AccueilExpressions par MontaigneTrump 2.0 : un retour à l’âge impérial ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.10/03/2025Trump 2.0 : un retour à l’âge impérial ? États-Unis et amériquesImprimerPARTAGERAuteur Jonathan Guiffard Expert Associé - Défense et Afrique Depuis son investiture, le 20 janvier 2025, le président Trump multiplie les décisions dans tous les champs, avec un focus particulier dans le domaine de la sécurité nationale. De nombreuses annonces ont interpellé ou choqué : mais de quelle stratégie sont-elles révélatrices ? En replaçant ces décisions dans les représentations idéologiques de Donald Trump et en essayant d’en révéler la cohérence interne, notre expert associé Jonathan Guiffard, spécialisé dans les questions stratégiques, propose une lecture plus nuancée de la rationalité du nouveau président américain et de son équipe, afin d’aider à décrypter ses choix et à s’y adapter dans le futur. "The golden age of America has only just begun. It will be like nothing that has ever been seen before". C’est en ces termes que, le 04 mars 2025, le président Trump a terminé sa première adresse au Congrès, durant laquelle il a notamment évoqué ses axes de politique étrangère, allant du rachat du canal du Panama à l’invitation insistante faite au Groënland pour rejoindre l’Union. Celle-ci a eu lieu dans la foulée d’une annonce fracassante sur l’interruption de l’aide et de l’assistance fournie par les États-Unis à l’Ukraine dans le cadre de sa défense face à l’invasion russe. Quelques jours avant, la presse américaine faisait état d’une décision de mettre en pause les opérations cyber-offensives américaines contre la Russie, soulevant une incompréhension des professionnels américains de la sécurité nationale comme des gouvernements européens, le ministre français des Affaires étrangères s’interrogeant même publiquement sur ce choix. Dans ce contexte, comment interpréter ce virage radical de la politique de sécurité nationale américaine ? Comment peut-on expliquer des décisions à rebours des analyses consensuelles sur la réalité de la menace russe ? De manière générale, que doit-on comprendre des nombreuses décisions prises par le président Trump dans le domaine de la sécurité nationale depuis son investiture ?Que doit-on comprendre des nombreuses décisions prises par le président Trump dans le domaine de la sécurité nationale depuis son investiture ?Ses premières décisions ont été prises dans de multiples domaines et apparaissent disparates, étonnantes voire choquantes pour les alliés, les adversaires et les observateurs des États-Unis, tant elles remettent en cause des permanences de la stratégie américaine.Pour autant, loin des lectures paresseuses sur la supposée "imprévisibilité" ou "folie" du président Trump, elles sont l’illustration du logiciel idéologique du nouveau locataire de la Maison Blanche et dessinent les priorités à venir de son deuxième mandat, vers une politique qui sera tout sauf isolationniste. De son point de vue et de celui de son entourage, elles sont loin d’être incompréhensibles. Elles engagent toutefois les États-Unis sur une voie plus isolée, plus court-termiste et plus agressive que jamais, avec des conséquences de long terme faciles à anticiper mais dont les effets seront difficiles à quantifier.Aux sources idéologiques du président TrumpLors de son discours d’investiture, le président Trump a donné à voir ses références idéologiques et ses représentations géopolitiques, nous permettant de dresser son cadre de pensée et d’action.Il a notamment fait deux fois référence à l’âge d’or ("Golden Age") des États-Unis et s’est inscrit dans les pas du président William McKinley, figure de cette époque qu’il souhaite réhabiliter, et de son ministre et successeur, Théodore Roosevelt, lorsqu’il a évoqué ses objectifs de politique étrangère. William McKinley est une figure centrale du tournant du 20e siècle, bien que moins connue que son secrétaire à la Marine, devenu son vice-président puis son successeur, Théodore Roosevelt. Ces deux figures ont été des promoteurs acharnés d’un certain impérialisme américain : entre 1898 et 1909, sous leur patronage, l’exécutif