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20/01/2025

[Trump II] - Affaires domestiques et internationales : carte blanche à la Maison-Blanche ?

[Trump II] - Affaires domestiques et internationales : carte blanche à la Maison-Blanche ?
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique
 Amy Greene
Auteur
Experte Associée - États-Unis

Donald Trump, investi officiellement le 20 janvier 2025, inaugure une nouvelle ère sur le plan domestique et international. Sa victoire le 5 novembre dernier dément ceux qui jugeaient que 2016 n’avait été qu’une parenthèse de l’Histoire. Quelles seront les réformes prioritaires de la nouvelle administration ? Quelle devrait-être l’ampleur de la rupture par rapport au mandat de Joe Biden ? Sur la scène domestique ? Sur la scène internationale ? Entretien croisé avec Amy Greene et Dominique Moïsi.

À quoi ressembleront selon vous, sur la scène intérieure comme sur la scène internationale, les 100 premiers jours de Donald Trump ?

Dominique Moïsi : L’effet Trump se fait déjà sentir et a remis en mouvement les statu quo. Au Proche-Orient, Steve Witkoff, le partenaire de golf pro-israélien du 47e président et son envoyé spécial dans la région, a obtenu un cessez-le-feu à Gaza. Les négociations se sont déroulées sur la base de celles de mai 2024, que l'administration Biden n’avait pas réussi à faire aboutir.

Dès lors, c’est une nouvelle vision de la politique étrangère américaine qui sera à l'œuvre à partir du 20 janvier. Elle reposera plus que jamais sur trois piliers : le révisionnisme ( "Nous sommes passés de la force de la loi à la loi de la force", pour reprendre l’antimétabole formulée en termes pascaliens par le Premier ministre François Bayrou dans sa déclaration de politique générale, mardi 14 janvier), soit la contestation des règles qui prévalaient dans l’ordre international, l’expansionnisme (comme en témoignent les paroles fort remarquées de Donald Trump lors de sa conférence de presse du 7 janvier, qui annonçait ses visées sur le Groenland, le Canada et Panama) et l’unilatéralisme (America First). Il semble donc qu’il faille reformuler le titre du volume publié en 1973 par Raymond Aron, République impériale. Les États-Unis dans le monde : il y a aujourd’hui moins de république, et toujours plus d’impérialisme.

DM : La nouvelle priorité américaine est désormais la question migratoire, et non plus les conflits internationaux.

Plus concrètement, la nouvelle priorité américaine est désormais la question migratoire, et non plus les conflits internationaux, à la plus grande satisfaction de Vladimir Poutine, qui le fait savoir (en témoignent les attaques massives dans la nuit du 14 au 15 janvier à l’ouest du pays - 120 missiles et drones contre le réseau énergétique ukrainien).

La politique étrangère se resserrera avant tout sur la Chine - le nouveau ministre des Affaires étrangères, Marco Rubio, a des liens forts avec Taiwan - les frais de douanes et les visées expansionnistes.

Amy Greene : Donald Trump considère qu’il est investi par la volonté du peuple et qu’il a un devoir de performance et de réussite. À ce désir de donner des gages d’efficacité s’adjoint une autre motivation : détricoter l’héritage de son précédesseur et marquer clairement la rupture. Les lignes de continuité avec les grandes orientations politiques menées par Biden seront quasi inexistantes. Un IRA (Inflation Reduction Act) rapatrié sous pavillon républicain est à la rigueur envisageable.

Sur la scène domestique, il faut s'attendre à une intense activité législative de la part de la nouvelle administration. Donald Trump a promis de mettre en œuvre les points prioritaires de son programme rapidement ; il pourrait signer jusqu’à cent décrets exécutifs (executive orders, substituts présidentiels à la législation qui ont force de loi, voir infra) dès le premier jour, qui concerneraient l’économie, l’immigration ou l’énergie entre autres. Les précédentes administrations avaient coutume d’en signer également mais sur une période plus étalée.

Le discours sur l’état de l’Union et les nominations des ministres donneront aussi une vision plus nette de l’action présidentielle et des rapports de force entre Donald Trump et son parti. Quoi qu’il en soit, ces cent premiers jours pourraient se dérouler dans un climat moins tumultueux que celui qui avait prévalu en 2016 - si l’on pense par exemple à la "Women's March on Washington", mouvement politique qui avait rassemblé trois millions de personnes le 21 janvier aux États-Unis pour défendre le droit des femmes.

