AccueilExpressions par MontaigneUnion européenne : les États-membres dans le "grand jeu" d’un nouveau cycle politiqueL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.29/01/2025Union européenne : les États-membres dans le "grand jeu" d’un nouveau cycle politique Union EuropéenneImprimerPARTAGERAuteur Yves Bertoncini Professeur en Affaires publiques et européennes Auteur Thierry Chopin Thierry Chopin, Expert associé - Europe Alors qu'Ursula von der Leyen a présenté le 29 janvier la "Boussole pour la compétitivité" qui devrait guider les prochains travaux de la Commission, comment des institutions européennes largement recomposées pourront-elles s'entendre face au retour de Donald Trump ? Dans quelle mesure le centre de gravité de l'UE s'est-il déplacé sur ses flancs septentrionaux et orientaux ? Les rivalités diplomatiques et les fragmentations qu'elles entraînent sont-elles un risque pour la cohésion européenne et la mise en œuvre de l'agenda européen, entre questionnement sur la relation transatlantique, question migratoire et défi de la compétitivité ? Thierry Chopin, nouvel expert associé sur les questions européennes de l'Institut Montaigne, et Yves Bertoncini nous livrent leur analyse.L’entrée en fonction de la Commission "von der Leyen II" clôt la séquence de renouvellement institutionnel ouverte par les élections européennes de juin 2024 et met en lumière de nouveaux équilibres politiques au sein des institutions européennes. Si elle a permis l’expression de nouveaux rapports de force partisans, donnant l’avantage à la droite conservatrice, l’entrée dans le cycle politique 2024-2029 a aussi traduit et préfiguré une recomposition des équilibres diplomatiques au sein de l’UE.Cette recomposition s’est d’abord cristallisée au moment de la répartition des responsabilités au sein des trois principales institutions communautaires, mais elle doit aussi être évaluée à l’aune de l’évolution de l’influence des États-membres, qui découle de facteurs à la fois géopolitiques et domestiques. Il importe de bien analyser et appréhender ces transformations, qui sont appelées à façonner la gouvernance et les décisions de l’UE au cours des prochains trimestres, notamment face aux défis externes symbolisés par le retour de Trump à la Maison Blanche.L’influence diplomatique par la présence : un triangle institutionnel plus septentrional et oriental ?Une Commission européenne plus septentrionaleLa réélection d’Ursula von der Leyen pour un second mandat de présidente de la Commission constitue tout d’abord une claire victoire pour l’Allemagne, dont les autorités gouvernementales ont d’ailleurs fait le choix de la soutenir alors même que la CDU, son parti, était dans l’opposition à la coalition au pouvoir à Berlin. L’Allemagne est par ailleurs le seul État membre à pouvoir "revendiquer" 4 chefs de cabinets de commissaires : outre le puissant Bjorn Seibert, qui officie auprès de la présidente, Michael Hager poursuit en effet sa mission auprès du Commissaire letton désormais chargé de l'Économie et de la productivité, Bernd Biervert dirige l'équipe de Maros Sefcovic au Commerce et à la Sécurité économique, tandis qu’Andreas Schwarz pilote le cabinet d’Ekaterina Zaharieva, chargée des Start-up, de la Recherche et de l'Innovation - soit de nombreuses positions clés sur des enjeux présentés comme prioritaires et stratégiques pour l’UE. Les diplomates allemands pourront en outre faire état de trois autres postes de chefs de cabinet adjoints - registre sur lequel c’est la France qui se distingue, avec 7 postes d’adjoints, notamment avec Alexandre Adam auprès de la Présidente, mais aussi Laure Chapuis-Kombos auprès de la Haute Représentante Kaja Kallas, Anne Fort chez le Commissaire à la Défense Andrius Kubilius et Roland Sourd dans le cabinet du Commissaire Jozef Sikela (Partenariats internationaux) - soit autant de positions d’influence sur les enjeux internationaux.La réélection d’Ursula von der Leyen pour un second mandat de présidente de la Commission constitue tout d’abord une claire victoire pour l’Allemagne.L’octroi de portefeuilles régaliens à l’Estonienne Kaja Kallas, comme Haute Représentante et Vice-Présidente à la politique étrangère et de sécurité, et au Lituanien Andrius Kubilius comme nouveau Commissaire à la Défense et à l’espace (voir Graphique 1), traduit un surcroît d’influence inédit des pays baltes, encore renforcée par le 3e mandat consécutif confié à l’ancien Premier ministre Letton Valdis Dombrovkis, chargé de traiter d’autres enjeux névralgiques pour l’UE, à savoir l’économie et la productivité.