AccueilExpressions par Montaigne [Le monde de Trump] - "C’est en Europe que l’on est désemparé face à Trump : pas en Afrique"La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Moyen-Orient et Afrique30/07/2025ImprimerPARTAGER [Le monde de Trump] - "C’est en Europe que l’on est désemparé face à Trump : pas en Afrique"Auteur Michel Duclos Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie Découvreznotre série Le monde de TrumpEn Afrique comme ailleurs, la Maison-Blanche déploie une approche nouvelle. Enjeux sécuritaires, questions de gouvernance, intérêts économiques : à l’heure des désillusions démocratiques, comment est reçue la méthode Trump en Afrique et comment la caractériser ? Les Européens sont-ils hors jeu ? Michel Duclos s’entretient avec Nathalie Delapalme, ancienne conseillère pour l’Afrique et pour le développement de différents cabinets ministériels français, co-secrétaire générale de la Fondation Afrique-Europe et directrice exécutive de la Fondation Mo Ibrahim consacrée à la gouvernance en Afrique. Institut Montaigne - Comment caractériser l’approche de Donald Trump en Afrique ?Nathalie Delapalme -L’Afrique est une illustration parfaite de la diplomatie présidentielle américaine : son fil conducteur, c’est celui des intérêts américains - notamment économiques. C'est d’ailleurs l’argument majeur au nom duquel la fermeture brutale de l’USAID a été annoncée le 3 février par Donald Trump. C’est aussi celui qui fonde en grande partie son approche de la résolution des conflits.Ainsi le conflit RDC- Rwanda : un accord de paix a été signé le 27 juin à la Maison-Blanche entre la République démocratique du Congo et le Rwanda, en présence de Marco Rubio (secrétaire d’État américain) et sur la base de la médiation qatari (les présidents Paul Kagamé et Félix Tshisekedi avaient été reçus mi-mars à Doha). Donald Trump s’est félicité des espoirs de paix dont il considère qu’ils sortent renforcés des discussions car elles étaient fondées sur la complémentarité des intérêts miniers : la République démocratique du Congo a les ressources brutes, le Rwanda les capacités de raffinage et d’exploitation. Il s’agissait aussi d’éviter impérativement que la Chine ne prenne trop largement pied en Afrique sur les minerais critiques : contrer l’influence de la Chine est un autre fil conducteur. Donald Trump ne s’intéresse aucunement à l’Afrique à travers les enjeux de gouvernance, de droits humains, d’aide au développement, de transparence ou de démocratie. L’Afrique, pour lui, est une véritable "nouvelle frontière", un continent où faire des affaires, un immense marché en croissance, un vivier de main-d’œuvreIl serait en tout cas faux de dire que Donald Trump ne se préoccupe pas de l’Afrique ; au contraire, il s’en occupe davantage que ses prédécesseurs, d’autant plus que l’emprise de la Chine sur le continent l’irrite au plus haut point. Ce qui est exact, c’est que Donald Trump ne s’intéresse aucunement à l’Afrique à travers les enjeux de gouvernance, de droits humains, d’aide au développement, de transparence ou de démocratie. L’Afrique, pour lui, est une véritable "nouvelle frontière", un continent où faire des affaires, un immense marché en croissance, un vivier de main-d’œuvre (au moment du Covid, les États-Unis avaient ouvert très largement leurs procédures de visa pour faire venir du personnel soignant), un réservoir de ressources naturelles indispensable pour que les États-Unis soient compétitifs dans l’économie globale verte qui se dessine et maîtrisent, sinon dominent, l'accès aux minerais critiques…Le fait que Donald Trump ait choisi son conseiller spécial Afrique/Moyen-Orient, Massad Boulos, beau-père de sa fille Tiffany, dans son premier cercle familial est significatif, et le poids de ce dernier s’est accru avec le départ mi-juillet du diplomate de carrière Troy Fitrell. La méthode très personnelle du Président, qui lui vaut jusqu’ici un certain succès, est éprouvée : mettre sur la table des conditions maximalistes, apparemment inacceptables, puis les négocier à la baisse jusqu’à une position médiane qui reste en réalité très avantageuse pour les États-Unis. La partie adverse se considère alors relativement satisfaite quand elle voit les exigences américaines être abaissées de moitié, pour inacceptables qu’elles eussent pu sembler si elles avaient été posées telles quelles dès le départ. Un autre point fort de la méthode Trump est qu’il ne traite pas le continent africain comme une entité unique et indistincte - il a raison. Ses interlocuteurs, traités chacun à part entière, et égale, et non comme la part indistincte d’un grand tout continental, y voient une marque de respect…Son administration adopte une approche différenciée par pays, conclut des deals adaptés avec chaque capitale et néglige l’Union africaine comme les instances multilatérales où se débattent les sujets globaux. L’absence d’un représentant américain de haut niveau à