Aujourd’hui la "résistance", quand elle existe, prend un autre visage. La gauche s’est repositionnée face à la victoire de Donald Trump, comme en témoigne l’entretien "cordial" entre Joe Biden et son successeur à la Maison-Blanche le 13 novembre 2024. Les élus démocrates sont conscients que le trumpisme révèle des tendances de fond. Certains, comme le gouverneur de Californie Gavin Newsom ou le maire de New-York Eric Adams, sont prêts à discuter des sujets sécuritaires et migratoires avec les conseillers de la future administration, tant par opportunisme électoral que mus par le désir de mieux prendre en compte les mutations de l’Amérique.

En 2020, beaucoup de commentateurs misaient sur les "adultes dans la pièce" pour canaliser les velléités de Trump. Peut-on toujours compter sur eux ?

DM : La question se pose en ces termes : une fois à la Maison-Blanche, le candidat opèrera-t-il une mue pragmatique et fera-t-il preuve de plus de modération que ne le laissaient présager ses propositions de campagne ? Rien n’est moins sûr. Le souvenir de Trump I ne doit pas nous induire en erreur : les "adultes dans la salle" qui s’étaient imposés après la première victoire du magnat ne bénéficient plus de l’effet de surprise. La prise de fonction a été soigneusement préparée et le ralliement à Trump est bien plus généralisé.

 

Il ne semble donc pas excessif de comparer la transition actuelle aux années 1930 et c'est à bon droit que le ralliement du high tech et des milliardaires à Donald Trump évoque, bien sûr de façon très lointaine mais néanmoins tragique, le ralliement du milieu industriel au national-socialisme dans les années 1930 (lire sur ce point le court roman d’Éric Vuillard, L’ordre du jour). Le ralliement sera-t-il généralisé ? Trump n'est pas Hitler, mais l’Amérique et l’Allemagne sont moins loin qu’on ne croit. Cent raisons de contester ce rapprochement coexistent : nulle crise financière aux États-Unis, aucun effondrement institutionnel comparable à celui de Weimar.

DM : Une fois à la Maison-Blanche, le candidat opèrera-t-il une mue pragmatique et fera-t-il preuve de plus de modération que ne le laissaient présager ses propositions de campagne ?

Des données historiques plus profondes obligent néanmoins à aller au-delà de la différence des détails pour penser une proximité plus fondamentale des systèmes populistes. Les Européens n’ont pas pris toute la mesure de cette question essentielle.

AG : Ceci est d’autant plus vrai que le ralliement des grands patrons de la Silicon Valley va de pair avec celui des médias - les plateformes numériques des patrons de la Tech tendent même à rivaliser avec les médias.

La fracturation de la société se superpose ainsi à une divergence complète des sources et idées auxquelles les Américains sont exposés selon leurs tendances partisanes. Les républicains disent préférer majoritairement des médias non traditionnels comme Breitbart, Newsmax ou encore Fox News alors que les démocrates ont tendance à faire confiance à un éventail plus large de sources, notamment les chaînes d’info câblées et les journaux nationaux. Les thèmes que l’un et l’autre camp érigent en priorité ne se rejoignent pas : migration et économie dans les médias alternatifs républicains, défense de la démocratie sur les chaînes câblées et dans les journaux. Cette "bulle de filtres" se renforce et se traduit dans la polarisation accrue des votes. Dès lors, les Américains sont-ils encore capables de trouver du commun, voire seulement de s’accorder pour diagnostiquer les maux de leur société ? Comment croire au collectif s’il est impossible de l’identifier ? La fragmentation est telle que la seule possibilité se réduit à voter selon son intérêt personnel. Cette fragmentation, ou polarisation, accrue et durable, pourrait avoir des conséquences sur l’ensemble du système politique américain.

DM : Certes, la société américaine n’a jamais été aussi fracturée mais les factures n’ont pas eu d’impact sur l’économie américaine, dont les performances donnent des gages aux positions politiques maximalistes. Comment accorder du crédit aux cassandres si l’économie est dynamique ? Au contraire, comment ne pas considérer que les divisions internes de la société stimulent la créativité américaine ? Mais cela ne sera vrai que jusqu’au point de rupture et avant cela, Donald Trump, ayant pris le contrôle du parti et procédé aux nominations à la Cour suprême, pourrait faire sortir l'Amérique de la démocratie.

La Cour suprême et le Congrès sont-ils acquis à la ligne de Donald Trump ? Le nouveau Président devra-t-il tempérer sa ligne programmatique d’une dose de pragmatisme ?

