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Nobel de la Paix : Donald Trump, un dynamiteur qui vous veut du bien

Nobel de la Paix : Donald Trump, un dynamiteur qui vous veut du bien
 Hortense Miginiac
Auteur
Chargée de projets - Éditorial

Du Congo à l’Azerbaïdjan, des "accords de paix" ont été signés dans le Bureau Ovale : convaincront-ils le jury que Trump mérite le Nobel de la Paix qui l’obsède tant et qui sera décerné le 10 octobre ? Quel bilan dresser des efforts consentis pour l’obtenir et quels pourraient être les effets politiques - et psychologiques - de cette récompense sur le Président ? En s'adressant à son ego, le Nobel ne pourrait-il pas exercer sur Trump la seule pression qu’il prenne vraiment en compte ?

Le vendredi 10 octobre, Porte Henrik Ibsen, à Oslo, le prix Nobel de la Paix sera décerné à son lauréat et Donald Trump fait bruyamment savoir qu’il se porte candidat.

Drapeau blanc sur la Maison-Blanche

Après le plan qu’il a proposé à Gaza, le président des États-Unis ne mérite-t-il pas le Nobel qu’il convoite avec tant d’ardeur ? Benjamin Netanyahou, le Pakistan, le Cambodge et un sénateur républicain ont déjà affirmé avoir proposé sa candidature pour 2026, et d’autres ont peut-être intercédé pour qu’il soit le lauréat de cette année. Trump, même s'il a parfois pu être taxé (taxons-le sans gêne, il se fait fort de taxer les autres) d’hypocrite ou d'agitateur plus volubile qu’efficace, manifeste par ses efforts pour régler des conflits une évidente bonne volonté, mi-candide (dans sa naïve foi en lui-même et dans les pires dictateurs de la planète) mi-cynique (dans son indécence). 

Les cinq jurés du comité Nobel (choisis par le parlement norvégien, travailliste) se laisseront-ils convaincre ? On peut en douter si l’on regarde le profil de leur président, a priori peu compatible avec la pensée MAGA : Jørgen Watne Frydnes, qui travailla pour Médecins Sans Frontières, est à la tête de l’ONG Norsk PEN qui s’attache à préserver la liberté d’expression des écrivains et fut chargé de reconstruire l’île d’Utoya après la tuerie perpétrée par le militant d’extrême-droite Anders Behring Breivik le 22 juillet 2011 : il en fit un centre de promotion de la démocratie. 

Si l’on met à part la question des affinités idéologiques, le bilan de Donald Trump offre-t-il de quoi récompenser en lui "la personnalité ayant le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression des armées permanentes et à la propagation de progrès pour la paix", selon les mots de Nobel ? De fait, dans le Bureau Ovale, on a signé des "accords de paix". Récapitulons.

P(aix) comme Pactole ?

Rwanda-République démocratique du Congo : "C’est un nouveau chapitre d'espoir et d'opportunités, d'harmonie, de prospérité et de paix qui s’ouvre pour toute la région."

Les relations entre la République démocratique du Congo et le Rwanda sont extrêmement tendues depuis les années quatre-vingt-dix, mais le conflit s’est aggravé depuis la création en 2012 du Mouvement du 23 mars (M23). Cette milice, dont le Congo affirme qu’elle est soutenue par le Rwanda, affronte l’armée régulière pour le contrôle de ressources minières (coltan, cuivre et or) dans le Kivu, au nord-est du pays. En parallèle, Kigali dénonce le rôle de Kinshasa dans l’appui aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), une milice formée par d’ex-génocidaires hutus ayant fui le Rwanda après le génocide contre les Tutsis. 

Le 27 juin, les ministres des Affaires étrangères du Rwanda et de RDC ont signé un traité de paix à la Maison-Blanche et il est prévu que les deux présidents Paul Kagame et Félix Tshisekedi se rencontrent prochainement. L’accord prévoit aussi que le Rwanda retire ses soldats présents illégalement au Kivu (environ 4 000) et mette fin au soutien du M23 pour garantir l’intégrité territoriale de la RDC. Les États-Unis sortiraient gagnants de cette réconciliation, des entreprises américaines devant obtenir de droits miniers au Kivu.

Les relations entre la République démocratique du Congo et le Rwanda sont extrêmement tendues depuis les années quatre-vingt-dix, mais le conflit s’est aggravé depuis la création en 2012 du Mouvement du 23 mars (M23).

