AccueilExpressions par Montaigne[Télésurveillance médicale] - Une pratique d’avenir à encadrer, développer et soutenir L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.20/12/2024[Télésurveillance médicale] - Une pratique d’avenir à encadrer, développer et soutenir SantéImprimerPARTAGERAuteur Laure Millet Experte Associée - Santé Télésurveillance médicale : levier d'avenir pour notre système de santéLa télésurveillance médicale repose sur des réglementations et des politiques de remboursement essentielles à son développement et à son adoption, tant par les patients que les équipes de soins. Bien que les approches diffèrent entre l’Europe et les États-Unis en raison des spécificités de leurs systèmes de santé respectifs, les objectifs poursuivis sont similaires : améliorer l’efficience des dépenses de santé, cibler les pathologies les plus pertinentes, permettre un déploiement à grande échelle, optimiser la prise en charge des patients et, à terme, obtenir de meilleurs résultats de santé. Ces ambitions répondent à des enjeux mondiaux tels que l’augmentation des dépenses de santé et la pénurie croissante de personnel soignant. Dans ce contexte, l’évolution des politiques de financement, l’intégration des innovations technologiques et le rôle central des patients sont des leviers indispensables pour garantir l’utilité et la pérennité de la télésurveillance médicale.En Europe, des systèmes de santé publics qui ont des approches différentes pour promouvoir le développement des soins à distanceEn France, la télésurveillance des patients a initialement été testée à travers un programme pilote et est désormais inscrite dans le droit commun. Lancé en 2016, le programme expérimental ETAPES a évalué diverses initiatives de télésurveillance dans des contextes de soins variés et des pathologies différentes à travers le pays. L'objectif était d'évaluer leur efficacité et de déterminer s'ils devaient être pris en charge par l'Assurance maladie. ETAPES s'est concentré sur la gestion des maladies chroniques et des soins post-aigus, où la surveillance continue peut bénéficier de manière significative à la santé des patients, incluant des pathologies comme le diabète, l'hypertension, les maladies cardiaques et les maladies respiratoires. Depuis juillet 2023, la télésurveillance des patients (TSP) est prise en charge par l’Assurance maladie. Cependant, seules les pathologies pré-approuvées par la Haute Autorité de Santé sont prises en charge. Celles-ci incluent aujourd’hui le diabète, l'insuffisance cardiaque chronique, l'insuffisance rénale chronique, l'insuffisance respiratoire chronique, les dispositifs cardiaques implantables et le traitement systémique de certains cancers. Chaque pathologie a des directives spécifiques définies par la HAS, incluant les normes de qualité des soins, les professionnels de santé impliqués et leurs qualifications, et les spécifications techniques pour les dispositifs médicaux numériques associés. La durée des programmes de TSP varie selon la condition surveillée.Concernant les dispositifs médicaux numériques, ils doivent adhérer à des règles spécifiques, incluant le marquage CE (Conformité Européenne), pour démontrer la conformité avec les normes de sécurité de l'UE, ainsi que les normes d'interopérabilité et de sécurité établies par l'Agence du Numérique en Santé. Le récent dispositif PECAN (Prise en charge anticipée numérique) permet désormais d’accélérer le remboursement des dispositifs médicaux numériques thérapeutiques. L'Assurance maladie paie une somme forfaitaire par patient, divisée entre le médecin ou l'établissement responsable de la TSP, et la société supervisant la surveillance du patient. La TSP peut être conduite par un médecin dans un cabinet médical, un hôpital, ou une équipe de médecins et d'infirmiers.En Angleterre, la télésurveillance médicale repose sur une approche intégrée et structurée, pilotée par le National Health Service (NHS) England.En Angleterre, la télésurveillance médicale repose sur une approche intégrée et structurée, pilotée par le National Health Service (NHS) England. Elle s'appuie sur des outils numériques et connectés pour surveiller les patients à distance, en particulier ceux atteints de maladies chroniques ou nécessitant un suivi rapproché. Lancé en 2005, les Virtual Wards, un service d’hospitalisation à domicile permettant de suivre les patients depuis leur domicile grâce à des applications, des objets connectés et des consultations médicales, ont connu un franc succès. Pendant la