américain s’est embarqué dans une aventure guerrière et coloniale qui a rapidement pris fin, mais qui a toutefois consolidé une aire d’influence et de contrôle des États-Unis sur le Pacifique et l’Amérique Latine à travers l’annexion de Hawaï, la colonisation définitive de Porto Rico et Guam, la colonisation temporaire des Philippines et la mise en œuvre d’une doctrine d’ingérence à Cuba qui a modelé les interventions juridiques, politiques et militaires américaines en Amérique du Sud durant l’ensemble du 20e siècle.Cette parenthèse impérialiste a commencé à prendre fin en 1905 lorsque Théodore Roosevelt, élu président un an avant, a réalisé le coût invraisemblable de la guerre de contre-insurrection aux Philippines. Face à cette déconvenue et à la pression grandissante du camp anti-impérialiste, la fièvre impérialiste américaine a pris fin, contrecarrée autant par les réflexes fondamentaux isolationnistes et idéalistes. Elle a muté au cours du siècle en une doctrine de politique étrangère et de sécurité nationale plus souple, de façonnage libéral du monde et de forte militarisation, au détriment de la construction d’un empire colonial.Cette parenthèse était aussi née des conséquences du "Gilded Age" et du "Golden Age", c’est-à-dire de cette période de très forte croissance industrielle américaine à partir de la décennie 1870, qui est à l’origine d’une production inégalée et du développement de grands monopoles de l’acier, du pétrole, du rail, de la finance ou de la construction. En effet, la recherche de marchés extérieurs, en mesure d’écouler la production américaine, était un moteur important de cette fièvre impérialiste, ses promoteurs regardant avec envie la profondeur offerte au Royaume-Uni par son empire colonial. C’est une période qui a vu émerger des magnats industriels comme Andrew Carnegie, John Rockefeller ou John Pierpont Morgan et qui s’est imprimée dans les consciences grâce au développement des buildings de Chicago et de New York City. Ces images et ces personnalités nourrissent largement l’imaginaire du président Trump, lui-même magnat new-yorkais de la construction, et sont à l’origine du mantra "Make America Great Again" ; mais aussi de la passion trumpienne pour les barrières douanières qui ont permis l’émergence de ces monopoles, décisions économiques qu’il a attribuées, lors de son discours, à William McKinley.Cet imaginaire n’est sûrement pas pour rien dans l’annonce qu’il a faite devant le Congrès de relancer les chantiers navals américains, civils et militaires. Le concept de puissance maritime ("Sea Power" d’Alfred Mahan) a directement influencé T.Roosevelt et les impérialistes, ce qui semble résonner dans les décisions actuelles du président Trump. Dans ce contexte, on comprend mieux son intérêt pour le Panama, le Canada et le Groënland ; mais aussi qu’il ait le Mexique, le Venezuela ou Cuba dans son viseur. Soutenu par un électorat populaire isolationniste qui demande la fin des "forever wars" qu’il doit ménager, le président Trump est ainsi séduit par un réflexe impérial qui réaffirmerait et agrandirait la zone d’influence propre des États-Unis dans le Pacifique, l’Atlantique Nord et l’Amérique Latine.La recherche de marchés extérieurs, en mesure d’écouler la production américaine, était un moteur important de cette fièvre impérialiste, ses promoteurs regardant avec envie la profondeur offerte au Royaume-Uni par son empire colonial.Mexique : une guerre imminenteLes premières décisions de sécurité nationale prises par la nouvelle administration ont entraîné une priorisation significative de l’appareil sécuritaire contre les cartels de drogue sud-américains, plus particulièrement mexicains, annonçant l’imminence d’un vraisemblable conflit de basse ou moyenne intensité à la frontière sud des États-Unis. Ainsi, Le président Trump a d’abord désigné plusieurs cartels sud-américains comme des "organisations étrangères terroristes" (FTO) ce qui donne à l’exécutif une autorité politique et juridique plus importante pour engager militairement ces organisations et soumettre à des sanctions toutes les entités travaillant ou commerçant avec ces cartels. Près de 