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Prix Nobel de la paix, une chance pour la démocratie au Venezuela ?

Prix Nobel de la paix, une chance pour la démocratie au Venezuela ?
 Alexandre Marc
Auteur
Expert Associé - Amériques et développement

Alors que les troupes américaines sont déployées en mer des Caraïbes et que la tension monte entre Washington et Caracas, le Nobel 2025 n'a pas été attribué au dynamiteur Trump mais à la "Libertadora" Maria Corina Machado, pour son engagement contre la dictature de Nicolas Maduro. Quel pourrait être l'impact réel de cette récompense dans un pays déchiré ? Comment s'inscrit-elle dans les relations entre le Venezuela et les États-Unis ?

C’est donc à Maria Corina Machado, figure de proue incontestée de l’opposition au Venezuela qui vit cachée depuis les dernières élections présidentielles, qu’est remis le prix Nobel de la Paix 2025. Son attribution était attendue dans une fièvre toute particulière puisque le Président Trump s’était notoirement porté candidat. 

Au moment où la valeur même de la démocratie comme instrument de paix et de stabilité est contestée un peu partout dans le monde, le choix de récompenser une opposante dans un pays dictatorial est une décision forte du Comité Nobel. 

Machado rejoint ainsi les autres défenseurs de la liberté politique récipiendaires du Prix : Narges Mohammadi (Iran, 2023), Maria Ressa (Philippines, 2021) et son co-lauréat Dimitry Muratov (Russie), Liu Xiaobo (Chine, 2010), Nelson Mandela (Afrique du Sud, 1993) ou la contestée Aung San Suu Kyi (Birmanie, 1991).

Dans le contexte des tensions croissantes entre les États-Unis et le gouvernement de Maduro, ce prix Nobel met de nouveau en lumière la situation politique du Venezuela.

Mais le sens de ce prix Nobel 2025 est peut-être plus encore politique que les cas précédemment évoqués : d’une part, Trump le voulait désespérément et avait fait campagne de façon extrêmement pressante pour l’obtenir, et d’autre part, dans le contexte des tensions croissantes entre les États-Unis et le gouvernement de Maduro, ce prix Nobel met de nouveau en lumière la situation politique du Venezuela.

Quel sera l’impact de cette récompense sur l’escalade entre Trump et Maduro et fera-t-il bouger quelque chose au Venezuela ? Rien n'est moins sûr si l’on s’en tient à l’exemple d’autres attributions du Nobel dans des pays en crise politique comme le Myanmar, l’Iran ou la Russie.

Maria Corina Machado, "La Libertadora"

Selon le président du comité Nobel norvégien, "Corina Machado est l’un des exemples de courage civique en Amérique Latine les plus extraordinaires de notre époque". Son surnom de Libertadora, au Venezuela, est une référence au héros de l’indépendance de la région, Simon Bolivar, "el Libertador" (le libérateur). Grâce à son engagement sans faille, Machado a réussi à rassembler l'opposition dans un paysage politique déchiré. 

Lors des dernières élections présidentielles en 2024, c’est le candidat Edmundo Gonzáles Urrutia qui a largement remporté le scrutin. Toutefois, les résultats n'ont pas été reconnus par le gouvernement en place, qui a prétendu qu’une attaque virtuelle avait paralysé les machines de vote, et la commission électorale, nommée entièrement par le pouvoir, a déclaré Maduro vainqueur avec 51,2 % des voix. De son côté, l’opposition, qui avait pu se procurer la copie de la majorité des actes électoraux provenant des bureaux de vote, a déclaré le représentant de l’opposition vainqueur avec près de 70 % des votes. 

Malgré une répression sanglante, qui avait fait près de 200 morts en 2017 et de nouveau plusieurs morts en 2019, Machado a toujours encouragé ses partisans à la désobéissance civile pacifique et a appelé, à de multiples reprises, à éviter les affrontements avec les forces de l’ordre. Son combat en faveur d’une transition juste et pacifique s’est fait au prix d’un énorme coût personnel. Les menaces de mort qu’elle recevait régulièrement l’ont incitée à envoyer ses trois enfants vivre en Espagne auprès de sa mère et, depuis les élections de 2024, elle vit cachée et change constamment de refuge pour échapper aux services de sécurité. 

