Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
09/01/2025

Présidence tournante de l'UE : la Pologne en position de force

Présidence tournante de l'UE : la Pologne en position de force
 Karolina Boronska-Hryniewiecka 
Auteur
Chercheuse associée à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Professeur à l'Université de Wrocław, experte au sein de la Team Europe Direct Poland

"Sécurité, Europe !" : c'est la devise de la Pologne qui, portée par un gouvernement pro-européen depuis les élections législatives d’octobre 2023, a pris le 1er janvier la présidence tournante de l'UE pour six mois. Après une présidence hongroise qui avait suscité l’inquiétude, quelles sont les priorités de Varsovie et vers quels alliés se tournera un pays de plus en plus indispensable au sein de l’UE, alors que le duo franco-allemand se trouve en difficulté ? Quelle place pourrait être celle du Triangle de Weimar ? Quelle est la vision de la Pologne sur la guerre en Ukraine et la défense européenne, et comment Varsovie entend-elle concilier les relations transatlantiques avec l'autonomie stratégique européenne ? Karolina Borońska-Hryniewiecka répond à nos questions. 

Varsovie a pris la présidence tournante de l'UE pour six mois, ouvrant ainsi un nouveau trio présidentiel avec le Danemark et Chypre, jusqu'en juin 2026. Quelle est la feuille de route de la Pologne ?

La présidence polonaise de l'UE s’inscrit dans un contexte géopolitique complexe. La guerre en Ukraine traverse une phase critique à tous les sens du terme, à la fois difficile et décisive ; la Russie étend son influence et accroît sa pression sur la politique intérieure des États de l’UE comme des pays non membres (en Slovaquie, Hongrie, Géorgie ou Moldavie) via des opérations de désinformation. Aux États-Unis, la nouvelle administration Trump s’installe, tandis que l’Allemagne est suspendue à ses élections anticipées du 23 février. La nouvelle Commission européenne, enfin, a la lourde mission de préparer un prochain cadre financier pluriannuel qui puisse résister à l'épreuve du temps. Cette liste de défis stratégiques n’est pas exhaustive et, face à l’ampleur de la tâche, l’on comprend bien pourquoi la présidence polonaise s’est choisi pour devise "Sécurité, Europe !". Il s’agira avant tout de réaliser des progrès substantiels pour aborder la sécurité européenne dans toutes ses dimensions. 

La première des priorités consistera à renforcer la défense européenne, par l'augmentation des dépenses militaires et le renforcement de l’industrie de défense. 

La première des priorités consistera à renforcer la défense européenne, par l'augmentation des dépenses militaires et le renforcement de l’industrie de défense. La Pologne entend user des ressources de l'UE pour consolider des infrastructures de défense telles que le Bouclier oriental, le long des frontières avec la Biélorussie et avec l'enclave russe de Kaliningrad. Cette approche se conjugue avec la garantie de sécurité aux frontières extérieures de l'UE et la lutte contre l'immigration clandestine

La Pologne dispose sur ces sujets d’une longue expérience de négociations et de dialogue avec Bruxelles, très utile pour trouver une réponse adéquate aux menaces hybrides, en particulier liées à la désinformation et à l'instrumentalisation de l'immigration. Sur le premier enjeu, la Pologne voudrait créer un Conseil européen de résistance à la désinformation, sur le modèle de celui qu’a mis en place, à l’échelle nationale, le ministère polonais des Affaires étrangères.

Une autre priorité concerne la sécurité énergétique, afin de garantir aux citoyens et aux entreprises l’accès à l'énergie à des prix abordables et de stimuler la compétitivité européenne. L’un des enjeux pour la Pologne est de veiller à ce que l'énergie nucléaire soit considérée comme une énergie verte, et ne soit pas mise avec le pétrole ou le gaz, et d’augmenter les investissements pour diversifier les sources d’énergie afin de faire baisser les prix, dans un contexte de réduction des importations de pétrole et de gaz russes. La troisième priorité sera la sécurité économique. La Pologne, forte de la stabilité de son économie, a à cœur de stimuler l’innovation, en renforçant la compétitivité de l'UE. Elle compte mettre sa présidence tournante à profit pour réduire les charges administratives que l'UE fait peser sur les entreprises, remédier à la surréglementation et stimuler les discussions sur la forme que pourrait prendre un éventuel futur cadre financier pluriannuel, qui inclurait la politique de cohésion.

