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12/09/2024

Un nouveau Premier ministre face aux défis démocratique et programmatique

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Un nouveau Premier ministre face aux défis démocratique et programmatique
 Bruno Cautrès
Auteur
Expert Associé - Sociologie politique et Institutions

Plus de cinquante jours après la démission du gouvernement de Gabriel Attal, le président de la République a désigné le nouveau locataire de Matignon : Michel Barnier, ancien ministre, ancien commissaire et député européen, ancien négociateur en chef de l'UE chargé du Brexit, parmi une multitude d’autres fonctions, succède donc à Gabriel Attal. Coup de théâtre, coup de poker aventureux, coup de génie tactique ou coup de massue déloyal ? Pour comprendre la situation du pays, nous avons posé trois questions à Bruno Cautrès, qui lit la décision du chef de l’État à travers les enquêtes électorales et analyse le choix présidentiel à l’aune des attentes des Français telles qu’exprimées dans les urnes. Entre le “facteur personnel” d’un homme politique d’expérience, les contraintes budgétaires et les priorités des Français, quelles pourraient être les lignes de force d’une action gouvernementale ? Après une crise politique inédite, comment construire un récit apte à légitimer la décision présidentielle et l’action du nouveau locataire de Matignon ?

Quelles étaient les attentes des Français et dans quelle mesure le choix du président est-il susceptible d’y répondre ?

La dissolution a plongé Emmanuel Macron dans un inextricable labyrinthe ; si l’Élysée a montré les apparences de la sérénité et de la maîtrise, il est douteux que le chef de l’État ne ressente pas douloureusement l’échec d’une décision qui restera comme la grande erreur stratégique et tactique de son mandat. Désormais, il lui faut asseoir la légitimité de son nouveau Premier ministre en l’appuyant sur un gouvernement, un récit et un programme. Or, celle-ci est pour l’heure mal assurée, si l’on se reporte à la vaste enquête électorale menée par Ipsos pour l’Institut Montaigne, en partenariat avec Le Monde, la Fondation Jean Jaurès et le Cevipof, et aux résultats électoraux depuis 2022.

Il est douteux que le chef de l’État ne ressente pas douloureusement l’échec d’une décision qui restera comme la grande erreur stratégique et tactique de son mandat

Les deux tours des élections présidentielle et législatives de 2022, ceux des européennes et des législatives de 2024, offrent des indications fournies et éloquentes sur les préférences des électeurs et montrent combien la nomination de Michel Barnier a de quoi surprendre.

Depuis 2022, Les Républicains n’ont rallié les suffrages que d’entre 1,6 (présidentielle 2022) et 2,3 (législatives 2024) millions d’électeurs sur 49 millions, et le parti n’est qu’en 5e position des suffrages. Les Républicains ne semblait donc pas être le parti le plus apte à fournir un chef de l’exécutif et les Français, face à la décision du chef de l’État, risquent se sentir ignorés, d’autant plus que certains s’estimaient déjà lésés par la stratégie de front républicain des dernières législatives : 45% des sondés estiment qu’il n’a été qu’une tactique des partis traditionnels pour se maintenir au pouvoir. Les chiffres varient en fonction de l’affiliation partisane car les jeux n’ont pas été symétriques dans les triangulaires où le RN faisait face à la droite et celles où il faisait face à un candidat du Nouveau Front populaire (NFP). Une telle stratégie de “front républicain” sera donc difficile à réactiver à l’avenir chez les sympathisants du NFP et, à l’issue des élections, les sentiments négatifs (déception, colère) dominent. Certes, ces sondages rendent compte de la perception des électeurs avant la nomination de Michel Barnier à la tête de l’exécutif, mais les Français gardent le sentiment que ce sont les partis Les Républicains et Renaissance qui sont sortis les plus affaiblis de la séquence politique en cours. Ce sont pourtant eux qui ont aujourd’hui la main sur la formation du gouvernement : faire accepter l’idée que Michel Barnier est l’homme de la situation ne sera pas chose aisée.

