réelle en 2024 et touchent aujourd’hui 4 millions d'individus (sur les 47 millions d’habitants que compte le pays).

Éviter une nouvelle restructuration de la dette et accroître les réserves de change

L’épée de Damoclès du paiement de la dette menace l'Argentine depuis longtemps. L’Argentine a été, c’est notoire, maintes fois confrontée au défaut de paiement, ce qui a généré une méfiance compréhensible de la part de ses créanciers. Le stock de la dette publique argentine représente à peu près 80 % du PIB en décembre 2024, chiffre élevé sans être ingérable (que l’on compare avec la France ou les États-Unis, qui ont largement dépassé les 100 %) mais 2025 voit s’accumuler beaucoup d’échéances de la dette qui est à relativement court terme. Les paiements dont le gouvernement va devoir s’acquitter cette année, pour un montant estimé par le ministère des finances à 1,5 % du PIB, sont très élevés pour un pays qui a une faible capacité à se refinancer sur les marchés internationaux.

L’équipe économique de Milei a fait preuve de beaucoup d’imagination et de flexibilité pour accumuler les réserves de change essentielles au paiement de sa dette. Le gouvernement a, par exemple, mis en place une amnistie pour blanchir une partie des avoirs en dollars que les Argentins détiennent en dehors du système formel. Selon l’INDEC, l’Institut national de statistiques, les Argentins possèderaient, au deuxième trimestre de 2024, 238 milliards de dollars dans des comptes à l’étranger, des coffres forts, les banques locales voire sous leurs matelas, la plus grande partie en espèce, ce qui donne la mesure du manque de confiance dans le système financier argentin, aisément explicable par l’existence de toutes sortes de contrôles et de taxes sur les transactions financières, et par la constante dépréciation du pesos avant 2024. Pour faire circuler un peu plus ce "magot" dans le système de transactions officielles et donc en récupérer une partie dans les comptes de la banque centrale, le gouvernement a décrété une amnistie fiscale ainsi que la possibilité d'ouvrir des comptes en dollars dans les banques nationales. Il a aussi supprimé toutes les taxes et les limites sur le transfert de dollars vers l’Argentine, ce qui a permis de ramener jusqu’à près de 30 milliards de dollars dans le système bancaire argentin. Bien entendu, la baisse de l’inflation et l’augmentation des taux d’intérêt réels ont également favorisé ce processus.

Un autre exemple du pragmatisme et de l’agilité des politiques menées par le gouvernement Milei est le renouvellement d’un accord de swap de devises avec Pékin pour 5 milliards de dollars et ce, malgré toutes les critiques de Milei sur le modèle chinois. Compte tenu du niveau important de transactions commerciales avec le pays, ce swap permet de faire baisser la pression sur les réserves de change.

Le gouvernement travaille aussi à restaurer la confiance dans les systèmes financiers argentins. En janvier 2025, il a utilisé le surplus fiscal pour payer une échéance de 4,5 milliards de dollars aux détenteurs de bons souverains argentins, dont la valeur a de ce fait augmenté, renforçant la confiance des investisseurs et accélérant la baisse du risque pays (indicateur établi par J.P Morgan et auquel se réfèrent beaucoup des créanciers internationaux) en dessous de la barre de 600 points, un niveau que l'Argentine n'avait pas connu depuis 2018. Le coût de l’emprunt a nécessairement baissé, ce qui a ouvert davantage d’opportunités de refinancement au gouvernement.

Que ce panorama ne conduise pas à sous-estimer les conséquences d’un ajustement opéré en un temps si ramassé. Une large partie des retraités vivent encore dans une situation extrêmement précaire, les fonctionnaires souffrent d’une dépréciation importante de leur pouvoir d’achat par rapport à 2023, le sous-emploi et le chômage sont élevés, et même si l’inflation a baissé, les prix se stabilisent à un niveau élevé.

Ces différents efforts ont porté leurs fruits et le gouvernement a déclaré fin janvier avoir acheté suffisamment de devises pour couvrir pratiquement toutes les échéances de la dette en 2025, soit à peu près 6 milliards de dollars. La situation reste malgré tout extrêmement tendue : les espoirs du gouvernement sont maintenant suspendus à un nouvel accord avec le FMI qui permettrait de faire baisser le coût de la dette à travers une restructuration, en liquidant notamment les avoirs les plus coûteux.

