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08/11/2024

Crise politique en Allemagne : un défi européen

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Crise politique en Allemagne : un défi européen
 Joseph de Weck
Auteur
Expert associé - Allemagne

Après le limogeage de Christian Lindner, ministre des Finances FDP d’Olaf Scholz, la coalition tricolore en crise depuis des mois a éclaté. Entre la victoire de Donald Trump aux États-Unis et la chute du gouvernement en Allemagne, la semaine du 4 novembre annonce une période de remous qui pourrait se transformer en un moment de vérité opportun pour les Européens. Comment comprendre les impasses qui ont conduit à la situation actuelle à Berlin ? Quelles sont les perspectives pour une nouvelle coalition ? En quoi la figure de Friedrich Merz pourrait-elle donner un nouveau souffle au duo franco-allemand et une impulsion salutaire en Europe ? Entretien avec Joseph de Weck

Une FDP en lutte pour sa survie : quelles sont les raisons de l’impasse politique à Berlin ? 

Le limogeage du ministre des Finances FDP Christian Lindner a conduit son parti à quitter la coalition dite "tricolore" en place depuis les élections fédérales de septembre 2021. Le gouvernement d’Olaf Scholz s’est donc trouvé amputé d’un des membres d’une coalition en crise latente depuis longtemps, constituée des sociaux-démocrates du SPD, des Verts et des libéraux du FDP. Cette rupture politique trouve son origine dans des facteurs matériels aussi bien que politiques.

Il eût fallu, pour satisfaire les trois sensibilités partisanes, combiner une politique budgétaire conservatrice (requise par le FDP) avec une sensibilité sociale marquée (indispensable au SPD) et une conscience écologiste prononcée.

En ce qui concerne les facteurs matériels, c’est le vote du budget 2025 qui, là comme ailleurs, a mis cet attelage politique de circonstances face à une équation impossible : il eût fallu, pour satisfaire les trois sensibilités partisanes, combiner une politique budgétaire conservatrice (requise par le FDP) avec une sensibilité sociale marquée (indispensable au SPD) et une conscience écologiste prononcée (offrant des gages aux Verts). Le SPD et les Verts étaient prêts à faire des compromis douloureux y compris sur leurs propres priorités pour sauver la coalition, mais pas le FDP.

Le FDP, arrivé en 4e position en 2021 (derrière le SPD, 25,7 % des voix, la CDU, 24 %, et les Verts, avec 14,7 %) avait été au centre des négociations pour former la coalition d’alors. Trois ans plus tard, il est passé de 11,45  % des voix à 3 ou 4 % dans les sondages, un score si bas qu’il ne lui permettrait pas de passer la barre des 5 % requis pour être représenté au Parlement. En position de faiblesse voire de crise existentielle, le parti de Christian Lindner a pris la décision de quitter la coalition afin de reprendre ses distances vis-à-vis de la ligne du chancelier Scholz et d’en revenir à une vision plus strictement liée aux préoccupations de son socle électoral. Le pari est risqué : les électeurs, attachés à la stabilité, pourraient lui reprocher d’être responsable de la chute gouvernementale. 

Quels sont les principaux enjeux dans l’intervalle qui demeure avant les élections ?

C’est donc le budget 2025 qui a été le déclencheur du compte à rebours : constatant l’impossibilité d’arriver à un compromis, Christian Lindner a proposé un vote de confiance au parlement dès la semaine du 11 novembre, afin que des élections anticipées se tiennent en janvier ou février. Olaf Scholz a refusé cette tactique dans l’immédiat, préférant attendre le 15 janvier pour un vote de confiance et donc le mois de mars pour de nouvelles élections. Le chancelier veut mettre cet intervalle de temps à profit pour faire passer certaines réformes et projets de loi avec la CDU. Le budget, tout d’abord, avec des marqueurs sociaux tels que l’ajustement à l’inflation du barème des taux d’impôts, mais aussi un programme de soutien d’urgence à l'industrie allemande, via la baisse des prix de l’électricité, ainsi qu’un budget de la défense en hausse, priorité d’autant plus pressante que l’élection de Donald Trump rend indispensable de faire monter en puissance le soutien à l’Ukraine.

C’est surtout l’augmentation du budget de défense et de l’aide à l'Ukraine qui nécessite de contracter une nouvelle dette. Soit en créant un fonds spécial, à la manière du fonds Zeitenwende (le fonds "changement d’époque") de 100 milliards d'euros voté en 2021, soit en révisant le frein constitutionnel à la dette, selon lequel le déficit public ne peut excéder 0,35 % du PIB.

C’est surtout l’augmentation du budget de défense et de l’aide à l'Ukraine qui nécessite de contracter une nouvelle dette.

Olaf Scholz veut avancer sur ce sujet avant les élections pour deux raisons. D’abord parce qu’il considère que compte tenu de l'élection de Donald Trump et des difficultés de l'Ukraine, l’Europe doit augmenter son soutien aussi rapidement que possible. Ensuite parce que, pour créer un nouveau fonds spécial ou assouplir le frein de dette, il faut le soutien des ⅔ du Bundestag. Or, il est possible que, dans un Bundestag post-élections, les deux partis pro-Russes, l’extrême-droite l’AFD et l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), occupent précisément ⅓ des sièges et soient donc en capacité de bloquer ces nouveaux fonds.

