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19/07/2024

Présidentielle américaine : J.D.Vance, le coup de tonnerre après le coup de feu

Présidentielle américaine : J.D.Vance, le coup de tonnerre après le coup de feu
 François Godement
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Asie et États-Unis

Derrière l’événement dramatique, à tous les sens du terme, qu’a constitué la tentative d’assassinat contre Donald Trump le 13 juillet à Butler en Pennsylvanie, et la photo saisissante qui a marqué les mémoires, l’histoire s’est en réalité nouée le 15 juillet à Milwaukee, lors de la Convention républicaine qui a vu la nomination de J.D.Vance comme candidat à la vice-présidence. Quels sont la formation intellectuelle et le parcours idéologique de ce colistier ? Quelles sont ses motivations et ses positions en matière de politique étrangère, entre Chine et Europe ? Que révèle sa nomination de la stratégie de Donald Trump ? François Godement analyse la manière dont ont évolué les lignes directrices du Parti républicain et les répercussions qui en résultent pour l’Europe.

Le coup de tonnerre dans la campagne américaine est bien sûr l'assassinat manqué de Donald Trump, qui est passé à un cheveu de toucher sa cible. L'image iconique qui en résulte assure à Trump sa place dans les manuels d'histoire. Un homme que l’on a souvent soupçonné d’éviter les risques - la question du service militaire, et sa tendance à rejeter les fautes sur les autres - a fait preuve d'une réactivité et d'une détermination immédiates. Cela pourrait décider du résultat de l'élection, face au président Joe Biden qui doit lutter pour convaincre le public qu'il est toujours physiquement apte à exercer ses fonctions.

Mais l'événement dont les conséquences sont en réalité les plus importantes et durables est le choix de J.D. Vance comme candidat à la vice-présidence. Il faut remonter à Richard Nixon, ou même à Theodore Roosevelt, pour trouver un candidat à la fois aussi fort et susceptible de devenir un jour lui-même président. D'autres vice-présidents sont devenus président "par surprise" (Lyndon B.Johnson) ou se sont révélés forts après l’accession à la présidence (Harry Truman, et Joe Biden lui-même), mais J.D. Vance se distingue comme un cas unique dans l'histoire politique américaine récente. Ses capacités et ses inclinations auront des conséquences qui vont au-delà d'un mandat de quatre ans pour Donald Trump.

Mais l'événement dont les conséquences sont en réalité les plus importantes et durables est le choix de J.D. Vance comme candidat à la vice-présidence.

Le choix de Trump - bien que le nom de Vance ait toujours été sur la table - est également une surprise. Donald Trump avait déclaré que son premier critère serait de s'assurer de la loyauté du candidat – en réaction aux reproches amers qu'il a pu adresser à Mike Pence pour l'avoir "abandonné" le 6 janvier et alors que celui-ci avait incarné à la perfection, quatre ans durant, le loyaliste ultime.

Comme il ne peut pas dire à son vice-président "you are fired", on s'attendait aussi à ce que Trump choisisse un personnage relativement faible et obéissant, ou ayant moins d'attrait auprès du public. Dans les heures qui ont suivi la tentative d'assassinat, l’ancien président a parlé de la nécessité d'"unir" les Américains et a expliqué qu'il avait abandonné sa rhétorique belliqueuse à l’égard de l'administration Biden.

Au-delà de ces spéculations, la plupart des analystes électoraux avaient prédit que l'élection dépendrait en fin de compte du choix d'une fraction de l’électorat - typiquement, les Blancs de la classe moyenne et éduqués vivant dans un petit nombre de banlieues, qui comparent l’offre politique et changent facilement de vote dans des circonscriptions clef. Il s'ensuivait que les deux candidats devaient désormais s'affronter au centre, une stratégie naguère familière avant que l'élection de Ronald Reagan ne brise cette règle.
 
Rien de tel ne s'est finalement produit, et cela montre une fois de plus la capacité de Donald Trump à surprendre tout le monde, ses amis comme ses ennemis. J.D. Vance ne répond à aucune de ces exigences. Non seulement, comme on l'a souvent rappelé, il a commencé sa carrière politique en dénonçant Trump comme "un Hitler américain" et, pire, comme "un imbécile". Mais il a également fait pression sur Trump pour s’imposer, disant qu’il serait "déçu" s'il n'était pas choisi. Or, un loyaliste ultime ne doit jamais vaciller ni montrer de déplaisir, en témoigne le sort réservé à Mike Pence...

