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18/11/2024

Sommet du G20 - À Rio, le multilatéralisme répond-il encore ?

Sommet du G20 - À Rio, le multilatéralisme répond-il encore ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie
 Amélie de Montchalin
Auteur
Représentante permanente de la France auprès de l'OCDE et ancienne ministre

Le G20 s'est réuni les 18 et 10 novembre au Brésil, dans l’onde de choc provoquée par l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Là où certains voudraient opposer l’Occident à un Sud global, alors que les voix du protectionnisme radical claironnent de plus en plus fort, face à la montée en force d’organisations concurrentes telles que les BRICS et avec de nouvelles puissances candidates à exercer un pouvoir d’hégémonie, faut-il conclure que la réunion de Rio se sera qu’une coquille vide hébergeant le cadavre d’un multilatéralisme désormais obsolète ?

Michel Duclos dessine pourtant, en s’entretenant avec Amélie de Montchalin, Représentante permanente de la France auprès de l’OCDE, les contours d’un multilatéralisme renouvelé, mieux adapté aux enjeux d’un monde où les nations aspirent à plus d’égalité. Quel sera l’ordre du jour du G20 de Rio ? Quelle vision est développée par la France et dans quels projets s’incarne-t-elle concrètement ? Quels sont les défis et les ressources collectives que l’on peut mobiliser pour œuvrer à un monde où le développement n’aille pas à rebours de la transition climatique ?

Gouvernance, inégalités, environnement : un G20 en triptyque

MICHEL DUCLOS : Après trois présidences successives de pays du Sud, c’est le Brésil qui accueillera le G20, dans les circonstances exceptionnelles de la réélection de Donald Trump et du regain de dynamisme qui caractérise actuellement les  BRICS. Qu’attendre de cette rencontre internationale ?

AMÉLIE DE MONTCHALIN : Le G20 fut créé dans les affres d’une crise financière mondiale dont les effets ont été très négatifs pour les pays émergents. La nécessité d’un tel outil de stabilisation et coopération économique et financière se faisait alors sentir avec acuité. Petit à petit, le G20 a élargi son périmètre d’action pour devenir un lieu de négociation sur le partage de la prospérité, tout en restant centré sur des enjeux économico-financiers. Or, depuis 2008, les rapports de force économiques ont été redéfinis, les BRICS sont montés en puissance et ont gagné en autonomie. Certains en tirent la conclusion que cette enceinte du G20 se trouve désormais inadaptée à certains enjeux contemporains.

Lors de la réunion des 18-19 novembre, comme il l’a réaffirmé lors du sommet des BRICS de Kazan, le président Lula veut donc mettre au cœur des débats la refonte du multilatéralisme, en amorçant l’ouverture du mandat du G20 vers des enjeux plus géopolitiques. Selon le chef d’État, les instances internationales, qu’il s’agisse du FMI (1944), de la Banque mondiale (1945) ou de l’ONU (1945), ont été créées dans un monde qui n’a plus rien en commun avec le monde actuel, alors que les pays en développement n’étaient pas même encore des pays mais le plus souvent des colonies. À l’approche du centenaire de l'indépendance de nombre de ses membres, deux enjeux tout autant symboliques que stratégiques sont au sommet de l’agenda : celui de l’économie et celui de l’affirmation de puissance. Trois axes guideront les discussions :

La priorité environnementale est le premier. Elle ne saurait, pour le Brésil, être décorrélée des questions de pauvreté et d’inégalités : le développement durable ne se résume pas au climat et si les discussions sont désormais centrées autour de l’expression "Peuples et planète", ce n’est pas pour le seul plaisir de l’allitération mais bien parce que le sujet n’est pas la planète, mais les conditions dans lesquelles les humains habitent la planète.

Le deuxième axe de ce G20 sera consacré aux enjeux de financement, élargis non seulement aux ressources publiques mais aussi privées.

