AccueilExpressions par Montaigne[Où va l’Allemagne ? ] - Fracture Est-Ouest : où en est-on ? L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.10/02/2025[Où va l’Allemagne ? ] - Fracture Est-Ouest : où en est-on ? Union EuropéenneImprimerPARTAGERAuteur Alexandre Robinet-Borgomano Expert Associé - Allemagne Où va l’Allemagne ?Trente ans après la chute du mur, que reste-t-il de la ligne de fracture entre l’Est et l’Ouest ? Dans ce troisième épisode d’une série consacrée à la trajectoire allemande, Alexandre Borgomano-Robinet montre que certains chiffres encourageants, certaines dynamiques convergentes, certains symboles photogéniques, ne sauraient oblitérer la présence rémanente d’une fracture qui ne se rétablit pas : avant les élections fédérales de février et après les élections régionales de Saxe et Thuringe en septembre, marquées par la montée de l’AfD, comment se traduit-elle dans l’offre politique ? Comment expliquer la montée des extrêmes au pacifisme pro-russe incarnés par l’AfD et le BSW (Alliance Sahra Wagenknecht) ? Le 20 août 2024 est inaugurée à Dresde, en présence de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et du chancelier allemand Olaf Scholz le chantier de la première méga-usine européenne du géant des microprocesseurs taiwanais TSMC. Outre l’importance stratégique pour l’Union européenne de renforcer son autonomie dans la production de microprocesseurs - son ambition est de produire 20 % des semi-conducteurs dans le monde d’ici à 2030, contre 10 % aujourd’hui - le fait que l’usine dont dépend un tel enjeu soit située dans l’un des Länder allemands de l’Est est un symbole : la division Est-Ouest, toujours marquée par de profonds écarts après trois décennies de réunification, est entrée dans une dynamique nouvelle accompagnée par un changement de génération.La division Est-Ouest, toujours marquée par de profonds écarts après trois décennies de réunification, est entrée dans une dynamique nouvelle accompagnée par un changement de génération. Symbole de ce renouveau : la ville de Chemnitz, anciennement Karl-Marx-Stadt, située à quelques kilomètres de Dresde, qui est devenue en janvier 2025 capitale européenne de la culture. En 1990, le chancelier Helmut Kohl avait prédit que l’achèvement de la réunification prendrait "au moins une génération". Le temps d’une génération est passé. L’Allemagne de l’Est, aujourd’hui disparue, a-t-elle laissé la place aux "paysages florissants" promis par l’ancien Chancelier ?Un rattrapage économique inachevéEst et Ouest. Libres, unis et imparfaits. Publié en octobre 2024 à l’occasion du 35e anniversaire de la chute du mur de Berlin, le rapport du Gouvernement sur l’état de l’unité allemande dresse un bilan positif et contrasté du processus de réunification. Les divisions persistent. Le pays garde les stigmates de son ancienne déchirure entre l’Est et l’Ouest. Mais l’essor économique des anciens Länder de l’Est, conjugué à un déclin économique et démographique de certaines régions de l’Ouest, a abouti à une extraordinaire remise à niveau des deux Allemagne en trois décennies. Aujourd’hui, les anciens Länder tournent peu à peu la page d’une "génération sacrifiée", celle des personnes trop âgées lors de la chute du mur pour s’adapter à l’économie de marché.L’économie, dans la partie orientale de l’Allemagne, n’a pas encore entièrement rattrapé les niveaux des anciens Länder, mais les progrès sont indéniables. La convergence économique et sociale entre les deux parties de l’Allemagne a progressé de manière significative depuis 1989.Le taux de chômage de plusieurs Länder de l’Est (Saxe, Brandenburg et Thuringe) avoisine désormais la moyenne nationale (6 %), alors qu’il représentait presque le double au moment de la réunification ;Le PIB par habitant à l’Est du Pays correspond actuellement à 79,5 % de celui de l’Ouest (contre 32 % en 1991) et le revenu disponible à 85 % du