AccueilExpressions par Montaigne[Trump II] - Sanctions américaines : ne pas se préparer, c'est se préparer à l’échecL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.22/01/2025[Trump II] - Sanctions américaines : ne pas se préparer, c'est se préparer à l’échec États-Unis et amériquesImprimerPARTAGERAuteur Georgina Wright Directrice adjointe des Études internationales, Experte résidente Présidentielle américaine : Trump IIDonald Trump a promis un âge d’or pour les États-Unis qui pourrait remettre en cause tous les équilibres de l'économie mondiale. Quelle sera la politique de Trump en matière de sanctions, lui qui veut à la fois réduire le rôle de l’État et maintenir les leviers d’une pression maximale sur les pays tiers ? Comment l'UE doit-elle repenser sa stratégie pour y faire face, sans faire fi du réalisme imposé par sa dépendance à Washington en matière de sécurité ? Dans cette tribune, Georgina Wright esquisse une approche possible pour l'Union européenne en matière d'extraterritorialité.Désormais investi des pouvoirs présidentiels, Donald Trump tient entre ses mains l’ensemble des leviers de l’économie américaine. Les enjeux pour l'économie mondiale et les entreprises sont considérables.Un inventaire sommaire des mesures économiques prises par la première administration Trump est révélateur : hausse des droits de douane à l’encontre des alliés, sanctions contre les pays rivaux ou ennemis, et en fonction des besoins, recours aux contrôles des exportations de biens critiques— notamment envers la Chine — et au filtrage des investissements étrangers.Trump II ne devrait pas s’écarter de ces grandes lignes : les droits de douane seront, plus que toute mesure commerciale, son instrument fétiche pour que Washington atteigne ses objectifs stratégiques. Il a déjà annoncé vouloir imposer des droits de douane à la hauteur de 10 % sur les importations chinoises. Plus hypothétique demeure l’usage que le nouveau président fera des sanctions - effectives ou brandies en guise de menace pour faire pression - face à ses alliés.Plus hypothétique demeure l’usage que le nouveau président fera des sanctions - effectives ou brandies en guise de menace pour faire pression - face à ses alliés.Dans ce contexte d’incertitude, l’UE n’a pas d'autre choix que de se préparer. D’abord, en engageant le dialogue avec l'administration Trump et les législateurs républicains pour leur rappeler à quel point les politiques américaines de sanctions ou de rétorsions, quand elles sont coordonnées avec les alliés, sont essentielles pour atteindre les objectifs politiques des États-Unis.Dans le même temps, l’UE devra affirmer fermement que toute sanction américaine prise à l’encontre des entreprises européennes éroderait la coopération avec les États-Unis sur nos priorités communes. Si les États-Unis activent des sanctions contre l'UE, celle-ci devra se tenir prête à riposter via des sanctions ciblées ou des contre-droits de douane.Sécurité économique des États-Unis : un arsenal croissantFace à une concurrence stratégique exacerbée et à la faiblesse des organisations multilatérales, les États cherchent de nouveaux moyens de préserver leurs intérêts politiques et économiques. Les sanctions économiques américaines sont depuis longtemps considérées comme un moyen efficace de poursuivre des objectifs de politique étrangère de Washington. Pour reprendre les termes de l'ancien secrétaire au Trésor de Barack Obama, Jack Lew, on peut définir les sanctions économiques comme "un moyen intelligent dans des situations où la diplomatie seule est insuffisante et où la force militaire n'est pas une réponse adaptée". D'autres lois américaines, notamment sur la protection des données et la collecte de renseignements, ainsi que les contrôles à l'exportation, ont également été utilisées pour protéger les intérêts américains.Les États-Unis ne sont pas les seuls à recourir à l’extraterritorialité pour poursuivre leurs objectifs stratégiques : la Chine, l'UE, le Royaume-Uni et d'autres pays le font aussi. Les États-Unis bénéficient cependant d'avantages structurels pour contraindre les entreprises étrangères à suivre leurs normes : la domination du dollar et la suprématie de la tech américaine. Ces deux