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06/03/2025

Discours sur l’état de l’union : derrière la polarisation et les symboles, la relève ?

Discours sur l’état de l’union : derrière la polarisation et les symboles, la relève ?
 Amy Greene
Auteur
Experte Associée - États-Unis

Le 47e président des États-Unis s’est livré pour la cinquième fois au rituel de Discours sur l’état de l’union (ou SOTU, State of the Union Address) mardi 4 mars 2025. Dans le contexte d’inquiétude et de basculements qui prévaut sur la scène domestique américaine comme sur la politique internationale, on attendait une feuille de route de nature à éclairer l’action du gouvernement et à préciser ses choix stratégiques, mais Donald Trump a principalement réaffirmé avec force une vision du monde polarisée et rétive au compromis. Quels sont les grands thèmes mis en avant par le président américain et en quoi sont-ils les indices du tour qu’il compte imprimer à son action à venir ? L’opposition démocrate, désemparée, est-elle prête au rebond qui s’impose avant les élections de mi-mandat, prochaine échéance déterminante en 2026 ? Une analyse d’Amy Greene.

Le cinquième discours sur l'état de l'Union de Donald Trump fut, de toute l'histoire des États-Unis, le plus long jamais prononcé par un Président devant le Congrès - bien qu'il ne faille pas, au sens strict, parler d'un discours sur l'état de l'union, mais plutôt d'une adresse au Congrès, étant donné que le président vient d'être investi. Sa longueur n’est pourtant pas synonyme d’annonces ou de nouveautés, puisqu’on y a retrouvé de nombreux éléments déjà présents dans son discours d’investiture du 20 janvier. Loin d’une feuille de route législative structurée et précise pour l'année à venir, Trump s’est livré à une intervention souvent imprécise, énumérant la litanie d’actions déjà entreprises lors des premiers jours de son mandat, rabâchant sa vision de la place de l'Amérique dans le monde, insistant sur les questions sociales nationales et raillant l’opposition démocrate. Très polarisant, le discours du 47e président des États-Unis s’adressait principalement à ses partisans, et n’a pas cherché à construire une quelconque coalition politique bipartisane, qui pourrait l’aider à mener à bien son programme présidentiel.

Un Donald Trump plus combatif que jamais

Donald Trump a pourtant déjà prouvé qu’il pouvait appeler à l'unité avec les démocrates, quel que soit le jugement que l’on pouvait porter sur la sincérité de tels appels. Une telle attitude n'était nulle part visible mardi soir. Au contraire, chacun des deux partis a fait montre d’une profonde acrimonie et, entre la jubilation des républicains et les huées des démocrates, le fossé entre les deux partis politiques semble plus béant que jamais. Sans prendre la peine de feindre le désir de trouver un dénominateur commun entre les deux camps, ni chercher un compromis législatif, Donald Trump s'est déchaîné contre les démocrates et plus particulièrement contre son prédécesseur Joe Biden. Il l’a qualifié de pire président de l'histoire (“the worst president in American history”), et l’a rendu responsable de tous les maux de la société américaine, depuis l'arrivée massive de migrants illégaux et criminels au prix élevé des œufs en passant par l’affaiblissement de l'Amérique dans le monde. Donald Trump semblait refaire son argumentaire de campagne pour une élection qu’il a pourtant remportée.

Les promesses de l'investiture confirmées

La prise de parole du 4 mars a été l’occasion pour Donald Trump de saluer les premières orientations de son administration, sans oublier les plus controversées : le DOGE (Department of Government Efficiency) d'Elon Musk dont les méthodes de travail sont soutenues par un peu plus d'un tiers des Américains), la déclaration d'une “urgence énergétique nationale” et d'une “urgence migratoire nationale” à la frontière sud, la décision de faire de l'anglais la langue officielle des États-Unis, la fin des initiatives DEI (Diversité, égalité et inclusion) et la reconnaissance exclusive des sexes féminin et masculin dans la politique fédérale, entre autres exemples. Donald Trump a comparé ces décrets, comme il l'avait fait le 20 janvier, à une révolution du “bon sens” dans la société américaine. Quoiqu’il n’ait guère donné de détails de nature à démontrer les résultats tangibles de ces initiatives - aucun chiffre sur la baisse des passages frontaliers, ni sur le montant exact des gaspillages gouvernementaux découverts par Musk et son équipe -, Trump n’a pas hésité à déclarer une victoire précoce sur l’ensemble de ces fronts.

Droits de douane : des discussions destinées à durer

Au moment même de son discours sur l'état de l'Union, des droits de douane à grande échelle sont entrés en vigueur sur les importations en provenance du Canada, de la Chine et du Mexique. Donald Trump a réitéré son intention de faire des droits de douane un instrument de réaffirmation de la primauté de l'Amérique, et d’en instaurer de nouveaux dès le 2 avril prochain. Accusant d'autres pays, y compris alliés, de pratiques tarifaires déloyales à l'encontre des États-Unis, Trump a annoncé son intention d'imposer des droits de douane réciproques. Sa prise de position sur les droits de douane souligne, plus largement, un changement dans la vision que le président américain nourrit sur la place de son pays dans le monde. Plutôt que d'adhérer à la philosophie du libre-échange qui a caractérisé plusieurs décennies de politique américaine, Trump considère que les États-Unis font les frais de pratiques inégales et injustes. Cette vision du monde, selon laquelle l’engagement des États-Unis dans le monde est un parti pris nuisible à leurs intérêts, n’a pas qu’une traduction économique : Donald Trump a salué la décision qu’il avait prise de quitter les accords de Paris, l'Organisation mondiale de la santé et le Conseil des droits de l'homme des Nations unies.