Les instances internationales [...] ont été créées dans un monde qui n’a plus rien en commun avec le monde actuel, alors que les pays en développement n’étaient pas même encore des pays mais le plus souvent des colonies.

Enfin, l’ultime panneau du triptyque brésilien concerne la sensible question du multilatéralisme. Sur ce sujet, la France soutient l'approche des pays émergentset en développement : elle est l’un des rares pays du G7 à avoir affirmé avec netteté que les revendications à une gouvernance mieux partagée étaient légitimes et qu’il était souhaitable de les faire aboutir. Les présidents Lula et Macron ont affiché leur convergence à ce propos à plusieurs reprises.

"Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités" : repenser le multilatéralisme

MD : Cela signifie donc que la France est prête à changer les quotas, quitte à aller contre ses propres intérêts ?  

ADM : Sans aucun doute possible : en juin 2023, face aux représentants de plus de 50 pays désormais réunis par le "Pacte de Paris pour les peuples et la planète", Emmanuel Macron a répété, en français et en anglais, que la France consentait à se "diluer" et donc à partager les capacités de décision et d’action : une telle ligne n'avait jamais encore été franchie aussi clairement par un pays du "Nord". Il ne s’agit aucunement, toutefois, de se "tirer une balle dans le pied" : le multilatéralisme ne peut fonctionner que s’il est perçu comme légitime, sans quoi les pays qui estiment être les laissés pour compte de la gouvernance internationale s’organiseront en parallèle ; une telle dynamique est déjà à l’œuvre, par exemple au sein des BRICS qui veulent créer leur propre banque.

La France et le G7 pourraient pourtant être les premiers bénéficiaires d’une refonte de la gouvernance : davantage de droits implique des contreparties, et de grands émergents assumeraient ainsi leurs responsabilités en contribuant davantage au financement du climat et du développement, sans plus se contenter du statut de receveurs qui ne correspond guère à la réalité de leur puissance économique. Cela concerne notamment la Chine ou l’Arabie saoudite, qui aujourd’hui sont comptés comme des "pays en développement". Aujourd’hui par exemple, plus de la moitié des financements de l’IDA (Association internationale de développement, bras de la Banque mondiale dédié aux Pays en développement et aux Pays les moins avancés) est assurée par les membres du G7 et les BRICS ne financent qu’une quote-part largement inférieure à leur poids économique.

Dans un monde reconfiguré par la victoire de Donald Trump et l’approche transactionnelle qui est la sienne, la quête d’équilibre entre poids et responsabilité est lestée d’une pertinence incontestable : donner plus de place aux émergents, à condition qu’ils payent plus, ce n’est pas absurde si l’on adopte le point de vue d’un banquier d’affaires… Et plus largement, assortir une voix qui porte mieux à la Banque mondiale ou au FMI d’une implication plus importante en faveur de la transition énergétique et d’un soutien aux pays en développement dessinerait un multilatéralisme plus fonctionnel, qui bénéficierait à tous.

Dans un monde reconfiguré par la victoire de Donald Trump et l’approche transactionnelle qui est la sienne, la quête d’équilibre entre poids et responsabilité est lestée d’une pertinence incontestable.

Découplage, la comédie de remariage ? Ou, comment réformer le financement du développement

MD : À l’heure du friendshoring et du protectionnisme, n’est-il pas déjà trop tard pour prétendre ranimer le multilatéralisme ?

ADM : En effet, le "découplage" est sur toutes les lèvres, avec ses homologues friendshoring ou derisking. Néanmoins, dans son volet "commercial ", il est au mieux factice, au pire inopérant. Les chiffres, qui ne sont que rarement analysés en détail, sont trompeurs : la baisse constatée des importations chinoises dans de nombreux pays, et notamment aux États-Unis, est contrebalancée par la hausse des importations en provenance de "pays connecteurs" comme le Mexique, l’Indonésie, le Vietnam ou le Maroc, si l’on emprunte la terminologie de l’OCDE. Or, aucun de ces pays n’a connu d’expansion aussi forte de sa production industrielle que de ses exportations. En revanche, on voit une intensification des importations chinoises dans leur balance commerciale : le commerce mondial s’est complexifié, une maille supplémentaire a rallongé la chaîne des échanges, mais le "découplage" n’est qu’apparent.

