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22/07/2024

[Gouverner avec son opposant] - L’Allemagne, terre de compromis ?

[Gouverner avec son opposant] - L’Allemagne, terre de compromis ?
 Joseph de Weck
Auteur
Expert associé - Allemagne

Tout l'été l'Institut Montaigne s'intéresse aux pratiques de compromis, de cohabitation et de coalitions en Europe et dans le monde. Ce premier épisode nous emmène en Allemagne. L’Allemagne a, depuis 1945, une longue tradition de coalition entre les adversaires que sont le SPD (sociaux-démocrates) et la CDU/CSU (démocrates chrétiens et conservateurs), qui s’explique à la fois par le mode de scrutin (alliage de vote majoritaire et proportionnel) et la culture politique : aucun parti n’a obtenu de majorité absolue depuis 1957. D'où une multitude de constellations : les panachages varient, les gouvernements se font parfois attendre longtemps (six mois en 2017) mais la gageure qu’est la formation d’une coalition met en valeur le notoire sens du compromis allemand. Que peut nous enseigner la vie politique et partisane allemande au regard de la situation française ? Entretien avec Joseph de Weck pour le tout premier épisode de notre série "Gouverner avec son opposant".

Le débat politique en France se concentre aujourd’hui sur les notions de coalitions, de cohabitation et de compromis. Quelle est la place de ces notions dans la culture politique et institutionnelle allemande ? Quels sont leurs grands fondements théoriques, historiques et philosophiques ?

Les coalitions et la culture du compromis se déploient à tous les échelons de la République Fédérale, et dans l’ensemble de la société civile. On parle beaucoup, en France, des coalitions qui se forment au niveau fédéral, mais cette culture du compromis irrigue en réalité l’ensemble des structures politiques et institutionnelles du pays, cela va des Länder au partenariat social. Dans chacun des 16 Länders allemands - dont les prérogatives sont bien plus vastes que celles des Régions françaises (notamment en matière d’éducation, de police ou de culture) - on retrouve des coalitions entre la CDU et les Verts, ou bien le SPD et les Verts, la CDU et le FDP… Il n’existe donc pas à proprement parler "d’opposition" dans le pays, puisque tous les partis démocratiques sont toujours au pouvoir quelque part, au moins au niveau régional. La CDU, si elle est dans l’opposition au niveau fédéral depuis fin 2021, reste au pouvoir dans sept Länder. C’est ça qui distingue la RFA de la France : jamais le pouvoir en Allemagne n’est accaparé par un seul parti. Le pouvoir est constamment partagé et réparti.

Il n’existe donc pas à proprement parler "d’opposition" dans le pays, puisque tous les partis démocratiques sont toujours au pouvoir quelque part.

La culture du compromis se joue aussi dans l’économie et la société civile. Il existe deux grands syndicats, IG Metall, le syndicat de l’industrie, et Verdi, le syndicat des services. Ils négocient les salaires et les conditions de travail avec les organisations patronales et parviennent régulièrement à un compromis, qui fait figure de modèle pour les syndicats plus petits.

À l’inverse, en France, les syndicats sont beaucoup plus nombreux, éparpillés, pris dans une logique de concurrence quant au recrutement de leurs adhérents et habitués à une approche beaucoup plus conflictuelle avec le patronat, loin de la logique allemande de gagnant-gagnant. En Allemagne, le corporatisme est une constante de l’Histoire. Le sens de la communauté prévaut et la nécessité de composer ensemble semble évidente. C’est Bismarck, qui n'avait pourtant rien d’un socialiste, qui a introduit le premier système d’assurance maladie (1883) et de retraite (1889) . Il voulait de ce fait affaiblir la gauche et rassembler les forces vives du pays. En France, à l’inverse, les avancées sociales ont souvent été le résultat d’une lutte de la gauche, afin d’arracher le progrès social aux élites.