J.D. Vance est aussi un formidable conteur d'histoires avec des répliques percutantes, ce qu'il a encore prouvé lors de la convention républicaine. Son livre de 2016, Hillbilly Elegy, peu lu en dehors des États-Unis, est une illustration mémorable des deux Amériques, et pour reprendre des termes également appliqués en France, de la périphérie invisible mais majoritaire face à la minorité d'initiés. Donald Trump avait bien compris que la majorité est la loi de la démocratie, et il est passé d'un parti à l'autre dans sa quête du pouvoir.

J.D. Vance offre un écho à la classe ouvrière et aux régions délaissées, expliquant leur mutation politique par les facteurs socio-économiques. Ses parents votaient pour les Démocrates contre le "Big Business", mais sont ensuite passés au Parti républicain avec Ronald Reagan, et au vote pour "ceux qui travaillent" contre les "assistés". La différence entre Trump et Vance est que le premier est un acteur, qui a commencé sa vie comme héritier d'un promoteur immobilier, allant d’un coup financier à un autre. Être originaire de Brooklyn plutôt que de Manhattan ne le classe pas dans les rangs des plus démunis - bien qu'il faille reconnaître que c'est l'un des facteurs qui ont façonné son ressentiment. De son côté, J.D. Vance est un vrai self-made man, qui s’est hissé vers les sommets par ses propres moyens. Il est resté politiquement fidèle envers la vision qu’il avait de son milieu d’origine, et envers une famille restée unie, qui semble lui rendre son affection. S’il sait la mettre en scène, ce n’est pas une histoire montée de toutes pièces. Sa position contre l'avortement, plus radicale que celle de Trump, ne lui vaudra probablement pas beaucoup de votes de la part des femmes des banlieues américaines, mais elle ne semble pas lui desservir.

J.D. Vance est aussi beaucoup plus complexe, ou sophistiqué, que Donald Trump. Il est diplômé de la faculté de droit de Yale, alors que Trump est un simple college graduate qui garde secret son dossier scolaire. Sa femme est d'origine indienne, et un élément qu’il vend maintenant comme un atout et comme le symbole de la réussite du rêve américain – message à Kamala Harris ! Nourrissant une admiration (réciproque) pour le célèbre investisseur Peter Thiel, Vance a travaillé dans plusieurs sociétés de capital-risque et a créé son propre fonds avec le soutien appuyé d'autres personnalités de la Silicon Valley. Né en 1984, il a été élu sénateur américain en novembre 2022, siégeant dans des commissions économiques et soutenant des projets de loi sur l'immigration, mais aussi sur la santé.

De son côté, J.D. Vance est un vrai self-made man, qui s’est hissé vers les sommets par ses propres moyens. Il est resté politiquement fidèle envers la vision qu’il avait de son milieu d’origine, et envers une famille restée unie, qui semble lui rendre son affection.

À cet égard, il est toujours sur la même voie depuis la "Rust Belt" de l'Ohio. Dans cet État, le fléau des opioïdes a frappé très tôt, et l'angoisse sur l'emploi est prégnante, avec le sentiment que les politiques d'aide sociale sont toujours destinées aux autres est également fort.

En se préoccupant concrètement de la classe inférieure blanche américaine (un terme qu'il détesterait), comme en témoignent certains de ses investissements technologiques dans les régions périphériques, il vient compléter Donald Trump, qui se contente d’unir sa colère avec celle de ce segment de la population américaine. Il s'agit bien d'une combinaison puissante, mais aussi d'un arrangement délicat pour Donald Trump. J.D. Vance donne aujourd'hui des signes d'allégeance répétés.  Mais il met en avant son propre récit. Au fur et à mesure que les quatre années d’un éventuel second mandat s’écouleront et que Donald Trump montrera de nouveaux signes de son excentricité et de son narcissisme, J.D. Vance devra créer sa propre marque au sein de la franchise Trump. Les relations entre le président et le vice-président seront alors à surveiller.

En termes de concurrence électorale, à moins d'une nouvelle catastrophe, on ne voit plus comment Joe Biden – ou Kamala Harris, issue de la gauche du Parti démocrate et sans les mêmes capacités d’éloquence – pourrait battre le tandem Trump-Vance. Le seul candidat démocrate que l’auteur de ces lignes considère comme une option viable est le gouverneur de Californie Gavin Newsom, et ce en dépit de la Californie. L'homme possède la même éloquence, offre une version certes plus conventionnelle du rêve américain, mêle réussite économique et préoccupations sociales dans ses discours, s'est prononcé en faveur du mariage pour tous mais cherche à limiter l'assistanat californien. Dans une situation où 47 % des Américains disent craindre une guerre civile, Newsom aurait quoiqu’il arrive fort à faire pour ne pas apparaître comme le représentant d'une minorité privilégiée.