Bilan : aucune amélioration significative de la situation, les présidents ne se sont pas rencontrés depuis la médiation qatarie de mars 2025 et, à la tribune des Nations unies, le 22 septembre, le président congolais Tshisekedi a accusé le Rwanda de tout faire pour retarder le retrait de ses troupes de l’Est du Congo.

Arménie-Azerbaïdjan : "Et à la fin, nous nous sommes tous embrassés"

Le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan était éteint depuis la fin de la Guerre froide : en 1991, le Haut-Karabagh (Artsakh en arménien), rattaché depuis 1921 à l’Azerbaïdjan mais principalement peuplé d’Arméniens, avait proclamé son indépendance de Bakou, provoquant l’exil de milliers d’Azerbaïdjanais. La guerre s’est violemment réveillée en septembre 2020 quand, après 44 jours de combat, l’Azerbaïdjan d’Ilham Aliev a repris le Haut-Karabagh. 

Donald Trump a donc voulu intercéder : il a réuni le 8 août Ilham Aliev et Nikol Pachinian à la Maison-Blanche et, assis entre les deux dirigeants, a fini par leur empoigner la main pour les serrer ensemble. La rencontre a donné lieu à la signature d’un mémorandum en sept points. Il prévoit de réaliser le "corridor de Zanguezour", reliant l’Azerbaïdjan à une enclave enserrée en Arménie, le Nakhitchevan. Le couloir sera rebaptisé "Voie Trump pour la paix et la prospérité internationale". Les États-Unis gagnent ainsi leurs accès dans une région très riche en hydrocarbures, tandis que l'Azerbaïdjan a signé un partenariat entre la State Oil Company of Azerbaijan Republic (Socar) et ExxonMobil le 7 août.

Des progrès tangibles vers la paix ? Si Ilham Aliev a loué l’engagement personnel de Donald Trump et estime qu’il mérite le prix Nobel de la Paix, l’Arménie accuse son président d'avoir vendu le pays : le traité fige la situation issue des rapports de force de la guerre de 2020-2023. La normalisation des relations entre l’Azerbaïdjan et l'Arménie, si elle se confirme, consiste donc avant tout à reconnaître un état de fait… Quant à Donald Trump, qui égrène régulièrement les conflits qu’il se targue d’avoir résolus et confond parfois les dossiers (mais ce serait lui faire un procès un peu facile que de lui reprocher un lapsus), il se félicite d’avoir réglé la guerre entre l’Arménie et le Cambodge ou l’Azerbaïdjan et l’Albanie…

Cambodge et Thaïlande : "J'ai hâte de conclure nos accords commerciaux avec ces pays !"

Le Cambodge et la Thaïlande ont connu des affrontements entre le 24 et le 28 juillet 2025, liés à un litige frontalier. Face au risque de guerre, depuis son terrain de golf en Écosse, Donald Trump a assuré avoir appelé les dirigeants cambodgien et thaïlandais. Un cessez-le-feu entre le Cambodge et la Thaïlande a en effet été signé le 28 juillet puis renouvelé le 7 août mais la situation ne semble pas résolue pour autant et le dirigeant thaïlandais conteste le rôle joué par les États-Unis. 

Serbie et Kosovo - "Et une fois de plus, un jour que personne ne croyait possible est arrivé !"

Lors de son premier mandat, Donald Trump avait facilité la conclusion d’un accord de normalisation entre le Kosovo et la Serbie. Le président serbe, Aleksandar Vučić, et le Premier ministre kosovar, Avdullah Hoti, avaient signé un traité dans le Bureau Ovale, le 4 septembre 2020. Les deux pays ont rouvert leur liaison aérienne, et le Kosovo, pays à majorité musulmane, a reconnu Israël. Les États-Unis devraient financer une autoroute de la paix entre la ville de Niš, en Serbie, et Pristina, la capitale du Kosovo. Certes. Mais en réalité, les derniers combats entre les deux pays remontaient à 1998-1999 et le conflit était déjà stabilisé grâce à la présence des soldats de maintien de la paix de l'Otan.