pandémie de Covid-19, leur utilisation a fortement augmenté et la télésurveillance est progressivement devenue partie intégrante des parcours de soins. Les professionnels de santé ont particulièrement recours au suivi à distance pour gérer des maladies chroniques comme le diabète, l’asthme, les maladies cardiovasculaires et les infections respiratoires aiguës. Des projets en cours explorent son application à des maladies graves comme les troubles mentaux sévères ou la maladie de Parkinson. Il n’existe pas à l’heure actuelle de cadre de financement et de régulation uniforme, le NHS soutenant les programmes de télésurveillance au cas par cas, dans le cadre d’initiatives régionales, avec des critères d’éligibilité et des conditions de remboursement spécifiques. Les programmes sont financés par des systèmes tarifaires nationaux, des budgets des Integrated Care Systems (ICS), ou des financements spécifiques alloués par le NHS England. Les dispositifs médicaux utilisés doivent respecter les normes réglementaires établies par la Medicines and Healthcare products Regulatory Agency (Agence de régulation des médicaments et produits de santé) et être marqués "CE", comme en France, pour garantir leur conformité aux normes européennes. Par ailleurs, le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) joue un rôle clé dans l’adoption des technologies de télésurveillance. Il fournit des recommandations sur leur efficacité clinique et économique, en se basant sur les données disponibles, des analyses économiques et des consultations avec différentes parties prenantes (patients, cliniciens, experts du secteur).En Allemagne, la télésurveillance des patients est actuellement prise en charge par l’assurance maladie obligatoire uniquement pour les patients atteints d’insuffisance cardiaque. Après le démarrage du programme de télésurveillance, le médecin traitant et le patient doivent réévaluer la nécessité de poursuivre le suivi après 3 mois, puis tous les 12 mois, afin de vérifier que les conditions d’éligibilité sont toujours remplies. Pour les autres pathologies, l’Allemagne a adopté une approche novatrice avec la mise en place du Digital Healthcare Act (DVG) en 2019. Cette loi a introduit le concept d’application numérique sur ordonnance, une étape majeure pour le système de santé allemand, facilitant ainsi l’accès et le remboursement des applications de santé numérique, nommées DiGA (Digitale Gesundheitsanwendungen).Les DiGA sont des applications numériques médicales soumises à une évaluation rigoureuse par l’Institut fédéral des médicaments et des dispositifs médicaux (BfArM). Elles doivent être reconnues comme dispositifs médicaux, respecter des normes strictes de sécurité et de protection des données, et démontrer un bénéfice clinique pour les patients. Une fois approuvées, elles sont accessibles via un code fourni par l’assurance maladie, sur prescription d’un médecin. Leur remboursement peut varier selon les assureurs, notamment pour les patients ayant une assurance privée. L’Allemagne adopte ainsi une approche double pour la télésurveillance médicale : un financement ciblé pour l’insuffisance cardiaque et un modèle innovant d’évaluation et de remboursement pour les applications de santé numérique via la loi DVG.Aux États-Unis, un mix complexe d’acteurs privés et publics aux stratégies de remboursement hétérogènes Assurances Publiques : entre programme fédéral (Medicare) et local (Medicaid)Les Centres Medicare et Medicaid (CMS) ont des codes spécifiques pour le remboursement des prestations et actes médicaux. Ces codes de Terminologie des Procédures Courantes ou CPT codes - nomenclatures décrivant les procédures médicales, chirurgicales et les services diagnostiques qui sont publiées par l'Association Médicale Américaine - permettent de faciliter le remboursement des services de télésurveillance, garantissant que les prestataires de soins soient remboursés pour l'utilisation et le déploiement des soins à distance. Les éléments clés pour enclencher le remboursement comprennent : le consentement du patient, la nécessité médicale, les capacités de collecte automatique de données et les interactions régulières entre le patient et le prestataire. À mesure que le paysage des soins à distance évolue, les politiques de remboursement des services de télésurveillance sont susceptibles de s'élargir et de s'adapter.Les CMS font une distinction entre la surveillance thérapeutique à distance (Remote Therapeutical Monitoring, RTM) et la surveillance physiologique à