Les Français privilégiaient d’autres configurations pour une coalition “idéale” : un gouvernement strictement LR n’emportait l’adhésion de personne, mais 48% des électeurs estimaient judicieuse l’idée d’une coalition formée de LR et de Ensemble, 42% privilégiaient Ensemble et le NFP, 45% le RN et ses alliés, et 50% une coalition formée d’Ensemble et du NFP sans LFI. Si l’on précise en fonction de la proximité partisane, à gauche, le souhait d’une coalition constituée de Ensemble et de toute la gauche sauf LFI dominait chez les socialistes (42% y étaient favorables en considérant cette solution comme souhaitable et possible), était important chez les écologistes (39%), et même les communistes n’étaient pas contre. Seuls 13% des socialistes, 24% des écologistes et 27% des communistes estimaient qu’il s’agissait d’une mauvaise solution. LFI a une image plus radicalisée et inquiétante que celle du RN et plusieurs segments de l’opinion sont acquis à l’idée que le parti de Jean-Luc Mélenchon attise la violence et met en danger la démocratie, en des proportions quasi identiques chez les socialistes et chez l’ensemble des électeurs.

Certes, les manifestations d’opposition après la nomination de Michel Barnier, dimanche 8 septembre, à la demande de Jean-Luc Mélenchon, ont témoigné d’une défiance moindre que prévu et, avec 110 000 manifestants, les foules n’étaient pas dans les rues. On constate néanmoins parmi l’ensemble des électeurs de gauche une grande insatisfaction, une déception et même de la colère vis-à-vis de la nomination de Michel Barnier. Les Français n’ont donc pas donné leur quitus à Emmanuel Macron et l’urgence pour lui va être de se légitimer tant par la composition du gouvernement que par les priorités de l’action publique qui vont être affichées. Les élections européennes et les élections législatives ont quand même montré une claire sanction d’Emmanuel Macron.  


Face à la crise politique, quels pourraient être les atouts du nouveau Premier ministre et quelles seront, au contraire, ses faiblesses ?

Gabriel Attal et Michel Barnier sur le perron de Matignon : l’image incarne la paradoxale succession de deux mondes et de deux générations, où le plus jeune cède place au plus âgé.

On pourrait reprocher à Michel Barnier d’être un Premier ministre “par défaut”, ancré dans une courant de droite minoritaire aujourd’hui ayant eu des positionnements politiques qui semblent regrettables aux sensibilités actuelles. Certains déploreront le choix d’un émissaire de Bruxelles, mis à la tête du gouvernement pour administrer à la France une cure d’austérité.

Gabriel Attal et Michel Barnier sur le perron de Matignon : l’image incarne la paradoxale succession de deux mondes et de deux générations, où le plus jeune cède place au plus âgé.

Mais d’autres diront que, loin d’être un homme de parti - quoiqu’il soit fidèle aux Républicains-, il est un homme d’État qui n’a jamais eu l’occasion de donner sa pleine mesure et qu’il a désormais l’occasion de prendre sa revanche en assumant une charge lourde dans un moment de crise. C'est évidemment cette dernière carte qu’il lui faudra jouer s’il entend réussir. Elle est d’autant plus légitime qu’on ne saurait faire de Michel Barnier un simple “Parisien” ou “Bruxellois”. Homme méthodique, peu enclin aux grandes envolées, ancré dans son département de Savoie, où il est connu et apprécié, il a d’emblée voulu rompre le style de ceux qui méprisent “les gens d’en-bas”, dont il dit faire partie, en une allusion à peine voilée à des propos présidentiels malheureux - quoique l’expression “gens d’en bas” ne puisse guère se prévaloir d’être bien choisie. Son premier déplacement fut à l’hôpital Necker, ce qui est également loin d’être un détail dans le contexte de la crise des urgences et qui montre la volonté de mettre en avant le service public et la santé.