Pour la Pologne, la sécurité géopolitique européenne est intimement liée au soutien à l'Ukraine dans sa guerre défensive contre la Russie et à l'accélération du processus d'élargissement de l'UE, aussi la Pologne a-t-elle pour objectif d'ouvrir rapidement le premier chapitre de négociations avec l'Ukraine, qui concerne les "questions fondamentales", d'obtenir le soutien des États membres de l'UE pour la pleine utilisation des avoirs russes gelés afin de soutenir l'Ukraine, ainsi que de renforcer et d'élargir les sanctions à l'encontre de la Russie et de la Biélorussie.

Pour atteindre tous ces objectifs, la Pologne organisera une vingtaine de réunions ministérielles informelles à Varsovie, comme par exemple la réunion du Conseil des affaires générales au format Gymnich (qui rassemble les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne), à laquelle participera le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité.

Cette présidence intervient après une présidence hongroise de six mois, redoutée par certains commentateurs européens. Quel bilan peut-on dresser de celle-ci ? 

La Hongrie, en tant qu’elle assurait la présidence tournante du Conseil, a été reléguée de côté par les institutions de l’UE. Rien d'étonnant à cela. Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a été tenu à l'écart d'initiatives et d'accords importants, notamment en faveur de l'Ukraine, du fait de son parti pris en faveur de la Russie et de sa politique constante de veto. La Pologne a particulièrement regretté le blocage, par la présidence hongroise, de tout progrès sur la Facilité européenne pour la Paix (instrument financier créé en mars 2021 qui fournit une aide militaire aux pays partenaires et finance le déploiement des missions militaires de l'UE à l'étranger) au niveau du COREPER (Comité des représentants permanents de l’UE, organisme composé des représentants permanents de chacun des États membres auprès de l'UE). 

La mauvaise volonté hongroise n’est pas seule en cause : le blocage de tous les dossiers politiques majeurs s’explique aussi par le remaniement institutionnel au Parlement européen et à la Commission après les élections législatives de juin. Il n'y a cependant pas eu de boycott frontal de la présidence hongroise de la part des institutions européennes et, lors de la réunion conclusive du Conseil européen à Budapest en novembre 2024, le ton était plutôt amical : Ursula von der Leyen a ouvertement remercié "Viktor pour sa grande hospitalité". La réunion a débouché sur la Déclaration de Budapest sur le nouveau pacte européen pour la compétitivité, l'un des rares domaines d'action qui fasse consensus auprès de pratiquement tous les États membres.

L’un des principaux griefs de la Pologne à l’égard de la Hongrie, dont elle déplore le manque d'esprit européen, est lié à la "mission de paix" que Viktor Orbán s’est attribuée de son propre chef en se rendant à Moscou en juillet 2024 et à l'octroi de l'asile (en décembre 2024) à l'ancien vice-ministre polonais de la justice Marcin Romanowski, qui fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen. M. Romanowski est accusé de onze crimes, dont l'appartenance à un groupe criminel organisé et une escroquerie à hauteur d’environ 25 millions d'euros via un prétendu "fonds pour la justice".

Beaucoup parlent du "grand retour de la Pologne" sur la scène européenne depuis le retour de Donald Tusk au pouvoir, après huit années de gouvernement du PiS - parti conservateur et eurosceptique. Quel nouveau rôle le pays peut-il jouer dans l’UE après un relatif retrait ces huit dernières années ? 

La Pologne compte utiliser sa présidence pour réaffirmer qu’elle compte parmi les cinq États membres les plus importants au sein de l'UE. Elle peut se prévaloir de son influence politique majeure sur la question de l'Ukraine et de la Russie, de son poids économique et de ses ambitions en matière de défense.

Pourtant, de nombreux experts nationaux considèrent que la Pologne est encore trop modérée dans son parti pris pro-européen. Après huit années au pouvoir du parti Droit et Justice, le PiS, fortement eurosceptique et en conflit ouvert avec Bruxelles, on aurait pu s’attendre à ce que le gouvernement polonais actuel, dirigé par l'ancien président du Conseil européen Donal Tusk, prenne un cap nettement différent et plus constructif. 