niveau de l’Ouest (contre 37 % en 1991). Néanmoins si l’on analyse le PIB par habitant à l’échelle des Länder, aucun État de l’Est ne dépasse la moyenne de l’ensemble de l’Allemagne (48 750 euros par habitant) ; et ils sont tous en queue du classement ;Le dynamisme actuel de l’Est de l’Allemagne a été évalué positivement par l’institut de recherche économique Ifo (Institut für Wirtschaftsforschung) en juillet 2024 : l’économie de l’Allemagne de l’Est devrait connaître une croissance supérieure à la moyenne de l’ensemble de l’économie allemande. Pour l’année 2024, ils envisagent une croissance de 1,1 % dans les Länder de l’Est, puis de 1,7 % pour 2025. Selon ces mêmes prévisions, l’économie allemande, dans son ensemble, ne connaîtrait une croissance que de 0,4 % cette année, puis de 1,5 % l’année prochaine.L’émigration des jeunes travailleurs d’Allemagne de l’Est, qui avait entraîné une réduction de la population de 2,2 millions de personnes après la réunification, a largement cessé. Certaines régions urbaines - en particulier Berlin, Leipzig ou Dresde - s’imposent désormais comme des régions particulièrement attractives pour les jeunes travailleurs qualifiés. L’un des symboles de ce rattrapage est la "Silicon Saxony", un pôle de compétitivité européen qui réunit des technologies des semi-conducteurs, plusieurs centres de recherche d’excellence (Fraunhofer Institut et Max Planck Institut notamment) et de grandes entreprises du secteur.D’importantes différences subsistent néanmoins entre l’Est et l’Ouest, avant tout dans la perception que les Allemands des Länder de l’Est ont d’eux-mêmes. Seule une infime minorité des grandes entreprises allemandes ont leur siège social dans un des cinq nouveaux Länder, alors que leurs habitants sont sous-représentés dans les postes de direction des administrations, des entreprises et des universités. La densité de population est nettement plus faible à l’Est où les zones rurales restent nombreuses et les agglomérations peu développées. "Malgré tous les succès du processus d’unification, l’ancienne division est toujours ressentie dans la vie des gens à l’est et à l’ouest", note Susanne Dähner, de l’Institut pour la population et le développement de Berlin. Selon elle, quatre Allemands de l’Est sur dix se sentent traités comme des citoyens de seconde zone et leurs origines jouent un rôle plus important dans leur vie que celles des Allemands de l’Ouest. La brutalité inhérente au processus de réunification, pendant trente ans, a conduit à installer une forme d’"Ostalgie" (la nostalgie de l’Est) à l’égard d’une période où les inégalités étaient moins fortes qu’aujourd’hui. Une rhétorique utilisée par les extrêmes entretenant l’idée d’une "colonisation" subie de la part des Allemands de l’Ouest.La brutalité inhérente au processus de réunification, pendant trente ans, a conduit à installer une forme d’"Ostalgie" (la nostalgie de l’Est) à l’égard d’une période où les inégalités étaient moins fortes qu’aujourd’hui.Un "laboratoire" de la progression des ExtrêmesConséquence de ce sentiment de déclassement : le faible taux d’approbation du système démocratique et des institutions, et le manque général de satisfaction des Allemands de l’Est à l’égard de la politique et de ses représentants. Alors que 91 % des Allemands de l’Ouest pensent que la démocratie est la "forme de gouvernement la mieux adaptée", seuls 78 % des Allemands de l’Est sont du même avis. Le dernier sondage de l’Institut Allensbach analysant le rapport de l’opinion allemande vis-à-vis de l’Europe révèle une même ligne de fracture : alors que la majorité des Allemands de l’Ouest sont attachés à l’Europe, seuls 40 % des Allemands de l’Est considère l’appartenance à l’UE comme une bonne chose.Ce ressentiment trouve aujourd’hui à s’exprimer dans le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), parvenu à s’imposer comme le porte-voix