10000 troupes américaines sont en cours de déploiement à la frontière, officiellement pour la sécuriser. Or, ces troupes n’ont aucune mission de combat dans la zone, ne peuvent pas agir comme des forces de police et ont donc soit un objectif politique de communication, soit un objectif de moyen-terme. Au même moment, des moyens de surveillance aérienne (drone MQ-9, avions RC-135 et P8 Orion) ont été déployés à la frontière mexicaine pour des missions de surveillance de la frontière et de localisation des laboratoires de production de fentanyl.Ces missions servent à alimenter les forces armées mexicaines en renseignement pour qu’elles mènent des opérations d’arrestation, mais elles servent aussi à la planification militaire (shaping, en langage américain). Lors de sa campagne, le président Trump avait évoqué son souhait d’une approche unilatérale et agressive contre les cartels et il semble que les premières directives de John Ratcliffe, nouveau directeur de la CIA, soient allées dans ce sens. Ainsi, il est probable que le président Trump augmente progressivement la pression sur le gouvernement mexicain jusqu’à ce qu’il ait l’opportunité ou le prétexte d’agir de manière unilatérale contre les cartels. Les nominations de Ronald Johnson, ancien militaire et responsable de la CIA, comme ambassadeur au Mexique, de Dan Caine, ancien responsable de la CIA à la retraite, comme chef d’état major des armées, ou de Michael Waltz, ancien membre des forces spéciales, comme conseiller à la sécurité nationale semblent confirmer cette tendance à aller vers plus d’opérations spéciales et clandestines. Il semble que deux camps s’affrontent actuellement : ceux poussant dès à présent pour des opérations unilatérales et ceux poussant pour une coopération accrue avec les forces armées mexicaines.En tout état de cause, il est probable qu’une guerre américaine s’engage de nouveau contre les acteurs sud-américains de la drogue, alors que les cartels ravagent le Mexique depuis plusieurs décennies, que la drogue ravage les États-Unis depuis une bonne décennie et que l’entourage de Trump loue les méthodes autoritaires de Nayib Bukele, président du Salvador. La guerre contre la drogue risque d’avoir des conséquences violentes, économiques et sociales très importantes, surtout avec le rapatriement à la frontière sud des méthodes controversées de deux décennies de lutte contre le terrorisme.Cette priorisation sur le territoire national explique aussi son annonce, le 04 mars 2025, d’un projet de bouclier anti-missiles ("Golden Dome"), projet qui illustre la volonté du président Trump de se replier en priorisant la défense directe du territoire (au détriment de la "défense de l’avant", concept structurant de la stratégie américaine depuis 1945).Ces dossiers prioritaires risquent ainsi d’absorber beaucoup de ressources, ce qui offre déjà un premier facteur d’explication sur la cassure rapide à venir avec les Européens : les troupes et ressources américaines présentes en Europe et dans l’OTAN en général sont considérées comme du gâchis pour l’administration Trump qui veut se concentrer sur des dossiers pour lesquels les Européens n’apportent rien : bouclier antimissile et Mexique, mais aussi les autres conflits à venir.Iran et Venezuela : des objectifs intermédiaires plus pressantsAvec le référentiel précisé ci-dessus, on peut aisément deviner que l’Iran et le Venezuela risquent de concentrer une attention importante de la nouvelle administration.S’agissant de l’Iran, le chèque en blanc donné à Benyamin Nethanyou est un premier indicateur de la politique qui se dessine. À cet égard, la conférence de presse donnée le 04 février 2025 est très révélatrice :"BN - [...] we have to finish the job [...] We’re both committed to rolling back Iran’s aggression in the region and ensuring that Iran never develops a nuclear weapon [...] DT - [...] They cannot have a nuclear weapon. It’s very simple. I’m not putting restrictions. I’m not. They cannot have one thing. They cannot have a nuclear weapon. And if I think that they will have a nuclear weapon, despite what I just said, I think that’s going to be very unfortunate for them. [...]".Ce