Or, au cours de sa première année à la tête du gouvernement, l'administration Tusk a montré qu’il s’agissait plutôt pour la Pologne de "ne pas courir de risque" dans les affaires européennes. La meilleure illustration en a été l’opposition franche aux conclusions du rapport de la commission des Affaires constitutionnelles (AFCO) visant à réformer les traités de l’UE lors du vote à Strasbourg de novembre 2023, refus qui a été confirmé même après les élections régionales polonaises du printemps 2024 ainsi que lors de la campagne pour les élections au parlement européen, y compris par les députés les plus pro-européens et les eurodéputés de la Plate-forme civique, la coalition menée par Donald Tusk. 

Encore aujourd'hui, alors que la Pologne prend la présidence tournante, et avant les élections présidentielles polonaises de mai, la logique qui sous-tend cette stratégie d'autolimitation est d'éviter toute controverse et de jouer la conciliation avec l’opposition. Cette dernière fait de toute réforme des traités européens un repoussoir, en y voyant le risque d’une perte de souveraineté nationale. Dans ce contexte, au lieu de stimuler la discussion sur l'avenir de l'Europe entre les principaux acteurs de l'UE (c'est-à-dire la France et l'Allemagne), le gouvernement polonais évite le sujet des réformes institutionnelles de l'UE et se concentre plutôt sur la sécurité - dénominateur commun facile pour unir tous les partis de l'échiquier politique. Il sera toutefois impossible de mettre sous le tapis le sujet des réformes institutionnelles de l'UE, en particulier pour la Pologne, qui soutient si fortement l'élargissement.

Une autre faiblesse de la position de Varsovie est de sous-estimer une composante essentielle à la sécurité européenne, à savoir la dimension démocratique. Compte tenu de l'importance stratégique croissante de la Pologne et du retour au pouvoir d'un gouvernement pro-européen après près d'une décennie d’euroscepticisme, ce que beaucoup considèrent comme un succès démocratique majeur, la Pologne devrait s'exprimer davantage sur le renforcement de la démocratie européenne et sur la nécessité de "rapprocher l'UE de ses citoyens". 

La Pologne devrait s'exprimer davantage sur le renforcement de la démocratie européenne et sur la nécessité de "rapprocher l'UE de ses citoyens". 

L'un des moyens d'y parvenir serait de faire pression en faveur d'une nouvelle approche de l'éducation civique européenne pour en faire un rempart contre le populisme de droite et la désinformation. Une telle proposition, inspirée des recommandations de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, pourrait être l'une des contributions de la Pologne au débat sur la réforme institutionnelle de l'UE. 

Dans quelle mesure les divisions internes de la Pologne, entre le président conservateur Andrzej Duda, en poste jusqu’au mois d'août 2025, et Donald Tusk, joueront-elles dans les équilibres de la présidence de l’UE ? 

Andrzej Duda, à la tête du camp politique qui est l’adversaire de la coalition gouvernementale, a de sérieuses ambitions pour la présidence polonaise de l'UE, mais il les oriente davantage vers Washington que vers Bruxelles. Dans son discours du Nouvel An à la nation, le 1er janvier 2025, il a déclaré que la première priorité de la présidence polonaise serait de resserrer les relations de l'UE avec les États-Unis, ce qui - bien que traditionnellement important - ne figure pas officiellement parmi les objectifs de la présidence du gouvernement.

Conséquence logique, le président Duda a exprimé son intention d'organiser un sommet Amérique-UE au cours de la présidence polonaise. Le porte-parole du Président a déclaré que celui-ci espérait que le gouvernement "ne ferait pas obstruction ou n'interférerait pas avec cet objectif". Le porte-parole a mis en avant que le président Duda avait été l’un des premiers à ériger les relations transatlantiques au rang des priorités de la présidence polonaise, estimant qu’il fallait "avoir plus d'Amérique en Europe, car de nombreux pays essaient de pousser l'Amérique hors de l'Europe". Si le gouvernement polonais reconnaît l’importance des relations avec les États-Unis, M. Tusk souligne en même temps que l'Europe doit "réveiller ses ambitions et devenir autonome", illustrant par là les divergences de vue entre les deux centres de pouvoir nationaux. Elles se sont manifestées dès les premiers jours de la présidence. Le président Duda a décidé de ne pas participer à la cérémonie d'ouverture officielle du Grand Théâtre de Varsovie le 3 janvier. Quelques jours plus tard, après le tweet de Donald Tusk sur l'absence du président Duda (aperçu en train de skier dans l'une des stations de montagne polonaises), le conseiller du cabinet du président a déclaré que le gouvernement avait instrumentalisé la présidence du Conseil de l'UE pour mettre à l'honneur Donald Tusk au Grand Théâtre". Il a ajouté que le président n'accordait aucune importance à de telles manœuvres.