Éthiopie-Égypte : "Je le dis haut et fort : ils feront sauter ce barrage"

L’Éthiopie a lancé en 2011 la construction du Grand barrage de la renaissance éthiopienne (Gerd) pour mettre en œuvre la plus grande centrale hydroélectrique d'Afrique, avec des financements en partie chinois. Ce projet met à mal l'approvisionnement en eau de l’Égypte, qui dépend du Nil pour son irrigation et son eau potable. L'ouvrage a été officiellement inauguré le 9 septembre 2025, sans que Donald Trump ne paraisse avoir joué un rôle notable pour apaiser les tensions. Il a en revanche déclaré, en parallèle d’un sommet organisé à l’occasion de la reconnaissance d'Israël par le Soudan, que les Éthiopiens risquaient de déclencher une guerre.

Si Donald Trump met en avant le règlement de la guerre entre l’Éthiopie et l’Égypte pour justifier que le Prix Nobel de la Paix lui revient, en réalité, aucune guerre n’a encore éclaté et la conciliation est restée lettre morte.

Si Donald Trump met en avant le règlement de la guerre entre l’Éthiopie et l’Égypte pour justifier que le Prix Nobel de la Paix lui revient, en réalité, aucune guerre n’a encore éclaté et la conciliation est restée lettre morte. La fermeture en mai 2025 du Programme alimentaire mondial (programme auquel le prix Nobel de la Paix avait été attribué en 2020), décidée par Trump, compromet en revanche l’aide versée à l'Éthiopie, aux prises avec les conséquences de la guerre civile au Tigré (novembre 2020 à novembre 2022).

Inde-Pakistan "On a stoppé une guerre nucléaire" 

Un attentat terroriste contre des touristes à Pahalgam, au Jammu-et-Cachemire, le 22 avril 2025 a conduit à une escalade militaire du 6 au 10 mai. Alors qu’en 2019, lors d’un autre pic de tension, Donald Trump avait accusé Islamabad d'être responsable du conflit, il a changé d’idée en mai 2025 et appelé les deux capitales à rouvrir le dialogue sans prendre parti, au grand mécontentement de Narendra Modi qui a fortement dénoncé la position des États-Unis et réfuté l'idée qu’ils auraient joué le moindre rôle dans le cessez-le-feu. Islamabad a remercié les efforts de conciliation de Trump et a annoncé, à la suite de Benjamin Netanyahou, soutenir la proposition d’octroyer le prix Nobel de la Paix à Trump. Ce retournement pro-pakistanais des États-Unis s’inscrit dans une séquence durable : les États-Unis veulent nouer un partenariat avec le Pakistan et y investir dans les crypto-monnaies. En avril dernier, le fils de Steve Witkoff (l'émissaire spécial de Trump), Zachary, s’est rendu à Islamabad pour initier cette coopération via la société World Liberty Financial, dont la famille Trump détient 60 % du capital.

Corée du Nord "J'ai une excellente relation avec Kim Jong-un

Mentionnons enfin les tentatives de rapprochement avec la Corée du Nord, dont Trump a rencontré trois fois le dirigeant en 2018 et 2019, conformément à l’engagement qu’il avait pris lors de la campagne de 2016, où il avait déclaré qu’il mangerait un hamburger avec le dictateur. Il s’agissait alors de mettre fin à la politique de "patience stratégique" voulue par Obama.  Le 30 juin 2019, Donald Trump a même été le premier président américain à fouler le sol de la Corée du Nord, sur la zone démilitarisée (DMZ) qui sépare les deux Corées. 

Rien de concluant n’en est ressorti. Kim Jong-un, déçu que n’arrive pas la levée des sanctions internationales contre son pays, a confirmé son alignement avec Moscou et Pékin : près de 15 000 soldats nord-coréens auraient été envoyé en Ukraine et le dictateur s’est affiché aux côtés de Vladimir Poutine et de Xi Jinping lors du défilé militaire de Pékin le 3 septembre dernier. Son refus de la dénucléarisation et sa coopération militaire renforcée avec la Russie - comme en témoignent des tests de nouveaux drones de combat en septembre 2025 - préjugent mal de la relation de Pyongyang avec Washington.  Donald Trump, qui a rencontré le président sud-coréen Lee Jae-myung le 25 août dernier à Washington, a néanmoins déclaré qu’il était prêt à relancer le dialogue avec la Corée du Nord et espérait rencontrer Kim Jong-un "cette année". 

Ukraine "Je veux qu'ils cessent de mourir. Et je le ferai - je le ferai en 24 heures".

