AccueilExpressions par MontaigneMotion de censure constructive : l'oxymore allemand dont la France a besoin ? L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.12/12/2024Motion de censure constructive : l'oxymore allemand dont la France a besoin ? Europe Union EuropéenneImprimerPARTAGERAuteur Joseph de Weck Expert associé - Allemagne La motion de censure française, définie par l’article 49 de la Constitution, est lourde de conséquences mais n'est assortie que de trois conditions : qu'un dixième des députés signent son dépôt ; que 48 heures séparent le dépôt de la motion et le vote ; que la majorité absolue des députés la votent pour qu'elle soit adoptée. Une quatrième condition eût été possible : que les députés censeurs proposent un plan B. Ailleurs en Europe, c'est ainsi qu'on envisage les choses, à travers la motion de censure constructive, qui est pratiquée en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en Hongrie, en Pologne ou en Slovénie : de quoi s'agit-il ? Alors que le gouvernement d'Olaf Scholz vient de poser une question de confiance et qu'il sera renversé lundi 16 décembre, l'exemple de l'Allemagne peut-il nous inspirer ? Entretien avec Joseph de Weck. Comment définir la motion de censure constructive et qu'est-ce que prévoit l'article 67 de la Loi fondamentale allemande ? Il existe deux manières de faire tomber un gouvernement en Allemagne : la motion de défiance, qui répond au vote de confiance adressé par le chancelier, et la motion de censure constructive, quand le Parlement est à la manœuvre. À la différence de la France, mais comme c'est le cas dans d'autres pays d'Europe, cette seconde procédure ne peut être engagée qu'à la condition qu'un quart des députés propose le nom d'un Premier ministre de substitution. Cette proposition doit ensuite être votée, après un délai de réflexion de 48 heures - qui existe également en France - à la majorité des députés. Les députés ne peuvent pas se prononcer favorablement pour la censure sans accepter le nom du chancelier remplaçant. C'est ensuite le président de la République allemande qui nomme formellement le chancelier, lequel choisit ensuite ses ministres, selon les négociations qui ont présidé au contrat de coalition. Enfin, le Parlement donne sa confiance à l'intégralité du gouvernement qui lui est présenté. Quel était le dessein des législateurs allemands au moment de conditionner la motion de censure à un résultat ? La Loi fondamentale de la République fédérale allemande, adoptée à Bonn le 8 mai 1949 pour la RFA et étendue en 1990 à la RDA, tire les leçons de l'expérience de l'Entre-deux guerre. Ses rédacteurs, échaudés par l'instabilité chronique de la République de Weimar, régime fragilisé par la facilité avec laquelle le Parlement pouvait censurer le gouvernement, ont fait en sorte que toute censure s'accompagne d’un "plan B" afin de réunir une majorité appuyée sur un programme. En effet, la République de Weimar avait plusieurs fois subi l'"alliance des contraires" entre les communistes et les nationaux-socialistes, qu’elle mette le gouvernement sous une épée de Damoclès, qu’elle conduise à sa chute ou qu’elle censure un ministre individuel. En revanche, dès qu'il s’agissait de s’accorder sur un programme de gouvernement, les communistes et l'extrême droite en étaient incapables et n’avaient même aucun intérêt à proposer une alternative politique. L'usage fréquent du néologisme "mehrheitsunfähig", "incapable de majorité", pour désigner le Parlement entre 1918 et 1933 est révélateur. La motion de censure constructive va de pair, dans le système allemand, avec une motion de défiance : à quoi renvoie cette dernière notion ? La motion de défiance est l'autre moyen de faire tomber un gouvernement. Elle correspond au 49.3 français. Le chancelier demande au Parlement de lui renouveler sa confiance et, s'il échoue, le gouvernement est démis. Il revient ensuite au président de la République de décider s'il convoque des élections législatives anticipées ou s'il demande au Parlement de trouver une majorité alternative autour d'un nouveau gouvernement. En effet, ce n'est pas le gouvernement qui peut décider d’une dissolution mais le président. En Allemagne, cette personnalité, dotée de peu de pouvoir, est élue par le Bundestag et une délégation de députés des parlements des Länder et est choisie pour être au-dessus de la mêlée, même si la gauche et la droite ont leur propre candidat. Elle est moins soumise aux clivages partisans. La motion de défiance est un outil très souvent utilisé. Chaque chancelier y a eu recours pour faire voter une loi ou faire tomber volontairement son propre gouvernement. Depuis Willy Brandt en 1972, tous les Chancelier ont eu recours à la motion de censure, sauf Angela Merkel qui, forte de sa légitimité, n'en a jamais eu besoin. En France, du moins jusqu'à récemment, la