des "perdants de la réunification", et qui s’est arrogé la position de défenseur du peuple face au pouvoir de Berlin. Ce parti a dès 2014 fait son apparition dans les parlements de Saxe, de Thuringe et Brandenburg. Mais c’est surtout la "crise" migratoire de 2015 qui a conduit l’AfD à faire de l’Allemagne de l’Est son principal bastion électoral, tout en faisant basculer l’AfD d’un parti libéral et anti-Euro à un parti réactionnaire anti-migrants. L’AfD reprend ainsi l’idée que les quarante années d’existence de la RDA auraient "préservé" cette partie de l’Allemagne de l’immigration, devenue depuis son thème de prédilection.Lors des élections régionales qui se sont tenues à l’automne 2024, l’AfD est arrivée en tête en Thuringe (avec 32,8 % des voix) et deuxième en Saxe (avec 30 % des voix) comme dans le Brandenburg (29 % des voix). De tels résultats rendent particulièrement difficile la formation d’une coalition gouvernementale dans ces États, dans la mesure où tous les autres partis refusaient jusqu'à peu de s’allier avec l’AfD - ce qui pourrait être remis en question, après le vote au Bundestag le 29 janvier d’un texte portant sur les questions migratoires, adopté grâce aux voix conjointes de la CDU de Friedrich Merz et de l’AfD d’Alice Weidel.Ces dernières élections régionales ont également été marquées par le succès d’une nouvelle force politique venue bouleverser le paysage politique allemand. Née à Iéna en Thuringe à l’époque de la RDA, ancienne élue du parti de gauche radicale Die Linke et épouse de son fondateur Oskar Lafontaine, Sahra Wagenknecht combine un discours social très marqué, séduisant les nostalgiques d’une RDA socialement protectrice et un discours ferme et conservateur sur les questions de société, fustigeant le "wokisme" des partis de gauche et particulièrement hostile à l’immigration. À la fois "nationaliste", "pacifiste" et "socialiste", son parti, l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), lancé au début de l’année 2024, voulait s’adresser aux "petites gens". Il a immédiatement obtenu d’importants succès à l’Est, arrivant en Saxe comme en Thuringe et dans le Brandenburg, en troisième position. C’est surtout la "crise" migratoire de 2015 qui a conduit l’AfD à faire de l’Allemagne de l’Est son principal bastion électoral, tout en faisant basculer l’AfD d’un parti libéral et anti-Euro à un parti réactionnaire anti-migrants.Ces deux partis ont été créés après la réunification. Ainsi, comme le souligne Paul Maurice dans un article publié par l'Ifri, "Trente-cinq ans après la chute du mur de Berlin : à l’Est quoi de nouveau ?", ils n’apparaissent symboliquement pas comme des partis "importés de l’Ouest" et promettent d’apporter une offre nouvelle à des électeurs de plus en plus animés par un rejet de la politique. Mais un autre facteur mérite l’attention. Dans cette région d’Allemagne, la Russie a longtemps été plus proche, culturellement et politiquement. L’arrêt du soutien militaire à l’Ukraine a été l’un des thèmes de la campagne portée par l’AfD et le BSW.Ces deux partis convergent dans leurs positions sur l’Ukraine : ils sont opposés à la poursuite des livraisons d’armes et prônent des négociations avec la Russie comme garantie de la paix avec l’Allemagne. Ce faisant, comme le souligne justement Paul Maurice, "ils renouent [...] avec la propagande "pacifiste" du bloc de l’Est". Copyright image : John MACDOUGALL / AFP Sahra Wagenknecht, fondatrice de l’Alliance Sahra WagenknechtImprimerPARTAGERcontenus associés 03/02/2025 [Où va l’Allemagne ?] - Le renouveau de la puissance allemande Alexandre Robinet-Borgomano 27/01/2025 [Où va l’Allemagne ?] - Un modèle économique en question Alexandre Robinet-Borgomano 08/11/2024 Crise politique en Allemagne : un défi européen Joseph de Weck 04/12/2024 [Le monde vu d’ailleurs] - Les mémoires d’Angela Merkel, chant du cygne de ... Bernard Chappedelaine