Son apparition en politique date de 2002, date à laquelle elle a créé, avec Alejandro Plaz, un groupe de défense du droits des électeurs : Sumate ("Rejoins-nous"). Sumate a progressivement gagné en ampleur au point de devenir une puissante organisation consacrée à la protection des droits électoraux, à un moment où le régime de Chavez, alors président du Venezuela (il le restera de 1999 à 2013), commençait à prendre un virage autoritaire. Sumate a été à l’origine d’un référendum visant la destitution du Président Chavez, qui a réuni 3 millions de signatures, ce qui a valu à sa fondatrice d'être poursuivie par la justice vénézuélienne pour "trahison" et "conspiration", au prétexte que l’organisation avait reçu le soutien financier d’une fondation privée américaine, le National Endowment for Democracy.

En 2011, Machado fut élue députée de l’État de Miranda, mandat qu’elle conservera jusqu’en 2014, avant d’être destituée, au motif qu’elle avait accompagné une délégation de l’État de Panama à l’Organisation des États Américains et avait soutenu ouvertement les sanctions économiques contre le Venezuela. En 2024, durant la préparation des élections présidentielles, elle gagna très largement la primaire de l’opposition avec plus de 90 % des votes en sa faveur. Elle fut immédiatement disqualifiée et interdite de se présenter à des élections présidentielles pendant une durée de quinze ans et ce, malgré les engagements que le gouvernement Maduro avait pris avec la communauté internationale lors des discussions de la Barbade de juillet 2019, destinées à résoudre la crise politique au Venezuela : sur l’île des Caraïbes, le président avait promis d’organiser des élections justes et transparentes en échange de la réduction des sanctions économiques sur son pays. 

Machado a toujours encouragé ses partisans à la désobéissance civile pacifique et a appelé, à de multiples reprises, à éviter les affrontements avec les forces de l’ordre.

Aussitôt après avoir appris qu’elle était inéligible pour quinze ans, Machado retira sa candidature au profit de Edmundo Gonzales Urutia, nouveau venu dans la politique vénézuélienne. Bien que vainqueur des élections, il sera obligé de fuir le pays pour se réfugier en Espagne.

Un tel parcours, et un tel courage, valent à Machado d’être largement reconnue à l’intérieur comme à l’extérieur du Venezuela : avant de recevoir le prix Nobel, elle avait déjà reçu le prestigieux prix Sakharov de la communauté européenne en 2024 et le prix Vaclav-Havel de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. 

Cela n’empêche pas certaines critiques : on a reproché à Machado ses contacts avec les mouvements d’extrême droite, en particulier avec le parti espagnol Vox, et notamment d’avoir signé la Charte de Madrid lancée en octobre 2020 par la Fondation Disenso, think tank de Vox, qui dénonce le "narco-communisme, la gauche et le crime organisé". Machado s’est aussi clairement prononcée en faveur de Trump lors des élections américaines. En revanche, contrairement à ce qu’on lit parfois et même si elle a en effet des positions très libérales sur l’économie, elle ne s’est jamais prononcée en faveur d’un régime de droite radicale pour le Venezuela. La meilleure preuve en est sans doute qu’elle a obtenu le soutien de l'ensemble de l'opposition vénézuélienne, de droite comme de gauche, aux élections primaires pour les dernières élections.

L’évolution surprenante de la position de Trump vis-à-vis du Venezuela

Ce prix Nobel intervient dans un contexte de fortes tensions entre l’administration américaine et le Venezuela. L’administration américaine a, comme nous y a accoutumés Donald Trump, mis longtemps avant de définir une position claire sur le Venezuela. Celle-ci reste encore extrêmement floue et les intentions de Trump vis-à-vis du régime de Maduro sont extrêmement difficiles à décrypter

Joe Biden avait aussi hésité sur la meilleure stratégie à adopter envers le régime de Caracas. Voyant que le gouvernement de Maduro n’avait pas tenu sa parole de respecter le résultat des élections, l’ancien président américain avait hésité à réintroduire des sanctions contre le Venezuela, mais ne s’y était pas résolu : il craignait l’impact des difficultés économiques sur les migrations vers les États-Unis. Sans doute à raison : les politiques désastreuses mises en place par Hugo Chavez et Maduro, jointes à l’effet des sanctions économiques, ont conduit le Venezuela dans une crise migratoire sans équivalent dans l’histoire récente du continent américain. Près de 8 millions de Vénézuéliens ont fui le pays, plus que les Syriens ou les Ukrainiens du fait de la guerre. Joe Biden, durant son mandat, avait étendu le TPS, Temporary Protected Status (TPS), à près de 500 000 Vénézuéliens afin de permettre aux migrants de vivre et travailler pendant la période de la crise au Venezuela. 