motion de censure avait un effet essentiellement vocal ou emphatique : il s'agissait pour les députés de marquer avec force leur opposition, sans réelle chance que la procédure aboutisse. Cette vocation de "communication" existe-t-elle aussi en Allemagne ? Il est trop coûteux de se mettre d'accord sur le nom proposé dans la motion de censure pour que cela soit envisagé dans le seul but de souligner une opposition. De plus, on imagine combien serait affaibli le parti qui sacrifierait un nom rejeté ensuite par les autres parlementaires. Il s'agit véritablement d'exposer une personnalité et il serait ridicule de proposer la candidature d'un chef de parti si c'est pour qu'il soit refusé par 80 % de l’Hémicycle… Qui sont les chanceliers arrivés au pouvoir grâce à l'utilisation de la motion de censure constructive ? Quelle a été leur légitimité et leur bilan ? La motion de censure constructive a été très rarement employée dans l'histoire : une fois en 1972, quand la CDU propose Rainer Barzel pour remplacer le chancelier Willy Brandt (cela se solde par un échec) et une fois en 1982. Le CDU Helmut Kohl est alors élu chancelier à la place de Helmut Schmidt (SPD), quand le FDP décide de quitter la coalition passée avec les sociaux-démocrates pour rallier les démocrates-chrétiens. Une fois nommé, Helmut Kohl a fait quelques "réformes d’urgences" avant d'initier une motion de défiance pour pousser le président à annoncer la convocation d'élections anticipées, le 7 janvier 1983, qu'il a gagnées. Rien ne l'y contraignait mais il a senti le besoin de cette légitimité démocratique supplémentaire. Il est ensuite resté au pouvoir durant seize ans, et demeure un des grands chanceliers de l'histoire allemande de l’après Seconde guerre mondiale. Quelle est la place de la motion de censure constructive dans les débats politiques actuels outre-rhin ? Était-elle une alternative à l'éclatement de la coalition gouvernementale ? Le gouvernement allemand va tomber via une motion de défiance, non une motion de censure constructive. Dans le contexte actuel, rien n'obligeait Olaf Scholz à demander la confiance des députés après l'éclatement de la coalition tricolore (les sociaux-démocrates du SPD, les Verts et les libéraux du FDP) mais la pression et les blocages politiques l'y ont contraint. Le chancelier a annoncé le 11 décembre qu'il demanderait la confiance du Bundestag, afin d'ouvrir la voie à des élections fédérales anticipées. La motion de défiance une fois posée, le 11 décembre, il faudra laisser passer le délai réglementaire de 48h, qui arrivera à échéance un samedi : aussi le vote est-il fixé au lundi 16 décembre. Le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, demandera ensuite la dissolution. Il aurait pu, juridiquement, demander à la CDU de former une nouvelle coalition mais le parti, qui n'avait gagné que 24 % des voix seulement en mars 2021, est conscient qu'il aura beaucoup à gagner d’un passage aux urnes. Il n'y a aucune raison - à moins d'une obstination déraisonnable qui relève de la politique-fiction - que le président refuse ce que tous les partis demandent. Estimez-vous que la France pourrait utilement intégrer la motion de censure constructive dans son arsenal constitutionnel ? La France pourrait en effet gagner à responsabiliser le Parlement en élargissant ses ressources constitutionnelles.La France pourrait en effet gagner à responsabiliser le Parlement en élargissant ses ressources constitutionnelles ; néanmoins, adopter le principe d'une motion de censure constructive n'a de sens qu'à la condition d'enlever au président le droit de nommer le Premier ministre pour confier cette responsabilité aux députés. Même sans majorité, un Parlement à qui incombe la tâche de proposer un nom est bien obligé de trouver à s’entendre et à faire des compromis. Si on reste dans le cadre du régime semi-présidentiel hexagonal, où le Premier ministre peut (du moins en théorie) gouverner sans majorité au Parlement, la "motion de censure constructive" renforcerait la puissance du président de la République, dont la légitimité du choix, qui dépendrait plus directement du pouvoir législatif, semblerait davantage incontestable. Cela pourrait répondre à ce qui est l'une des grandes difficultés du système français et l'une des sources des incompréhensions qui entourent Emmanuel Macron : concilier un régime parlementaire avec le pouvoir du président de la République de nommer le chef du gouvernement, gouvernement ensuite responsable devant le Parlement… Propos recueillis par Hortense MiginiacCopyright image : RALF HIRSCHBERGER / AFP Olaf Scholz s'adresse au BundestagImprimerPARTAGERcontenus associés 04/12/2024 [Le monde vu d’ailleurs] - Les mémoires d’Angela Merkel, chant du cygne de ... Bernard Chappedelaine 08/11/2024 Crise politique en Allemagne : un défi européen Joseph de Weck