Entre ces récits possibles, ce sont les choix concrets d’un nouveau gouvernement qui détermineront celui qui prévaudra. Il reste à Michel Barnier à privilégier les personnalités politiques locales, sans commettre l’erreur de choisir des poids lourds de tel ou tel parti, ou de reconduire les membres du gouvernement démissionnaire, ce qui sera inéluctablement perçu comme un aveu de continuité alors que Michel Barnier a parlé de “changements” et de “ruptures”. Une prise de parole présidentielle, pour expliquer et justifier son choix, serait bienvenue si le chef de l’État veut affronter la critique d’entre-soi droitier ou de déni démocratique. Ce sentiment est d’ailleurs présent dans toutes les enquêtes d’opinion, y compris celle réalisée avec Ipsos : le sentiment d’une décorrélation totale entre le choix d’Emmanuel Macron et le résultat des urnes. Construire la légitimité de Michel Barnier sera d’autant plus urgent qu’il lui échoira d’annoncer des coupes dans les dépenses publiques et des augmentations d'impôts.

Face aux contraintes budgétaires sans cesse resserrées, quelles devront être les priorités du prochain gouvernement ?

L’enquête électorale réalisée avec Ipsos fait ressortir une nette hiérarchie des priorités des Français, qui devront être prises en compte par le prochain gouvernement : la sécurité, le pouvoir d’achat et les finances publiques sont placés en tête des préoccupations principales des Français.

La situation politique inédite de ces derniers mois a également fait ressurgir la question du mode de scrutin, comme l’un des moyens à même de résoudre la crise démocratique et politique. L’instauration d’une dose de proportionnalité doit-elle être mise au programme ? Sur ce sujet on observe un étrange consensus entre les forces partisanes, qui n’est qu’apparent. Marine Le Pen, dans un entretien donné à La Tribune Dimanche, s’est dite favorable à l’instauration d’un scrutin proportionnel à un tour, afin de rendre impraticables les stratégies de type “front républicain”, qui marginalisent son parti. Michel Barnier a également évoqué le sujet dès sa première interview, sans pour autant donner un assentiment net à sa mise en place : ce gaulliste convaincu, attaché au système de la Ve République, semble favorable à une proportionnelle “modérée”, qui n’occasionne pas de changement structurel aux institutions actuelles et qui préserve la stabilité gouvernementale. Cela reviendrait à instaurer peut-être une prime majoritaire, au risque de donner le pouvoir au Rassemblement national. Si une telle réforme devait voir le jour, les modalités du scrutin proportionnel - son dosage et la méthode de la clef de répartition - seraient donc au cœur des débats.

Une autre question qui occupe le devant de la scène politique et médiatique est celle des retraites : l’abrogation de la réforme, promise par le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national, est le seul sujet qui pourrait réunir une majorité nécessaire au vote d’une motion de censure autour de ces deux partis aux positions très éloignées par ailleurs. Les retraites ne sont toutefois pas un sujet prioritaire pour les électeurs RN. Michel Barnier prévoit des aménagements, en faveur des carrières longues ou des situations de pénibilité, une manière de jouer l’apaisement et la conciliation.

La place des retraites dans les débats, ou celle du thème des institutions et la crise de la démocratie (hypothèse Thierry Beaudet) seront néanmoins sans doute secondaires après l'annonce le 9 septembre, par le ministre démissionnaire des Finances, Bruno Le Maire, et celui délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave, d’un dérapage du déficit public de l'ordre de 16 milliards d'euros.

Le budget à venir obligera à une rationalisation et une hiérarchisation de l’action publique, et mettra les sujets budgétaire et régalien au centre

Le budget à venir obligera à une rationalisation et une hiérarchisation de l’action publique, et mettra les sujets budgétaire et régalien au centre. Michel Barnier devra commencer par négocier avec Bruxelles un délai pour la remise du Plan budgétaire et structurel national à moyen terme de la France, dont la remise à la Commission est pour l’instant attendue le 20 septembre.

 

Propos recueillis par Hortense Miginiac


Copyright STEPHANE DE SAKUTIN / POOL / AFP

 

 

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