atouts permettent aux normes américaines de toucher pratiquement n'importe quel individu, entité ou entreprise dans le monde, y compris ceux qui n’ont pas de liens commerciaux directs avec les États-Unis. Ainsi, pour avoir accès au système de compensation en dollars américains ou pour figurer au New-York Stock Exchange, les entreprises peuvent être obligées de se conformer au droit américain. De même, le seul fait d’avoir ses données sur des serveurs américains suffit pour que certaines lois américaines s'appliquent. Étant donné qu'environ 80 % des données européennes sont hébergées sur des serveurs étrangers - principalement américains -, presque toutes les entreprises européennes, quelle que soit leur localisation, peuvent être soumises à une forme ou une autre de surveillance juridique de la part des États-Unis.Ces avantages structurels confèrent aux États-Unis un pouvoir considérable pour imposer leurs normes à l’étranger et les entreprises qui ne les respectent pas s'exposent à de graves conséquences, qui se traduisent souvent par des amendes considérables, par l’obligation de transmettre aux autorités américaines des données sensibles dans le cadre de procédures judiciaires voire, éventuellement, par l’exclusion du marché et du système financier américains pour les entreprises concernées.Les États-Unis ne sont pas les seuls à recourir à l’extraterritorialité pour poursuivre leurs objectifs stratégiques : la Chine, l'UE, le Royaume-Uni et d'autres pays le font aussi.Ce risque d'exclusion agit comme un moyen de dissuasion si puissant que les entreprises étrangères préfèrent se conformer aux règles américaines plutôt que de les contester. Ainsi, lorsque l'administration Trump a sanctionné la cheffe de l’exécutif hongkongais Carrie Lam pour violation des droits de l'homme en 2020, même les banques chinoises ont refusé de faire des affaires avec elle, craignant d'être coupées du système financier américain.Que l’Europe se conforme aux lois américaines n’est nullement problématique lorsque les deux parties partagent des objectifs similaires - par exemple, pour encadrer la prise de risque financier ou encore la lutte contre les systèmes de blanchiment d'argent. Cependant, l’usage toujours plus large de l'extraterritorialité américaine suscite des inquiétudes dans plusieurs pays, notamment la France, qui accusent les États-Unis de se servir de leurs lois à l’étranger à des fins économiques ou commerciales (acquisition d’une position dominante sur un marché en nuisant à la concurrence, par exemple). Certains soupçonnent même les États-Unis d’utiliser l’extraterritorialité à des fins d’espionnage.Au cours des deux dernières décennies, les entreprises étrangères ont été les premières cibles des lois américaines et des poursuites judiciaires lancées par les agences fédérales américaines - avant-même les entreprises américaines. On chiffre à 18,8 milliards d'euros les pertes directes subies par des entreprises européennes depuis 2018, dont certains cas ont été très médiatisés, comme ceux de la BNP Paribas, de HSBC, de Commerzbank, du Crédit Agricole et d’Alstom. Non seulement ces entreprises ont dû payer des amendes de plusieurs dizaines de milliers de dollars, mais certaines ont même été contraintes de céder une partie de leurs activités basées aux États-Unis à leurs concurrents américains.La volte-face de Trump sur les sanctionsLe retour de Trump à la Maison Blanche est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle en ce qui concerne les sanctions américaines. Pendant la campagne, Trump a critiqué l'utilisation faite par Joe Biden des sanctions au motif qu'elles affaiblissaient la force du dollar : selon le raisonnement du camp Trump, en restreignant l'accès au marché et au système financier américains, les sanctions inciteraient les entités sanctionnées à se tourner vers des alternatives, comme commercer avec des devises concurrente ou établir des marchés commerciaux distincts. Au fil du temps, ceci contribuerait à éroder la domination du dollar dans le commerce et la finance mondiaux.Donald Trump a également critiqué d'autres lois américaines, notamment celles liées à la lutte contre la corruption, au motif qu’elles généreraient trop de charges