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09/09/2024

Premier débat Harris / Trump : les nouveaux enjeux d'une campagne majeure

Premier débat Harris / Trump : les nouveaux enjeux d'une campagne majeure
 Alexandre Marc
Auteur
Membre de l’Institut pour les transitions intégrées de Barcelone et fellow à l’Institut International pour les Études Stratégiques de Londres

Après la convention démocrate, qui s’est close le 23 août à Chicago, comment le paysage politique américain s’est-il reconfiguré ? Loin de pouvoir être ramenée à un simple changement de nom, la désignation de la nouvelle candidate rebat les cartes et met en difficulté un Donald Trump plongé dans le désarroi par le départ de son meilleur ennemi. Impact du choix des colistiers, enjeux politiques à venir, teneur d’une campagne marquée par un ton populiste de part et d’autre et recentrage de Kamala Harris : Alexandre Marc analyse les nouvelles dynamiques d’une campagne électorale lourde d’enjeux.

Mise à jour 11/09/2024 à 17h03

Le débat télévisé entre Donald Trump et Kamala Harris mardi 10 septembre, tant attendu, a permis à cette dernière de s’affirmer encore davantage comme la candidate à même d'éviter la catastrophe que représenterait pour les États-Unis un retour de Donald Trump au pouvoir. Même si le débat n’a pas permis d’y voir beaucoup plus clair sur le contenu des programmes de l’un et de l’autre des candidats, Kamala Harris, après avoir peiné durant les premières quinze minutes du débat, a réussi à repousser Donald Trump dans ses retranchements. Celui-ci a réagi comme d’habitude avec une accumulation de mensonges, de théories complotistes (les immigrés voleraient ainsi les animaux de compagnie des Américains pour se nourrir), et de vantardises. Le débat n’aura pourtant probablement pas un impact important sur les intentions de vote car il n’a pas vu la débâcle de Donald Trump que certains espéraient. Finalement, c’est peut être le soutien de Taylor Swift à Kamala Harris, publié sur les réseaux sociaux juste après le débat, qui aura le plus d’impact. Ce face-à-face se situe, quoi qu’il en soit, dans la continuité d’une campagne où la candidate démocrate, encore relativement peu connue des Américains, s’affirme comme une solide alternative à un retour de Donald Trump au pouvoir.

La convention du Parti démocrate à Chicago, qui s’est terminée le 23 août, a été un parcours sans faute. Son impact continue à se faire sentir au-delà de la période de grâce, souvent courte, qui suit habituellement une convention : il semble bien que la progression de Kamala Harris soit irrésistible.  Au-delà des commentaires très positifs dans l’ensemble de la presse libérale, les enquêtes d’opinion continuent de révéler un enthousiasme en forte progression parmi les électeurs. Non seulement la candidate mène maintenant largement au niveau national avec en moyenne 3 points d’avance mais elle commence à dominer dans pratiquement tous les Swing states (Caroline du Nord, Nevada, Arizona, Pennsylvanie…), bien que les écarts soient encore trop faibles pour être statistiquement significatifs. Le discours d’acceptation de la candidate Kamala Harris, très combatif, a été l’occasion pour elle de combiner habilement les détails de sa vie personnelle avec sa vision pour l’Amérique. Elle s’est positionnée dans la continuité du président sortant Joe Biden, surtout en politique internationale, tout en apportant une vision personnelle et plus radicale sur les questions sociales et économiques, en se présentant comme la protectrice des classes moyennes. Elle a aussi clairement placé sa campagne sous le signe de la liberté, faisant sienne une valeur qui, jusque-là cantonnée par Donald Trump à son sens économique, était érigée en étendard contre les velléités socialistes des démocrates.

Le discours d’acceptation de la candidate Kamala Harris, très combatif, a été l’occasion pour elle de combiner habilement les détails de sa vie personnelle avec sa vision pour l’Amérique.

Michelle Obama, dans un discours très largement salué par la presse américaine comme l’un des plus porteurs et des plus remarquables de cette convention, a de façon convaincante souligné les contrastes entre une Kamala Harris dépeinte comme honnête, dévouée, préoccupée par les autres, constamment soucieuse d’améliorer les conditions de vie de sa communauté, et un Donald Trump égocentrique, obnubilé par sa réussite personnelle, érigeant la malhonnêteté au rang de vertu et absolument dépourvu de compassion.