Une réalité est néanmoins bel et bien tangible : celle du découplage financier. Aujourd’hui, et depuis la fin de la crise du Covid-19, les pays émergents et en voie de développement, si l’on excepte la Chine qui n’en fait partie que par artifice rhétorique, sont devenus des financeurs nets positifs du reste du monde. Du fait de leur dette externe à rembourser, les PED rendent collectivement plus d’argent aux pays développés et à la Chine que ces derniers ne leur en renvoient, aussi bien via des fonds publics que privés. La période des aides massives de l’ère Covid est désormais révolue et on constate que moins un pays est développé, moins il reçoit d'argent de l’extérieur : des pays comme le Kenya ou la Côte d’Ivoire doivent actuellement davantage au reste du monde que ce qu’ils en reçoivent, aussi paradoxal cela soit-il.

Le découplage financier est donc double : les flux publics multilatéraux de la Banque mondiale ou de l’aide publique au développement ne compensent pas les sommes dues pour payer la dette à l’égard de la Chine ; et les flux financiers privés émanant de membres de l’OCDE vers des pays qui n’en sont pas membres se sont effondrés comparativement au poids économique croissant de ces derniers, y compris l’Inde, l’Afrique du Sud, le Brésil ou l’Indonésie.

Les pays émergents et en voie de développement, si l’on excepte la Chine qui n’en fait partie que par artifice rhétorique, sont devenus des financeurs nets positifs du reste du monde.

Il y a une quinzaine d’années, les acteurs financiers privés institutionnels occidentaux comptaient à leur bilan une moyenne de 5 à 10 % d’actifs émanant de projets ou d’entreprises dans des pays émergents ou en développement, avec un pic en 2008. Les chiffres se sont écroulés, pour ne représenter que 2,2 % des actifs des assureurs européens par exemple…

De nombreux facteurs sont à l'œuvre, et notamment les effets pervers et collatéraux de la régulation financière consécutive à la crise de 2008 : les investissements européens envoyés aux émergents ont été divisés par deux ou par trois, tandis que les infrastructures de long terme étaient financées par la Chine.

Il est impossible de comprendre les dynamiques politiques et de puissance qui ont cours au sein des BRICS ou du G20 sans prendre en compte ce découplage financier, qui reste pourtant très peu couvert explicitement par l’agenda international. Or, s’il y a un sujet où la notion controversée de "Sud global" est pertinente, c’est bien celui du manque de financement : les BRICS parlent en général pour eux-mêmes et ne défendent guère les intérêts des pays les moins avancés, avec lesquels ils ont peu de points communs… sauf en effet celui du manque de financement des besoins publics, de l’accès aux technologies ou du développement de la production d’énergie et industrielle.