distance (Remote Physiological Monitoring, RPM). La principale différence réside dans le type de données collectées : la surveillance physiologique à distance ne couvre que les données physiologiques (par exemple la fréquence cardiaque ou la tension artérielle) tandis que la surveillance thérapeutique à distance surveille les données non physiologiques (par exemple le niveau de douleur, l’adhérence aux médicaments). Pour le remboursement, la surveillance physiologique à distance nécessite que l'appareil enregistre automatiquement les données du patient, tandis que la surveillance thérapeutique à distance permet l'utilisation de données auto-déclarées par les patients. Les éléments clés pour enclencher le remboursement comprennent : le consentement du patient, la nécessité médicale, les capacités de collecte automatique de données et les interactions régulières entre le patient et le prestataire.En tant que programme fédéral, Medicare et ses modalités de remboursement sont standardisées dans tout le pays. Dans le cadre de Medicaid, programme régi par les États où des règles différentes s’appliquent d’un État à l’autre, les CMS fournissent uniquement des directives générales de bonne pratique. Chaque État a ensuite une flexibilité significative dans l'administration de Medicaid, y compris la détermination de la couverture des services de télésurveillance médicale à distance. En juillet 2024, 37 programmes Medicaid offrent un remboursement pour la télésurveillance médicale. Une telle organisation entraîne une hétérogénéité dans la manière dont la télésurveillance médicale est réglementée et remboursée au niveau des États. En effet, chaque État peut utiliser des codes de facturation différents pour les services de télésurveillance médicale par rapport à ceux utilisés par Medicare. Certains États ont créé leurs propres codes afin de répondre aux priorités et besoins locaux mais d’autres imposent des restrictions sur le remboursement aux prestataires de santé à domicile, sur les symptômes qui peuvent être surveillés à distance, ou encore sur le type de dispositif connecté et les données qui peuvent être collectées.Assurances privées : un paysage fragmenté et complexeDans un rapport publié en janvier 2024, le Bipartisan Policy Center souligne que plusieurs assureurs privés offrent une couverture pour la télésurveillance des patients. Nombre d'entre eux suivent les directives établies par les Centres Medicare et Medicaid. Cette adhérence aux directives des CMS assure la cohérence et la standardisation des types de services remboursés. Cependant, certains régimes privés ont développé leurs propres critères de couverture et de remboursement, offrant ainsi une gamme de services et de dispositifs connectés plus large ou, à l’inverse, plus limitée.Soutenabilité financière et passage à l’échelle, clés de la pérennité des programmes de soins à distanceAux États-Unis, les règles de remboursement demeurent aujourd’hui relativement hétérogènes et complexes à appréhender pour les acteurs. Medicare pose un certain nombre de prérequis qui freinent le déploiement des programmes de TSP. Par exemple, un prérequis clé pour le remboursement via Medicare est que le patient soit déjà suivi par le médecin prescripteur, ce qui peut compliquer l'intégration rapide des patients à un programme de télésurveillance médicale. En effet, un nouveau patient atteint de diabète ne peut pas immédiatement bénéficier du suivi à distance tant qu'une relation formelle avec le professionnel de santé ou l’établissement n'est pas établie. De plus, certains services doivent être fournis par des professionnels de santé qualifiés, excluant le personnel non médical de l'exécution de ces tâches. Par ailleurs, selon les règles en vigueur en 2024, tout prestataire mettant en œuvre la télésurveillance médicale doit collecter 16 jours de données sur une durée de 30 jours pour pouvoir prétendre au remboursement, nécessitant une surveillance continue et une transmission fiable des données. Mais garantir l'adhésion des patients à une surveillance régulière pour un minimum de 16 jours par mois peut être difficile, surtout si le patient rencontre des problèmes techniques ou oublie d'utiliser l'appareil. Les données doivent être transmises automatiquement, et non renseignées par le patient, pour se conformer aux codes de facturation et de remboursement, ce qui peut être un obstacle technique et financier pour certains établissements ou professionnels de santé. Les données doivent être transmises automatiquement, et