Qui sont les alliés de la Pologne ? À l’heure où les alliés français et allemand sont fortement affaiblis, le format du Triangle de Weimar peut-il être réactivé ? 

Dans les circonstances géopolitiques, la Pologne reconnaît ses alliés dans les pays qui expriment un soutien sans faille à l'Ukraine et se déclarent en faveur de son adhésion à l'UE, qui militent en faveur d'un renforcement des capacités de défense de l'UE et qui mènent une politique stricte et intransigeante à l'égard de la Russie. Comme l'a fait remarquer Donald Tusk lors du sommet informel des Nordic-Baltic Eight (les États membres du Conseil nordique et de l'Assemblée balte) en Suède en novembre, "il s’agit de la première fois que nous formons un bloc non seulement aussi uni, mais aussi solide, de pays qui partagent une même position sur les enjeux les plus délicats, comme ceux de la guerre en Ukraine, et qui parlent exactement le même langage sur les questions clés". Aucun des pays nordiques et baltes ne conditionne l'élargissement de l'UE à la réforme des institutions (traités) de l'UE, au contraire de l'Allemagne et de la France.

Pourtant, l'Allemagne et la France ont toujours été des partenaires importants pour la Pologne et il apparaît nettement qu'après plus de 8 ans de gouvernement PiS, le Triangle de Weimar reprend de la vigueur sur plusieurs fronts. De nombreuses initiatives sont formées à tous les niveaux pour renforcer l'influence du format dans le domaine des affaires européennes, comme en témoigne la déclaration de Weimar du 25 novembre 2024 signée par les présidents des commissions des Affaires européennes des trois parlements. Cependant, des actions plus concrètes et tangibles sont nécessaires. Le Triangle de Weimar devrait joindre ses efforts de manière beaucoup plus active pour rendre opérationnel le "European Competitiveness Deal" mentionné plus haut. Il n’en demeure pas moins vrai que la situation politique et économique des deux partenaires de la Pologne suscite des inquiétudes à Varsovie, en particulier au moment de construire un front commun face à la politique de Donald Trump à l'égard de l'Europe. 

Le Triangle de Weimar doit œuvrer de concert au sein d'une coalition élargie pour revitaliser le Partenariat oriental, urgence criante face à la guerre russe et à l’instabilité accrue dans le voisinage, et exprimer un soutien renforcé à l'Ukraine. Pourtant, la position française - et plus encore la position allemande - à l'égard d'engagements concrets, comme le serait par exemple l'opérationnalisation de la Facilité européenne pour la paix, n'est pas clairement affirmée, alors même que Donald Trump attend des Européens qu'ils prennent davantage en charge leur sécurité en dépensant plus pour leur défense, et que Berlin et Paris restent à la traîne.

Quelle est la position de la Pologne à l’égard d’une paix négociée en Ukraine et pourrait-elle faire avancer le dossier ? 

La position polonaise, réaffirmée par la coalition au pouvoir, s'accorde sur un point : "Rien sur l'Ukraine sans l'Ukraine". 

Les autorités polonaises sont très préoccupées par les promesses d'accord de paix faites par Donald Trump. La position polonaise, réaffirmée par la coalition au pouvoir, s'accorde sur un point : "Rien sur l'Ukraine sans l'Ukraine". Donald Tusk a souligné qu'il souhaitait la paix, mais à condition qu'elle soit une paix juste, c'est-à-dire qui respecte l'intégrité territoriale de l'Ukraine. 

La Pologne estime aussi que la seule garantie de sécurité crédible pour l'Ukraine consiste dans son adhésion à l'OTAN et qu’aucune déclaration politique ne pourra s’y substituer. Différents scénarios de maintien de la paix sont possibles, mais la Pologne veut la garantie que la fin de la guerre et la levée des sanctions ne conduiront pas à ce que la Russie soit laissée à elle-même et capable de se réarmer : pour Varsovie, en aucun cas Poutine ne peut constituer un partenaire fiable. 