Étroitement liée à l’invasion russe de l’Ukraine, cette influence renforcée des pays du Nord-Est de l’UE est encore à l’œuvre avec la désignation de la Finlandaise Henna Virkunnen au poste de Vice-présidente exécutive chargée de la souveraineté technologique, du Danois Dan Jorgensen à l’énergie et de la Suédoise Jessika Roswall à l’environnement - soit trois enjeux clés pour la définition et la mise en œuvre de la stratégie de "compétitivité durable" de l’UE.Graphique 1 - Répartition des portefeuilles au sein de la Commission "Von der Leyen II"DescriptionGraphique 1 - Répartition des portefeuilles au sein de la Commission “Von der Leyen II”Source : Commission européenne, décembre 2024Il est par ailleurs notable que le Commissaire désigné par la Pologne, Piotr Serafin, a pu hériter du portefeuille du budget, tandis que le Slovaque Maroš Šefčovič entame son 4e mandat en se voyant confier la conduite de la politique commerciale de l’UE - soit deux portefeuilles tout aussi stratégiques au regard du contexte géopolitique européen et mondial.Si la Commissaire désignée par l’Espagne, la socialiste Teresa Ribera, a pu hériter de la Vice-présidence exécutive chargée de la transition écologique et de la tutelle de la puissante DG Concurrence, c’est davantage pour des raisons tenant au respect des équilibres partisans au sein du Collège que pour des considérations diplomatiques. C’est sans doute aussi pour des raisons partisanes que le Commissaire désigné par l’Italie, Raffaele Fitto, s’est vu in fine confier le poste de Vice-Président exécutif chargé de la politique de cohésion et des réformes. Ces promotions "méridionales" ne feront qu’atténuer le tropisme septentrional et oriental de la Commission "von der Leyen II", dont témoigne également la réduction du rôle attribué au Commissaire désigné par la France.Ces promotions "méridionales" ne feront qu’atténuer le tropisme septentrional et oriental de la Commission "von der Leyen II", dont témoigne également la réduction du rôle attribué au Commissaire désigné par la France.Bien que Vice-président exécutif, Stéphane Séjourné n’aura en effet d’autorité hiérarchique que sur la Direction générale "Grow", dédiée au marché intérieur et aux entreprises, là où son prédécesseur Thierry Breton pouvait aussi mobiliser celles dédiées à l’économie numérique ("DG Cnect") et à la Défense et à l’espace ("DG Défis") - tout en disposant d’une expérience beaucoup plus dense sur les enjeux économiques que celle de son successeur.Un Parlement européen dominé par les élus allemands et espagnolsLes rapports d’influence nationale au Parlement européen découlent de la capacité des 27 États membres à y élire un maximum de députés au sein des groupes négociant et forgeant les coalitions majoritaires - à savoir les conservateurs du Parti Populaire Européen, les Sociaux-Démocrates et, dans une moindre mesure, les Libéraux de "Renew", les "Conservateurs et Réformistes" et les Verts .Sur ce registre, l’influence de l’Allemagne et de l’Espagne apparaît d’autant plus forte que leurs délégations nationales dominent le groupe PPE tout en étant bien représentées au sein du groupe S&D - c’est aussi vrai à un degré moindre de la Roumanie. La Pologne et l’Italie sont quant à elles bien représentées au sein du PPE ou du S&D, mais en trop faible nombre dans l’autre groupe dominant. Quant à la France, ses citoyens ont choisi de concentrer plus de la moitié de leurs élus dans des groupes périphériques à vocation "tribunitienne" (Patriotes pour l’Europe & la Gauche), tout en affaiblissant les capacités de leadership des élus macronistes, passés de 23 à 13 au sein d’un groupe libéral lui-même en fort recul.Quant à la France, ses citoyens ont choisi de concentrer plus de la moitié de leurs élus dans des groupes périphériques à vocation "tribunitienne" (Patriotes pour l’Europe & la Gauche), tout en affaiblissant les capacités de leadership des élus macronistes, passés de 23 à 13 au sein d’un groupe libéral lui-même en fort recul.Le fait que 7 des 22 commissions du Parlement européen soient présidées par des élus allemands, 3 autres par des élus espagnols et 3 par des élus polonais, contre une seule pour la plupart des autres pays, constitue un premier signe tangible de la redistribution de l’influence nationale au sein de cette assemblée. Cette