Un autre facteur historique joue un rôle : alors que la France est un État centralisé et unitaire, l’Allemagne a toujours composé avec des territoires différenciés, avant l’unification de 1870 et même ensuite. Le seul épisode d’extrême centralisation que le pays ait connu fut le "Troisième Reich" nazi… Cette décentralisation fait de Berlin une capitale très différente de Paris, sans la prépondérance qui revient à la capitale française. Les élites politiques et économiques sont réparties entre Berlin, Francfort, Stuttgart, Munich, Düsseldorf, Cologne et même des plus petites villes comme Essen. Si Berlin est redevenue la capitale du pays après l’unification, elle n’en est pas le centre économique, ni culturel et médiatique. En Allemagne, la télévision et les grands journaux sont basés à Hambourg, Munich, Francfort et Cologne. Les radios sont dispersées sur tout le territoire, les émissions sont produites un peu partout, et les élites politiques, médiatiques, économiques et académiques sont réparties de manière équilibrée à travers les pays. C’est le contraire de la France.

La formation puis le fonctionnement des coalitions allemandes sont-ils régis de façon précise par des textes (lois fondamentales notamment) ? Ou relèvent-ils d’abord de la pratique ?

Le fonctionnement des coalitions allemandes relève principalement des usages et de la pratique. En effet, le système allemand rend quasi impossible l’obtention d’une majorité absolue au parlement. Konrad Adenauer, premier chancelier de la République fédérale d’Allemagne, de 1949 à 1963, membre de la CDU, est l'exception qui confirme la règle. Depuis son départ, aucun parti n’a réuni de majorité.

Le Président allemand n’a pas le droit de nommer un Chancelier ou de mandater le parti majoritaire à mener les négociations pour une coalition. Ce sont les partis eux-mêmes qui décident avec qui ils négocient pour former un gouvernement.

Dans un premier temps, après les élections, il y a pendant quelques semaines des pourparlers informels entre les partis. En 2021, Olaf Scholz a fini par convaincre les Verts et le FDP de négocier une coalition avec lui. Mais la CDU, arrivée en deuxième position, a tenté elle aussi de former une coalition avec les Verts et le FDP. Dans cette phase préliminaire, il arrive donc que deux négociations soient conduites en parallèle. Puis deux ou trois partis passent un accord de principe en vue de former une coalition. Commencent alors les négociations substantielles sur le programme du gouvernement. Elles peuvent durer des semaines ou des mois.

Le pilotage de ces négociations revient aux leaders des partis. Mais - et là encore on mesure la différence avec la situation française actuelle - ce sont des groupes de travail organisés par thèmes qui s’activent derrière eux, avec des spécialistes issus de chacun des partis qui négocient point par point. La négociation oscille constamment de haut en bas puis de bas en haut pour résoudre les points de blocage, de manière politique et technique. Les partis, très structurés, jouent donc un rôle crucial dans les négociations. Leur organisation, les ressources - notamment techniques - dont ils disposent, n’ont rien à voir avec celles dont disposent un "mouvement" comme celui du président de la République. Les négociations inter-partisanes sont au cœur du fonctionnement politique allemand. Les hommes et femmes politiques sont également conseillés par les think tank ou les fondations rattachés aux partis, qui sont les lieux d’une véritable externalisation des dimensions programmatiques, analytiques et de réflexion. C’est d’ailleurs la clef des coalitions allemandes : cette technicité dans l’approche des sujets, qui met une certaine distance avec les postures de principe et autorise des partis parfois éloignés à discuter. La manœuvre politique prend bien sûr sa part pour mener à bien des compromis. On applique souvent deux leviers, soit le facteur temps (étaler la réalisation d’un projet dans la durée) ou proposer la mise en œuvre d’un projet sous sa forme pilote avant tout passage à l’échelle.

Les négociations se concluent par la signature d’un contrat de coalition, une déclaration de 100 à 150 pages qui regroupe aussi bien la vision politique et philosophique générale, les ambitions, les idées directrices, que les propositions plus techniques et détaillées thème par thème. Cette feuille de route pour les quatre ans du gouvernement est fondée sur une approche très contractuelle et légaliste qui se heurte parfois brutalement aux impondérables de l’actualité.

Cette technicité dans l’approche des sujets, qui met une certaine distance avec les postures de principe et autorise des partis parfois éloignés à discuter.