discours semble impliquer une volonté de frapper l’Iran dans un futur proche, si celui-ci ne se résout pas à abandonner ses ambitions nucléaires. Le président Trump aurait d’ailleurs envoyé un signal au gouvernement iranien dans ce sens pour éventuellement ouvrir des discussions. Objectif structurant de sa première administration, le président Trump a désormais les mains plus libres : les troupes américaines ont massivement quitté l’Afghanistan et l’Irak (et sûrement bientôt la Syrie) ; Israël a détruit une partie des proxies iraniens et semble déterminé à frapper l’Iran avant l’obtention de la bombe ; l’accord du JCPOA n’est plus et les perspectives de négociation restent faibles ; l’AIEA estime que l’Iran enrichit l’uranium à 60 %, un seuil proche de la militarisation ; le renseignement américain estime que l’Iran se rapproche aussi de la militarisation… Autant de facteurs qui favorisent une opération israélienne soutenue par les États-Unis sur le plan politique ou militaire, si l’Iran ne fait pas un geste fort. La désignation des Houthis et d’Ansar Allah sur la liste des FTO s’inscrit dans ce contexte, tout comme les flux d’armes américaines vers Israël dont le premier ministre Netanyahu a fait la publicité le 03 mars 2025.S’agissant du Venezuela, le président Trump a entamé de nouveau un processus de pression sur le régime de Nicolas Maduro en révoquant les licences d’exploitation pétrolières accordées aux sociétés américaines et permettant de financer le régime. Pour mémoire, lors de son premier mandat, il avait donné l’ordre de mettre en œuvre des opérations clandestines, notamment économiques et cyber, pour faire chuter le régime. Avec un logiciel impérial renouvelé, il est probable que le Venezuela soit de nouveau la cible d’une panoplie de sanctions, de pressions et d’opérations clandestines pour fragiliser ou faire chuter Maduro.La nouvelle administration limitera vraisemblablement les grandes opérations militaires, mais accentuera tous les autres leviers qui permettront de contraindre ses adversairesDès lors, on voit se dessiner une politique étrangère plus agressive, à l’image de son premier mandat, et empreinte de représentations anciennes et nostalgiques. La nouvelle administration limitera vraisemblablement les grandes opérations militaires, mais accentuera tous les autres leviers (opérations spéciales, clandestines, cyber, informationnelles, économiques…) qui permettront de contraindre ses adversaires, en limitant les retours de cercueils dans les circonscriptions.La Chine, la grande inconnue : en marche vers la guerre ?Les premières décisions relatives à la Chine, notamment l’imposition de barrières douanières, sont justifiées par la guerre contre le fentanyl, mais celles-ci s’inscrivent dans un consensus bipartisan plus large contre l’impérialisme chinois. Le premier mandat du président Trump avait déjà fortement aligné les deux rives politiques américaines en caractérisant la menace chinoise dans tous les domaines (économiques, militaires, cyber, etc.). Les opérations cyber et d’espionnage récentes ont renforcé les représentations américaines de la menace chinoise, en faisant émerger un sentiment d’urgence.Depuis son arrivée au pouvoir, le président Trump a eu des mots très durs contre la Chine et continue un travail de sape stratégique : le rachat du canal du Panama est ainsi motivé pour en réduire l’accès à la Chine ; la volonté d’intégrer le Canada et le Groënland semble aussi s’inscrire dans cette volonté de verrouiller l’accès à "l’hémisphère ouest", à l'Arctique et à l’Atlantique, tout en renforçant la défense anti-missile (NORAD) et en intégrant les minerais rares nécessaires à la compétition technologique…Pour autant, la Chine semble bénéficier d’une inconnue dans le logiciel stratégique de la nouvelle administration : doit-elle se préparer à la guerre ?S’il est vraisemblable qu’elle poursuive une stratégie de découplage et d’isolement de la Chine sur la scène internationale, la question d’un engagement américain en cas d’attaque de Taiwan se pose. Les premières paroles du président Trump sur Taiwan sont plutôt ambiguës vis-à-vis de cette jeune démocratie, tout