Depuis 2008, la capacité d'investissement des acteurs financiers privés hors OCDE est limitée par les mesures prises par le Comité de Bâle, chargé de l’efficacité du contrôle prudentiel : la "blended finance" (finance mixte), soit l’utilisation des fonds de développement publics pour mobiliser les capitaux privés vers les marchés émergents, est assimilée à de la titrisation. La régulation oblige dès lors les investisseurs à doubler la charge en capital de leurs investissements, quand bien même le montage financier en a réduit les risques ! La finance mixte fondée sur des acteurs comme la Banque mondiale ou des banques publiques de développement n’a pourtant rien à voir avec la titrisation telle qu’elle a été dévoyée par des banques fragiles au début des années 2000 ! Il n’est pas sans ironie de constater que, avant même de considérer ces règles sur la titrisation, pour financer un projet de développement au Maroc, qui n’est pas membre de l’OCDE, les assureurs doivent mettre en réserve un capital quasi deux fois supérieur (49 %) à celui requis pour financer un projet similaire en Turquie (25 %). Même paradoxe entre la Colombie, membre de l’OCDE, et l’Uruguay, qui n’en est pas. Du fait de ses élargissements bienvenus, l’OCDE est désormais tout sauf homogène en termes de profil de risques financiers de ses membres, et la différence de charges de capital, 25 % ou 49 %, s’éloigne d’une régulation supposée dite "basée sur les risques", car il est impossible d’établir une dichotomie binaire claire entre des pays à risque faible (prétendument membre de l’OCDE) et à risques forts (ceux qui n’en sont pas membres). Cette règle nuit, en une sorte d'externalité négative qui était restée impensée en 2008, aux objectifs de développement.

Il ne s’agit pas de défendre la dérégulation mais de promouvoir une vision cohérente entre ce qui est développé par les Banques multilatérales publiques et les incitations ou freins donnés aux acteurs privés. L’objectif "from billions to trillions" de la Banque mondiale veut aller en ce sens

Il est donc urgent de mettre à jour la réglementation financière pour ne pas alimenter le découplage financier et le découplage géopolitique qui l’accompagne et contribue à l’instabilité du monde. Dans un système financier fonctionnel, rationnel, les pays dits développés, qui comptent 30 % de la population mais 70 % de l’épargne, verraient dans les pays en développement de grandes opportunités d’investissement pour soutenir leur croissance future…  Le système de règles et de régulation actuel a conduit aux effets pervers d’une obstruction des canaux par lesquels l’argent est censé circuler. On comprend donc mieux les arguments en faveur d’une dédollarisation ou la création par les BRICS d’une banque de développement propre (la "New Development Bank" présidée depuis Shanghai par Dilma Roussef).

Il est donc urgent de mettre à jour la réglementation financière pour ne pas alimenter le découplage financier et le découplage géopolitique qui l’accompagne et contribue à l’instabilité du monde.

Inventer de nouveaux espaces de dialogue

MD : Quelle est la position de la France ? En quoi la vision singulière de cette " moyenne puissance" irrigue-t-elle les relations internationales ?

ADM : l’initiative prise par Emmanuel Macron, en juin 2023, de réunir le Pacte de Paris pour la planète et les peuples ("4P"), a pour objectif d’alimenter les travaux pour faire émerger un nouveau "Bretton Woods" pour le XXIe siècle. Le 4P est conçu pour affronter en même temps les enjeux de financement concourant au développement humain, économique et environnemental en partant du constat que l’argent ne circule pas comme il le devrait pour atteindre les objectifs fixés lors de l’Accord de Paris. Il a pour ambition de fonder un nouveau pacte financier mondial établi sur quatre principes :