En janvier 2025, l’INDEC a également annoncé une très bonne nouvelle pour Milei et son équipe économique : l'excédent commercial a connu, en 2024, un niveau record avec 19 milliards de dollars, alors même qu’en 2023 la balance commerciale était déficitaire. Cet excédent résulte d’une baisse importante des importations due à la récession économique mais également d’une bonne saison agricole et de l’arrivée des hydrocarbures produits à Vaca Muerta, après plus d’une décennie d’investissements colossaux dans ce gisement situé en Patagonie. Un tel niveau d'excédents est conjoncturel mais beaucoup d'experts estiment que l’Argentine devrait maintenant pouvoir dégager des excédents commerciaux régulièrement, notamment grâce aux exportations énergétiques qui devraient augmenter assez rapidement dans les années à venir.

L’appréciation du pesos et le dilemme du taux de change

C’est probablement la politique de taux de change qui est la moins orthodoxe, et la plus controversée. Le taux de change et l’inflation sont étroitement liés, ce qui requiert de manier le premier avec une scrupuleuse attention, ce d’autant plus que les Argentins payent en pesos mais pensent en dollars : ils mesurent leur pouvoir d’achat en dollars, même parmi les classes les moins bien nanties. Pour le consommateur argentin, la stabilisation du cours du pesos, et même son appréciation, est un signe de succès des réformes économiques et détermine largement la confiance dans les politiques mises en place par le gouvernement. Cependant l’Argentine est aussi un grand pays exportateur, principalement de produits agricoles, agro-industriels et énergétiques et les exportations sont un moteur de la croissance. La compétitivité de l'Argentine repose largement sur la relation entre le pesos et le dollars. Pour le moment, le gouvernement a privilégié la stabilité voire l’appréciation du pesos afin de maintenir la confiance dans les réformes visant à renforcer la compétitivité des exportations. Alors qu’en 2023, le pesos était la seconde monnaie la plus dévaluée par rapport au dollar du monde, en 2024 il était la monnaie la plus appréciée. Argentine, pays des extrêmes...
 
La ligne de crête sur laquelle chemine le gouvernement est étroite : il s’agit à la fois de libéraliser les transactions et les mouvements de capitaux - afin de créer un environnement plus propice aux investissements et à la croissance économique - et d’éviter à tout prix une dépréciation incontrôlée de la monnaie en cas de ruée sur le dollar. Les gouvernements précédents, afin de contenir la chute du pesos, avaient introduit des contrôles très stricts sur les mouvements de capitaux et avaient mis en place un système complexe de taux de change multiple ainsi que des taxes et des contrôles quantitatifs sur les importations. Le gouvernement actuel libéralise progressivement les réglementations et supprime certaines taxes au compte-gouttes mais maintient un fort contrôle sur le taux de change et les mouvements de capitaux.

Dès le début de son mandat, l’équipe économique, après une première dévaluation importante en janvier 2024, a limité la dépréciation du pesos à 2 % par mois, ce qui, compte tenu d’une hausse des prix encore très forte en 2024, a créé une rapide appréciation du pesos par rapport au dollar, estimée à plus de 40 % sur l’année 2024. Afin de prendre en compte la récente baisse de l’inflation, le gouvernement a décidé de réduire la dévaluation mensuelle du pesos à 1 % par mois à partir de février 2025, ce qui va encore renforcer son appréciation à un moment où le dollar lui-même est en hausse sur les marchés internationaux. Cette appréciation a contribué à un accroissement de la demande de pesos et à la vente de dollars, étant donné que les Argentins avaient soudain intérêt à garder leur épargne en monnaie nationale et voyaient leur pouvoir d’achat en dollars augmenter.

Pour répondre aux préoccupations des exportateurs générées par l’appréciation du pesos, le gouvernement a allégé quelque peu les taxes sur les exportations de certains produits agricoles, de façon encore très insuffisante. Dans ce contexte, se profile à l’horizon le spectre d’une appréciation systématique et artificielle du pesos, sans que n’aient été introduites des mesures destinées à faire baisser les coûts de production.

