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09/01/2025

Quatre ans après l'assaut du Capitole : une démocratie américaine toujours plus fragile

Quatre ans après l'assaut du Capitole : une démocratie américaine toujours plus fragile
 Amy Greene
Auteur
Experte Associée - États-Unis

La certification de l'élection présidentielle, le 6 janvier 2025, s’est déroulée dans un calme aux antipodes de la violence qui avait prévalu lors de l'assaut du Capitole, quatre ans auparavant. Faut-il y voir la preuve que les maux de la démocratie américaine sont apaisés ? Ou la normalité de cette transition n'est-elle qu'une accalmie ? Comment les républicains se sont-ils positionnés par rapport aux événements du 6 janvier 2021 ? Quelle est la place de la théorie du "Big Lie" ("Gros mensonge", ou contestation du résultat du scrutin) et du mouvement "Election denial" (refus de la légitimité des élections) ? En sondant la place de la violence politique et en analysant la polarisation croissante aux États-Unis, Amy Greene montre la fragilisation de la démocratie américaine.

Le 6 janvier 2025, la certification de l'élection présidentielle de 2024 s'est déroulée dans le plus grand calme. Une session du Congrès, présidée par la vice-présidente Kamala Harris, candidate battue, a rempli son devoir constitutionnel et a officialisé la victoire de Donald Trump, qui devient le 47e président du pays. Au cours du processus, aucune objection n'a été formulée à l'encontre des résultats dans les 50 États, et la procédure, achevée en seulement 30 minutes, n'a pas fait beaucoup de bruit. 

Le ton et la teneur de cette journée étaient aux antipodes de l'atmosphère qui prévalait il y a tout juste quatre ans, lorsqu'une foule de 2 000 à 2 500 partisans de Trump avait marché sur Washington et pris d'assaut le Capitole pour empêcher la certification de la victoire de Joe Biden à l'élection présidentielle de 2020. Partisans de la théorie du "grand mensonge", ces émeutiers se sont livrés à un acte de violence symbolique et littéral rarissime dans l'histoire récente des États-Unis. Leurs efforts pour "mettre fin au vol [de l’élection]", "provoqués" ou encouragés par Donald Trump, ont conduit à la mort de cinq personnes (dont un policier) et à l'agression de plus de 140 policiers. En l'espace de sept mois, quatre policiers, qui avaient répondu à l'appel ce jour-là, se sont suicidés. Plus de 1 500 participants ont été inculpés par la justice. Au-delà d'un lourd bilan humain, c'est l'image durable de la profanation de l'un des sites les plus sacrés et les plus solennels de la démocratie américaine, perpétrée par les personnes mêmes qu'il est censé représenter, qui reste gravée dans les mémoires. L'attaque contre le Capitole, le 6 janvier 2021, reste un jour sombre de l'histoire des États-Unis et le souvenir de cette violence continue de peser sur la société américaine.

Paradoxalement, la réélection de Donald Trump est-elle en capacité d'apaiser durablement la colère de ses partisans, ouvrant ainsi une nouvelle période de calme démocratique ?

Il n'en demeure pas moins que la fluidité du processus de transition, lors de l'élection présidentielle de 2024, interroge : paradoxalement, la réélection de Donald Trump est-elle en capacité d'apaiser durablement la colère de ses partisans, ouvrant ainsi une nouvelle période de calme démocratique ? Ou la menace d’un regain de la violence politique, qui pour l'instant n'est que différée, plane-t-elle encore ? 

Déni des élections : une inquiétante prévalence dans les rangs du GOP

Aux États-Unis, le mouvement "Election denial", ou déni des élections, représente une menace fondamentale pour l'intégrité du processus démocratique et contribue à l'érosion de la confiance des citoyens dans les institutions, notamment lorsqu'il est normalisé et entretenu par les dirigeants politiques. Or, le déni électoral des résultats de l'élection présidentielle de 2020 occupe toujours une place centrale - et largement consensuelle - au sein du parti républicain.