  • Une double approche alliant la lutte contre la pauvreté et la lutte contre le changement climatique -au lieu de les opposer, alors que la Banque mondiale manque d’argent pour assurer les objectifs de développement humain et qu’elle ne dispose d'aucun mandat formel sur le plan du climat et de la biodiversité. Va-t-on mettre des éoliennes dans un pays dont la population meurt de faim ? Ou faut-il développer des économies à grands renforts de centrales à charbon qui l’empoisonneront à moyen-terme ? Le dilemme est absurde mais nos institutions ne sont pas conçues pour le dépasser : aide publique au développement et financement de la transition continuent à être pensés de façon distincte.
  • Le respect des principes de subsidiarité et de souveraineté : la France juge que la stratégie économique et environnementale doit être pensée dans le cadre de l’État-nation. Dès lors, quelles que soient ses institutions, il revient à chaque pays de définir sa stratégie pour atteindre le triple objectif de développement humain, économique et durable. Les Banques multilatérales de développement sont notoirement connues pour souvent opérer de manière parallèle aux institutions en place dans les pays. C’est pourquoi le Brésil a fait du concept de "Plateforme pays" l’un des prérequis du G20 : il revient à chaque pays de flécher, pour ses bailleurs publics et privés, quels sont ses besoins, et de planifier ses propres politiques publiques. C’est l'originalité de l’approche française, alors que certains acteurs anglo-saxons considèrent plus volontiers qu’un État fragile ou failli peut être contourné.
  • La réforme des instances publiques de financement, selon la devise "Bigger, bolder, better", qui invite à développer de plus grandes capacités, que les banques prêtent davantage, qu’elles fonctionnent plus rapidement, de manière plus transparente et en s'alignant mieux avec les gouvernement, et enfin avec plus d’audace, c’est-à-dire en déplaçant le curseur du ratio entre capital et capacité de prêt vers la capacité de prêt : le président de la Banque mondiale, Ajay Banga, le souhaite mais ce n'est pas encore le cas des banques publiques nationales. Le FMI et la Banque mondiale ont augmenté leur ratio de prêts mais reste la question d’une recapitalisation pour aller plus loin.
  • La facilitation de la circulation des capitaux privés. Sujet crucial, auquel je me consacre dans le cadre de mes fonctions à l’OCDE. La régulation voulue par le G20 répondait à l’objectif de stabiliser le système financier mais, comme je l’ai développé plus haut, la mise en œuvre de certaines de ces règles a accéléré la fragmentation du monde et a affecté la capacité des financeurs privés à investir dans les pays en développement.


MD : Les BRICS se sont réunis sans mentionner le Pacte de Paris : le G20 ne reste-t-il pas le point de passage obligé ?  Comment la France défend-elle concrètement la vision que vous venez d’exposer

ADM : Le système onusien est fortement polarisé et produit par conséquent très difficilement du consensus opérationnel. Il convient donc, comme cela est défendu par notre Président, de procéder sujet par sujet en rassemblant les pays qui ont sincèrement envie de travailler ensemble, quoiqu’ils puissent avoir des visions divergentes sur certains points. La réforme du multilatéralisme, la régulation de l’IA … autant d’enjeux abordés plus efficacement dans des espaces de dialogue spécifique et de soutien mutuel. Le Pacte de Paris qui réunit désormais 68 pays est l’une de ces enceintes et le sujet du financement, qui ailleurs peut tellement diviser les pays du "Sud" et ceux du "Nord", y trouve des avancées très encourageantes : c’est là que l’idée de clauses de résilience climat dans le remboursement de la dette progresse, afin de permettre aux pays qui subissent des catastrophes naturelles de suspendre le paiement de leur dette pour parer au plus urgent et éviter que des pays très endettés mais disposant d’importants actifs environnementaux ne soient obligés de consentir, par exemple, à des forages pétroliers pour financer leur dette … C‘est également là qu’a été proposée une nouvelle fiscalité des flux globaux destinée à financer la transition, dont il est question à la COP 29, ou une coalition sur la dette et le climat. António Guterres, le secrétaire général des Nations-Unis, a jugé le Pacte de Paris pour les Peuples et la Planète comme l’une  des initiatives les plus prometteuses de ces dernières années, puisqu’elle est "multi-blocs", "muti-revenus" et "multi-géographie". En son sein, des pays aux revenus très différents se rejoignent (quatre pays du G7 en font partie : le Royaume-Uni, le Canada, l’Allemagne et la France, aux côtés de pays de bien plus petite taille ou PIB) et le parti-pris de transparence et d’ouverture dans les travaux est particulièrement bienvenu. La France, qui en est à l’origine, voit sa vision partagée avec celle de tous les autres membres du 4P lors des débats au G20 : on le voit, la "dilution" qu’implique le meilleur partage de la gouvernance ne signifie pas abdication de tout pouvoir d’influence !