AG : La Cour suprême est dominée par des juges très conservateurs (6 sur les 9 que compte la Cour) et Donald Trump aura peut-être encore la possibilité de nommer encore d’autres juges, renforçant encore l'interprétation originelle de la Constitution qui prévaut aujourd’hui : une approche fondée sur l’application des textes constitutionnels comme ils auraient été appliqués au moment de leur création.

En plus des juges suprêmes, Donald Trump devra aussi nommer de nombreux juges fédéraux (qui siègent aux cours d'appel fédérales et aux cours de district fédérales). Il est important de mesurer le très grand pouvoir qu’ils détiennent dans la création de la jurisprudence aux États-Unis, y compris dans la validation ou l’invalidation des décrets exécutifs face à des contestations juridiques. Pour identifier ces juges, Donald Trump recourra de nouveau à la Federalist Society, sorte d’incubateur de juges qui s’engagent à exercer leur profession selon une vision très conservatrice de la loi.

Quant au Congrès, la majorité républicaine y est mince. Comment Donald Trump adaptera-t-il sa stratégie ? Se montrera-t-il idéologue ou pragmatique du point de vue électoral ? N’étant pas susceptible de se présenter pour un troisième mandat, cherchera-t-il à aller au bout de ses promesses politiques, ou souhaitera-t-il tempérer certaines orientations pour éviter toute rupture avec l’opinion publique qui pourrait coûter des sièges lors des élections de mi-mandat en 2026 ? Sur la question des migrants, par exemple, le peuple américain tend à soutenir sa volonté d’agir fermement, et l’équipe de Trump - Tom Homan ou Stephen Miller - nous promet sur ces questions une action décisive, voire brutale pour certains, peu après l’investiture. Mais jusqu’où l’opinion publique est-elle prête à soutenir une politique très dure ? Où se positionne le point de rupture ? La future administration, à mon sens, ne peut pas se désintéresser de cet équilibre qui pourrait conditionner sa marge de manœuvre à terme.

DM : Je reformulerais plutôt, pour ma part, le "pragmatique ou idéologue" en un "idéologue ou transactionnel", pour souligner la vision des choses très commerciale du président. En revanche, au sein des Républicains, certains ont une vision très idéologique, extrême même, et ne renonceront pas à mener une politique radicale. Le seul obstacle à leurs visées, c'est qu’ils se détestent entre eux : que Steve Bannon, ex-conseiller de Donald Trump, déclare publiquement de son remplaçant Elon Musk qu’il est "vraiment diabolique" rappelle les frottements dus aux idéologies divergentes et aux jalousies personnelles.

DM : Donald Trump est doté d’une sorte de "basic instinct", qu’il ne faut en aucun cas sous-estimer, et qui compense et contredit à la fois son inculture, le fait qu’il n’ait jamais rien lu ou son mépris pour les faits.

Mais si idéologie de Trump il y a, quelle est-elle ? Faut-il se rassurer de son pragmatisme supposé, ou considérer ce dernier non comme une force de modération mais comme l'instrument de son génie politique personnel, incontestable, qui lui permet de créer un lien fort avec le peuple, de retourner à son avantage les attentats ratés, d’ériger en étendard une veste de camionneur… Donald Trump est doté d’une sorte de "basic instinct", qu’il ne faut en aucun cas sous-estimer, et qui compense et contredit à la fois son inculture, le fait qu’il n’ait jamais rien lu ou son mépris pour les faits.

AG : Ce "basic instinct" est aussi un risque : il joue sur la façon qu’a Donald Trump de concevoir un intérêt national stratégique. Si le Président des États-Unis, qui se méfie des alliances, considère que c’est la transaction qui prime sur tout, cela constituera une rupture avec une notion bien présente en politique étrangère : celle qui consiste à penser que la crédibilité des États-Unis repose en partie sur sa constance et sa capacité à tenir ses engagements autour d’un certain socle de valeurs. Si le président des États-Unis renonçait totalement à cela, c’est certainement la Chine qui en bénéficierait. Elle pourrait récolter les fruits de la défiance généralisée qui s’installera et fragilisera encore plus l’ordre international, et l’Amérique en particulier.