administratives pour les entreprises américaines et dissuaderaient les entreprises étrangères d’investir aux États-Unis. Bien que davantage d’entreprises étrangères aient été condamnées à des amendes pour violation des sanctions américaines au cours du premier mandat de Donald Trump que sous le second mandat de Barack Obama, moins d'enquêtes ont été ouvertes sous le premier mandat de Donald Trump. M. Trump a également promis de réduire considérablement la taille de l'administration américaine, ce qui ne sera pas sans conséquence sur l'application des sanctions. En effet, l’administration est responsable pour suivre de près l’application des sanctions. Les républicains ont longtemps cherché à limiter le recours aux sanctions, considérant qu’elles accordent un pouvoir excessif aux agences américaines, au détriment du Congrès...Persuadé que les dynamiques de concurrence entre États régissent le monde, Donald Trump estime nécessaire de tirer parti de tous les outils disponibles [...] pour promouvoir les intérêts des États-Unis.Toutefois, Donald Trump a quand même imposé des sanctions au cours de son premier mandat. Persuadé que les dynamiques de concurrence entre États régissent le monde, Donald Trump estime nécessaire de tirer parti de tous les outils disponibles - militaires, commerciaux et financiers - pour promouvoir les intérêts des États-Unis. Durant son premier mandat, ce sont principalement les États hostiles aux États-Unis qui ont été menacés de sanctions, mais elles pourraient désormais être utilisées aussi comme un outil de négociations avec les alliés des États-Unis.Le vice-président J.D. Vance a déjà laissé entendre que les États-Unis pourraient conditionner leur soutien militaire à l'Europe à la suppression des différentes réglementations numériques européennes, tels que le Digital services act et le Digital markets act. De même, les États-Unis pourraient étendre leur recours aux sanctions pour préserver leurs intérêts stratégiques, en particulier si Pékin persiste à renforcer son propre arsenal de sanctions économiques et de contrôles des exportations.Quelle sera l’orientation qui prévaudra ? In fine, cela dépendra très probablement duquel de ses conseillers Donald Trump décidera d’écouter sur le moment. Tous ne sont pas d’accord sur l’usage des sanctions pour protéger les intérêts américains.Autre sujet de préoccupation majeur pour les Européens : la poursuite par Trump des contrôles aux exportations dans le cadre de la stratégie de "containment"(endiguement) de la Chine. Sous les administrations Trump et Biden, les États-Unis se sont principalement appuyés sur les contrôles des exportations pour limiter la vente de biens de haute technologie à double usage à la Chine - des mesures qui ont également un impact sur les entreprises européennes impliquées dans des exportations similaires vers la Chine. Trump a ajouté aux listes de sanctions américaines 1 000 entités et individus, une augmentation de 30 % par rapport à Obama. Les entreprises européennes présentes à la fois en Chine et aux États-Unis pourraient ainsi se retrouver dans une position difficile, prises en étau entre le respect des règles américaines et les politiques économiques de plus en plus affirmées de la Chine.Échouer à se préparer, c’est se préparer à l‘échecL'UE doit réajuster sa relation transatlantique, face à des États-Unis qui la traitent moins comme une alliée que comme une concurrente, mais ne peut pas non plus oublier qu’elle dépend de Washington pour sa sécurité, et que les États-Unis disposent d'avantages structurels dans l'économie mondiale. Dans ce contexte, Bruxelles hésite à adopter une approche plus offensive, via une tactique de rétorsion ou de sanctions, craignant d'être taxée d'hypocrisie après avoir passé des années à fustiger les États-Unis pour leur usage offensif des sanctions. Ces scrupules, loin de tout raisonnement stratégique, risquent d'aggraver la réponse européenne.Au contraire, l’UE devrait entamer des discussions le plus tôt possible avec l'administration Trump sur la question des sanctions économiques, en abordant d’entrée de jeu les lois américaines que le président Trump a lui-même critiquées : le Foreign Corrupt Practices Act (loi contre la