Dès le début de son mandat, l’équipe économique, après une première dévaluation importante en janvier 2024, a limité la dépréciation du pesos à 2 % par mois.

Cet enjeu, qui a toujours affecté les politiques de redressement économique passées, a contribué à des effondrements économiques terribles comme celui de 2001.

Le contrôle actuel du taux de change est possible grâce au maintien d’une grande partie des contraintes sur les mouvements de capitaux et le marché des devises, héritées du gouvernement précédent et qui forment un système surnommé le "cepo" ("carcan"). L’Argentine possède, par exemple, différents régimes de changes en fonction du type de transaction, organisation dont la complexité affolante pénalise le secteur productif. Milei a toujours annoncé son intention de lever le contrôle des changes au moment opportun, une fois assurée la confiance dans le pesos stabilisées les réserves en devises de la banque centrale mais la pression des producteurs et surtout des exportateurs s'accroît.

Cette focalisation sur la baisse de l’inflation à tout prix s’est également reflétée dans le démantèlement, en janvier 2025, d’une partie du système protectionniste qui comprenait d’importantes taxes et des contrôles quantitatifs sur les importations pour protéger les industries argentines produisant pour le marché local. Les politiques de substitution aux importations étaient particulièrement chères aux péronistes. Le gouvernement avait déjà supprimé, fin 2024, une taxe sur les achats en devise appelée "l’impôt pays" qui se traduisait en particulier par une taxe de 30 % sur les achats faits à l’étranger à l’aide d’une carte bancaire argentine. Ces taxes et régulation avaient contribué à augmenter le caractère informel des transactions en dollars et fait baisser indirectement la confiance dans le pesos. Le démantèlement de la protection des importations et des taxes sur les transactions en dollars doit donner accès à un certain nombre de produits importés dont les coûts sont prohibitifs en Argentine et permettre de continuer à exercer une pression sur la baisse des prix. Elles ont été très critiquées par de nombreux producteurs locaux qui craignent une concurrence accrue des produits importés alors que la fiscalité en Argentine est souvent plus élevée qu’à l’étranger.

Enfin, si Javier Milei ne revient plus sur l’idée de supprimer la Banque centrale, évoquée durant sa campagne, il veut toujours libéraliser l’usage du dollar dans les transactions sur le sol argentin. Le gouvernement a récemment autorisé l’usage de cartes de débit en dollars pour les transactions courantes et la plupart des paiements peuvent désormais légalement se faire en dollar, y compris pour les loyers (c’est déjà le cas, et depuis très longtemps, pour les achats immobiliers). Cette libéralisation permet à la fois de s’assurer que davantage de dollars entrent dans les circuits officiels et de réduire le risque d’une ruée sur cette devise lorsque le gouvernement lèvera le contrôle des changes et les mouvements de capitaux.

Les premiers effets positifs de l’ajustement

Au début de 2025, de nombreux indicateurs sont passés au vert. Le taux d’inflation est descendu en décembre 2024 à 2,7 % par mois, baisse considérable par rapport aux 25,5 % qui prévalaient en décembre 2023. À ce rythme, les prévisions du gouvernement pour 2025 s'établissent autour de 18 %, le taux le plus bas depuis 2013, contre un taux moyen de 117, 8 % en 2024.

Après avoir connu une récession, avec une baisse de PNB de 2,8 % sur l’ensemble de l’année, l’Argentine renoue avec la croissance au dernier trimestre de 2024.

Après avoir connu une récession, avec une baisse de PNB de 2,8 % sur l’ensemble de l’année, l’Argentine renoue avec la croissance au dernier trimestre de 2024. Le FMI prévoit une croissance autour de 5 % en 2025, le niveau de croissance le plus élevé de l’Amérique latine. Il faut bien évidemment prendre en compte qu’il s’agit en partie d’un rattrapage mais les pronostics vont dans le bon sens.