L’ex-First lady a exprimé combien, selon elle, cette campagne allait se jouer en grande partie sur les qualités humaines et les valeurs des candidats, plus que sur des programmes politiques détaillés. La personnalité de Trump apparaît ainsi clairement comme l’épouvantail rassembleur du Parti démocrate, thème largement repris par les différents intervenants durant toute la durée de la convention. Tout en insufflant l’enthousiasme, Michelle Obama a aussi su ramener un peu de sobriété et rappeler que cette campagne allait être extrêmement dure et ne pouvait être gagnée sans la mobilisation totale et entière de tous.

Ainsi, portée par la dynamique et le charisme de ces deux femmes fortes, la convention a rassemblé tout l’univers extrêmement varié de la nébuleuse démocrate autour de la candidature de Kamala Harris, de l’extrême gauche avec Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez aux centristes comme Bill Clinton et Barack Obama. Un certain nombre de Républicains, anciens parlementaires et membres de l’équipe présidentielle de l’ancien président, avaient même été invités à participer et ont expliqué comment Trump avait détourné le parti à son profit et l’avait transformé, au dire de l’un d’eux, en une véritable secte vouée à son culte personnel. Même les manifestations pro-palestiniennes, dont les organisateurs avaient prédit qu’elles risquaient d’occasionner une perturbation massive de la convention, se sont avérées relativement discrètes, avec quelques centaines de protestataires ayant très peu fait parler d’eux. La convention a ainsi pris les dehors d’une célébration, avec son lot de stars, sa musique aux rythmes endiablés, et sa foule souvent en délire. Le terme "espoir ", employé par beaucoup d’intervenants, caractérisait bien une séquence qui a tranché avec la convention des républicains à Milwaukee, placée quant à elle sous le signe de la revanche et de la peur, et dont l’objectif principal avait été de montrer la soumission des Républicains à l’agenda de Trump. Après Milwaukee, ce sont deux autres poids lourds des Républicains qui se sont ralliés aux démocrates : l’ancienne élue à la Chambre des représentants, Liz Cheney, le 5 septembre et, le lendemain, son père, l’ancien vice-président de George W. Bush, Dick Cheney.

Certes, les conventions sont des moments de rassemblement, destinés à témoigner de l’unité d’un parti, mais qu’en est-il de l’influence que cette convention aura sur le terrain de la campagne ? Trois dimensions méritent d’être soulignées : le succès du Parti démocrate pour relancer l’élan de sa campagne, les changements du paysage politique et les importants défis politiques auxquels les démocrates font toujours face sur le terrain.

L’impressionnante relance de la campagne démocrate

La popularité de la nouvelle candidate se mesure par l’incroyable mobilisation du Parti démocrate et un enthousiasme de sa base inédit depuis la première campagne d’Obama. Les longues queues qui se forment pour participer à ses meetings, la mobilisation des volontaires qui affluent dans tous les bureaux de campagne et le niveau des donations qui dépassent maintenant très largement celles des Républicains le prouvent. La grande réussite des réunions par Zoom que Kamala Harris mène avec différents groupes constitue même une innovation dans les campagnes américaines, tout comme la participation de deux cents jeunes influenceurs à la convention, qui ont partagé avec leurs abonnés l’ambiance de la campagne. Comme l’a justement écrit un commentateur du Washington Post, l’arrivée de Kamala Harris comme candidate a redonné une allure de fête à la campagne présidentielle des Démocrates qui contraste fortement avec l’aspect sombre et apocalyptique de la campagne républicaine.

Les démocrates ont opéré cette transition de candidats très habilement, réussissant un pari risqué. Joe Biden, après avoir déclaré qu’il se retirait, a immédiatement soutenu Kamala Harris comme candidate, même s’il n’était peut-être pas convaincu, car celle-ci, bien qu’elle n’ait pas été spécialement appréciée en tant que vice-présidente, représentait la garantie d’une légitimité institutionnelle.