DM : Oui, très profondément. Dans un récent article de Foreign Affairs, le politologue Michael Beckley souligne que les graves dysfonctionnements politiques n’ont jamais mis à terre les États-Unis, voire ont impulsé de nouvelles dynamiques : la Guerre civile de 1860, la Seconde Guerre mondiale, la Guerre froide d’alors, la polarisations exacerbée d’aujourd'hui, ne semblent pas nuire à la croissance et à la confiance de soi de l'Amérique. Mais réfléchir ainsi, c'est se tromper sur deux choses : les États-Unis n’ont jamais connu d’équivalent à Donald Trump dans leur histoire et le système international a profondément changé. Or, en faisant comme s’il n’y avait aucun vrai rival alors que la Chine est en embuscade, le comportement de Trump est anachronique. Pékin sera le seul vrai vainqueur.

Dès lors, pour résumer les perspectives - ou les lignes de fuite, cinq scénarios sont envisageables. Le plus positif du point de vue de Washington serait le succès de la doctrine America first. Ce scénario n’est pas impensable : des Russes épuisés, une Chine qui n’est pas prête à remplacer Washington, des Européens absents, un Sud global divisé … Le plus noir serait celui de la guerre par accident : Trump fait peur, mais pas assez, un emballement survient. Un tel scénario n’est pas totalement fictionnel. Une troisième hypothèse verrait la situation chaotique d’un monde sans leader après une Amérique mise en faillite. On parle depuis longtemps de "monde apolaire", mais la formule pourrait être plus tangible que prévue. Quatrième possibilité : une globalisation continue qui se passerait d’une Amérique désormais non plus seulement unilatéraliste mais isolationniste, ayant cédé à sa plus grande tentation. Enfin, une grande négociation entre Washington et Pékin, rivales qui se savent aussi des points d’intérêt communs, dont l’Europe et la Russie seraient les vaincus.

Qui sont les interlocuteurs les plus importants de Washington à l’international ?

AG : Évidemment le rapport avec la Chine est primordial pour Washington. Ce rapport ne se déroule pas nécessairement dans une grande confiance, mais la confiance semble une valeur secondaire dans les rapports internationaux tels que les envisage Donald Trump.

Pourtant, concevoir les intérêts des États-Unis purement comme une transaction est d'autant plus réducteur que cela pourrait témoigner d’une forme de faiblesse. Partir d’une stratégie du bâton (frais de douane, discours punitifs), sans concevoir la place de la carotte, ne revient-il pas à admettre l’échec de la "carotte américaine" ? Tout l‘inverse d’un état d’esprit de puissance. La Chine, elle, veille à la montée en puissance des BRICS, exerce un soft power économique attractif et étend son réseau de partenaires.

Partir d’une stratégie du bâton (frais de douane, discours punitifs), sans concevoir la place de la carotte, ne revient-il pas à admettre l’échec de la "carotte américaine" ? Tout l‘inverse d’un état d’esprit de puissance.

DM
Il faut aussi compter avec l’Inde de Narendra Modi, leader populiste très distingué et cultivé, une sorte d’anti-Trump absolu mais qui veut se concilier le président américain, lequel cherche des contre-pouvoirs face à l’émergence de la Chine. Rappelons toutefois qu’encourager la montée de l’Inde face à la Chine n’est pas nouveau : cette stratégie, à l'initiative de l’ambassadeur Robert D. Blackwill (2001-2003), avait été à l'œuvre sous G.W. Bush.

C'est ainsi vers un monde tripolaire que l’on s’achemine, dessiné aux trois angles par Pékin, Delhi et Washington.

Alors que Musk se livre à des ingérences sur les scènes politiques allemande et britannique, l’Europe peut-elle toujours être considérée comme une alliée ? Orbán et Meloni sont-ils les principaux interlocuteurs en Europe et le déplacement à Notre-Dame laisse-t-il présager une relation privilégiée avec Paris ?

DM : Trump a le génie de la "pub". Notre-Dame, le 8 janvier : c’était l’endroit où il fallait être, et Donald Trump y fut. Ne nous faisons pas d’illusion : cela n’empêche pas qu’il considère la France avec froideur ou indifférence. Le phénomène de séduction réciproque entre Donald Trump et Emmanuel Macron, qui prévalait en 2017, est caduque : alors que les deux présidents disrupteurs avaient fait de leur victoire électorale une surprise, et qu’ils pouvaient se donner le change mutuellement, Emmanuel Macron n’a aujourd’hui plus rien à apporter à Donald Trump et la France est peut-être une" place to be", mais pas une "place to do"...

AG : La venue de Donald Trump en France pour la réouverture de Notre-Dame participe à l’image soigneusement entretenue dès le lendemain de sa victoire présidentielle : montrer au monde entier que le centre de gravité politique tourne autour de lui et non plus avec une équipe Biden sur le départ.