Friedrich Merz, le leader de la CDU, se dit prêt à négocier d'éventuelles lois urgentes avec Olaf Scholz, mais seulement si le Chancelier avance le vote de confiance à la semaine prochaine, pour une nouvelle élection en janvier ou février. Dans ce bras de fer calendaire, Merz a l’avantage. L’opinion publique évolue rapidement pour rejoindre ses vues : alors qu’au début de la semaine du 4 novembre, la moitié seulement des Allemands soutenait le principe d’élections anticipées rapides, ils sont désormais ⅔ et Scholz, soumis à une pression grandissante, pourrait décider d’avancer la date du vote de confiance d’ici une ou deux semaines. Toutefois, quand bien même la date du vote de confiance était avancée, une réforme du frein à la dette ou la décision de créer un nouveau fonds Zeitenwende n’est pas à portée de main. Si la plupart des cadres du CDU reconnaissent la nécessité d’une nouvelle dette pour augmenter le budget de la défense et l’aide à l’Ukraine, ils ne sont pas prêts à agir en conséquence avant les élections, de crainte de perdre des électeurs au FDP et à l’AfD. Friedrich Merz va donc attendre d’être nommé Chancelier avant de s’attaquer à ce sujet, en espérant que l’AfD et le BSW ne gagnent pas le tiers des sièges au Bundestag.Il semble que Merz puisse courir ce risque: l’AfD apparaît à 18 % d’intention de vote dans les sondages, la BSW est à 7 %, les deux partis pro-russes cumulent donc 25 % des intentions de vote, un score insuffisant.

Que peut-on attendre d’une nouvelle coalition ?

Une nouvelle coalition menée par la CDU serait une opportunité pour un duo franco-allemand abîmé: Friedrich Merz est à maints égards proche de la vision défendue par Emmanuel Macron à Bruxelles. Partisan de la fermeté concernant la Russie, très pro-européen, il souhaite avancer de manière ambitieuse avec Paris, Londres, Rome et Varsovie sur les questions de défense et a souvent critiqué Olaf Scholz pour son attentisme et son suivisme à l’égard des États-Unis au sujet de l’Ukraine. La CDU de Friedrich Merz oscille entre 34 et 35 % d’intention de vote dans les sondages. Si le président de la CDU arrive à maintenir ce niveau, il pourrait monter une coalition à deux, plus stable que l’actuelle tripartite où l’un des partenaires, le FDP, est trop mal assuré au sein de son électorat pour se permettre de faire des compromis.

La CDU choisira-t-elle une alliance avec le SPD ou les Verts ? Tout dépendra de la configuration politique au moment des élections : si l’urgence est géopolitique, les Verts sont les meilleurs alliés de la CDU sur la question ukrainienne, la Chine et l’Europe. En revanche, les partis sont moins alignés sur les enjeux économiques et énergétiques, où la CDU a plus d’affinités avec le SPD (au prix de divergences en matière de politique étrangère).

Le cordon sanitaire est moins distendu en Allemagne qu’ailleurs et aucune coalition n’est envisageable à moyen terme avec le parti d’Alice Weidel ou celui de Sahra Wagenknecht.

Un tournant pour l’Europe ? 

Une Allemagne dirigée par une coalition CDU / Verts, eux aussi très pro-européens et pro-Ukrainiens, serait une excellente nouvelle pour Paris.

Une Allemagne dirigée par une coalition CDU / Verts, eux aussi très pro-européens et pro-Ukrainiens, serait une excellente nouvelle pour Paris.

Quel que soit le calendrier et malgré les incertitudes qui pèsent nécessairement sur le résultat des élections, Friedrich Merz sera l’homme fort du prochain gouvernement. À 70 ans, il est conscient d’être en fin de carrière, et que le prochain mandat sera son dernier, ou le pénultième. Il est donc prompt à agir et plus disposé qu'Angela Merkel ou Olaf Scholz à brûler son capital politique par des décisions coûteuses.

De plus, ce conservateur catholique a le souci de son héritage et caresse le rêve de léguer un portrait de lui en noir et blanc à la postérité. On a pu lui reprocher des prises de parole jugées outrancières, que l’on explique soit par ses calculs électoraux (se concilier le vote d’électeurs AfD, au risque de s’aliéner la frange des traditionnels électeurs chrétien-démocrates attachés à la ligne Merkel) soit par son impulsivité notoire. Néanmoins, il a évolué et s’inscrit avant tout dans la lignée des grands Européens conservateurs comme Konrad Adenauer (1949-1963) et Helmut Kohl (1982-1998), ou Wolfgang Schäuble, légendaire ministre des Finances : conservateurs sur les questions sociétales, adeptes de la rigueur budgétaire, mais prêt à avancer dans la construction européenne.

Or, de même que seul un Gerhard Schröder, du SPD, avait pu faire passer un agenda d’inspiration plus libérale, seul un chancelier conservateur sera à même de faire passer des mesures plus européens comme un nouvel emprunt européen commun, là où la gauche serait immédiatement censurée par la droite. 

Propos recueillis par Hortense Miginiac

Copyright image : Odd ANDERSEN / AFP
Friedrich Merz, président de la CDU, devant le château de Bellevue à Berlin, le 7 novembre 2024

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