Ainsi, Olaf Scholz a dû faire face au déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022, deux mois seulement après avoir été chancelier et avoir conclu son contrat de coalition. C’est pour cela que le gouvernement allemand a pu sembler lent à réagir aux sursauts de l’actualité : non seulement la coalition implique trois partenaires mais en plus, il a fallu renégocier toute la base sur laquelle ils s’étaient regroupés en procédant à des arbitrages budgétaires complexes. Comment soutenir financièrement l’Ukraine ? Au détriment des énergies renouvelables, quitte à susciter l’ire des Verts qui sont membres de la coalition ? À la place de certains projets sociaux, promis au SPD ? En contractant de nouvelles dettes, faisant fi du FDP ? On comprend ainsi la relative lenteur et les difficultés, pour une coalition, d’absorber des éléments imprévisibles.

Certaines situations de blocage se sont-elles présentées dans la formation des coalitions ?

On ne peut pas vraiment parler de "situations de blocage", mais il existe des situations où les négociations ont duré longtemps, comme en 2017 où elles ont duré près de 6 mois. Le 24 septembre 2017, l'alliance CDU-CSU arrive en tête des élections avec 32,9 % des suffrages, score assez bas. Angela Merkel se montre favorable à la formation d’une coalition avec la FDP et les Verts, une coalition "Jamaïca" (aux couleurs du drapeau de la Jamaïque) et les négociations durent deux mois, avant que le FDP ne claque la porte. Le SDP, qui refusait pourtant toute coalition avec le CDU depuis l’échec de celle de 2013-2017 et qui voulait rester dans l'opposition pour se reconstruire, a finalement dû s’allier avec le CDU pour éviter que de nouvelles législatives anticipées ne soient convoquées. Dans l’histoire de la République Fédérale, il n’y a pas d’exemple où les élections n’aient pas abouti à la formation d’un gouvernement, des élections anticipées immédiates ont toujours été évitées - il y a là un sens de la responsabilité qui est susceptible d’inspirer tel ou tel voisin de l’Allemagne.

Si l’on s’intéresse maintenant à la stabilité de ces formations, est-il déjà arrivé que certaines coalitions implosent avant l’échéance des quatre ans ?

Le plus souvent, les coalitions tiennent. Les Allemands privilégient la stabilité et reprocheraient à un parti de mettre à mal la coalition pour se renforcer sur l’échiquier politique. Qui joue à ce jeu a plus à perdre qu’à gagner. Un parti qui voudrait capitaliser sur de bons sondages et quitter la coalition pour provoquer des élections anticipées est en danger de perdre son pari. Le système décourage les coups de poker. Et si la coalition éclate, il n’est même pas certain qu’il y aura des élections anticipées. Le Président allemand peut, en un premier temps, demander à d’autres partis de former une coalition.

Quelques cas de figure se sont néanmoins présentés : le troisième gouvernement du social-démocrate Helmut Schmidt, entre 1980 et 1982, en coalition avec les libéraux-démocrates du FDP, a fait les frais du déploiement de SS-20 soviétiques à l’est du rideau de fer. Alors que le chancelier se montrait favorable à l’installation, pour riposter et conserver l’effectivité de la dissuasion, de missiles Pershing américains en Allemagne de l’Ouest, une partie de son propre parti s’y refusait. Schmidt est parvenu à convaincre le SPD mais cela lui a coûté un tel capital politique que sa coalition a implosé le 1er novembre 1982. Schmidt avait perdu le contrôle de son parti, et le FDP a décidé de forger une coalition avec la CDU/CSU de Helmut Kohl.

Un autre exemple serait celui de la coalition SPD-Vert entre 1999 et 2005, alors que Gerhard Schröder était chancelier. La conduite des réformes de "l’Agenda 2010", qui ont libéralisé le marché du travail, a aliéné au chancelier le soutien du SPD. Et les élections anticipées grâce auxquelles Schröder espérait se relégitimer furent un revers vu la mauvaise organisation de la campagne électorale.

Quel rôle précis joue le Président fédéral dans tout ça ? Quels textes régissent le rôle du Chancelier ?

Le Président allemand est élu par l'Assemblée fédérale, un collège électoral composé des membres du Bundestag et d'un nombre égal de représentants (pas nécessairement des élus) des parlements des 16 Länder. La présidence revient souvent au plus grand parti au Bundestag qui propose parfois un candidat non inscrit au parti, mais jouit d’une grande autorité. Il est le garant des institutions, il signe les lois et peut décider de la dissolution du Bundestag. À la différence de la France, c’est le Parlement qui élit le chancelier, non le président qui le nomme. Le président est donc assez faible, les partis jouent un rôle essentiel.