S’agissant de l’économie, alors que la Pologne partage les vues des rapports Draghi et Letta, dans quels projets cela pourrait-il s’incarner ? Comment se positionne la Pologne vis-à-vis du Mercosur et la présidence tournante polonaise aura-t-elle son mot à dire sur le sujet ?

Si la Pologne partage le point de vue général du rapport Draghi selon lequel l'économie européenne doit s’affirmer face à la concurrence, elle considère également que le rapport présente une vision incomplète de la réforme des institutions européennes, principalement parce qu'il a été rédigé sans la contribution des pays d'Europe centrale et orientale (PECO). Les experts et économistes polonais ont a plusieurs reprises dénoncé une omission inacceptable et Varsovie a fait valoir qu’elle souhaitait une feuille de route plus équitable et plus cohérente pour renforcer les avantages économiques de l'UE, en tenant compte du développement interne et des disparités de PIB entre les États membres de l'Ouest et de l'Est. Les préoccupations concernent notamment la transition verte, que les États membres les moins riches de l'UE considèrent ne pas pouvoir assumer au rythme prescrit par le rapport Draghi. Les critères et les mécanismes imposés par le haut, s’ils ne reposent pas sur la subsidiarité, pourraient conduire à une baisse de la compétitivité dans de nombreuses parties de l'UE - ce ne serait pas le moindre des paradoxes. 

Concernant le renforcement de la sécurité économique, la présidence polonaise a trois grandes priorités : 1) réduire les charges administratives et la surréglementation, en particulier pour les petites et moyennes entreprises, et assouplir la mise en œuvre des réglementations en matière d'énergie et de climat ; 2) rétablir des conditions de concurrence équitables pour l'industrie européenne face aux pratiques protectionnistes et 3) veiller à ce que la politique de cohésion reste un élément important du marché unique de l'UE afin de renforcer la sécurité et la compétitivité dans les régions les moins développées de l'UE.

Le Mercosur et l'agriculture polonaise font partie des sujets mis à l’agenda. Le ministère du Développement et de la Technologie et le ministère de l'Agriculture s'opposent à la finalisation de l'accord sous sa forme actuelle. Le gouvernement polonais souhaite que la Commission européenne n'examine pas seulement les accords commerciaux bilatéraux ou les préférences douanières, mais qu'elle tienne compte de tous les accords déjà conclus et de ceux qui sont en cours de négociation. Il attend une analyse cumulative de la manière dont leur effet conjoint affectera les secteurs de la viande, du lait et du sucre, particulièrement sensibles et cruciaux pour la sécurité alimentaire de l'UE. Il s'agit d'examiner les effets des accords commerciaux sur la stabilité de la production, des revenus des agriculteurs et de la disponibilité des denrées alimentaires dans les zones agricoles.

La Pologne défend une relation transatlantique forte : comment cela est-il compatible avec le renforcement de la défense européenne ?

Affirmation de la défense européenne et renforcement de la relation transatlantique ne sont pas incompatibles mais fonctionnent en synergie. La sécurité polonaise a toujours reposé sur les deux piliers que sont l'adhésion à l'OTAN et l'engagement des États-Unis en Europe. Il est essentiel pour la Pologne de développer une coopération militaire avec les États-Unis, de moderniser sa propre armée et de maintenir une présence permanente des troupes américaines en Pologne. La Pologne figure en tête des pays membres de l'OTAN qui dépensent le plus pour leur défense (4,1 % de son PIB). Varsovie est donc un partenaire crédible pour les États-Unis et pour Trump, qui attend de l'Europe qu'elle renforce ses propres efforts en matière de sécurité. 

Affirmation de la défense européenne et renforcement de la relation transatlantique ne sont pas incompatibles mais fonctionnent en synergie.

Néanmoins, la majorité des dépenses polonaises en matière de défense bénéficient aux États-Unis, où la Pologne se fournit en équipements. Dans le même temps, le ministre des Affaires étrangères polonais, Radosław Sikorski, souligne qu'il est dans l'intérêt de la Pologne qu’elle renforcer les capacités militaires et de défense de l'UE et qu’elle se positionne en leader dans ce domaine. Si les autorités polonaises sont conscientes que la Pologne ne peut pas compter uniquement sur les États-Unis, c'est Donald Trump qui le dit en premier lieu. 