Élargir les cercles, faire des ponts, créer des instances intermédiaires… la vision de la France pour un multilatéralisme efficace et regénéré n’est ni de contourner les instances du "vieux monde", ni de s’y opposer, mais de créer du multilatéralisme ad hoc.

Une initiative semblable concerne l’intelligence artificielle : au G7 de Biarritz (24-26 août 2019), la France et le Canada ont créé le PMIA, Partenariat Mondial sur l’Intelligence Artificielle qui rassemble désormais 44 pays et s’est intégré aux travaux de l’OCDE. Élargir les cercles, faire des ponts, créer des instances intermédiaires… la vision de la France pour un multilatéralisme efficace et regénéré n’est ni de contourner les instances du "vieux monde", ni de s’y opposer, mais de créer du multilatéralisme ad hoc, enjeu par enjeu, avec patience et ambition, pour dépasser certains clivages qui semblent indépassables dans des enceintes ultra-polariséees telles que l’ONU, le G20, les BRICS.

MD : La nécessité de regénérer le multilatéralisme est-elle compromise par l'élection de Donald Trump ?

ADM : Le Projet 2025 sera-t-il, ou ne sera-t-il pas, tempéré par un certain pragmatisme ?  La Heritage Foundation préconise que les États-Unis cessent de financer des organisations telles que le FMI ou la Banque Mondiale. Un certain argumentaire victimaire déployé par les BRICS, selon lequel les antagonismes avec l’Occident sont indépassables, sortirait renforcé par la position d’une Washington sous pavillon républicain et cela occasionnerait un schisme assez difficile à réparer ensuite. Le discours hyper-isolationniste pourrait donner raison à la coalition du Sud global.

MD : Certes, à condition toutefois d'assimiler l’Occident aux États-Unis… Mais d’autres démocraties, avec des niveaux de richesse inégaux mais tout de même conséquents, pourraient-elles faire contrepoids ?

ADM : Il revient aux Européens de proposer une voie alternative et de faire, peut-être, de l'élection de Donald Trump une opportunité pour réaliser la jonction des moyennes puissances, du Nord au Sud. Le Brésil de Inácio Lula, par exemple, est tout à fait conscient d’avoir intérêt à s’allier à l’Europe. L’Inde de Narendra Modi ou l’Indonésie de Prabowo Subianto également. Les États-Unis de Trump pourraient vouloir tenter de forcer leurs partenaires à choisir un camp mais cela risque de se révéler illusoire : l’Europe ne peut se "découpler" de la Chine, où elle réalise des importations mais aussi des exportations, à la différence des États-Unis qui restent une économie qui exporte très peu vers le reste du monde (10 % de son PIB pour les exportations de biens, soit le tiers de ce que font le Royaume-Uni ou la France, et un cinquième de la Suède ou le Danemark). L’Inde ne veut pas revivre le non-alignement, l’Afrique ne veut pas perdre les bénéfices de la globalisation. Dans un monde où les instances financières publiques restent largement dépendantes du poids des États-Unis et où les biens manufacturés échangés sont largement chinois, comment choisir ? Il n’est pas exclu que l’approche transactionnelle chérie par le nouveau président l’amène à faire des propositions chocs : les États-Unis pourraient rester dans la Banque Mondiale, à condition que les Chinois contribuent à son financement, ou dans l’OCDE, à condition que le taux d’imposition minimal sur les société passe de 15 % à 12,5 % (le taux en vigueur actuellement aux USA). Face à ces hypothèses, il s’agira de jouer collectif - et pas qu’entre Européens - et de faire montre d’intelligence et de tactique avec les pays émergents et en développement.

Propos recueillis par Hortense Miginiac
Copyright image : Mauro PIMENTEL / AFP
Le président du Brésil Luiz Inacio Lula da Silva et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen le 17 novembre 2024, en amont du sommet du G20.

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