Le déplacement de Donald Trump ne doit néanmoins pas nous induire en erreur : l’Europe ne figure pas au cœur des préoccupations de Trump, davantage intéressé par l’Ukraine, le Moyen-Orient et l’Iran, le positionnement vis-à-vis de la Chine… En revanche, l’Europe risque de se retrouver sous pression avec une future équipe qui ne compte pas d’"européanistes" en son sein. Des questions relatives au financement de la sécurité collective, au déficit commercial américain avec l’UE, à la dépendance énergétique des Européens… sont autant de sources de crispation possibles entre les deux espaces. Et si la liste des invités pour l’investiture de Trump est un signal, nous pourrons y lire alors son intérêt de rapprochement des figures illibérales, d’extrême droite ou populistes, venant d’Europe ou d’ailleurs (comme l’Amérique latine).

Elon Musk a jusqu’au 4 juillet 2026 pour réformer les agences fédérales. Quelle est la perception de sa mission au sein de la société américaine ?

AG : Il faut distinguer trois choses : l’adhésion de la population à la réforme de l’État et à l'amélioration des performances du gouvernement ; l’admiration pour une grande figure entrepreneuriale qui incarne la réussite ; la légitimité perçue d’un personnage dont le mandat ne repose sur aucune élection. Elon Musk est une figure clivante qui suscite autant l’effroi que la fascination. Les sondages montrent d’ailleurs que les cotes de popularité des deux milliardaires, Musk et Trump, se rejoignent : environ 40 % d’opinion favorable, selon les chiffres d’un sondage de décembre mené par l’agence Associated Press en partenariat avec l’Université de Chicago.

Revenons sur les executives orders : annoncent-ils une nouvelle manière de pratiquer le pouvoir ?

AG : L’usage croissant des décrets s’inscrit dans la pratique du pouvoir présidentiel, tout au long de l’histoire américaine. La proclamation d’émancipation [promulguée par Abraham Lincoln le 1er janvier 1863 afin d’abolir l'esclavage sur l'ensemble des États confédérés des États-Unis] fut par exemple un décret exécutif. Les décrets permettent à un président, en tant que chef de la branche exécutive, d’ordonner à une agence fédérale d’agir - ou de ne pas agir. L’utilisation de cet outil est souvent assimilée aujourd’hui à une stratégie de contournement face au risque d’impasse législative. En effet il s’agit d’une utilisation légitime du pouvoir présidentiel qui permet d’impulser une dynamique unilatérale sans user sa majorité législative. Parer au risque de contestation est un argument qui ne laisse pas Donald Trump insensible : la majorité à la Chambre des représentants (218 sièges sur 435) et au Sénat (52 sièges sur 100) n’est pas absolument acquise à la ligne de Donald Trump. Or, aucun texte de loi ne peut passer sans être voté dans une version identique aux deux chambres, et le Sénat dispose d’outils d’obstruction qui peuvent aboutir même sans majorité (comme le filibuster, obstruction par abus du temps de parole, qui fait durer les débats jusqu’à achoppement du texte), à moins que 60 sénateurs sur 100 ne décident d’y mettre fin : cette "supermajorité" est notablement difficile à constituer.

AG : L’usage croissant des décrets s’inscrit dans la pratique du pouvoir présidentiel, tout au long de l’histoire américaine.

Ces décrets exécutifs peuvent être contestés devant la justice notamment, et renversés si celle-ci estime qu’il s’agit d’un dépassement du pouvoir constitutionnel du Président.

Est-on fondé à comparer l’usage de ces executive orders au recours à l’article 49.3 de la Constitution française ?

AG : Certes, ces dispositifs relèvent d’institutions et d'histoires distinctes et sont très différents. Ils témoignent néanmoins d’une extension des pouvoirs du gouvernement sur le pouvoir législatif et, dans les deux cas, ce qui était un outil subsidiaire est devenu un mécanisme utilisé pour contourner ou éviter le blocage. Faut-il y voir la souplesse des systèmes démocratiques pour répondre à des blocages de moins en moins ponctuels ? Ou au contraire le signe d’institutions débordées, de moins en moins capables de trouver des compromis et de former des coalitions ? Si le débat public américain s’est moins qu’en France emparé du débat des outils du pouvoir exécutif, la question mérite d’être posée.

Propos recueillis par Hortense Miginiac
Copyright image : Jim WATSON / AFP
Donald et Mélania Trump lors d’un dîner aux chandelles organisé au National Building Museum (musée d’architecture) à Washington, le 19 janvier 2025, la veille de l’investiture de Donald Trump.

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