non renseignées par le patient, pour se conformer aux codes de facturation et de remboursement.Afin d’être remboursé pour ses activités de télésurveillance médicale, l’opérateur doit facturer les services à Medicare mais également percevoir un copaiement (co-pay) de la part du patient. Gérer la facturation et la collecte de ces co-paiements peut ainsi augmenter la complexité administrative et potentiellement réduire la participation des établissements aux programmes de télésurveillance.Il peut également arriver que les patients pensent être couverts, mais leur assurance leur facture le service ou l'appareil connecté, entraînant des coûts élevés. En conséquence, les patients peuvent décider d'abandonner le programme avant de constater des améliorations de santé ou de recevoir le traitement médicamenteux approprié.Par ailleurs, à ce jour, les codes de remboursement ne peuvent pas être facturés simultanément par plusieurs services et sont donc limités à une fois par mois, par patient. De ce fait, si par exemple un cardiologue et un pneumologue souhaitent utiliser la télésurveillance pour le même patient, un seul pourra facturer le service chaque mois. Les prestataires doivent ainsi se coordonner pour assurer la conformité dans la facturation, mais cela limite la prise en charge et le suivi des patients polypathologiques, qui pourraient pourtant bénéficier de suivis à distance simultanés pour différentes problématiques de santé.Les études coût-efficacité, un vecteur de prévisibilité et de qualité des soins Afin d’anticiper l'incertitude financière tout en gérant la complexité des réglementations, la plupart des prestataires de soins aux États-Unis développent des outils de coût-efficacité. Ces modèles aident à estimer les coûts et revenus de manière précise, à identifier les risques financiers potentiels et à assurer la pérennité des programmes de soins à distance. Dans une étude de terrain réalisée en 2024 et à paraître (Program Cost and Cost-Effectiveness Analysis of Remote Patient Monitoring for Hypertension Management in the Cardiology Department of a Large Healthcare System), des chercheurs de NYU Langone Health ont mené une analyse des coûts, des revenus et des workflows pour le programme de télésurveillance du département de cardiologie. Les chercheurs ont analysé les flux et activités relatifs au programme de télésurveillance, puis classé les dépenses en coûts de personnel, coûts de démarrage, coûts d'équipement, coûts de fourniture et autres coûts divers nécessaires à la mise en œuvre et au fonctionnement du programme. L’étude a ensuite cherché à estimer le revenu du programme à partir du remboursement des assurances et des co-paiements par les patients. Cette étude a permis de démontrer la rentabilité du programme et le fait que l’adhésion des patients est le facteur le plus critique influençant le ratio coût-efficacité du programme.En France, le développement de programmes économiquement viables et capables d’être généralisés dans plusieurs spécialités et établissements est essentiel pour optimiser l'utilisation des ressources et améliorer les résultats de santé. Le ministère de la Santé et les Agences Régionales de Santé (ARS) jouent un rôle crucial dans la coordination et la mise en œuvre des politiques de santé aux niveaux national et local. Pour promouvoir plus efficacement les programmes de TSP, il serait intéressant de se focaliser sur différents paramètres tels qu’une meilleure compréhension et visualisation de toutes les activités et professionnels impliqués dans un programme, et de comparer les flux en virtuel et en présentiel. Inciter les établissements de santé à développer des outils de coût-efficacité dans chaque service afin d’obtenir une compréhension précise des différents investissements et retours sur investissements (personnel, équipement, fournitures, formation, etc.) sera également clé. Copyright image : Drew Angerer / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP ImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneFévrier 2024Données de santé : libérer leur potentielAccélération de la recherche, dépistages précoces, aide au diagnostic, santé prédictive, amélioration de l’accès aux soins, personnalisation de la prise en charge des patients, évaluation des politiques publiques : le potentiel des données de santé promet des avancées spectaculaires pour améliorer la santé de tous.Consultez la Note d'action 20/12/2024 [Télésurveillance médicale] - Entre opportunités et défis pour nos systèmes... Laure Millet