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20/12/2024

[Télésurveillance médicale] - Les patients, acteurs de leur parcours de santé

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[Télésurveillance médicale] - Les patients, acteurs de leur parcours de santé
 Laure Millet
Auteur
Experte Associée - Santé

L’adoption et le succès de la télésurveillance médicale dépendent de la construction de parcours patients inclusifs, capables de favoriser l’engagement, la confiance et l’adhésion des patients sur le long terme. Une approche globale des soins est alors indispensable, combinant l’analyse des déterminants sociaux de la santé, l’appréciation de la maturité des solutions technologiques disponibles et une meilleure compréhension des attentes des patients. L’évaluation de la qualité des soins et de l’expérience des patients dans les programmes de télésurveillance doit également être une boussole pour les établissements de soins, afin de surmonter les réticences vis-à-vis du numérique en santé et renforcer progressivement la confiance envers ces technologies. En intégrant ces dimensions, les soins à distance permettront véritablement de répondre aux exigences d’efficacité, d’accessibilité et de pertinence, tout en s’inscrivant dans une dynamique de transformation durable des parcours de soins.

Une approche globale des soins à distance grâce à la compréhension des déterminants sociaux de la santé 

La télésurveillance médicale offre de nombreux avantages dans le quotidien des patients mais elle peut également introduire et amplifier des disparités sociales existantes. Lorsqu’une innovation numérique est proposée aux patients, une meilleure compréhension de son mode de vie peut permettre de personnaliser la prise en charge et de s’assurer de son utilisation régulière. Pour mieux comprendre l’environnement de vie du patient et ses facteurs de risque, l’analyse des déterminants sociaux de la santé (Social Determinants of Health, SDOH) est clé. Ils englobent les facteurs sociodémographiques et économiques qui peuvent avoir un impact sur la santé : l’accès à l’éducation, l’accès aux soins et aux infrastructures de transport, l’environnement de vie et logement, le contexte social et l’entourage, la stabilité économique. 

Lorsqu’une innovation numérique est proposée aux patients, une meilleure compréhension de son mode de vie peut permettre de personnaliser la prise en charge et de s’assurer de son utilisation régulière.

Les déterminants numériques de la santé (Digital Determinants of Health, DDOH) sont également décisifs dans l'adoption de la télésurveillance par les patients. Ils mettent en lumière comment les nouvelles technologies peuvent parfois exacerber les inégalités sociodémographiques existantes.  Ils sont analysés à l’aune de la facilité d’utilisation d’une technologie numérique et de son utilité perçue, de la crainte de biais algorithmiques dans les prises de décision médicale, de l’asymétrie d’information qui en résulte, du degré d’interactivité avec la technologie, de l’éducation numérique, de l’accès géographique et financier au numérique et à internet, ou encore du degré de personnalisation du service numérique. 

Pour mieux les analyser, une formation adéquate est nécessaire à destination des professionnels de santé.

Une analyse de la maturité des solutions de télésurveillance médicale

Alors que l’analyse des déterminants sociaux et numériques de la santé peut aider les équipes médicales à comprendre les contextes sociaux et économiques des patients, certains cadres théoriques d'adoption de l'innovation en santé permettent d'optimiser la diffusion de la télésurveillance médicale dans un système de soins donné. Le Hype Cycle - une représentation graphique développée par Gartner afin d’illustrer la maturité, l'adoption et l’application sociale de certaines technologies - offre une vue sur l'évolution d'une technologie dans le temps. Selon la Gartner Research, la télésurveillance médicale est actuellement dans une phase où les avantages de la technologie sont de plus en plus compris par les patients, les prestataires et les payeurs, et ses applications sont plus clairement définies ("slope of enlightenment"). À mesure que la télésurveillance progresse et se diffuse, les politiques de remboursement des assurances publiques et privées joueront aux États-Unis un rôle crucial pour déterminer les modèles de développement de la télésurveillance (soins primaires, soins aigus, soins de suite et de réadaptation) et les patients ciblés. 