la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement, qui s’est tenue à Séville du 30 juin au 3 juillet, est à cet égard significative. C’est dans cet esprit bilatéral que le président américain a reçu à la Maison-Blanche ses homologues du Liberia (Joseph Nyumah Boakai), du Sénégal (Bassirou Diomaye Faye), de Mauritanie (Mohamed Ould El-Ghazaouani), de Guinée-Bissau (Umaro Sissoco Embaló) et du Gabon (Brice Clotaire Oligui Nguema) le 9 juillet. Il faut aussi voir en creux dans cette liste d’invités ceux qui ont été négligés du fait de leur proximité trop grande avec la Chine, comme le dirigeant du Congo-Brazzaville. Donald Trump fait jouer la concurrence... IM - C’est-à-dire avec les Européens, et notamment les Français et les Britanniques? ND - Oui, mais pas seulement. Le monopole occidental sur le continent africain est depuis longtemps révolu, si tant est qu’il ait jamais existé. La Chine et la Russie n’en sont pas non plus les seuls concurrents, loin de la. Les pays du Golfe, la Turquie, l’Inde, la Corée du Sud, le Brésil, l’Iran par exemple sont présents depuis longtemps, à plus ou moins bas bruit.MD - Comment Donald Trump est-il perçu et reçu par les Africains ?ND - Avec intérêt, en réalité. C’est en Europe que l’on est désemparé ou consterné face à Donald Trump, pas en Afrique, qui perçoit mieux les positions de la Maison-Blanche que celles de l’Élysée … L’approche "transactionnelle" de Donald Trump séduit, parce qu’elle donne le sentiment d'être traité en partenaire digne d'intérêt. C’est là en réalité son point le plus fort, qui le démarque des partenaires traditionnels qui continuent trop souvent de fonder leur approche sur des notions - "valeurs communes", "solidarité", "devoir moral","liens historiques".....qui inspirent aux dirigeants comme à la jeuness africaine une défiance croissante .Ainsi le fil conducteur de la Conférence de Séville est resté le mot "aide", que les Africains (tant les dirigeants que la jeunesse) ont en horreur.On évoque beaucoup les conséquences dramatiques des coupes de l’US AID sur le budget des pays africains : en réalité, l’impact est de moins de 1 % dans 52 des 54 pays du continent.On évoque beaucoup les conséquences dramatiques des coupes de l’US AID sur le budget des pays africains : en réalité, l’impact est de moins de 1 % dans 52 des 54 pays du continent, et ne dépasse de peu 1 % que pour le Liberia et le Botswana. En revanche, l’impact des droits de douane est potentiellement autrement plus redoutable. Trade, not aid….IM - Quelle est la place, dans ce panorama global, de l’Afrique du Sud, qui pèse d’un poids particulier sur le continent et dans les institutions multilatérales ? ND -L’Afrique du Sud, première économie du continent, 6e pays le plus peuplé, pays fondateur du groupe des BRICS, premier pays africain à présider le G20, est évidemment un poids lourd du continent. Mais il privilégie clairement le " Sud Global", au détriment d’un monde occidental et d’un système multilatéral qu’il considère obsolètes. Les relations actuelles entre les états-Unis et l’Afrique du Sud sont particulièrement tendues, en partie sans doute à cause de l’influence d’Elon Musk. IM - Dans cet agenda commercial, quelle est la place des enjeux sécuritaires ou démocratiques ? ND -Encore une fois, la défense de la démocratie n’est pas la priorité de Donald Trump. La sécurité l’est en revanche incontestablement, avec la poursuite de la lutte contre le terrorisme. Le poids des militaires auprès du président américain est évident et le partenariat avec les pays africains plus que jamais essentiel pour la lutte anti-terroriste et le renseignement. Au Niger par exemple, les États-Unis sont à la fois soucieux de bénéficier des ressources en uranium et d’assurer la préservation de l’importante base militaire sur laquelle ils avaient beaucoup investi. Les soldats américains avaient quitté la base d’Agadez après le coup d’État contre le président Mohamed Bazoum à l’été 2023. Mais dès avril dernier, Troy Fitrell, alors haut responsable du Bureau des Affaires africaines américain, a rencontré le Premier ministre Ali Mahamane Lamine Zeine pour poser de nouvelles bases à la coopération entre les deux pays. Lors de sa dernière réunion annuelle, à Nairobi en mai dernier, Africom, le Commandement des États-Unis pour l'Afrique (qui dépend du Département de la Défense), a convié les chefs militaires des trois juntes sahéliennes- Mali, Niger, Burkina Faso. Dès mars dernier, une délégation AFRICOM s’est rendue à Bamako, première interaction depuis cinq ans. IM - Certes, la Maison-Blanche ne se préoccupe plus ni de gouvernance ni de droits de l’homme ni de démocratie : pour autant, n’est-il pas difficile de traiter avec des États faillis ? Ne croyez-vous pas que la détérioration du niveau de démocratie dans des pays qui s’étaient convertis il y a une quinzaine d’années entraîne une désillusion généralisée, laquelle correspond assez bien au "moment Trump"? ND - Incontestablement, la désillusion