La pauvreté, après avoir augmenté au premier trimestre 2024 pour englober 52,9 % de la population, a baissé au dernier trimestre de 2024. Elle représente désormais 38,9 % de la population, un niveau plus bas que la moyenne de 2023. Selon une étude de l’Universidad Francisco Maroquin le salaire réel des Argentins, qui avait baissé depuis 2017, a repris des couleurs depuis le mois d’avril et rattrape pratiquement son niveau d’avant le début de l’ajustement (les salaires dans le secteur privé ayant progressé nettement plus rapidement que ceux du secteur public). Même le pouvoir d’achat des retraités, de loin les plus durement touchés par l’ajustement du gouvernement Milei, commence également à se redresser - quoique ce ne soit pas encore le cas pour les pensions les plus basses. Le taux de chômage, qui a atteint 7,7 % après les coupes budgétaires, a commencé à baisser. Le crédit bancaire se développe rapidement et a augmenté de 46 % entre mai et septembre, selon l’association des banques argentines, et le crédit hypothécaire, qui avait pratiquement cessé d’exister ces dernières années, a également repris, stimulant du même coup le marché immobilier. Toutes les enquêtes d’opinion indiquent que la confiance des Argentins dans une amélioration de la situation économique en 2025 est en hausse, même si beaucoup restent encore insatisfaits.

La résilience des Argentins et cette relativement rapide récupération s’explique en partie par l’importance du secteur informel qui joue le rôle de soupape de sécurité pour une population qui a l’habitude des crises économiques. Beaucoup de transactions se font sur le marché noir et les dernières enquêtes indiquent que pratiquement la moitié des personnes qui disent avoir un emploi ne sont pas déclarées, sans compter que l’argent dormant dans les "bas de laine" fausse les chiffres officiels, de sorte que la richesse de l’Argentine est certainement beaucoup plus élevée que ne le montrent les chiffres officiels.

Que ce panorama ne conduise pas à sous-estimer les conséquences d’un ajustement opéré en un temps si ramassé. Une large partie des retraités vivent encore dans une situation extrêmement précaire, les fonctionnaires souffrent d’une dépréciation importante de leur pouvoir d’achat par rapport à 2023, le sous-emploi et le chômage sont élevés, et même si l’inflation a baissé, les prix se stabilisent à un niveau élevé. Face à une situation contrastée, la majorité de la population reste dans l’expectative mais porte la baisse de l’inflation au crédit du gouvernement. L’indice d’approbation du président Milei, tombé en septembre, est remonté à un niveau légèrement supérieur à celui qui prévalait lors de sa prise de fonction et dépasse largement celui des trois derniers présidents argentins après un an au pouvoir. Selon la dernière enquête de Opinia Argentina, il aurait atteint à 53 % de niveau de satisfaction en décembre 2024 et 52 % des personnes enquêtées considèrent que la situation économique est meilleure qu’il y a un an. Une autre enquête de Poliarqua a enregistré un niveau d’approbation pour Mileil de 56 %.

Les Argentins sont toutefois loin d’avoir apposé leur blanc-seing à l’action gouvernementale et, selon cette dernière enquête, plus de 71 % disent ne pas apprécier l’attitude agressive du président, ses attaques sur la presse et sur les parlementaires et sa façon de s’exprimer. Cela confirme que le soutien au président Milei concerne sa politique économique (baisse de l’inflation, stabilité du dollar, démantèlement des réseaux corporatistes hérités du système péroniste, accalmie des tensions sociales) mais pas son tempérament ni ses idées extrêmes. La récente prise de parole de Javier Milei au Forum de Davos, le 23 janvier ou ses insultes très libres, pour le dire pudiquement, sur X, ne sont pas de nature à apaiser les réticences sur son style.

La faiblesse des mouvements sociaux est une autre dynamique surprenante compte tenu de la sévérité de l’ajustement. Depuis les manifestations très importantes qui ont marqué le début du mandat de Milei et sa tentative de faire passer l’ensemble de son programme à travers une seule méga-loi, la pression de la rue a considérablement baissé, à l’exception de quelques grèves dures, comme celle d’Aerolineas Argentina en septembre dernier (en réponse aux privatisations) et des manifestations importantes contre les coupures dans le budget des universités, qui ont rassemblé l’unanimité contre Milei. Les routes bloquées par des manifestants, qui étaient le lot habituel de l’Argentine, ont pratiquement cessé et le pays n’avait pas connu de fêtes de fin d’année si calmes depuis longtemps.