redistribution des cartes trouvera aussi à s’exprimer tout au long du cycle 2024-2029 au moment du choix des rapporteurs de chacun des textes législatifs en discussion, désignés au trébuchet des rapports de force au sein et entre groupes politiques, tout comme l’ont d’ores et déjà été les coordinateurs des groupes politiques.Il est à cet égard frappant de constater que des députés élus en Allemagne ont été désignés comme coordinateurs du groupe PPE au sein de 8 commissions parlementaires, et 4 autres pour le groupe S&D ; que des parlementaires élus en Espagne exercent le même rôle à 4 reprises pour le PPE mais aussi 6 fois au nom du S&D ; et que, si pas moins de 4 élus portugais ont pu obtenir d’exercer cette même responsabilité pour le S&D, la plupart des autres délégations nationales se contentent de seulement un ou deux postes de coordinateurs au sein des deux groupes politiques dominant l’hémicycle strasbourgeois - les Français pouvant tenter de se consoler en revendiquant 8 postes de coordinateurs au sein du groupe Renew. Quant à l’Italie de Giorgia Meloni, elle pourrait disposer de relais d’influence déterminants via sa domination numérique au sein du groupe ECR, si la "convergence des conservateurs" déjà observée entre ce groupe et le PPE venait à se développer à l’horizon 2029.Un Conseil en quête de leadershipDésormais doté d’un Président permanent issu du Portugal, Antonio Costa, le Conseil européen a débuté le nouveau cycle politique 2024-2029 dans un contexte marqué par un affaiblissement inédit du leadership franco-allemand. Jusqu’à lors très écouté et influent, mais déjà diminué par le recul de sa famille politique, Emmanuel Macron a initié une dissolution de l’Assemblée nationale incomprise, et dont le verdict a dégradé son image personnelle autant que la gouvernabilité de son pays. L’Allemagne est confrontée à une autre forme de fin de règne politique, doublée d’un trou d’air économique - même si la victoire annoncée de la CDU-CSU en février 2025 apparaîtrait comme un dénouement positif au regard d’un marasme hexagonal sans issue claire : elle donnerait aux nouvelles autorités de Berlin une influence et une centralité d’autant plus grandes dans une Union dominée par le PPE et penchant vers le Nord-Est.À court terme, la Pologne de Donald Tusk ne va pas manquer d’essayer de tirer parti de ce vide politique, à la faveur de sa présidence tournante du Conseil au 1er semestre 2025, mais aussi en bénéficiant de l’assise renforcée de son Premier ministre après les élections européennes et d’un contexte géopolitique plutôt porteur, à l’heure du recul annoncé de son allié traditionnel américain, plaçant les Européens en première ligne face à l’invasion russe de l’Ukraine. Donald Tusk pourra par ailleurs bénéficier de la prééminence désormais assez nette du PPE au sein du Conseil européen et du Conseil (voir Graphique 2), un parti qu’il a lui-même présidé et où il compte nombre d’homologues nationaux, qui pourraient bientôt être rejoints par le Chancelier allemand.Graphique 2 - Évolution des affiliations partisanes au sein du Conseil européen (2019-2024)DescriptionGraphique 2 - Évolution des affiliations partisanes au sein du Conseil européen (2019-2024)Source : Europe Elects, décembre 2024La situation de l’Italie de Giorgia Meloni est plus ambivalente : si son tropisme transatlantique et son positionnement politique réactionnaire pourraient constituer des atouts non négligeables vis-à-vis de l’administration Trump, et par contrecoup en termes d’influence au sein de l’UE, la fragilité financière de son pays demeure un handicap. Il lui reste par ailleurs à déterminer si elle veut pleinement jouer sa partition européenne, y compris en faisant figure d’interlocuteur constructif de Washington au service des intérêts de l’UE, ou si elle préfère privilégier une posture plus radicale et périphérique. Il est à cet égard symptomatique qu’elle ait été la seule dirigeante, avec Viktor Orbán, à s’opposer à la reconduction d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission, sans être en mesure de l’empêcher puisqu’elle relève d’une décision à la majorité qualifiée.Mais ce contre-exemple permet aussi de rappeler que Giorgia Meloni et Viktor Orbán symbolisent la fragmentation partisane du Conseil européen et du Conseil, qui pourra s’avérer contre-productive dès lors que plus d’un tiers des décisions prises par les représentants des États membres requiert