Depuis 2020, les dirigeants républicains ont de plus en plus adhéré à la théorie du "Big Lie"(ou vol de l’élection) et à l’attaque qui s'est ensuivie, et ont réagi à l'assaut du 6 janvier par une double ligne contradictoire, consistant à la fois à en cautionner la légitimité et à en nier la réalité, en ravalant l’attaque à une simple manifestation de protestation. Au sein du parti, le soutien à ces idées est devenu un test de loyauté décisif à Donald Trump et plus généralement au parti. Marco Rubio, sénateur de Floride et candidat de Donald Trump au poste de secrétaire d'État, offre un exemple frappant. S’il a voté pour certifier la victoire de Joe Biden en 2020, il n'a pas voulu s'engager à accepter les résultats de l'élection de 2024 en cas de victoire de la gauche. Tout au long de l'année 2024, Marco Rubio a répété publiquement plusieurs des fausses allégations de fraude électorale émises par Donald Trump. Parmi ceux qui avaient nié le résultat des élections, un certain nombre ont vu leur importance nationale s'accroître. Au lieu d'être ostracisés par les dirigeants du GOP ou par les électeurs américains, ils ont au contraire profité d’une ascension politique accélérée, comme en témoigne Mike Johnson, actuel président de la Chambre des représentants, qui a aidé à orchestrer la contestation juridique de la victoire de Joe Biden, a relayé des théories conspirationnistes sur les élections de 2020 et n'a pas certifié la victoire de Joe Biden même après l'attaque du Capitole le 6 janvier 2021.

Ailleurs dans la politique américaine, le déni des élections s'est avéré payant. En avril 2023, 40 des 50 États américains ont vu près de 230 républicains sceptiques ou négationnistes des élections de 2020 être élus à des postes importants au niveau national ou à l'échelle de l'État. On peut citer des représentants, des sénateurs, des gouverneurs, des lieutenants-gouverneurs, des procureurs généraux ou des secrétaires d'État. 

Un tiers des membres actuels du Congrès a soutenu la tentative de Trump de renverser les résultats de l'élection ou a contribué à remettre en question sa légitimité.

Donald Trump a joué un rôle central pour faire du 6 janvier un cri de ralliement pour les dirigeants politiques et les électeurs. Depuis des années, il s'efforce de transformer les événements du 6 janvier pour en faire un moment de défense des États-Unis et tente de réhabiliter les émeutiers en les érigeant au rang de patriotes. Sa promesse de gracier les condamnés liés au 6 janvier dès la première heure de sa présidence a occupé une place cruciale dans sa campagne. Selon les propres termes de Donald Trump, ce serait pour lui un "grand honneur de gracier les manifestants pacifiques du 6 janvier, ou plutôt les otages... un groupe de personnes traitées si durement et injustement...". Sa menace de poursuivre et de punir les membres du Congrès - comme l'ancienne députée Liz Cheney - qui ont enquêté sur les événements de la journée, notamment via la commission spéciale de la Chambre des représentants des États-Unis spécialement créée à cet effet, est également bien réelle. Le nouveau récit construit par Donald Trump dans les semaines - et maintenant les années - qui ont suivi l’attaque du 6 janvier est celui d'Américains dévoués qui se sont battus pour protéger leur pays, face à des politiciens corrompus - de gauche comme de droite - qui ont indûment détourné la volonté du peuple. Ce discours a été largement accepté par les dirigeants du GOP, et a trouvé un écho auprès d'une majorité d'électeurs républicains.

Les électeurs républicains ne sont toujours pas réconciliés avec le système politique américain pour autant

Comme leurs dirigeants - ou peut-être à cause d’eux - une grande majorité de républicains continuent de croire que les élections de 2020 ont été volées par les démocrates. Au lendemain de cette élection, 82 % des républicains ont déclaré que la victoire de Joe Biden était due à une fraude, contre 68 % en 2023. Ce chiffre est resté élevé malgré de nombreuses preuves du contraire. Plus remarquable encore, la perception qu'ont ces électeurs de l’assaut du 6 janvier et de ses auteurs s'est depuis adoucie : en 2023, les républicains étaient moins nombreux qu'en 2021 à estimer que les actes commis ce jour-là constituaient une "émeute" (44 % contre 62 %). Les républicains de 2023 sont moins nombreux qu'en 2021 à estimer que les événements doivent être qualifiés d' "insurrection" (15 % contre 33 %).