La popularité de la nouvelle candidate se mesure par l’incroyable mobilisation du Parti démocrate et un enthousiasme de sa base inédit depuis la première campagne d’Obama.

La fonction de vice-président aux États-Unis est essentiellement d’assurer la continuité lorsque le président est empêché : choisir Kamala Harris était donc la solution idoine pour protéger l’héritage de Joe Biden en l’absence du temps nécessaire pour refaire une primaire et surtout pour éviter coûte que coûte que les Démocrates ne commencent à se diviser dans le choix d’un remplaçant pour Joe Biden. Les Démocrates ont su prendre la balle au bond et, en peu de temps, tous les délégués des primaires qui avaient été mandatés pour voter en faveur de Joe Biden à la convention ont rallié Kamala Harris, épargnant au parti ce qui aurait pu être une crise majeure. De plus, le choix complexe d’un colistier comme candidat à la vice-présidence a été mené tambour battant mais très judicieusement. Tim Waltz, le gouverneur du Minnesota, est un homme blanc issu d’une petite ville rurale, qui a la réputation d’avoir un très bon contact avec l’Amérique profonde et la classe ouvrière marginalisée. Issu d’un État du nord-est, cet homme entre en résonance, par son discours, avec les populations des trois "swing states" de cette région, la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin, ceux qui sont les plus à portée de main d’une victoire démocrate. Certains lui reprochent de prendre quelques libertés avec les faits, notamment sur son parcours personnel, mais il est peu probable qu’il lui en soit tenu rigueur sur le terrain.

Le renversement de situation est aussi dû aux maladresses que Donald Trump ne cesse d’accumuler. Sa première erreur, commise bien avant la décision de Joe Biden de se retirer, a été de choisir J.D. Vance comme candidat au poste de vice-président. Il savait très bien que ce choix ne permettait pas d’élargir sa base de support. À l’époque, il était persuadé de pouvoir gagner facilement l’élection contre un opposant fortement diminué. Il a choisi J.D. Vance en pensant uniquement à l’après-élection. Il voulait un vice-président dont la carrière politique très récente ne dépendrait que de lui et qui allait être malléable, un vice-président qui soit enclin, contrairement à Mike Pence, à le soutenir en toute circonstance, y compris dans ses initiatives inconstitutionnelles et illégales. Vance n’avait-il pas, dès son arrivée au Sénat il y a moins de deux ans, soutenu la thèse du trucage des élections de 2020 par les Démocrates ? Hyper conservateur et mal reçu des électeurs indépendants : malheureusement pour la base républicaine, Vance est donc comme Trump, mais en moins bien et avec peu de charisme... Les sondages révèlent d’ailleurs très clairement son manque de popularité.

Comme tout est infiniment personnel avec Donald Trump, le départ de son ennemi juré de la course à la présidence semble avoir fortement déstabilisé le candidat républicain. L’esprit de revanche, après l’échec, vécu comme un affront, aux élections de 2020, mobilisait son énergie. Sa réélection était pour lui la meilleure façon de prouver que les élections de 2020 avaient été manipulées : dès lors que, ce jour fatidique du 21 juillet, Biden annonçait renoncer à sa candidature, Donald Trump s’est trouvé désemparé voire, même, soudainement pris de peur, et cela s’est ressenti dans son engagement durant la campagne. Donald Trump et J.D. Vance se sont immédiatement lancés dans des attaques personnelles aux motifs futiles à l’encontre de Kamala Harris. Vance explique que les États-Unis ne peuvent être gouvernés par une femme à chats sans enfants ? Kamala Harris est pourtant mariée et son mari a deux enfants dont elle est très proche. Donald Trump déclare que son adversaire n’est pas vraiment noire car elle n’a jamais revendiqué son identité afro-américaine avant d’être candidate ? Kamala Harris a toujours été proche des milieux politiques noirs et a étudié à l’université Howard, une université créée à Washington DC au siècle dernier pour permettre aux personnes noires d’avoir une éducation supérieure sans connaître de discrimination. Ces commentaires ont été très mal reçus. Donald Trump semble jusqu’à maintenant perdu par le changement de candidat et continue à préférer les attaques personnelles mal calibrées et désordonnées plutôt que de s’engager sur un débat plus conséquent.