à l'égard du modèle démocratique occidental et le recours aux "hommes forts" s'accroît. Depuis un quart de siècle, si la progression économique moyenne du continent est réelle, elle recouvre un accroissement des inégalités, à la fois entre les États et en leur sein. La situation en termes de sécurité, d'État de droit et de participation démocratique se détériore de nouveau de façon préoccupante depuis plusieurs années. L’absence de perspectives nourrit les frustrations d’une jeunesse aujourd'hui largement majoritaire, accroît l'attractivité des réseaux terroristes et criminels, et alimente l'instabilité. La désillusion à l'égard du modèle democratique occidental et le recours aux "hommes forts" s'accroît. Depuis un quart de siècle, si la progression économique moyenne du continent est réelle, elle recouvre un accroissement des inégalités, à la fois entre les États et en leur sein.Mais il est essentiel de mesurer que la démocratie ne peut pas se résumer à la tenue d’élections présidentielles à échéances éloignées, qualifiées de "libres et transparentes" par des observateurs étrangers... Peut-être est-ce moins le principe même de la démocratie qui se trouve contesté, que son modèle représentatif occidental.IM - Assistons selon vous à un moment "moyennes puissances", qui offrirait une opportunité unique pour que ces pays s’organisent ? Ou ce moment se referme-t-il déjà, les moyennes puissances préférant traiter de manière unilatérale avec des partenaires, qu’ils soient Donald Trump ou d’autres, dans une époque qui serait celle du multi-alignement ? ND - Sans doute en effet le moment des alliances gravées dans le marbre - friend or foe- est-il passé, où l'on pouvait compter les siens quel que soit le sujet sur la table. Se met désormais en place un modèle plus volatile de coalitions successives et changeantes, en fonction du sujet, moins conforme au mode de fonctionnement des diplomaties traditionnelles.Ainsi, la relation entre l’Europe et l’Afrique se fonde moins désormais sur une relation institutionnelle forte entre Union européenne et Union africaine, ou même entre grands pays du continent africain et pays fondateurs de l’UE, que sur un maillage complexe, évolutif, tissé de partenariats bilatéraux, souvent essentiellement économiques, en tout cas pragmatiques, entre puissances moyennes des deux côtés. Envisager de nouvelles relations par enjeux, très fluides, pourrait être une manière intelligente de mettre à profit la période de crise actuelle. Mais il faut aussi "changer de métrique". En matière de "partenariat pour le développement" cesser de jauger la relation avec le continent africain à l'aune du seul montant des engagements financiers mis sur la table. De plus en plus limités par les restrictions budgétaires des bailleurs historiques et la priorité croissante donnée aux budgets militaires, et de toute façon de moins en moins respectés, ces engagements ne font que nourrir ressentiment et défiance. En revanche, il faut impérativement revoir les processus, qui trop souvent bloquent les résultats recherchés. Prenez l’exemple des droits de tirage spéciaux [DTS, un actif de réserve de change international que les détenteurs peuvent échanger contre des devises en cas de crise de la balance des paiements] : le mécanisme d'attribution actuel reste essentiellement lié aux quote-parts définis par le poids respectif des PNB : autant dire qu’il entretient les inégalités entre pays. De fait, les 650 milliards de DTS additionnels qui avaient été débloqués par le FMI- en grande partie sous la pression de la France- pour appuyer la lutte contre l’impact de la crise Covid n’ont pratiquement pas bénéficié aux pays qui en auraient le plus besoin. Plus de trois ans après, on continue de "chercher une solution".... Dans le fond, comme pour la démocratie, pour sauver le principe du multilatéralisme, il faut accepter de changer le système. Mais sans doute paye-t-on aujourd'hui le prix de ces "institutions fortes" qui préconisent si volontiers le changement aux autres, et y sont elles-mêmes si rétives. IM - Peut-on compter, pour cette réinitialisation, sur l’appui ou du moins l’indifférence de Donald Trump ?Dans le fond, comme pour la démocratie, pour sauver le principe du multilatéralisme, il faut accepter de changer le système.ND - Donald Trump pourrait aller dans le bon sens, si on lui présente un argumentaire adapté : ne pas parler de valeurs communes ou de devoir moral ; mais simplement démontrer à quel point l’intérêt américain, qu’il soit économique ou sécuritaire, est en jeu. Propos recueillis par Hortense Miginiac Copyright image : Alan DucarreImprimerPARTAGERcontenus associés 23/07/2025 [Le Monde de Trump] - Proche et Moyen-Orient : "Les pays arabes ont la bonn... Michel Duclos 23/07/2025 [Le Monde de Trump vu d’Asie centrale] - Michaël Levystone : "Le revers de ... Michel Duclos 15/07/2025 [Le monde de Trump vu d’Indonésie] - Dino Patti Djalal "Le monde n’a pas be... Michel Duclos