Le soutien au président Milei concerne sa politique économique (baisse de l’inflation, stabilité du dollar, démantèlement des réseaux corporatistes hérités du système péroniste, accalmie des tensions sociales) mais pas son tempérament ni ses idées extrêmes.

On a pu incriminer la répression, mais elle n'est pas la raison principale. Certes, un décret gouvernemental a interdit le blocage des routes mais il a rapidement cessé d’être appliqué. Il faut plutôt expliquer ce calme relatif par la désorganisation d’une opposition très occupée par ses conflits internes et l’affaiblissement de sa base, y compris parmi les syndicats.

2025 : l’espoir et l’inconnu

L’Argentine entre dans une phase particulièrement complexe de sa stabilisation : l’inflation reste à un niveau non négligeable, la pression sur les réserves de change est élevée, et beaucoup du secteur productif, surtout quand il dépend des exportations ou qu’il est menacé par les importations, est en difficulté (notamment le tourisme, qui compte beaucoup en Argentine). Certes, le gouvernement n’est pas désarmé mais les risques de dérapage demeurent assez élevés.

Le grand écart entre des objectifs difficilement compatibles prévaut dans de nombreux domaines : il faut, pour que l’économie reprenne, alléger la pression fiscale, mais l'excédent budgétaire encore faible ne permet pas de réduire les taxes rapidement. Continuer plus avant dans la voie de l’assainissement des finances réclame des réformes en profondeur mais celles-ci seront difficiles sans une majorité plus claire au Parlement. L’État doit libérer les mouvements de capitaux et le marché des changes pour assurer la croissance mais il risque de provoquer une dévaluation rapide du pesos qui saperait la confiance des Argentins dans les réformes. Dès lors, trois priorités s'imposent :

1) Lever le contrôle des changes sans relancer l’inflation
Une reprise économique robuste nécessite la levée des restrictions sur les marchés des capitaux et des changes, le fameux "cepo", prévu pour 2025. Celui-ci n’aura probablement pas lieu avant les élections législatives d’octobre 2025, à moins d’un accord avec le FMI en avril si le gouvernement pense que le risque d’une ruée sur le dollar est écarté. Les réserves de changes semblent permettre de faire face au paiement de la dette extérieure, surtout si un accord est signé avec le FMI, mais seront-elles suffisantes pour maintenir la confiance de la population dans le pesos lorsque les contrôles de change seront levés ?

2) Accélérer les réformes structurelles pour favoriser la production
La reprise sera également très difficile sans une accélération rapide des réformes structurelles afin de réduire les très nombreuses contraintes internes qui pèsent sur la production et sur les échanges internationaux
. Le ministère de la Dérégulation et de la transformation de l'État dirigé par le très actif Dr. Federico Adolfo Sturzenegger reste limité par l'absence d'un consensus au Parlement, qui empêche d’assouplir le niveau de taxes sur les entreprises et sur le travail formel, pourtant particulièrement lourdes pour un pays de revenu moyen comme l’Argentine. Selon une étude publiée en mai 2024 par le Centre d’études de l’Union des industries argentines, qui compare le poids de la fiscalité dans 30 pays représentant 86 % du PNB mondial (les plus grandes économies du monde et tous les pays d’Amérique Latine), l’Argentine figure au premier rang pour le niveau de taxation en pourcentage du PNB sur le secteur formel. Celui-ci s’élèverait, selon cette étude, à 50,7 % du PNB (un niveau qui dépasse même celui de la France, pourtant une des économies les plus taxées au monde). Ce niveau de taxation étouffe la compétitivité de l’économie et encourage une informalité très élevée.