comme son traitement de l’Ukraine. Il semble mettre des limites à la Chine, sans réel engagement. Si un engagement en Amérique Latine ou contre l’Iran sont susceptibles d’apparaître comme des "victoires" faciles, il en est tout autrement pour un engagement militaire qui verrait s’affronter des militaires américains et chinois dans certains domaines (cyber, maritime, aérien…). Taiwan le sait et cherche à s’assurer la continuité du soutien américain. Or, le président chinois, Xi Jinping, voulait que l’Armée Populaire de Libération soit prête pour éventuellement récupérer Taiwan à partir de 2027. Il est ainsi possible que le président Trump travaille à retarder cette échéance au maximum pour éviter d' avoir à en gérer les conséquences lors de son mandat (2025-2029).En finir rapidement avec l’Ukraine pour retrouver des marges de manœuvreEn regardant de manière froide ses priorités, annoncées ou déjà dessinées, sa politique à l’égard de la Russie, de l’Ukraine et de l’Europe prend alors un autre sens. Le président Trump a besoin de ressources et, dans son référentiel idéologique mêlant tentation impérialiste de l’âge d’or, tradition américaine isolationniste datant de George Washington et connivence idéologique avec le Kremlin (chrétien, conservateur, pro-fossile et impérial), il fait le choix de sacrifier ses alliés européens pour récupérer des ressources à dédier aux autres conflits à venir.Ainsi, avec sa faible économie et son armée laminée par 3 ans de guerre, le président Trump estime que la Russie ne présente plus une menace importante pour les États-Unis, mais seulement pour l’Europe ("And we have an ocean separating us, and they don’t"). Il convient donc pour lui d’accélérer le processus de paix pour se débarrasser de ce sujet, encore important pour la population américaine, et se concentrer sur ses objectifs prioritaires. En outre, en engageant un renouvellement de la relation avec Moscou, il semble que l’administration Trump espère découpler la Russie de la Chine. Cet objectif semble n’être nourri que par des présupposés idéologiques, mettant totalement de côté les analyses de long-terme, le double-jeu de Moscou et la défense des idéaux démocratiques.De son point de vue, ces décisions sont donc parfaitement rationnelles et les discours choqués des Européens n’auront aucun impact pour infléchir cette stratégie. Le président Trump n’agit pas comme un agent recruté par le KGB, mais bien comme un responsable ultra-conservateur, séduit par une approche impériale, qui souhaite plutôt affronter ses autres adversaires (dont des alliés de Moscou).Il fait le choix de sacrifier ses alliés européens pour récupérer des ressources à dédier aux autres conflits à venir.S’il était un agent du KGB recruté en 1987, comme la rumeur actuelle le laisse penser, le contre-espionnage américain l’aurait formellement identifié grâce à la succession de défecteurs du renseignement russe. À l’image des conclusions du rapport Mueller, qui soulignent une connivence avec les Russes mais ne caractérisent pas de conspiration, le président Trump joue bien sa propre partition bien que celle-ci soit très favorable aux intérêts de Moscou. La convergence idéologique est forte, mais formaliser un lien de subordination avec le KGB, sans preuve, est contre-productif et entraîne une cécité analytique sur ses propres motivations.Enfin, ce positionnement est aussi un facteur déterminant des premières décisions relatives au cyber et à la lutte contre les ingérences étrangères. La nouvelle administration a mis une pause aux opérations cyber offensives contre la Russie, tout en démantelant les organes de lutte contre l’ingérence étrangère, notamment russe : ces décisions semblent être portées autant par une volonté de donner des gages aux Russes dans le cadre des négociations en Ukraine, que par une volonté de resserrer les rangs de l’appareil de sécurité nationale sur les nouvelles priorités. Elles minimisent néanmoins fortement le degré de menaces à moyen et long terme, ce qui ne manquera pas d’être relevé par les agences de renseignement.Le système de sécurité nationale est-il prêt pour l’agenda présidentiel ?Le volet intérieur