Donald Trump s’est engagé de manière visible et répétée sur le sujet de la guerre en Ukraine pendant sa campagne et a continué durant les premiers mois de son mandat. On rappelle souvent les propos qu’il avait tenus sur CNN en mai 2023, où il prétendait pouvoir régler la guerre en moins de 24 heures. Il faudrait un ouvrage entier pour reprendre une à une les tentatives avortées, les menaces non exécutées, sans parler des ambivalences de positionnements et déclarations d’amitié à Vladimir Poutine : Donald Trump avait humilié Volodymyr Zelenski le 28 février, dans le Bureau Ovale, l’accusant de "jouer à la Troisième Guerre mondiale". Il avait aussi fait pression pour obtenir, en échange du soutien américain à la défense ukrainienne, un accord-cadre sur les minerais stratégiques de l'Ukraine. Le 18 février, Trump avait même accusé Zelenski d’être un dictateur et Kiev d'être à l'origine de la guerre. Le 15 août, le sommet d’Anchorage en Alaska, où Trump a reçu Vladimir Poutine et s’est targué d’avoir fait avancer les négociations, a fait long feu, sans aucune annonce ni avancée, mais a laissé Poutine gagner une victoire diplomatique et s’afficher sur un pied d’égalité avec le président des États-Unis. Lors du sommet américano-européen de Washington le 18 août, Trump a aussi fait pression sur l’Ukraine et ses partenaires européens pour qu’ils s'engagent à acheter 100 milliards de dollars de matériel militaire aux États-Unis, comme en témoigne l’accord commercial sur les droits de douane du 21 août. Trump, défenseur de la paix, est le défenseur de l’industrie états-unienne de l’armement et, si l’aide militaire à l’Ukraine s’élève à 114 millions de dollars, ce qui place les États-Unis en tête des donateurs, le pays est seulement 16e si l’on rapporte ces chiffres au PIB du pays. 

Son discours, mercredi 24 septembre, fut même à double-tranchant. Affirmant que la Russie n’était qu’un "tigre de papier", le président américain réfute l’argument poutinien selon lequel la suprématie militaire russe rendrait vains les efforts en faveur d’une Ukraine qui aurait perdu d’avance.

Revenant quelque peu de ses positions très pro-russes, Trump a semblé se rapprocher des Européens à l’Assemblée générale des Nations-Unies, mais ne propose plus rien en direction de la résolution de la guerre. Son discours, mercredi 24 septembre, fut même à double-tranchant. Affirmant que la Russie n’était qu’un "tigre de papier", le président américain réfute l’argument poutinien selon lequel la suprématie militaire russe rendrait vains les efforts en faveur d’une Ukraine qui aurait perdu d’avance : secourir Kiev ne ferait que prolonger le conflit.

Cela revient à justifier le désengagement américain pour laisser les Européens et les Ukrainiens aux prises avec une nouvelle escalade militaire au terme de laquelle, annonce par exemple Fiodor Loukianov, Trump pourra revenir jouer les médiateurs. Surtout, cela laisse encore la perspective de mois de combats et de contrats de ventes d’armes fructueux

Israël / Proche-Orient " Cela suffit comme ça. Il est temps d’arrêter maintenant" 

C’est le dossier cardinal : comprenant que le prix Nobel, s’il vient, ne viendra pas d’Ukraine, Donald Trump a multiplié les plans de paix au Proche-Orient. Il avait déjà œuvré, grâce aux Accords d’Abraham de 2020, à la normalisation des relations diplomatiques entre Israël d’une part, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Maroc et le Soudan de l’autre. Cette fois, il pourrait bien obtenir la libération des otages détenus par le Hamas. 

Après le projet de "Trump Riviera", qui visait à transformer Gaza en une nouvelle Côte d’Azur grâce à une vaste opération immobilière nécessitant des déplacements massifs de populations, et qui avait fait scandale, les efforts de Trump pour résoudre la guerre à Gaza ont néanmoins abouti à un nouveau plan en 20 points, présenté le 29 septembre : retrait des forces israéliennes de Gaza, libération des otages, suspension des opérations militaires, gestion du territoire de Gaza par une "Force internationale de stabilisation", dirigée et présidée par le président Donald Trump avec d’autres dirigeants internationaux. 