Le modèle de diffusion des innovations développé par Everett Rogers offre quant à lui un cadre théorique aidant à analyser le degré d’adoption d’une technologie. Dans le contexte de la télésurveillance médicale, cette approche commence par l’analyse de l’avantage relatif perçu par les patients. Il s’agit de positionner les soins à distance comme une solution attrayante en raison de ses bénéfices : un suivi continu de la santé depuis le domicile, une réduction des consultations physiques, et une détection précoce, voire préventive, des problèmes de santé. L’adoption dépend aussi de la compatibilité avec les besoins et le mode de vie des patients, ce qui implique de montrer comment elle peut s’intégrer harmonieusement dans leur quotidien. Un autre facteur crucial est la simplicité d’utilisation. La télésurveillance peut être perçue comme complexe, notamment par les personnes âgées ou celles peu à l’aise avec les outils numériques. Rendre son usage intuitif et accompagner les utilisateurs dans leur apprentissage est donc essentiel pour lever ces freins. Enfin, l’essayabilité ("triability") et l’observabilité ("observability") jouent un rôle central. Proposer des programmes pilotes ou des essais permet aux patients de découvrir par eux-mêmes les bénéfices de la télésurveillance médicale. De plus, voir les résultats positifs chez d’autres utilisateurs, qu’il s’agisse d’une amélioration de leur santé ou d’un témoignage convaincant, renforce leur confiance et leur propension à adopter cette technologie.

Construire les parcours patients de demain grâce à une analyse par étape

Comprendre les motivations des patients est essentiel pour ensuite bâtir un parcours de soins adapté pour chaque programme de télésurveillance. Tout commence par l’identification du patient ; aux États-Unis, il n'existe pas de directives cliniques standardisées pour orienter le recrutement des patients dans les programmes de télésurveillance. Ce sont les professionnels de santé qui proposent un suivi à distance sur la base des résultats de santé et des ressources existantes. Mais cette méthode peut introduire des biais. En effet, les professionnels de santé reconnaissent qu’ils sont plus enclins à proposer la télésurveillance à des patients plus à l’aise avec la technologie. Des facteurs tels que l'âge et la localisation géographique des patients influencent également ces décisions, les patients à l'aise avec la technologie étant généralement plus jeunes et vivant dans des zones plus urbaines. Les cliniciens interrogés dans l’enquête menée par NYU Langone Health reconnaissent être moins susceptibles de proposer la télésurveillance aux patients qu'ils perçoivent comme moins susceptibles de l'utiliser a priori.

Une fois qu'un prestataire a identifié un patient pour la télésurveillance, l'équipe de soins collabore avec le patient pour acquérir et le former à utiliser l'appareil connecté nécessaire au suivi à distance. Choisir le meilleur appareil peut être un défi. Aux États-Unis, même les dispositifs approuvés par la Food and Drug Administration peuvent varier en précision et en performance selon les groupes démographiques.

Les professionnels de santé reconnaissent qu’ils sont plus enclins à proposer la télésurveillance à des patients plus à l’aise avec la technologie.

Par exemple, des recherches ont montré que certains oxymètres de pouls peuvent être moins précis pour les personnes à la peau foncée. Après l'acquisition du dispositif connecté adapté, les équipes de soins sont responsables de former les patients à son utilisation, c’est-à-dire la mesure des constantes vitales concernées et la connexion de l'appareil au portail patient pour le recueil automatique de données. Ceci nécessite notamment une formation adaptée au niveau de littératie numérique du patient.

Une fois le programme lancé, le patient doit collecter et transmettre ses données de santé à son prestataire de soins. Les patients bénéficient souvent d'une assistance technique et de rappels, mais de nombreux prestataires manquent de capacité et de ressources humaines pour des suivis réguliers. Les professionnels du secteur médico-social et les navigateurs numériques peuvent aider dans le suivi régulier des patients, à domicile. De nombreux dispositifs dépendent par ailleurs de connexions haut débit fiables pour la transmission des données en temps réel. Pourtant, aux États-Unis comme en Europe, de nombreux patients n'ont pas accès au haut débit. Pour relever ce défi, les patients utilisent de plus en plus des dispositifs compatibles Bluetooth qui se connectent directement aux smartphones et se synchronisent avec les dossiers patients électroniques hors réseau.