Milei a promis de s’attaquer à ces maux et en particulier de baisser les taxes mais il ne peut le faire que très progressivement pour ne pas remettre en question l’équilibre fiscal si durement acquis et qui est essentiel au contrôle de l’inflation. Le gouvernement vient d’annoncer la baisse de taxes sur les exportations de certains produits agricoles pour compenser une baisse temporaire des prix sur les marchés internationaux. La suppression de la taxe sur les exportations était une des promesses de campagne du président Milei et lui avait assuré le soutien des puissants producteurs agricoles. Il s’attaque aussi, dans le domaine des réformes fiscales et réglementaires, à de très nombreux intérêts acquis notamment au niveau des régions mais beaucoup des réformes en profondeur nécessaires à une amélioration de la compétitivité ont peu de chance d'être approuvées. En témoigne la difficulté que le gouvernement a rencontrée dans la discussion du budget 2025, ce qui l’a obligé à reconduire un budget vieux de deux ans faute d’accord politique - une situation aux échos peut-être familiers pour les oreilles françaises mais inédite en Argentine. Les nouvelles élections législatives ne sont prévues qu’au mois d’octobre 2025, soit dans dix mois, ce qui repousse toute réforme fiscale en profondeur à 2026, et encore à condition que le parti du président dégage une majorité suffisamment robuste au parlement.

3) Commencer à concrétiser un plan de relance économique sur le long et moyen terme
Au milieu d’un paysage indécis, les acteurs économiques et sociaux ont pourtant besoin de connaître les intentions du gouvernement sur le moyen et long terme. Les idées hyper libérales de Javier Milei sur l’avenir, au-delà de la nécessaire dérégulation, interrogent plus qu’elles ne convainquent. L'équipe en place, en particulier le ministre des Finances Luis Caputo et le gouverneur de la Banque Centrale, Santiago Bausili, qui ont très bien mené la politique de stabilisation jusqu'à maintenant, sont des économistes financiers relativement peu versés dans les questions de soutien à la production dans le long terme.

Au milieu d’un paysage indécis, les acteurs économiques et sociaux ont pourtant besoin de connaître les intentions du gouvernement sur le moyen et long terme. Les idées hyper libérales de Javier Milei sur l’avenir, au-delà de la nécessaire dérégulation, interrogent plus qu’elles ne convainquent.

Javier Milei a bien quelques projets, une fois menée à bien cette phase de stabilisation, comme la poursuite des privatisations, la relance de la production d’énergie nucléaire ou la transformation de l’Argentine en un centre de développement pour l’intelligence artificielle, mais sans répondre aux besoins criant en infrastructures, à la nécessité de renforcer des secteurs sociaux et en particulier l'éducation, qui se dégrade rapidement, ou la santé, durement touchée par les coupes budgétaires. Le haut niveau de capital humain est un des principaux atouts de l’Argentine, le pays ne peut se permettre de continuer de le laisser s’éroder. Aussi le renforcement des institutions, en particulier de la justice, est essentiel pour le bon fonctionnement d’une société libérale, et le gouvernement n’est pas force de proposition sur des questions qui obèreront, à terme, les choix des investisseurs étrangers.

Il faut espérer que le président continue à faire preuve du pragmatisme qui l’a beaucoup servi dans la phase de stabilisation et ne se laisse pas entraîner par ses visions idéologiques souvent extrêmes et bizarres, ni distraire par des projets subsidiaires. Milei, par exemple, ne cesse de parler d’un accord de libre-échange avec les États-Unis, censé être la panacée, mais on voit mal en quoi cela bénéficierait réellement à l'Argentine, qui n’y exporte que 10 %. Surtout, il reste à prouver que l'administration de Donald Trump se montre intéressée par autre chose que l’accroissement des taxes douanières et la protection de son économie. Un tel accord pose également beaucoup de questions sur sa compatibilité avec les règles du Mercosur, le marché commun du cône sud de l'Amérique latine auquel appartient l'Argentine et qui est essentiel pour son commerce extérieur.

Les chiffres utilisés dans cette note proviennent de l’INDEC, l’Instituto de Estadistica Nacional, ou de l’OPC, Oficina de Presupuesto del Congreso, sauf mention contraire.
Copyright image : Juan MABROMATA / AFP
Le président Javier Milei à Buenos Aires, le 26 mars 2024.

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