des premières décisions de sécurité nationale concerne le système de sécurité national lui-même : une mise au pas et une politisation forte des armées et des services de renseignement, à rebours de la tradition politique américaine. De la nomination controversée du secrétaire de la Défense, Pete Hegseth, ou de la directrice nationale du renseignement, Tulsi Gabbard, au licenciement de nombreux officiers supérieurs aux qualités reconnues, tels que le chef d’état-major des armées, la responsable de la Navy ou des conseillers juridiques, les premières décisions marquent une volonté de mise au pas de ce que l’entourage du président Trump aime appeler l’état profond ("Deep state") ou le Marais ("The Swamp"). Le gouvernement fédéral et, plus particulièrement, l’appareil de sécurité nationale est en effet accusé de déloyauté et de rigidité. Le licenciement des personnels transexuels ou liés aux programmes de discrimination positive (DEI), la chasse aux messages personnels des membres des services de renseignement ou le buy-out proposé aux personnels pour qu’ils quittent leurs administrations font tous parti d’une stratégie de préparation des armées aux conflits à venir. Leave now or get on board.Cette politisation forte d’entités gouvernementales qui ont pourtant été encadrées par la constitution et la jurisprudence pour éviter d’être prise dans le jeu partisan est inédite dans son échelle et porte des risques très importants, ce qui tend à fragiliser la stratégie actuelle du président Trump. La montée en responsabilités de loyalistes et la levée des freins institutionnels est la recette parfaite pour multiplier les erreurs et les bavures dans les futurs conflits, mais aussi pour déstabiliser durablement des institutions dont la légitimité risque de s’effondrer aux yeux de la population américaine. Cette dynamique ne peut qu’être renforcée par le licenciement ou la démission de cadres expérimentés ou de futures générations. Ainsi, plusieurs milliers de personnes ont déjà été licenciées et la nouvelle administration vise une réduction de 5 à 8 % des personnels. Ce point a été anticipé par les armées qui ont déjà proposé de réduire ou mettre fin à des programmes d’équipements. Il est probable que d’autres programmes de long-terme, d’équipements ou scientifiques, à l’image du dispositif MINERVA de soutien à la recherche stratégique, fassent les frais de cette nouvelle stratégie orientée sur des résultats de court-terme.La montée en responsabilités de loyalistes et la levée des freins institutionnels est la recette parfaite pour multiplier les erreurs et les bavures dans les futurs conflits, mais aussi pour déstabiliser durablement des institutions.Les premières décisions de sécurité nationale du président Trump dessinent une stratégie déterminée, impatiente et agressive, dont le focus sera en Amérique Latine, en Iran et là où les intérêts américains seront symboliquement touchés (notamment par le terrorisme islamiste). Il expose les États-Unis à une montée des périls, dès lors que la menace russe ne sera plus contenue, que la menace terroriste domestique d’extrême-droite sera encouragée plutôt que combattue et que les cartels sud-américains porteront, en retour, la violence dans les rues américaines.Cette logique sera une nouvelle parenthèse qui devrait de nouveau stimuler d’autres réflexes américains, entre les partisans d’un isolationnisme complet et le camp anti-impérialiste démocratique.Le risque pour l’Europe est triple : (i) la fin de l’OTAN dans sa forme actuelle est un risque très concret et vraisemblable ; (ii) la menace russe contre les sociétés européennes et contre les pays frontaliers va s’accroître et il faudra y faire face seul ; (iii) des nouveaux territoires seront l’objet d’opérations américaines, limitées ou durables, susceptibles de déstabiliser encore un peu plus la situation internationale.Une chose est claire, les normes établies en 1945 ne sont plus.Copyright image : ROBERTO SCHMIDT / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 06/03/2025 Discours sur l’état de l’union : derrière la polarisation et les symboles, ... 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