corruption d'agents publics à l'étranger) ou le Foreign Intelligence Surveillance Act (loi sur la surveillance du renseignement étranger). Il s’agit de démontrer à l'équipe de Trump en quoi il est dans l'intérêt des États-Unis de mener une politique de sanctions coordonnées avec ses alliés, en particulier contre les nations hostiles. En outre, l'UE devrait ouvrir le dialogue avec les législateurs républicains, dans un contexte où la priorité de Donald Trump sera d'assurer sa majorité à la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat de 2026 : ceci pourrait le rendre plus à l’écoute des représentants, y compris de ceux qui manifestent des opinions divergentes au sein du parti républicain sur le sujet des sanctions. Compte tenu de la méfiance en laquelle Donald Trump tient les experts, les gouvernements européens devraient également travailler en étroite collaboration avec les entreprises européennes qui ont un effet de levier sur le marché américain, et qui peuvent ainsi jouer un rôle clé en influençant la politique américaine.L'administration Trump sera transactionnelle : l'UE doit être consciente de la possibilité que le dialogue ne produise pas de résultats et se tenir prête à négocier. Si elle veut réduire les risques de lois américaines coercitives, elle doit être prête à promettre quelque chose en retour. Cela peut passer par la promesse d’acheter davantage de gaz, de GNL ou même d'armes. Le président Trump a déclaré vouloir réduire le déficit commercial des États-Unis avec l'UE, ce qui constitue un bon point de départ pour les négociations.L’UE devrait entamer des discussions le plus tôt possible avec l'administration Trump sur la question des sanctions économiques.Passer à l’offensive ?Mais, parce qu’on ne peut exclure que les discussions échouent, l'UE devrait d’ores et déjà commencer à envisager des tactiques de rétorsion possibles. Jusqu’ici, les mesures défensives de l'UE, comme la loi de blocage de 2018 qui interdit aux entreprises européennes de se conformer à des règles extraterritoriales, ont été largement inefficaces pour protéger les entreprises des règles extraterritoriales américaines. L'UE doit repenser son approche de l'extraterritorialité. La Commission européenne a déjà reconnu que certaines formes d'extraterritorialité peuvent servir d'outils coercitifs. Elle doit maintenant prendre des mesures concrètes pour y répondre.Les pays de l'UE devraient continuer à laisser la Commission européenne prendre la tête de la coordination et de l'élaboration de la stratégie de l'UE à l'égard des États-Unis, en étroite coordination avec le Conseil de l'UE. Seule une action coordonnée permettra à l'UE de contrecarrer les tentatives américaines pour diviser les États membres et pour empêcher la fragmentation du marché unique. La Commission européenne devra rassurer les gouvernements de l'UE et les entreprises européennes sur sa capacité à stocker, protéger et garder confidentielles toutes les données.Enfin, l'UE devra s'efforcer d'identifier les goulots d'étranglement de l'économie mondiale. La capacité des États-Unis à exercer une pression économique repose sur la primauté du dollar américain et de la technologie, mais aussi sur un système bancaire et juridique mondial interconnecté, où les flux sont de plus en plus complexes. L'UE doit se rendre capable de proposer un soutien efficace et ambitieux à ses entreprises, jusqu’à maintenant prises entre les feux croisés de régimes de sanctions concurrents.Copyright image : Jim WATSON / AFPDonald Trump à la Maison-Blanche le 21 janvier 2025ImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneDécembre 2024Extraterritorialité américaine : une arme à double tranchantL'extraterritorialité, largement utilisée par les États-Unis, combine lutte contre les menaces globales et renforcement de leur domination économique. Face aux sanctions américaines, l'Europe voit sa souveraineté menacée et doit intégrer cette réalité dans sa stratégie économique. Comment peut-elle réagir ?Consultez la Note d'éclairage 10/01/2025 [Trump II] - Trump et Musk mettent l'Europe au défi de se redresser ou de s... François Godement 27/11/2024 [Trump II] - Défi américain : épreuve et opportunité pour l'Europe Georgina Wright