Trump, à son arrivée au pouvoir et conformément à sa promesse électorale de ne pas intervenir dans la politique intérieure des pays tiers, s’est désintéressé de la situation interne du Venezuela. La politique américaine vis-à-vis du pays avait pour unique objectif, au commencement de la présidence de Trump, de renvoyer le plus possible de Vénézuéliens dans le pays et de pousser Maduro à accepter les vols de retour de migrants expulsés. En février 2025, des discussions entre Nicolas Maduro et Richard Grenell, envoyé spécial de Donald Trump pour les missions spéciales, ont permis de réchauffer les relations entre le Venezuela et les États-Unis et ont conduità la libération de six détenus américains au Venezuela. Maduro a aussi consenti à recevoir les migrants expulsés des États-Unis et même à financer leur vol de retour. Ceci est allé de pair avec une bataille légale pour mettre fin au TPS dont bénéficiaient près de 300 000 Vénézuéliens arrivés récemment aux États-Unis, et ouvrir la voie à leur expulsion. La Cour suprême s’est prononcée en faveur de l’administration le 4 octobre, jugeant qu’il était de l’autorité de Donald Trump de mettre fin à ce statut. En août 2025, l’administration a aussi autorisé la deuxième compagnie pétrolière du pays, Chevron, à importer du pétrole depuis le Venezuela, remettant partiellement en question l’embargo remis en place par Biden après les élections spoliées de 2024.

Les politiques désastreuses mises en place par Hugo Chavez et Maduro, jointes à l’effet des sanctions économiques, ont conduit le Venezuela dans une crise migratoire sans équivalent dans l’histoire récente du continent américain.

Pourtant, depuis quelques mois, l’attitude de l’administration de Trump vis-à-vis de Maduro s’est modifiée, sans motif apparent. Soudain, on a vu la marine américaine se déployer de façon assez massive dans les Caraïbes et les États-Unis se sont lancés dans une croisade contre le commerce de drogue dans la région.

Le déploiement de 7 navires américains et d’un sous-marin nucléaire, près de 10000 militaires installés à Puerto Rico et à bord des navires, ne semblent pas indiquer une opération simplement ponctuelle et ciblée.

La manœuvre s’accompagne de nouvelles accusations de Donald Trump, qui estime que le Venezuela de Maduro est un État narco. Ceci est loin d'être faux. Certains membres de la famille du président sont directement impliqués dans ce trafic, ainsi que des militaires de haut rang au travers du Cartel de los Soles. Il est aussi clair que les services secrets vénézuéliens font appel aux puissants et très violents cartels Tren de Aragua, aujourd’hui dans le collimateur de Trump, pour mener des opérations et en particulier pour assassiner des opposants à l’étranger. Trump a aussi doublé la mise à prix pour la tête de Maduro à 50 millions de dollars, indiquant clairement qu’il vise non seulement le cartel mais Maduro lui-même.

Ces dernières semaines, l’armada américaine a coulé quatre bateaux accusés d'appartenir à des passeurs de drogue dans les eaux internationales proches de la côte du Venezuela, faisant 21 morts. La légalité internationale de ces frappes est douteuse.
Maduro, afin d’apaiser Trump, a proposé aux États-Unis de prendre des parts dans des industries extractives du pétrole, de l’or et d’autres minéraux, ce à quoi il a pour l’instant reçu une fin de non-recevoir. Trump a menacé d’attaquer des bases terrestres de trafiquants sur le territoire vénézuélien, et déclare simultanément ne pas viser un changement de régime par la force et vouloir que Maduro quitte le pouvoir. 

Ces contradictions s'inscrivent dans le contexte des rivalités qui opposent les conseillers de la présidence - un trait caractéristique de l’administration américaine au pouvoir. 

Marc Rubio et Richard Grenell ont des vues bien différentes de ce que doit être l’approche américaine vis-à-vis du Venezuela. 

Marco Rubio, le secrétaire d'État des États-Unis, dont la famille a fui Cuba, a toujours activement poussé pour un changement de régime à Cuba et au Venezuela lorsqu’il était sénateur de Floride. Il était alors un des critiques les plus virulents du régime vénézuélien. Il a d’ailleurs été un des premiers membres de l’administration Trump à féliciter Machado pour son prix Nobel. 