Il est donc important d'examiner les idées de J.D. Vance au sein de la galaxie Trump, y compris à plus long terme. Pour les Européens, il y a effectivement de quoi s'inquiéter dans l'immédiat. Lors de la convention républicaine, la seule figure incarnant la politique étrangère présente sur l’estrade n’était autre que Richard Grenell, l’ancien ambassadeur des États-Unis en Allemagne, anti-européen notoire. Vance se situe en outre à l'extrémité isolationniste du spectre républicain, avec un discours mêlant désaccords sur les valeurs démocratiques et positions en faveur de l'America First. En qualifiant la Grande-Bretagne travailliste de "puissance nucléaire islamiste", en étant au Congrès l'un des plus fervents opposants au soutien à l'Ukraine, en mettant l'accent sur la réindustrialisation du pays et la baisse du dollar, Vance propose en réalité une vision de l’Amérique seule, qui s'appuierait sur sa force économique ressuscitée et son pouvoir transactionnel.

Vance se situe en outre à l'extrémité isolationniste du spectre républicain, avec un discours mêlant désaccords sur les valeurs démocratiques et positions en faveur de l'America First.

Sur la politique étrangère, il y a des divergences au sein du camp républicain. Les héritiers de Reagan mettent l'accent sur le rôle international des États-Unis, contre les isolationnistes de l'America First. D'autres affirment que c'est la Chine, plutôt que l'Ukraine et la Russie, qui est le défi numéro 1 pour les États-Unis. J.D. Vance se situe au croisement de ces deux dernières catégories. Sa combativité à l'égard de la Chine est notable.

Non seulement il sera une force parmi ceux qui veulent que les alliés payent  – à raison dans une certaine mesure –, mais il se joindra à ceux qui veulent que le programme de défense américain se déplace vers l'Asie de l'Est à très court terme.

La réduction des programmes et de l'emploi au niveau fédéral, ainsi que des subventions, améliorerait la situation budgétaire des États-Unis. Cela permettrait de faire baisser le dollar sans avoir à augmenter les taux d'intérêt. Si le Project 2025 de la Heritage Foundation n’avait pu trancher entre politique publique industrielle et libéralisme économique assumé, il est probable que Vance penchera en faveur du second.

M. Vance fera également partie de ceux qui préconisent le découplage avec la Chine plutôt que le seul derisking, à commencer par les droits de douane – qui frapperont également l'Europe à moins qu'un accord ne soit trouvé. Compte tenu de la sensibilité de Vance au sujet des opioïdes, un conseil que l'on pourrait donner à Xi Jinping est de prendre au sérieux la réduction des exportations de précurseurs du fentanyl et de mettre fin au blanchiment de l'argent des cartels de la drogue mexicains. Cela pourrait être une priorité pour la nouvelle administration avant même la question du rôle de la Chine dans le maintien à flot financier de la Russie.

Les valeurs ont souvent divergé entre la démocratie américaine et une Europe longtemps centriste et social-démocrate de fait. Aujourd'hui, ces valeurs européennes font elles-mêmes l'objet d'un débat, bien qu'il soit loin d'être aussi conflictuel et violent qu’aux États-Unis. Pourtant, le moment est venu de hiérarchiser nos intérêts. Il s'agit tout d'abord de considérer qu'aux yeux des autres, nous, les Occidentaux, formons une culture et même une identité uniques. Le fait que nous ayons mis en place des règles appliquées avec succès dans le monde entier alors que nous n’en représentons qu'une minorité n'est pas nouveau. Le fait est aussi que les États-Unis, sous les présidences Trump et Biden, ont rebondi économiquement et qu'ils ont donc plus, et non moins, d'influence qu'il y a dix ans.

Oui, l'Europe devra se défendre contre les négociations en forme de diktat d'une administration Trump, et -enfin- renforcer sa propre défense. Elle devra également présenter un argumentaire convaincant et expliquer pourquoi l'affaiblissement de l'alliance et le fait de s'appuyer uniquement sur des accords bilatéraux nuirait aux deux parties.

Les valeurs ont souvent divergé entre la démocratie américaine et une Europe longtemps centriste et social-démocrate de fait.

Donald Trump restera probablement un acteur imprévisible, plus justifié encore dans cette voie par  "l’acte de Dieu" qui lui fit tourner la tête au bon moment. Mais les conversations futures doivent aussi avoir lieu avec les isolationnistes instinctifs de la trempe de J.D. Vance, et non seulement avec les internationalistes des deux partis, sur lesquels nous avons tant compté dans le passé.

Copyright image : Jim WATSON / AFP

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