l’unanimité, notamment en matière diplomatique, militaire, fiscale ou financière- de sorte qu’un seul pays non aligné a le pouvoir d’y faire obstacle, y compris sous l’influence directe d’un puissant État-tiers (Russie, Chine, États-Unis, etc.). C’est là l’un des grands périls politiques menaçant la cohésion et l’efficacité de l’UE au cours du cycle politique 2024-2029 - telle une épée de Damoclès.La fragmentation partisane du Conseil européen et du Conseil, qui pourra s’avérer contre-productive dès lors que plus d’un tiers des décisions prises par les représentants des États membres requiert l’unanimité.L’influence nationale par la clairvoyance : l’importance du contexte géopolitique et politiqueC’est aussi à l’aune du contexte géopolitique et politique que les rapports d’influence entre États membres se recomposent au sein de l’UE : il en va de même en ce début de cycle 2024-2029, à la lumière des priorités fixées par les "Orientations politiques pour la prochaine Commission européenne" proposées par Ursula von der Leyen tout comme par l’ "Agenda stratégique 2024-2029" du Conseil européen. Ces deux documents traduisent une forme de consensus diplomatique autour de quelques priorités présumées consensuelles et mobilisatrices à l’horizon 2030, comme le renforcement de la sécurité européenne sous toutes ses formes (militaire, économique, énergétique, alimentaire, démocratique…) ou la promotion de la compétitivité des économies du continent. Mais la mise en œuvre de ces orientations stratégiques devrait aussi donner lieu à l’expression de rapports de force et d’influence interétatiques, autour de quelques enjeux névralgiques.Une clairvoyance géopolitique diversement appréciéeAinsi l’évolution du contexte international, notamment marquée par l’agressivité militaire et/ou économique russe, chinoise et américaine, semble-t-elle plutôt porteuse pour la promotion des thèses françaises traditionnelles en matière d’Europe puissance, d’interventionnisme économique et d’activisme financier, au point d’avoir donné lieu à des avancées notables ces dernières années - notamment avec l’adoption du plan de relance "Next Generation EU" et le financement communautaire de livraison d’armes à l’Ukraine.Il reste cependant à préciser que la montée en puissance institutionnelle et politique des pays d’Europe centrale, nordique et orientale traduit une dynamique inverse, notamment fondée sur leur clairvoyance revendiquée quant à la persistance d’une menace russe et leur positionnement en première ligne dans le soutien au peuple ukrainien : "Paris" et "Berlin" ont de fait perdu une bonne partie de leur crédit compte tenu de la proximité énergétique (Allemagne) et diplomatique (France) entretenue avec Vladimir Poutine, y compris après l’annexion illégale de la Crimée, et au vu de leur soutien militaire jugé limité aux autorités de Kiev.Quels positionnements économiques entre la Chine et les USA ?Sur le registre économique, les rapports d'Enrico Letta sur le marché unique et de Mario Draghi sur la compétitivité européenne proposent des orientations qui structurent désormais l’agenda stratégique de l’UE, et dont la mise en œuvre va elle aussi servir de test en matière de rapports de force diplomatiques. Il est à cet égard symptomatique qu’un "Non-papier" mettant l’accent sur le nécessaire approfondissement du marché unique ait récemment été inspiré par l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Irlande, signé par 20 États membres, mais non par l’Espagne, la France et l’Italie. Cette division peut préfigurer le retour du débat traditionnel entre pays présumés libéraux, aujourd’hui dominants, et pays tenants d’un État plus interventionniste en matière économique - débat qui va également trouver à s’exprimer au regard de la révision/réduction annoncée de la législation européenne.La mise en œuvre des transitions verte et numérique pourrait, elle, apparaître comme une orientation plus consensuelle entre États membres, à défaut de l’être entre forces partisanes.La mise en œuvre des transitions verte et numérique pourrait, elle, apparaître comme une orientation plus consensuelle entre États membres, à défaut de l’être entre forces partisanes. Il est cependant probable qu’elle tende les rapports entre pays soucieux de renforcer l’autonomie stratégique des Européens vis-à-vis de la Chine et des États-Unis, comme la France, et ceux qui souhaitent à la fois maintenir des relations économiques ouvertes avec