Au sein des MAGA, Richard Grenell a lui toujours défendu la tendance qui rejette tout immixtion dans les affaires internes de pays tiers et s’en tient à entretenir des relations au service des intérêts immédiats des États-Unis. Trump paraît avoir fait pencher dernièrement la balance en faveur de Rubio qui a toujours prôné une intervention beaucoup plus vigoureuse contre Maduro et son régime. Jusqu’à quand et jusqu’à quel point cette vision prévaudra-t-elle ? Nul ne le sait - et probablement pas même Trump.

Marco Rubio, le secrétaire d'État des États-Unis, dont la famille a fui Cuba, a toujours activement poussé pour un changement de régime à Cuba et au Venezuela.

Les protagonistes sont dans tous les cas parfaitement conscients qu’il sera difficile de favoriser la déstabilisation interne à travers une opération militaire. Il existe bien le précédent de l’invasion militaire du Panama par les États-Unis pour démettre Noriega en 1989, mais le Venezuela est un pays bien plus vaste et les intérêts vitaux américains au Venezuela bien moins clairs qu’au Panama. Voilà donc le contexte compliqué dans lequel s’inscrit le Nobel de la Paix de Machado.

Le prix Nobel pourrait-il avoir un impact sur la situation interne du Venezuela ?

Les prix Nobel n'ont pas l’ambition d’avoir un effet direct sur la situation qu’ils mettent en lumière. Cependant, la visibilité que la récompense apporte à la cause de l’opposition vénézuélienne fait monter la pression contre Maduro, alors qu’après quelques vains efforts lors des élections volées de juillet 2024, la communauté internationale avait largement abandonné le pays à son destin.

Le premier défi de Machado sera sans doute de gérer l’ego de Donald Trump, qui espérait fortement recevoir le prix pour lui-même : Machado a pris soin de lui dédier son prix ainsi qu’au peuple vénézuélien. Sa sympathie pour certaines idées de Donald Trump est sans doute sincère, mais sa précipitation paraît surtout motivée par le souci d’éviter les conséquences du ressentiment du président américain. La Maison-Blanche a d’abord critiqué un parti-pris politique dans la remise du prix à Machado, mais l’hommage rendu par l’opposante, suivi d’une conversation téléphonique, semblent avoir amadoué le président. 

Quelles sont, dès lors, les options de Machado ? S’associer ouvertement à l’attaque des États-Unis sur les cartels vénézuéliens pour tenter d’ébranler le régime présente des risques très importants. Une telle intervention risque en effet de renforcer les sentiments anti-impérialistes et anti-américains qui affleurent dans beaucoup de pays du continent et au Venezuela même. Machado risquerait de perdre le soutien de l’Organisation des États Américains et de s’aliéner les régimes de gauche de Colombie et du Brésil, sans compter que l’issue d’une telle intervention militaire serait très complexe à mener. La puissance de feu de l’armée vénézuélienne n’est pas négligeable, le territoire est très vaste et l’incertitude prévaut en cas d’effondrement rapide de l’armée. 

Maduro a démontré depuis longtemps qu’il avait l’armée et les multiples services de sécurité bien en main. Une révolte du système sécuritaire est peu plausible tant il est un des grands bénéficiaires des largesses du régime. Si les Vénézuéliens se révoltent, c’est "avec leurs pieds", en quittant le pays par milliers : ils n’ont jamais montré de goût pour une révolution par les armes. Machado a d’ailleurs tenu à se distancier de l’opération américaine des États-Unis dans les Caraïbes en affirmant qu’elle n’avait eu aucune part dans la décision mais qu'elle maintenait le contact avec les autorités des États-Unis.

La solution privilégiée par Machado pour faire tomber Maduro demeure la désobéissance civile, les grèves et les appels à une population découragée par une longue suite d’échecs. Cela permettrait de remobiliser la communauté internationale.

La visibilité que la récompense apporte à la cause de l’opposition vénézuélienne fait monter la pression contre Maduro.

Pour l’heure, le Venezuela reste suspendu à la prochaine étape des Américains dans leur lutte contre les narco-trafiquants, et aux effets secondaires que cela engendrera sur la stabilité du pays.

L’opposition dispose d’options extrêmement limitées et l’effet de la remise du prix Nobel de la paix ne sera que de courte durée, à l’intérieur comme à l’extérieur du Venezuela. Tout reste à faire pour la Libertadora... 

Copyright JUAN BARRETO / AFP
Maria Corina Machado à Caracas le 28 août 2024.

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