C’est une vision du monde comme un jeu à somme nulle qui se dégage ainsi de cette prise de parole d’une heure quarante

Et en se moquant des programmes que les États-Unis ont financés dans les pays en développement, Trump a redit combien, selon lui, la contribution américaine au système multilatéral ne leur profitait pas à la mesure de ce qu’ils apportaient. C’est une vision du monde comme un jeu à somme nulle qui se dégage ainsi de cette prise de parole d’une heure quarante, teintée de méfiance à l’égard des alliances et relayant une conception binaire d’une division entre gagnants et perdants.

Selon Trump, les États-Unis récoltent moins qu’ils ne sèment dans un monde globalisé qu'ils portent à bout de bras, et il est temps de remédier à cela.

À ceux qui espéraient des annonces substantielles sur la fin de la guerre en Ukraine ou à Gaza, Trump n'a pas offert grand-chose. Il a réaffirmé son objectif de mettre fin aux combats dans ces deux régions mais n’a donné aucune indication précise sur les moyens mis en œuvre par son administration pour y parvenir. Et si l’on excepte la mention de son désir d'acquérir le Groenland ou de récupérer le Canal de Panama, Donald Trump est resté remarquablement silencieux sur les questions géopolitiques. Même la mention de la Chine, considérée comme le grand rival stratégique des États-Unis, n’a fait l’objet que de quelques critiques concernant ses droits de douane. Indice révélateur : ce discours sur l'état de l'Union a comporté 14 occurrences du terme de “droits de douane”, contre seulement 8 mentions de l'Ukraine, 6 de la Chine et 3 de l'Europe.

Les démocrates, en manque de stratégie, choisissent la perturbation

Les interruptions répétées de l’élu démocrate du Texas, Al Green, dès le début du discours, se sont soldées par son expulsion de la Chambre, tandis qu’à d’autres moments, les démocrates ont hué et crié pour contredire le président, brandissant des pancartes en réaction à ses paroles (“Musk le Voleur”, “Mensonge”). Plus de dix représentants démocrates ont quitté la salle en signe de protestation, ce qui est sans précédent dans l’histoire politique américaine.

D'autres encore étaient habillés en rose pour manifester leur inquiétude sur le droit des femmes. De tels actes, de nature symbolique, ont certes du sens pour qui les soutient, mais ils révèlent aussi en creux le problème de fond des démocrates : l'absence de vision stratégique pour construire une opposition à Trump. Contrairement à 2017, les démocrates ne parviennent pas à trouver un espace politique ou un angle d'attaque efficace face à la vague des décrets de Trump.

De tels actes, de nature symbolique, ont certes du sens pour qui les soutient, mais ils révèlent aussi en creux le problème de fond des démocrates : l'absence de vision stratégique pour construire une opposition à Trump

 Bien moins visibles dans les médias, ils n'ont pas lancé d'appel cohérent ou unificateur apte à mobiliser les électeurs qui cherchent à construire une Amérique post-Trump en vue des élections de mi-mandat de 2026. Face à de forts vents contraires, les démocrates se contentent de faire le pari que Trump suscitera de lui-même un effet repoussoir… L'absence, à ce jour, d'une alternative démocrate convaincante au trumpisme a rendu assez dérisoires les actes symboliques observés mardi, qui semblent largement insuffisants dans une période politique d’une telle conflictualité.

Dirigeants démocrates, la relève ?

La réplique démocrate officielle au discours sur l'état de l'Union est venue de la sénatrice du Michigan Elissa Slotkin. Sa prise de parole offre peut-être un plan de travail de nature à mobiliser les démocrates et pourrait inspirer leur approche - alors qu'ils cherchent à se reconstruire après leur défaite de novembre. Née d’un père républicain et d'une mère démocrate, ancienne officier de la CIA et sénatrice d'un des “swing states” remportés par Trump, Elissa Slotkin a incarné une approche plus centriste. Reconstruction de la classe moyenne américaine, mise en garde contre les réductions d'impôts décidées par Trump au profit des milliardaires, confiance dans l’idée que le changement ne signifie pas nécessairement le chaos, et critique de la manière dont le président avait rencontré Volodymyr Zelenskyy dans le Bureau ovale. Face à une opposition démocrate de nature symbolique, la posture et les thèmes choisis par Slotkin  rappellent qu'une grande partie de l'électorat américain se situait au centre du spectre politique. Dès lors, pour reconquérir des électeurs épuisés par la polarisation et la frénésie qui semblent s’être emparées de la vie politique, une ligne plus modérée portée par de nouveaux visages pourrait être une clé à la reconstruction d’une vision politique susceptible d’intéresser ceux qui ont voté contre eux en 2024.

Donald Trump au Congrès, le 4 mars 2025
Copyright Win McNamee / POOL / AFP

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