la Chine et des relations stratégiques privilégiées avec les États-Unis, comme l’Allemagne et la plupart des pays d’Europe centrale et orientale.Ces tensions seront sans doute particulièrement vives sur les enjeux climatiques et énergétiques, à l’heure de la nouvelle sortie américaine des "accords de Paris" et alors que recourir aux véhicules et technologies bon marché chinois contribuerait à accélérer la transition écologique européenne. Les crispations entre États-membres seront sans doute toute aussi fortes en matière numérique, alors que les firmes et autorités américaines prétendent s’affranchir des règles récemment édictées par l’UE (notamment "DMA" et "DSA"), tandis que les technologies digitales chinoises continueront à être suspectées de ne pas respecter nos normes et standards.Quel degré d’ouverture et de solidarité en matière migratoire ?Last but not least, les défis migratoires qu’est appelée à relever une Europe vieillissante ne manqueront pas de générer des tensions entre des pays méridionaux où débouche la majeure partie des flux provenant d’Afrique et du Proche-Orient, et des pays d’Europe septentrionale et centrale qui semblent de moins en moins désireux de les accueillir - alors qu’ils se sont montrés plus ouverts vis-à-vis des réfugiés ukrainiens. Si l’adoption récente du "Pacte asile-migration" traduit un consensus sur la nécessité de mieux contrôler les frontières externes de l’UE et de renforcer les partenariats avec les pays d’origine et de transit, sa mise en œuvre programmée fera immanquablement resurgir des désaccords quant à la solidarité financière et humanitaire à accepter au regard de migrants qui entendent souvent rejoindre "l’Europe" plutôt que tel ou tel pays - et dont la contribution économique est par ailleurs jugée essentielle par la Commission européenne et nombre de secteurs d’activité.L’influence par les performances : une équation diplomatique plus équilibrée ?L’influence d’un pays au niveau européen est enfin fortement indexée à ses résultats et à ses performances face aux enjeux qu’il s’agit de traiter en commun.Le poids des performances économiques nationalesDu point de vue économique, compte tenu des objectifs européens fixés en matière de compétitivité et d’investissement, mieux vaudra dès lors faire partie des États membres ayant tenu leurs comptes, affichant des excédents commerciaux et n’ayant pas connu de désindustrialisation massive ces derniers temps - pays qui se trouvent là encore plutôt au Nord et à l’Est de l’UE. La France fait figure de contre-exemple sur ces trois registres, puisqu’elle cumule un triple déficit record en matière commerciale, industrielle et budgétaire : il pourrait dès lors lui être plus difficile de persuader les autres États membres de lancer de nouveaux projets d’"alliances industrielles" si les origines largement domestiques de sa dévitalisation productive ne sont pas correctement identifiées et traitées par des autorités bénéficiant d’une forte légitimité pour ce faire.L’entrée dans le cycle politique 2024-2029 est à l’inverse marquée par un retour en grâce des pays méridionaux de l’UE (Espagne, Portugal, Grèce et Italie), jadis blâmés et soutenus en raison de la dégradation de leur situation économique et financière, et qui retrouvent tous peu ou prou aujourd’hui un dynamisme bénéfique en termes d’image et d’influence nationale. Dans ce contexte, l’évolution et l’issue des discussions relatives à la signature et à la ratification de l’accord "UE-Mercosur" offriront un test grandeur nature de la capacité d’entraînement de pays comme l’Espagne et le Portugal, tout autant qu’en matière de rapports de force diplomatiques.Graphique 3 - Dette publique dans les États membres de l’Union européenne (2024)DescriptionGraphique 3 - Dette publique dans les États membres de l’Union européenne (2024)Source : EurostatL’hétérogénéité des capacités d’investissements stratégiquesLa nécessité d’investir beaucoup plus massivement dans la transition écologique, l’innovation technologique et l’effort de défense va, elle aussi, confronter les États membres à des discussions lestées par leur forte hétérogénéité sur le plan financier. Si les rapports de force en la matière se cristalliseront à nouveau autour de la distinction traditionnelle entre contributeurs nets (Allemagne, Suède, Finlande, Autriche, etc.) et bénéficiaires nets, ils seront aussi beaucoup plus favorables aux États membres qui ont tenu leurs