Une autre erreur importante de la part des Républicains est d’avoir permis la divulgation de ce qui est maintenant connu comme le Projet 2025. Ce document de 900 pages a été préparé par une équipe d’anciens compagnons de Donald Trump provenant de son administration et qui ont travaillé dans le cadre du centre de réflexion conservateur de Washington : "the Heritage Foundation". II est habituel pour les centres de réflexion de Washington DC de préparer des propositions pour les administrations à venir, mais ce rapport est particulièrement porté sur une option radicaliste.

Une autre erreur importante de la part des Républicains est d’avoir permis la divulgation de ce qui est maintenant connu comme le Projet 2025.

Économiquement hyper-libéral, il propose des coupures importantes dans la sécurité sociale, la suppression du Département de l’éducation, la suppression du "Head-start", un programme très populaire pour les enfants pauvres, et l’accentuation de la baisse des taxes sur les riches.

Il propose également une dérégulation extrême de l’économie. Hyper-conservateur sur le plan des valeurs, il propose, sur le plan politique, une centralisation extrême du pouvoir autour de la présidence, avec la vision sous-jacente, ni plus ni moins, que de s’assurer que la justice et l’administration soient totalement prises en main par des conservateurs, donnant ainsi au président le droit de destituer et nommer les fonctionnaires et le personnel de la justice. Les auteurs du rapport arguent que ces attributions de fonctions aux conservateurs assurerait une fois pour toute que les libéraux soient écartés de l’appareil d’État. Lorsque le programme a été mis en ligne, il a provoqué un tollé parmi les Démocrates et il est apparu très vite qu’il a eu des effets fortement contre-productif sur les électeurs indépendants. Trump a, à plusieurs reprises, déclaré qu’il n’avait rien à voir avec ce projet et la campagne républicaine a aussitôt demandé à la fondation de le fermer, ce qui a été fait, bien que le document soit toujours disponible en ligne. Il est maintenant trop tard car les Démocrates se sont saisis du sujet et le Projet 2025 a fait l’objet de nombreuses critiques durant la convention de Chicago. Ce projet, il faut le dire, est devenu un véritable repoussoir pour quiconque est attaché à la démocratie et au pluralisme.

Redéfinition du paysage politique et maintien d’un puissant axe populiste

Le désistement de Joe Biden est bien plus qu’un simple changement de candidat : il contribue à la transformation d’un paysage politique jusqu’alors confus du fait de l’âge de Joe Biden et de ses capacités mentales et physiques, qui avaient pris le devant de la scène. La campagne était caractérisée par un manque d’enthousiasme chez les deux candidats et un risque de forte abstention. L’arrivée de Kamala Harris a bouleversé la donne. Selon un sondage de IPSOS/ABC mené juste avant la convention, on assiste au retour d’une situation plus classique dans la politique américaine, avec une candidate démocrate désormais clairement la favorite des jeunes, des minorités, surtout afro-américaines, et dans une certaine mesure des femmes. Donald Trump reste le favori des hommes blancs et surtout des blancs avec peu d’éducation. Cette division entre différents électorats est beaucoup plus marquée dans les récents sondages et représente un retour à la configuration plus traditionnelle qu’on avait pu connaître lors de la première campagne d’Obama. Cette réorganisation du paysage politique s’est faite sans que jamais Kamala Harris ne s’érige en candidate des femmes ou des minorités : au contraire, elle insiste habilement sur le fait qu’elle est la candidate de tous les Américains.

La question du pouvoir d’achat a été clairement placée au centre de la campagne de Kamala Harris. Auparavant, la discussion portait essentiellement sur qui, de Trump ou de Biden, avait été un meilleur gestionnaire de l’économie américaine. Un débat peu excitant, largement dominé par les egos des deux candidats et où les propositions d’action étaient pratiquement absentes. Joe Biden avait beaucoup de mal à reconnaître que, malgré une croissance robuste et une baisse rapide de l’inflation depuis le début de l’année 2023, beaucoup d’Américains avaient connu une importante baisse de leur pouvoir d’achat et que les questions de coût du logement, et des soins médicaux en particulier, posaient toujours un sérieux problème. Kamala Harris a bien vu que le pouvoir d’achat était central dans cette campagne et allait être le sujet le plus déterminant pour l’issue du scrutin. En mettant immédiatement le pouvoir d’achat des classes moyennes au centre, elle répond à une critique importante de la campagne de Biden et prend le contre-pied de Donald Trump qui, bien que présentant l’inflation comme incontrôlable, a fait bien peu de propositions concrètes. Elle redonne ainsi de la centralité à un sujet phare des démocrates.