S’il fait l’objet de nombreuses critiques (la création d’un État de Palestine est reléguée à un horizon temporel très vague, la colonisation de la Cisjordanie n’est pas mentionnée, l’implication de Tony Blair suscite des levées de boucliers), le plan semble enfin ouvrir une voie à la paix et le Hamas en a accepté les conditions. Celui qui avait soutenu indéfectiblement la guerre à Gaza voulue par Benjamin Netanyahou paraît avoir enclenché une dynamique de résolution dans une guerre qui dure depuis maintenant deux ans

Voilà donc un bilan : il est incontestable que Donald Trump s’engage avec une certaine énergie et qu’il a obtenu ce qui semblait impossible au Moyen-Orient. Le président américain réussit à asseoir dans le Bureau Ovale les dirigeants de pays en conflit qui, désireux de s’attirer les faveurs des États-Unis, se montrent conciliants, sourient sur la photographie et affirment sur les réseaux sociaux qu’ils sont prêts à signer des contreparties commerciales ou des concessions d’exploitation à des entreprises américaines intéressées par les ressources naturelles de leur territoire, même si les engagements de surface ne signifient pas grand-chose sur le terrain. 

Désir de vengeance et de postérité 

Mais comment comprendre une telle obstination de la part de Trump pour le Nobel de la Paix ? L’argent ? La somme de 950 000 euros remise au lauréat correspond à peine à un petit supplément d’argent de poche pour le locataire de la Maison-Blanche. Si elle n’est pas matérielle, la raison serait-elle la politique intérieure ? Donald Trump veut donner des gages à son électorat, pour qui il s'agit moins de faire la paix que de ne pas faire la guerre, dans une America First qui répugne à s’occuper des problèmes du monde.

Recevoir le prix Nobel de la Paix prouverait à peu de frais le pacifisme présidentiel, en auréolant d’une sorte d’autorité morale le lauréat, et ne pas le recevoir irait dans le sens d’un président des États-Unis en butte à l’injuste hostilité d’un monde acquis à la cause des militants wokistes pro-décadence occidentale.

Recevoir le prix Nobel de la Paix prouverait à peu de frais le pacifisme présidentiel, en auréolant d’une sorte d’autorité morale le lauréat, et ne pas le recevoir irait dans le sens d’un président des États-Unis en butte à l’injuste hostilité d’un monde acquis à la cause des militants wokistes pro-décadence occidentale. Un sondage Ipsos publié le 15 septembre par le Washington Post indique pourtant que seuls 22 % des électeurs sont favorables à ce que Donald Trump reçoive le Nobel de la Paix.

On tient peut-être là une deuxième raison, psychologique, de l’obsession trumpienne : s’inscrire dans la lignée des autres présidents américains qui ont remporté le prix. Theodore Roosevelt, lauréat 1906, fut récompensé pour ses efforts de médiation dans la guerre russo-japonaise (1904-1905), Woodrow Wilson, lauréat 1919, pour la création de la Société des Nations et Jimmy Carter, lauréat 2002, pour avoir fait campagne en faveur de la paix et du développement (vingt-et-un ans après avoir quitté le pouvoir : patience et longueur de temps font plus que force ni que rage, s’il est besoin de le rappeler à l’actuel locataire de la Maison-Blanche). Enfin, et c’est sans doute le point nodal tant la rivalité avec l'ancien président démocrate alimente l’obsession de Trump, Barack Obama a reçu le Nobel de la Paix après le discours du Caire du 4 juin 2009 où il s’était engagé pour la limitation de l’arme nucléaire et l’amélioration des relations avec le monde musulman. Sans bilan notable en faveur de la paix, il a dit lui-même qu’il avait perçu sa récompense comme un appel à l’action.

C’est toute la question : le prix Nobel de la Paix pourrait-il avoir un "effet placebo" sur Donald Trump, qui se croirait détenteur d’une "responsabilité spéciale" ? Au nom de la realpolitik, on peut défendre que donner le Nobel à Trump est souhaitable, si cela l’encourage à s’impliquer dans des conflits et faire pression pour que les dirigeants de pays en guerre se parlent dans le Bureau Ovale. Est-ce que ce ne sont pas les intentions qui comptent ? Jacques Chirac n’a-t-il pas donné la Légion d’honneur à Vladimir Poutine en 2001 et à Mouammar Kadhafi en 2006 ? À moins que, au contraire, une fois couronné de son Nobel qu’il prendra pour un solde de tous comptes, le président américain cesse tout à fait de s’intéresser à la paix dans le monde …

Paradoxes et indignités

Si l’on ne regarde pas seulement les contrats signés dans le Bureau Ovale, le bilan de Trump pour la paix est plus que douteux, lui qui revendique la guerre civile dans son propre pays (comme il l’a défendu devant les généraux et amiraux de l’armée américaine, le 30 septembre dernier) et qui a renommé en ministère de la Guerre son ministère de la Défense par son 200e décret (promulgué le 5 septembre). Il a aussi coupé l’US Aid, au risque d'un choc humanitaire "d'une ampleur comparable à celle d'une pandémie mondiale ou d'un conflit armé majeur" selon The Lancet, sans parler de ses initiatives anti-climat. Or, la paix n’est pas seulement l’absence de guerre mais aussi une certaine prospérité partagée : le Nobel de la Paix fut ainsi attribué en 2006 à l’économiste Muhammad Yunus pour ses travaux sur le micro crédit.