Si les électeurs républicains ont fait preuve d'une certaine modération après le scrutin de 2024 et au cours du processus de certification des résultats, les rares données de sondage disponibles indiquent qu'ils sont plus satisfaits du résultat que confiants dans le système politique américain. Quelques jours avant l'élection de novembre 2024, près de 9 partisans de Trump sur 10 étaient tout à fait ou plutôt d'accord pour dire que le risque de fraude électorale posait un problème sérieux pour déterminer le résultat de l'élection. Après l'élection, moins de 4 partisans de Trump sur 10 s’accordaient à considérer que le risque de fraude était véritablement un problème critique. Quoi qu'il en soit, les partisans de Donald Trump éprouvent toujours du ressentiment à l'égard des démocrates (et inversement). Un sondage YouGov montre que 88 % des républicains ont une opinion défavorable du parti démocrate, en augmentation par rapport aux 74 % de 2023. Le nombre de républicains qui considèrent que les démocrates "c'est le mal" a augmenté de 20 points de pourcentage au cours de la même période (chiffres similaires pour la perception des démocrates à l'égard du parti républicain). Parmi les républicains qui pensent que Trump a remporté l'élection de 2020, les trois quarts estiment que les démocrates sont "malfaisants" (contre un peu moins de la moitié de l'ensemble des démocrates à l'égard des républicains). D'autres indicateurs montrent que les Américains restent profondément polarisés et que peu de choses les rapprochent : 64 % des républicains pensent que les démocrates ne partagent pas leurs valeurs ou leurs objectifs (ce chiffre est plus faible chez les démocrates) et, chez les personnes qui s'identifient comme MAGA, ce chiffre grimpe à plus de 80 %. L'un des rares points communs entre la droite et la gauche est peut-être la piètre perception de la politique américaine et de ses institutions en général : parmi l'ensemble des électeurs, plus de 6 sur 10 expriment peu ou pas de confiance dans l'avenir du système politique américain.

Les actes de violence politique moins visibles restent un problème

Depuis 2016, la progression de la violence politique aux États-Unis forme une courbe qui ne cesse de grimper. Si certains actes très visibles ont attiré l'attention des médias (comme l’attaque au marteau perpétrée en 2022 contre Paul Pelosi, mari de Nancy Pelosi, à leur domicile, par un homme visant l’ancienne présidente démocrate de la Chambre), d'innombrables autres sont restés relativement invisibles du grand public. Pourtant, les fonctionnaires des États et des collectivités locales font de plus en plus souvent l'objet de menaces et de violences. Entre 2016 et 2021 par exemple, le nombre de menaces reçues par les membres du Congrès a augmenté de 1000 %. Huit élus locaux sur dix déclarent avoir été personnellement victimes de harcèlement, de menaces ou de violences physiques. Depuis 2017, le nombre de menaces contre les juges fédéraux a quadruplé. Les statistiques récentes ne sont pas encore disponibles pour la courte période qui s'est écoulée depuis l'élection présidentielle de 2024 et il est trop tôt pour dire si ces incidents de violence plus "banals" diminueront de manière significative et durable avec la victoire de Donald Trump.

La corrélation directe entre l'appartenance politique, notamment au parti républicain, et le recours à la violence, est notable. Si les républicains et les démocrates ont tous deux tendance à considérer que certains types de violence en politique sont acceptables, le parti républicain a davantage tendance à partager la conviction qu'il est légitime de participer à de tels actes de violence. Les personnes qui s'identifient fortement comme des partisans de Trump sont plus susceptibles que les autres électeurs de soutenir les actes de violence en politique.

La corrélation directe entre l'appartenance politique, notamment au parti républicain, et le recours à la violence, est notable. 

Les auteurs d'actes de violence politique ont désormais tendance à commettre ces actes en fonction du calendrier électoral. À l'inverse, les partisans de gauche qui participent à des actes de violence sont beaucoup moins susceptibles de s'identifier au parti démocrate et se comportent généralement en dehors de tout raisonnement électoral. Le profil type des auteurs de violence politique n'est plus celui d’un membre de la gauche marginale et radicale, mais plutôt un homme de 40 à 60 ans, marié avec des enfants, employé et appartenant à la classe moyenne, souvent membre d'églises évangéliques. C'est d'ailleurs le profil principal des personnes impliquées dans les attentats du 6 janvier. Au lieu d'être ostracisés pour leur participation à la violence politique, leurs communautés - et leurs dirigeants politiques - continuent de les accueillir.

Violence politique : l'épée de Damoclès 

Depuis la réélection de Donald Trump, les marqueurs les plus visibles de la violence politique, semblables à ceux observés le 6 janvier 2021 et avant, brillent par leur absence. On ne saurait néanmoins voir dans ce calme relatif une situation durable. Les conditions de la propagation de la violence politique aux États-Unis restent parfaitement intactes : polarisation intense de la société américaine, méfiance à l'égard du parti adverse et des institutions politiques dans leur ensemble, banalisation des auteurs de cette violence et place prépondérante accordée aux sceptiques et aux négateurs du résultat des élections, aux plus hauts niveaux de la direction politique. Tous ces facteurs semblent indiquer que la résurgence de la violence se profile toujours à l'horizon, et qu’elle attend l'occasion opportune pour ressurgir. Albert Camus ne concluait-il pas La Peste en écrivant que "le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais" ? 

 

Copyright Image : SAUL LOEB / AFP

La vice-présidente Kamala Harris aux côtés de Mike Johnson, Président de la Chambre des représentants, lors de la certification du résultat de l'élection présidentielle, le 6 janvier 2025. 

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