Cela ne fait aucun doute : la campagne ne générera pas de programmes politiques très conséquents. Donald Trump n’a jamais aimé présenter un programme électoral détaillé, il s’est toujours senti plus à l’aise avec un populisme débridé et vague et des attaques personnelles. Dans ce contexte, Kamala Harris n’a pas intérêt non plus à présenter un programme trop défini. Elle a bien vu combien les mesures économiques et sociales très précises qu’elle a présentées en Caroline du Nord lors d’une réunion devant un petit nombre de supporteurs ont été reçues de façon mitigée, et qu’elle risquait d’attiser les divergences dans son propre parti entre centristes et gauche radicale, la dernière chose dont elle ait besoin à l’heure actuelle. Il faut donc s’attendre à une campagne à forte tonalité populiste des deux côtés. La convention de Chicago a d’ailleurs annoncé la couleur avec de nombreuses critiques proférées à l’encontre de Trump, dont certaines volaient très bas, et avec de nombreuses attaques sur des mesures politiques, que Trump n’avait pourtant jamais clairement énoncées. Cependant, il reste à faire émerger des mesures phares dans le domaine économique afin de répondre aux attentes de beaucoup d’indépendants.

C’est la peur de l’autre qui va être le grand thème de cette campagne, maintenant que les différences entre les deux candidats sont devenues encore plus criantes : d’un côté, la peur de Trump et de ses plans autoritaristes, et de l’autre, la peur d’une femme noire aux affinités socialistes. Encore une fois, les candidats vont essayer, à travers cette peur de l’autre, de mobiliser ceux de leur camp pour s’assurer qu’ils aillent voter, et mobiliser l’attention des quelques indépendants, pas très nombreux, qui n’ont pas encore choisi leur camp.

C’est la peur de l’autre qui va être le grand thème de cette campagne, maintenant que les différences entre les deux candidats sont devenues encore plus criantes.

De grands défis pour la campagne des Démocrates

Pour les Démocrates, la question de Gaza reste un problème très sérieux, surtout dans une élection où chaque vote compte. Les Arabes américains sont suffisamment nombreux pour que leur désistement soit un enjeu réel pour les Démocrates. Les citoyens américains d’origine arabe sont entre 2 et 3 millions selon les sources et la question de Gaza les a fortement mobilisés. Les jeunes de gauche ont également rejoint la cause en se mobilisant, notamment sur les campus. Beaucoup d’Afro-américains sont également des sympathisants de la cause palestinienne. Cependant, la majorité des Américains sont pro-israéliens, comme l’indiquent les sondages, quoique beaucoup aient été choqués par le dramatique bilan humain de la guerre de Gaza, et la majorité des grands donateurs du Parti démocrate sont pro-israéliens. Ils se sont fortement impliqués dans les élections primaires pour s’assurer que les représentants les plus sonores perdent leur chance de revenir au Congrès.

La question de Gaza est le talon d’Achille des Démocrates car les Républicains, eux, sont fortement unis dans un soutien quasi inconditionnel à Israël. Dans son discours d’acceptation, Kamala Harris a présenté une vision équilibrée de la question et s’est clairement prononcée en faveur d’une solution à deux États, tout en affirmant l’urgence d’un cessez-le-feu. Cela n’a pas paru suffisant pour l’aile gauche du parti qui voudrait bannir la vente d’armes à Israël. La question va certainement revenir avec force durant la campagne.