C’est le Parlement qui élit le chancelier, non le président qui le nomme. Le président est donc assez faible, les partis jouent un rôle essentiel.

Le chancelier, lui, est le chef du gouvernement. Il pilote la coalition. Son arme la plus forte est de poser la "question de confiance" s’il craint ne pas obtenir de majorité sur un texte important, quitte à devoir démissionner en cas de vote défavorable. Mais le Chancelier est beaucoup plus un négociateur en chef qu’un décideur solitaire.

On a beaucoup commenté, lors des élections européennes, la progression du parti d’extrême droite AfD. Un "cordon sanitaire" existe-t-il dans la vie politique allemande ? Une coalition avec l’AfD serait-elle envisageable ?

Il existe bien un cordon sanitaire et depuis 1945, l’Allemagne est longtemps demeurée sans mouvement électoralement significatif d’extrême-droite. Le parti nationaliste Die Republikaner, fondé en 1983, était bien parvenu à monter jusqu’à 10 % dans quelques Länders, mais il a subi nombre d’échecs au niveau fédéral. Franz Joseph Strauss, premier ministre légendaire de la Bavière, avait coutume de dire qu’il ne laisserait pas de place pour une droite à droite de la CSU, qu’il y aurait là en tout temps "un mur" : ainsi, dès que des partis d’extrême-droite se formaient, la CDU/CSU ajustait son offre politique pour récupérer leur électorat.

L’AfD, fondée en 2013, a causé un sérieux premier dommage à cette stratégie. En plein contexte de la crise de la zone euro, elle répondait au départ aux inquiétudes des électeurs liées à la question de la dette et de la facture allemande au niveau européen, sans faire de l’immigration un sujet capital. Mais en 2015, au plus fort de la crise des réfugiés, quand un million de Syriens sont arrivés en Allemagne, l’AfD a fait de l’immigration une des lignes directrices de son programme et s’est durablement incrustée dans le paysage politique. D’un parti de professeurs d’université qui réfléchissaient à la constitutionnalité du sauvetage de la Grèce par l’UE, il s’est mué en un parti anti-immigration. Le retournement d’Angela Merkel dans la politique migratoire, puisqu’elle fut l’architecte du deal qui limite le nombre de réfugiés avec Recep Tayyip Erdogan en 2016, n’a pas suffi à rallier les électeurs de l’AfD.

Aujourd'hui, tous les grands partis excluent l’idée d’une coalition avec l’AfD mais il est probable que, tôt ou tard, cela se réalise d’abord au niveau d’un ou deux des Länder est-allemands. À plus long terme, il n’est pas exclu que l’extrême droite entre dans une coalition au niveau fédéral comme c’est le cas en Autriche ou en Italie.

Les trois élections de septembre 2024, en Allemagne de l’Est, au Brandebourg, en Thuringe et en Saxe, risquent de renforcer l’AfD. Notamment en Thuringe, les partis démocratiques pourraient ne pas obtenir de majorité, même avec une très grande coalition. Il faudra aussi compter avec le nouveau parti "Bund Sarah Wagenknecht" (BSW), fondé par cette dernière, ancienne communiste, pro-russe, anti-immigration, mais de père iranien. Son parti séduit un électorat de gauche sur les sujets économiques, et de droite sur les questions sociétales. En Thuringe, la CDU peut s’imaginer gouverner avec le BSW.

Si l’on en vient maintenant à la situation actuelle, les élections fédérales de 2021 ont conduit à l’échec des conservateurs de la CDU/CSU qui est tombée, pour la première fois de son histoire, sous le seuil des 30 %. C’est aussi la première fois depuis vingt ans que le parti n’est pas au pouvoir. Comment comprendre cet échec ?