La télésurveillance médicale permet aux équipes médicales d'analyser les données des patients en dehors des visites chez le médecin grâce à une surveillance continue, facilitant l’ajustement du traitement et la personnalisation des soins en conséquence. Les cliniciens utilisent de plus en plus des outils d’aide à la décision, tels que l’Intelligence Artificielle Générative ("GenAI") pour gérer les flux de données. Ces outils peuvent aussi envoyer aux patients des messages et du contenu personnalisé conçu avec les équipes médicales, qui les motive à continuer leurs efforts et à être rigoureux dans leurs mesures. Ces contenus peuvent prendre diverses formes : des messages d'encouragement, des rappels sur le moment de la journée où prendre ses mesures, des conseils relatifs à l'exercice physique ou la nutrition, des enquêtes sur les effets secondaires des médicaments, ou encore des retours sur l’expérience patient. À l'avenir, l’IA Générative pourra aider les équipes de soins à assurer une communication continue avec les patients à travers des chatbots fournissant des retours instantanés sur la collecte des données, la résolution de problèmes techniques, et encourageant les patients ayant une faible adhérence à prendre leurs mesures plus fréquemment.

En fin de parcours, déterminer le moment approprié pour arrêter le suivi par télésurveillance demeure complexe. Il est difficile de savoir, pour chaque patient, quelle est la durée idéale du programme, notamment car le choix du bon médicament et de la bonne posologie peut prendre du temps. Par exemple, la plupart des ajustements médicamenteux pour l'hypertension artérielle se produisent dans les quatre premiers mois de démarrage de la télésurveillance. Certaines directives suggèrent que si un patient est stable sous un certain médicament, sans ajustements de posologie pendant 14 jours et sans admission à l’hôpital dans les 30 jours, celui-ci peut arrêter le programme de suivi à distance. En France, la Haute Autorité de Santé a publié des référentiels précis, par pathologie, pour guider les opérateurs quant à l’arrêt ou au renouvellement des programmes de télésurveillance des patients (TSP). 

Construire les parcours patients de demain grâce à une analyse par étape : 
Étape 1 : identification du patient
Étape 2 : intégration et configuration de l’appareil connecté (Onboarding)
Étape 3 : collecte et partage sécurisé des données
Étape 4 : personnalisation des soins
Étape 5 : fin du progamme (Offboarding)

Assurer la satisfaction des patients et l’amélioration continue des soins à distance

La satisfaction des patients dans les soins à distance est cruciale à la réussite des programmes de télésurveillance médicale. La collecte d’indicateurs de mesure de la qualité des soins (Patient-Reported Outcome Measures, PROMs) dans ces programmes permet de recueillir les retours des patients sur leur qualité de vie, leur état fonctionnel, les symptômes et la prise en charge éventuelle de la douleur, mais aussi l'expérience tout au long du parcours de soins. 

La satisfaction des patients dans les soins à distance est cruciale à la réussite des programmes de télésurveillance médicale.

Au sein de NYU Langone Health, l'équipe du projet Connected2Care incite les patients atteints du diabète de type 2 à jouer un rôle actif dans la gestion de leur maladie et plus largement de leur santé. 

Cet outil capte via sms des données sur les résultats rapportés par les patients concernant leur santé, l'observance médicamenteuse, leur régime alimentaire, leur activité physique et leur qualité de vie globale, en temps réel. L’étude a vocation à étudier l’intérêt pour les patients et les professionnels de santé de développer une gestion personnalisée du diabète à travers le recueil de données PROMS et une communication plus régulière. L’objectif in fine est d’augmenter l'engagement des patients en leur fournissant des retours basés sur les données qu’ils partagent avec leur professionnel de santé. Cet exemple illustre comment les patients peuvent utiliser des applications mobiles ou des portails web pour partager leur expérience. Une autre stratégie peut consister à s'appuyer sur des systèmes d’information existants, comme les portails ou dossiers patients électroniques, qui peuvent collecter les PROMs directement auprès des patients.

En France, la mise en place des indicateurs de qualité des soins et d’expérience a peu avancé ces dernières années. La prise en charge par l’Assurance maladie des programmes de télésurveillance médicale est une opportunité unique de relancer cette démarche et de placer la qualité des soins et l’expérience des patients au cœur du dispositif, dans une démarche d’amélioration continue de la qualité des soins. Dans la suite des travaux déjà engagés dans le domaine, le ministère de la Santé, ainsi que la Haute Autorité de Santé, pourraient ainsi établir des objectifs chiffrés pour la collecte régulière de mesures rapportées par les patients à des intervalles spécifiques, tels que mensuellement ou trimestriellement, dans les programmes de télésurveillance médicale.

Copyright image : Gaizka IROZ / AFP

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