Mais le Nobel s’accommode parfois de l’indécence ou de la contradiction. En 1973, le prix est allé à Henry Kissinger, alors conseiller spécial à la sécurité, pour son action dans la résolution de la guerre du Viêt Nam : deux membres du comité Nobel démissionnèrent, critiquant entre autres son influence dans le coup d’État qui, cette même année, avait provoqué l’arrivée de Pinochet au pouvoir au Chili. Andreï Sakharov, dissident soviétique et défenseur de la liberté, bien qu’ayant contribué à doter l’URSS de la bombe H, le reçoit en 1975. En 1991, Aung San Suu Kyi fut lauréate, et fut accusée par la suite pour son attitude conciliante voire complice dans le génocide des Rohingas. Le comité Nobel a aussi récompensé en 1994 Yitzhak Rabin et Shimon Peres, respectivement Premier ministre et chef de la diplomatie israélienne, ainsi que le Palestinien Yasser Arafat, pour leur volonté de résoudre le conflit israélo-palestinien : Kaare Kristiannsen, membre du Comité Nobel, avait alors démissionné pour manifester son opposition à la nomination d’Arafat qui avait trop de sang sur les mains. Malgré l’engagement du comité Nobel, en 2005, à octroyer le prix en fonction de critères plus stricts, c’est encore le président de l’Éthiopie Abiy Ahmed qui fut récompensé du prix Nobel de la paix 2019 pour ses efforts en direction de la résolution du conflit entre son pays et de l'Érythrée. Il mena juste après une répression sanglante dans la guerre civile qui opposa les Tigréens et l’armée entre 2020 et 2022. Bien sûr, le comité Nobel ne peut pas prévoir l’avenir mais il lui revient de discerner ce qui est en germe dans la personnalité ou la politique des candidats pour que les événements postérieurs ne le démentent pas.

Churchill, qui ne pouvait décemment pas recevoir le prix Nobel de la Paix après avoir emmené son pays dans la guerre, fut ainsi récompensé en 1953 du prix Nobel de la Littérature.

Le comité qui octroie le prix Nobel de la Paix est conscient des paradoxes de cette récompense, quitte à les esquiver avec adresse, et non sans un certain sens de l’humour. Churchill, qui ne pouvait décemment pas recevoir le prix Nobel de la Paix après avoir emmené son pays dans la guerre, fut ainsi récompensé en 1953 du prix Nobel de la Littérature "pour sa maîtrise de la description historique et biographique ainsi que pour ses discours brillants pour la défense exaltée des valeurs humaines" (au plus grand dépit de De Gaulle, dont l’ambition secrète était littéraire et qui se voulait l’émule de Chateaubriand).

Quelles que soient les conclusions que l’on tirera de ces quelques éléments, deux options demeurent possibles, le 10 octobre, et peu importe celle qui l’emportera car ce qui compte n’est pas que Trump ait le Nobel mais qu’il croie qu’il peut encore l’avoir, et qu’il agisse en conséquence : le Nobel n’est pas utile en tant qu’il délivre un satisfecit symbolique mais en tant qu’il est un geste politique performatif

Dès lors, soit Trump n’a pas le Nobel de la Paix, mais continue à l’espérer pour les prochaines éditions, soit le Prix Nobel de la Paix lui est attribué. Sans juger que l'autorité morale du président américain soit suffisamment méritoire pour être récompensée, le Nobel investirait Trump d’une mission pacificatrice en s’adressant directement à son ego et en exerçant sur lui la seule pression qu’il prenne vraiment en compte : aux grands maux, les grands remèdes, et il faut parfois se résoudre à y aller à la dynamite

Copyright image : Alex WROBLEWSKI / AFP
Donald Trump sur la base navale de Norfolk, le 5 octobre 2025.

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