Il faudrait donc qu’enfin la fausse dichotomie entre les efforts de sécurité de l'OTAN et de l'UE soit remplacée par une approche synergique. Ainsi, s'il faut bien sûr prévoir une coopération avec les États-Unis en matière de sécurité, qui comprenne les sujets énergétiques et technologiques, cela n’empêchera pas la présidence polonaise de soutenir fermement la construction de l'autonomie stratégique de l'UE, notamment en vue de soutenir plus efficacement l'Ukraine contre la Russie.

Le 12 décembre, Emmanuel Macron se rendait à Varsovie pour discuter avec Donald Tusk du soutien européen à l’Ukraine dans le nouveau contexte transatlantique et de la présidence tournante à venir : quelle est la place de la relation franco-polonaise en Europe ? 

Face à l'échec progressif du leadership de Berlin, Emmanuel Macron a longtemps présenté la France comme une force d’impulsion et d’idées majeure au sein de l'UE. Désormais en difficulté sur le plan domestique, alors que la stabilité de son gouvernement est incertaine et que sa capacité à présenter un budget crédible se voit compromise par les niveaux excessifs de déficit et de dette publics, les ambitions européennes de Paris devront être mises sur pause pour concentrer tous les efforts vers le contexte national. Dans le même temps, la Pologne, dont l’économie est performante et les dirigeants expérimentés (l'ancien président du Conseil européen Donald Tusk et le charismatique ministre des Affaires étrangères Radek Sikorski), semble être un candidat approprié pour jouer un rôle de premier plan sur de nombreux fronts politiques de l'UE, d’autant plus que les annonces de plus en plus fermes d’Emmanuel Macron concernant le soutien à l'Ukraine ou la nécessité de minimiser le rôle des États-Unis en Europe vont dans le sens de la Pologne.

La stagnation économique de l'Allemagne et le climat de temporisation qui prévaut en l’attente des élections anticipées, de même que l'alliance d'Elon Musk avec les forces populistes de droite en Allemagne et son ingérence dans la politique européenne, sont autant de raisons pour lesquelles la Pologne et la France doivent jouer le rôle de tandem démocratique, progressiste et fortement pro-européen. 

Les sujets de convergence dominent de plus en plus largement sur les sujets de divergence entre la Pologne et la France. Ainsi, alors que sous le précédent gouvernement PiS, la politique d'autonomie stratégique voulue par Paris pour l'Europe était considérée comme une tentative de marginaliser le rôle de l'OTAN, l'actuelle coalition polonaise au pouvoir conçoit la complémentarité des enjeux aux niveaux de l'OTAN et de l'UE. La visite d’Emmanuel Macron à Varsovie a constitué une tentative de développer une position commune sur les défis clés. En ce qui concerne les questions saillantes actuelles, l'approche sceptique de l'accord du Mercosur unit également les deux pays.

Lundi 6 janvier, Radosław Sikorski était l'invité d'honneur de la réunion des ambassadeurs français à Paris. Lors d'une conférence de presse conjointe avec le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, M. Sikorski a souligné qu'il percevait l'invitation à cette réunion comme l’expression de la confiance qui unissait la France et la Pologne et une confirmation des excellentes relations polono-françaises. Il s'agissait en fait de sa première visite à l'étranger au cours de sa présidence. Par ailleurs, les deux pays travaillent depuis un certain temps à l'élaboration d'un traité bilatéral de coopération renforcée, mais les travaux ont été interrompus par les élections législatives anticipées en France et l'incertitude politique qui s'en est suivie. Il semble qu'ils aient repris et, selon M. Sikorski, le traité sera finalisé dans les mois à venir. La signature d'un accord détaillé ne manquera pas de renforcer l'axe franco-polonais au sein du Triangle de Weimar et de donner un nouvel élan aux initiatives politiques communes.

 

 

Copyright Image : Sergei GAPON / AFP

Le Premier ministre polonais Donald Tusk reçoit le Président du Conseil européen Antonio Costa à Varsovie le 3 janvier 2025, alors que la Pologne prend officiellement la présidence tournante de l’UE. 

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne