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15/10/2024

Modi 3.0 : Entre l'Inde et l’Union européenne, nouvelles perspectives

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Modi 3.0 : Entre l'Inde et l’Union européenne, nouvelles perspectives
 Amaia Sánchez-Cacicedo
Auteur
Expert Associé - Asie et coordinatrice académique au Global Policy Center de l’Université internationale de Madrid

Narendra Modi, réélu en juin pour un troisième mandat, était apparu en position de force lorsqu’il avait accueilli le sommet du G20 en 2023. Il devrait inscrire sa politique étrangère sous le signe de la continuité, en la mettant davantage au service des enjeux domestiques qui sont prioritaires aux yeux de son électorat. Dans ce contexte, comment Delhi pourrait naviguer entre une position conciliatrice à l’égard de la Russie, qu’il s’agit de ne pas laisser au giron chinois, et ses partenaires européens ? Quels sont les intérêts communs entre l’Inde et l’Union européennes et les opportunités à approfondir ?

Introduction

La reconduction de Narendra Modi pour un troisième mandat en juin 2024, moment politique clef, devrait s’accompagner de la poursuite de la politique étrangère indienne, malgré la réduction de l'influence du Bharatiya Janata Party (BJP) au sein du gouvernement de coalition dirigé par l'Alliance démocratique nationale (NDA) - le BJP ayant perdu 63 sièges par rapport à ses résultats de 2019 (303) et se retrouvant donc à 32 sièges de la majorité (272 sièges).

Cette perte de majorité à la Lok Sabha, la chambre basse de l'Inde, ne devrait pas se traduire, chez Narendra Modi, par des changements significatifs dans sa vision globale de la politique étrangère. Les récentes élections générales ont montré que l'électorat indien était avant tout préoccupé par les questions du quotidien, malgré la tentative de Modi de capitaliser sur la réussite de la présidence indienne du G20 en 2023 et sur l'amélioration de sa position à l’international. L'élite indienne a beau continuer à soutenir la quête de l'Inde pour devenir une puissance de premier plan, le reste de l'électorat suit moins que prévu.

La reconduction de Narendra Modi pour un troisième mandat en juin 2024, moment politique clef, devrait s’accompagner de la poursuite de la politique étrangère indienne, malgré la réduction de l'influence du Bharatiya Janata Party (BJP) au sein du gouvernement de coalition dirigé par l'Alliance démocratique nationale.

À l'avenir, Narendra Modi réduira donc probablement le temps consacré à la politique étrangère pour se consacrer à la consolidation de ses politiques intérieures. New Delhi cherchera néanmoins à obtenir le soutien des pays occidentaux, en particulier celui des États-Unis. L'Inde perçoit l'approche chinoise de Washington comme pertinente et fiable, en particulier si Donald Trump revenait au pouvoir. Ce n'est pas nécessairement le cas concernant l’Europe. New Delhi a encore du mal à considérer l'Europe à travers le prisme de l'Union européenne (UE), raison pour laquelle elle donne la priorité à ses relations bilatérales pays par pays ou avec des sous-régions spécifiques au sein de l'Europe.

L'Inde n'a pas non plus limité ses relations avec Moscou à la suite de la guerre russe contre l'Ukraine ; elle a plutôt élargi sa composante géoéconomique.

Dans ce contexte, quelles sont les priorités de la politique étrangère de Narendra Modi et quelle place y occupe l'Europe ? La Chine et le Pakistan restent les principales préoccupations de l'Inde en matière de sécurité. On peut dire que la pénétration croissante de la Chine et sa propension à mettre de son côté (ou sous sa coupe) les voisins de l'Inde sont devenues le talon d'Achille de New Delhi. Ces enjeux sont aujourd’hui déterminants pour la stratégie indo-pacifique de l'Inde et ses partenariats dans la région de l'océan Indien (ROI). Cependant, l'Inde ne regarde pas seulement le monde à travers un prisme géopolitique, mais aussi à travers un prisme géoéconomique. C'est ce qui explique que la première visite bilatérale de Narendra Modi se soit tenue à Moscou plutôt que dans un pays voisin. Sa venue en Pologne et en Ukraine, six semaines plus tard, montre que l'Inde souhaite montrer son autonomie stratégique et se présenter en tant qu'interlocutrice potentielle entre les parties belligérantes, ainsi qu’il convient à une puissance de premier plan. La poursuite de la guerre en Ukraine continuera à resserrer le rapprochement Russie-Chine, au grand dam de New Delhi.

L'Europe et la Russie restent des options compatibles et réalistes, conformément au multi-alignement ambitionné par New-Delhi. Néanmoins, si l'Europe est une option, elle n'est pas une priorité immédiate. Il existe pourtant un potentiel inexploité à creuser pour la relation Inde-Europe, comme l’illustre le dialogue Nordic India cette année. En outre, l'expérience réglementaire, le savoir-faire technologique et la capacité d'investissement de l'UE dans des domaines tels que la facilitation des échanges, le numérique, les technologies vertes ou la sécurité maritime présentent un intérêt pour l'Inde. D'autres intérêts communs, tels que la lutte contre le terrorisme ou les menaces hybrides, doivent être explorés plus avant.

Les priorités de la politique étrangère 3.0 de Modi : l'équilibre de l'Inde

L'Inde continue de chercher sa place dans le jeu d'équilibre des puissances mondiales entre les États-Unis et l'Occident, d'une part, et la Russie et le Sud, d'autre part. Le ministre des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, considère la fracture Est-Ouest et le fossé Nord-Sud comme des contradictions majeures de l'ordre mondial actuel, dont l'Inde devrait tirer profit, d’autant plus dans la perspective du plan d'action Vision Viksit Bharat @2047 qui vise à faire de l’Inde un pays développé d'ici 2047. Or, avec près de la moitié de son produit intérieur brut (PIB) lié à son commerce extérieur, l’Inde est confrontée à d'importantes dépendances, en particulier dans des domaines critiques tels que l'énergie, la technologie et les capitaux. Par conséquent, la politique étrangère n'est pas seulement un outil diplomatique, mais un levier essentiel pour accélérer le développement national, favoriser la modernisation et assurer une croissance durable.

Suivant une vision kautilyenne (d’après Kautilya, le "Machiavel indien") de la manière dont la politique étrangère peut contribuer au bien de l'État par cercles concentriques, la politique historique de l'Inde, "Neighbourhood First", restera la priorité absolue du gouvernement Modi. Le budget 2024-25 du ministère des Affaires extérieures confirme que New Delhi conserve son pré carré dans les arbitrages de sa politique d’aides au développement conditionnelles. Une autre preuve est l'invitation de tous les chefs d'État voisins à la cérémonie où Narendra Modi a prêté serment pour un troisième mandat, en juin 2024.

L'Inde continue de chercher sa place dans le jeu d'équilibre des puissances mondiales entre les États-Unis et l'Occident, d'une part, et la Russie et le Sud, d'autre part.

Le président des Maldives, Muizzu, en faisait partie, bien que les Maldives aient récemment adopté une position favorable à Pékin, contrairement au gouvernement précédent. Récemment, la tournure inattendue des événements au Bangladesh, qui a conduit à la chute violente de Sheikh Hasina, partenaire de confiance de New Delhi, montre une fois de plus la volatilité de la politique intérieure dans la région. L'arrivée au pouvoir d'A.K. Dissanayake à la suite des récentes élections présidentielles au Sri Lanka constitue un obstacle supplémentaire pour New Delhi. L'évolution de la dynamique du pouvoir dans la ROI reflète la façon dont la rivalité entre les États-Unis et la Chine s'entrecroise avec la pénétration de la Chine dans la sphère d'influence historique de New Delhi.

Deuxièmement, l'Inde souhaite renforcer ses relations avec d'autres puissances moyennes régionales, telles que le Japon, l'Indonésie, les Philippines et la Corée du Sud, ainsi qu'avec les puissances occidentales de la région indo-pacifique. L'océan Indien et l'Indo-Pacifique au sens large sont de plus en plus centraux pour les intérêts géoéconomiques et géostratégiques de l'UE. Cependant, New Delhi entend également rester présente en Eurasie, c’est-à-dire auprès des partenaires que sont la Russie et l'Iran, ainsi que, dans une moindre mesure, la Turquie. Pour affirmer son influence en Asie centrale et en Eurasie, l'Inde doit développer sa relation avec ces pays et équilibrer sa priorité régionale globale dans l'Indo-Pacifique.

Quelle est la position de l'Europe ?

Quelle est la position de l'Europe sur l'échiquier géopolitique et géoéconomique de l'Inde ? Comme l'a noté S. Jaishankar, l'UE sort progressivement de son repli sur soi, et sa relation avec l’Asie dépend principalement de sa relation transatlantique ainsi que de la question de la Russie. Or, les intérêts géostratégiques de New Delhi et de Bruxelles divergent considérablement en ce qui concerne la Russie, sans que cela n’impacte fondamentalement leurs relations - du moins pour l'instant. À l’avenir, les positions de l'Inde à l'égard de l'Europe dépendront largement de la capacité des deux parties à unifier davantage leur approche à l'égard de la Chine : elles partagent la conviction d’avoir un intérêt économique commun dans les domaines de la technologie, des routes commerciales et de la résilience de la chaîne d'approvisionnement, ainsi que dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et la sécurité maritime.

Les intérêts géostratégiques de New Delhi et de Bruxelles divergent considérablement en ce qui concerne la Russie, sans que cela n’impacte fondamentalement leurs relations - du moins pour l'instant

L'Inde conçoit sa politique étrangère comme un levier pour atteindre le statut d'économie développée d'ici 2047 : les Européens auraient tout à gagner vis-à-vis de New Delhi en lui offrant des investissements étrangers dans certains domaines clés liés à l'approvisionnement en denrées alimentaires, en carburant et en engrais. Dans ses orientations politiques de l'UE, Ursula von der Leyen fait spécifiquement référence à l'élaboration d'un programme stratégique UE-Inde comme élément clé des "choix de l'Europe" pour l'avenir. Il pourrait s'agir, dans un premier temps, de négocier des accords de longue durée sur les accords de libre-échange (ALE).

L'Inde mène, en parallèle, des négociations avec l'Australie, le Canada (actuellement en suspens), le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et Oman, tout en cherchant à réviser ses accords de libre-échange avec les pays de l’ASEAN en raison de l'Accord de partenariat économique global régional (RCEP) mené par la Chine. Dans le domaine de la coopération technologique, il existe également de larges possibilités de collaboration là où l'UE possède une expérience réglementaire, un savoir-faire technologique et une capacité d'investissement. Il peut s'agir de la réglementation numérique, de programmes de facilitation des échanges ou de stratégies d'adaptation au climat, par exemple. Le lancement du Conseil du commerce et de la technologie (CCT) UE-Inde en 2022 constitue une étape bienvenue à cet égard et il reste une large marge de manœuvre pour son expansion et sa consolidation, même en l'absence d'un ALE.

Au-delà de la coopération économique bilatérale, le partenariat UE-Inde se développe également dans les ROI. Les relations avec l'Inde restent un vecteur essentiel de l'investissement croissant de l'UE dans cette région, que ce soit par le biais d'exercices navals conjoints, de la maîtrise du domaine maritime ou de la sécurisation des zones économiques exclusives (ZEE) des États riverains de l’OIR. L'UE a désormais le statut de partenaire de dialogue au sein de l'Indian Ocean Rim Association (IORA), tandis que l'Inde fait partie du forum du Partenariat pour la sécurité des minéraux (MSP) dirigé par l'UE, par exemple. À l'avenir, l'engagement de l'UE et de l'Inde pourrait prendre la forme de formats de coopération plus minilatéraux avec des partenaires tiers.

Au niveau multilatéral, l'Inde cherchera à obtenir le soutien de l'Europe sur deux priorités. L'Inde, sous l'égide de Modi 3.0, continuera à faire pression pour la réforme des Nations unies (ONU) afin d'obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU). À cet égard, elle considère la France, en tant que membre permanent du CSNU, et le Groupe des quatre (G4) - qui comprend l'Allemagne - comme des acteurs cruciaux pour atteindre son objectif. New Delhi a aussi en vue l'agenda antiterroriste et continuera sans nul doute à faire pression en faveur d'une convention globale sur le terrorisme au niveau des Nations unies, préoccupation partagée par Ursula von der Leyen à travers les orientations politiques qu’elle a récemment publiées. Des discussions bilatérales ont déjà eu lieu sur le sujet, dont l'objectif principal pourrait être celui des menaces hybrides et de l'ingérence étrangère, qui constituent une préoccupation majeure pour les deux parties.

De Moscou à Kiev

La visite d'État du Premier ministre Modi, lors du 22e sommet Inde-Russie début juillet 2024, a suscité de vives inquiétudes dans toute l'Europe, qui a considéré sa visite ultérieure à Kiev comme une tentative pour les adoucir et limiter les dégâts sur sa relations avec les puissances occidentales. Cependant, pour New Delhi, la visite à Kiev avait une signification plus profonde. Elle a souligné l'aspiration de l'Inde à être considérée comme une puissance de premier plan, un "Vishwaguru", un "gourou" (ou, plus exactement, un enseignant) pour le monde, et un "Vishabhandu", un ami du monde. Le choix de l'Inde par Volodimir Zelensky comme hôte potentiel d'un second sommet de la paix est en ce sens révélateur. En outre, l'Inde a un intérêt géostratégique à ce que la guerre en Ukraine prenne fin, ce qui serait susceptible de réduire la dépendance actuelle de Moscou à l'égard de Pékin dont elle reçoit des technologies à double-usage militaire et économique.

New Delhi, cependant, intègre largement sa politique à l'égard de l'Ukraine comme relevant de sa doctrine d’autonomie stratégique dans un environnement de plus en plus instable et imprévisible, avec des pôles émergents concurrents en Asie. L'abstention systématique de l'Inde sur les résolutions du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale des Nations unies concernant l'Ukraine, depuis le début de la guerre, est en contradiction flagrante avec sa défense des principes de souveraineté et d'intégrité territoriale. La question est donc de savoir quels sont les intérêts à long terme de l'Inde vis-à-vis de la Russie.

L'Inde a un intérêt géostratégique à ce que la guerre en Ukraine prenne fin, ce qui serait susceptible de réduire la dépendance actuelle de Moscou à l'égard de Pékin dont elle reçoit des technologies à double-usage militaire et économique.

Tout d'abord, New Delhi voit en Moscou un contrepoids à la Chine. Par conséquent, l'intérêt prioritaire de l'Inde est de garder la Russie de son côté, en raison des tensions frontalières persistantes avec la Chine, et cela passe devant ses partenariats avec les pays occidentaux. Les vues de l’UE et de l'Inde sont clairement opposées sur ce point, bien que les deux pays regardent avec inquiétude la consolidation potentielle d'une alliance Russie-Chine. Quoi qu’il en soit, le positionnement de l'Inde à l'égard de la guerre en Ukraine n’a eu que peu d'impact sur les politiques de l'UE à l'égard de New Delhi jusqu'à présent.

Deuxièmement, pour des raisons géoéconomiques, l'Inde a un intérêt évident dans les matières premières et les exportations mondiales de la Russie. New Delhi a bénéficié massivement des importations de pétrole russe moins chères, comme le montre la croissance de 66 % des échanges commerciaux en 2023. Jusqu'à présent, les deux pays ont réussi à contourner les sanctions européennes mais, pour maintenir cette situation, l’Inde devra mettre au point un mécanisme de paiement durable, qui ne soit pas la roupie indienne, afin d'éviter une conversion en dollars américains. Un déséquilibre commercial global existe entre les deux pays, dont bénéficie la Russie, bien que les exportations indiennes vers la Russie augmentent. Le pourcentage des exportations d'armes russes vers l'Inde a diminué, quoique le pays reste la première destination des armes russes pour la période 2019-23, suivi par la Chine.

Troisièmement, New Delhi s'attache également à développer ses réseaux de transport et le "récit" qui les entourent. Pour l’Inde, l'accès de la Russie à la route commerciale de la mer du Nord à travers l'Arctique est un atout essentiel, qui facilite notamment la diversification de ses routes commerciales. Elle reconnaît également que le développement du corridor international de transport nord-sud (INSTC) pourrait être davantage entravé par une administration américaine Trump hostile à l'Iran. La route maritime Chennai-Vladivostok est donc une alternative bienvenue, d'autant plus qu'elle permet d'accroître les investissements indiens dans l'Extrême-Orient russe. L'agriculture, l'exploitation minière, la main-d'œuvre, l'énergie (y compris nucléaire), la biotechnologie et le transport maritime ont fait partie des discussions du sommet Inde-Russie. Les projets communs indo-russes en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est se multiplient également, comme le montrent les cas des centrales nucléaires au Bangladesh ou de la production et de l'exportation conjointes de missiles au Viêt Nam et aux Philippines.

Enfin, la région indo-pacifique présente un intérêt géostratégique croissant pour Moscou, qui y voit le moyen de compenser sa confrontation avec les puissances occidentales à la suite de l'invasion russe de l'Ukraine. Par le passé, Moscou a considéré le concept d’"indo-pacifique" comme une stratégie d'endiguement dirigée contre la Chine et comme un effort pour promouvoir un système à deux blocs en Asie. Son intérêt initial pour l'océan Indien remonte à son intervention en Syrie et à la sécurisation de sa présence en mer Rouge. Après le déclenchement de la guerre en Ukraine, garantir la sécurité de la navigation des navires russes dans l'océan Indien est devenu impératif tant pour son économie que pour nourrir sa population et un engagement maritime plus étroit avec l'Inde est devenu essentiel.

Aller de l'avant : L'importance des partenaires européens pour l'Inde ?

Il est probable que le gouvernement de Modi cherchera à maintenir un engagement actif avec ses partenaires européens, comme ce fut le cas dans son précédent mandat. La participation de Narendra Modi au sommet du G7 qui s'est tenu en Italie au début de l'année en témoigne. L'Europe, et de plus en plus l'UE en tant qu'acteur à part entière, s'accorde bien avec la vision multipolaire du monde du gouvernement indien. New Delhi, qui tient à conserver son autonomie stratégique, sait bien comment équilibrer ses partenariats plurilatéraux par des accords minilatéraux et thématiques. Il en va de même pour ses principaux partenaires européens, à savoir la France, l'Allemagne et les pays nordiques. Certains pays d'Europe centrale et méridionale (tels que la Pologne et la République tchèque ou l'Italie et la Grèce) sont également de plus en plus considérés comme stratégiques, ainsi que l’illustrent les nationalités des invités spéciaux européens qui ont participé aux récentes éditions du très médiatisé dialogue de Raisina organisé par l'Inde.

L'Europe, et de plus en plus l'UE en tant qu'acteur à part entière, s'accorde bien avec la vision multipolaire du monde du gouvernement indien.

L'engagement bilatéral de l'Inde avec ses partenaires européens, y compris l'UE, n’est pas sans comporter une importante réserve, à savoir leur ambiguïté vis-à-vis de la Chine. S. Jaishankar l'a ouvertement reconnu dans le cas de l'Allemagne, en soulignant la nécessité de résoudre la position de Berlin et son dilemme actuel à l’égard de la Chine.

Le lien entre la Russie et la Chine est une autre source de préoccupation croissante pour New Delhi. Il est peu probable que les pays européens cherchent à créer un partenariat avec Moscou dans le contexte de la guerre de la Russie contre l'Ukraine. L'Inde peut le faire et le fait déjà de son côté. Les pays européens se contenteront probablement de garder le même silence désapprobateur concernant la position de New Delhi sur la guerre de la Russie en Ukraine, comme ils l'ont fait jusqu'à présent.

L'évolution actuelle des pouvoirs dans la région indo-pacifique influencera encore davantage les relations de l'Inde avec ses partenaires européens. Il est possible d'élargir la collaboration entre l'UE et l'Inde à des enjeux clés tels que le domaine maritime, les initiatives de routes commerciales et un partenariat technologique plus approfondi, comme nous l'avons déjà vu ces dernières années. Le résultat des élections américaines influencera également la politique étrangère des pays occidentaux et l'établissement de partenariats trilatéraux entre ces derniers et l'Inde. Les accords fondés sur les intérêts communs et les enjeux partagés constituent un canal utile pour la future collaboration indo-européenne dans des domaines géostratégiques tels que les technologies quantiques, l'espace ou les matières premières essentielles.

Copyright image : Mast IRHAM / POOL / AFP

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