comptes publics et disposent d’importantes marges de manœuvre, y compris en termes d’aides d’État. Il sera à l’inverse beaucoup plus difficile à des États dispendieux, comme la France ou la Roumanie, de convaincre du bien-fondé de nouveaux emprunts et investissements communs face à la concurrence chinoise et américaine - dès lors qu’ils seront renvoyés à leur incapacité à respecter leurs engagements budgétaires (voir Graphique 3).La situation semble plus ambivalente en matière de défense, à l’heure où les États membres de l’UE sont appelés à accroître leurs dépenses et leurs efforts face à la menace russe et au désengagement annoncé des États-Unis (voir Graphique 4). S’il est notable que ce sont les pays d’Europe centrale et nordique qui se sont le plus mobilisés sur ce registre ces dernières années, un pays comme la France bénéficie d’un niveau d’équipements et d’expériences sans équivalent sur le plan militaire - en plus d’être le seul pays de l’UE doté de l’arme nucléaire. L’influence des États membres sur le registre diplomatique et militaire évoluera dès lors au gré du caractère plus ou moins distendu de l’Alliance atlantique, au sein de laquelle les partenaires traditionnellement privilégiés par Washington (Pologne, Pays-Bas, etc.) bénéficiaient jusqu’à lors d’un surcroît de crédit - tout comme en fonction de la capacité des pays de l’UE à renforcer leur soutien militaire et opérationnel à l’Ukraine.Graphique 4 - Dette publique dans les États membres de l’Union européenne (2024)DescriptionGraphique 4 - Dépenses publiques de défense et effort de défense dans les pays de l’UE (2024)Source : Ministère des Armées, Ecodef #251, Paris, octobre 2024Les équilibres diplomatiques présentés ci-dessus sont naturellement susceptibles de varier en fonction de l’évolution du contexte géopolitique et économique international : il reste à mesurer comment la politique adverse de Donald Trump, les suites données à l’invasion russe de l’Ukraine, l’agressivité croissante de la Chine ou encore l’instabilité du Proche-Orient les affecteront et les infléchiront. De tels équilibres évolueront aussi au gré des élections nationales qui scanderont le cycle politique 2024-2029, et notamment celles programmées en Allemagne (2025), puis en Espagne et en France (2027).Il va de soi que c’est aussi et surtout au regard du traitement des différentes priorités que se sont assignées les forces politiques dirigeant l’UE que leur interaction conduira à consolider telle ou telle forme de convergences ou d’alliances diplomatiques, voire partisanes. Ces évolutions sont appelées à s’inscrire dans une forme de continuité liée à l’inertie du triangle institutionnel communautaire et de mécanismes décisionnels majoritaires par nature peu propices aux ruptures et aux alternances radicales, mais qui n’en sont pas moins sensibles aux verdicts des échéances électorales et aux inflexions des opinions publiques.C’est aussi et surtout au regard du traitement des différentes priorités que se sont assignées les forces politiques dirigeant l’UE que leur interaction conduira à consolider telle ou telle forme de convergences ou d’alliances diplomatiques, voire partisanes.Copyright image : NICOLAS TUCAT / AFP Le président du Conseil Antonio Costa, la présidente de la Commission européenne et le Premier ministre polonais Donald Tusk à Bruxelles, le 19 décembre 2024.ImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneJanvier 2025L'après 2024 : crépuscule ou renouveau démocratique ?L’année 2024 a battu tous les records jamais enregistrés s’agissant de la tenue d’élections dans le monde. Plus de 60 pays étaient appelés aux urnes. Plus de 60 pays étaient appelés aux urnes, dont les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, Taiwan, l’Inde, la Russie ou la Turquie. Dans quel état se trouve la démocratie en ce début d’année 2025 ? Quels tout premiers enseignements peut-on tirer des différents scrutins ? L’année la plus démocratique de l’histoire récente serait-elle aussi celle de sa grande déconsolidation ?Consultez la Note d'enjeux 09/01/2025 Présidence tournante de l'UE : la Pologne en position de force Karolina Boronska-Hryniewiecka 27/11/2024 Le nouvel agenda stratégique européen face au risque du repli national Thierry Chopin 04/10/2024 Rapport Draghi : façonner l’Europe puissance Raphaël Tavanti-Geuzimian 12/12/2024 Motion de censure constructive : l'oxymore allemand dont la France a besoin... Joseph de Weck