Mettre au centre de la campagne la protection du pouvoir d’achat n’est pas non plus sans risques. Les mesures que Kamala Harris a proposées dans une de ses premières réunions de campagne dédiées à ce sujet en Caroline du Nord, le 16 août, face à une audience restreinte, ont très vite suscité la controverse, et ont été critiquées non seulement par les Républicains mais par beaucoup d’économistes sympathisants du Parti démocrate. Elle a proposé une cascade de mesures qui vont bien plus loin que celles que Joe Biden avait énoncées dans sa campagne. Beaucoup de ces mesures sont extrêmement onéreuses, alors que les États-Unis sont très endettés (125 % du PIB), et éminemment difficiles à mettre en place. Beaucoup ont également un potentiel fortement inflationniste. La candidate démocrate a notamment évoqué un contrôle des prix pour les entreprises qui, sous prétexte de l’inflation, augmentent leurs tarifs de façon arbitraire et voient de ce fait leurs profits s’accroître, et a évoqué la mise en place de plafonds pour le prix des médicaments essentiels, des subventions de 25 000 dollars pour l’achat d’un premier appartement, d’un crédit de taxe de 6 000 dollars par enfant nouveau-né et une augmentation des prestations familiales qui doublerait presque les montants actuels. La presse, même centriste, a largement qualifié ces propositions de populistes. Cela a obligé Kamala Harris à faire machine arrière sur certaines d’entre elles. Cependant, malgré toutes ces critiques, il est certain que l’effet d’annonce est positif auprès de l’électorat de base, qui voit en la candidate démocrate une femme politique à l’écoute de leurs préoccupations. La candidate a clairement pris en compte les critiques et lors de sa première interview par une journaliste, sur CNN, elle n’a pratiquement pas mentionné son programme économique, à l’exception de son intention d’augmenter les crédits de taxe pour les enfants. Mercredi 4 septembre, dans le New Hampshire, Kamala Harris a tout de même présenté un programme d’appui aux PME plus précis incluant des crédits d’impôts importants. Elle se distingue ainsi de Donald Trump, qui propose de réduire la fiscalité sur les grandes entreprises. Elle a aussi proposé d’augmenter la taxation des gains sur les placements de capital, mais en modérant la proposition que Joe Biden avait faite en ce sens afin de faciliter l’afflux de capital dans le secteur des PME et de l’innovation. Autant de propositions qui la positionnent nettement comme centriste.

Beaucoup de ces mesures sont extrêmement onéreuses, alors que les États-Unis sont très endettés (125 % du PIB), et éminemment difficiles à mettre en place.

La question de l’immigration va être un autre domaine à haut risque pour Kamala Harris et Tim Waltz. Non que Donald Trump ait réussi dans ce domaine mais parce qu’il l’a tellement mis en avant durant sa présidence, en particulier avec la fameuse construction partielle du mur, que la population a fini par lui faire davantage confiance qu’aux Démocrates.

Jusqu’à maintenant, la réponse des Démocrates a été de dire que Trump avait conduit à l’échec un projet de loi bipartisane qui aurait pu améliorer la situation à la frontière il y a un an de cela, pour interdire tout succès des Démocrates en la matière. Les démocrates ont également rappelé combien l’Amérique avait toujours énormément bénéficié de l’immigration. Ces arguments ne suffiront toutefois probablement pas à écarter une question particulièrement importante pour un certain nombre de "swing states" comme l’Arizona et le Nevada, États cruciaux au moment du vote. Le Parti démocrate ne semble pas avoir de solide stratégie dans ce domaine particulièrement complexe alors qu’il semble que le nombre d’immigrants qui tentent de franchir la frontière illégalement ne fait qu’augmenter.

Les Républicains ne sont pas non plus sans sérieux problèmes, surtout concernant le "casse-tête" de l’IVG, question essentielle pour la base religieuse du parti. Une large majorité des Américains, 63 % selon l’Institut de sondage Pew, ne sont pas favorables à des restrictions dans ce domaine. Donald Trump a tenté de se montrer plus flexible sur cette question en annonçant que la responsabilité dans ce domaine ne devrait pas être celle du gouvernement fédéral mais des États. Il s’est attiré les foudres des conservateurs religieux. Mais le défi principal pour les Républicains reste la personnalité de Trump et sa prédilection pour les situations chaotiques et les attaques personnelles, peu en phase avec une candidate capable d’entrer dans des débats politiques avec vigueur et précision.

Copyright image : Joseph PREZIOSO / AFP

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