Je me permets de rappeler que la CDU reste au pouvoir dans sept Länder. Mais effectivement, pour la première fois depuis 2005, la CDU n’était plus au pouvoir au niveau fédéral. Cette rupture a forcé le parti à repenser son cœur idéologique et à chercher des idées neuves après 16 ans au pouvoir. Friedrich Merz, le nouveau président élu à la tête du parti en décembre 2021, est plus à droite qu’Angela Merkel, même si la CDU ne se considère pas comme un parti "de droite" mais comme un parti du "populaire" au sens large, doté de trois tendances : une tendance sociale, une tendance libérale et une tendance conservatrice. Il est d’ailleurs de très mauvais ton de se déclarer "de droite" en Allemagne, le terme étant attaché aux pires heures de la vie politique allemande. On se dit plus volontiers "conservateur" ou "libéral". La nouvelle ligne de la CDU se lit à travers son nouveau programme, "Vivre en liberté", publié en janvier 2024 : les thèmes de l’immigration ou de certaines valeurs plus identitaires occupent davantage de place.

S’agissant de la coalition Scholz, en place depuis 2022, on sait qu’elle a connu de nombreux soubresauts, qui semblent temporairement résolus avec un accord sur le budget 2025. Est-il le signe d’un retour à l’ordre ?

La coalition actuelle devrait rester stable jusqu’aux élections de cet automne : la volonté des partis de travailler ensemble a été confirmée par l’accord de principe entre les partis de la coalition sur le nouveau budget 2025.

Si les résultats du SPD et du FDP étaient mauvais, un an seulement avant les élections générales de 2025, la panique pourrait monter, occasionnant soit un retrait du SPD, soit du FDP (ce qui est moins probable vu que le FDP a trouvé un accord qui lui est favorable sur la politique fiscale à mener). Il reste que maintenir une coalition à trois partis, une première au niveau fédéral, est une gageure. Précédemment, les coalitions étaient majoritairement composées de deux partis seulement. C’est donc une nouvelle donne, qui complique à la fois les négociations et le maintien des coalitions.

La coalition actuelle devrait rester stable jusqu’aux élections de cet automne : la volonté des partis de travailler ensemble a été confirmée par l’accord de principe entre les partis de la coalition sur le nouveau budget 2025.

Pour conclure cette discussion, quelles leçons la France pourrait-elle retenir du modèle allemand dans la séquence politique inédite qu’elle traverse ?

Pour permettre à la France d’aller vers un régime plus parlementaire, la réforme fondamentale serait d’instaurer le scrutin proportionnel. Dans la configuration française actuelle, chaque parti se garde de partager le pouvoir en coalition aujourd’hui pour se ménager la possibilité d’obtenir demain une majorité absolue. Certes, on a dit que la fragmentation du paysage politique français actuel, qui a réduit à un vieux souvenir la bipolarisation traditionnelle, a produit un résultat digne d’un système de scrutin proportionnel. Mais c'est oublier que ce qui compte le plus, dans le scrutin proportionnel, ce sont les incitations qu’il suscite. Les incitations en France demeurent celles d’un système de scrutin uninominal majoritaire. D’où les difficultés que traverse le gouvernement, ou le non-gouvernement.

Mais si les parlementaires ont la certitude qu’ils ne pourront plus jamais espérer exercer seuls le pouvoir, c’est toute la vie politique qui en est changée. Ils comprendront rapidement que leurs adversaires politiques sont devenus des partenaires indispensables à la réalisation de leur projet. La proportionnelle tue les egos et oblige aux compromis, en permettant de surmonter les querelles de posture dans la technicité des arbitrages.

Un autre élément fondamental de la politique allemande, dont les Français pourraient utilement s‘inspirer, est le riche écosystème de fondations, d’associations, de structures intellectuelles de tous ordres auxquels les partis délèguent la tâche d'élaborer des propositions politiques. Ce vivier de réflexions permet d’atténuer la conflictualité, de faire émerger de nouvelles idées et d’abonder à la source programmatique des partis. En France, la présidentialisation et l'héritage gaulliste ont trop affaibli la position des partis.

Propos recueillis par Hortense Miginiac

Olaf Scholz, chancelier SPD, Annalena Baerbock, ministre fédérale des Affaires étrangères, Verts, Christian Lindner, Ministre fédéral des Finances d'Allemagne, libéral-démocrate.

Copyright image : Alan-Ducarre

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