AccueilExpressions par Montaigne[Le Monde de Trump vu d’Asie centrale] - Michaël Levystone : "Le revers de la méthode Trump est son...La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne États-Unis et amériques Asie23/07/2025ImprimerPARTAGER[Le Monde de Trump vu d’Asie centrale] - Michaël Levystone : "Le revers de la méthode Trump est son intransigeance : c’est tout ou rien"Auteur Michel Duclos Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie Découvreznotre série Le monde de TrumpLes cinq républiques d’Asie centrale, Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan et Kirghizstan, sont à la confluence des sphères d’influence russe et chinoise. Susceptibles de jouer les médiatrices avec certains pays de la région, très attachées au multilatéralisme et au respect de la souveraineté des nations, riches de minerais stratégiques, elles suscitent les convoitises et veillent jalousement à rester neutres : comment accueillent-elles les bouleversements des relations internationales dont Donald Trump est le symptôme ? Quelles sont les limites de l’approche américaine ? L’Europe peut-elle offrir une quatrième voie face aux États-Unis, à la Russie et à la Chine ? Michel Duclos s’entretient avec Michaël Levystone, co-fondateur de l'Observatoire de la Nouvelle Eurasie (ONE) et auteur de L’Asie centrale en 100 questions (Tallandier). Institut Montaigne - Qu'est-ce qui vous paraît caractériser l’approche de Donald Trump en Asie centrale ? Michaël Levystone - Trois caractéristiques de la diplomatie de Donald Trump méritent d’être mises en avant pour tenter de comprendre quelles pourraient être les relations de la nouvelle administration américaine avec l’Asie centrale : son approche transactionnelle des relations internationales, le primat qu’il accorde au bilatéralisme et sa rivalité obsessionnelle avec la Chine.S’agissant de l’approche transactionnelle de Donald Trump, elle devrait être assez bien reçue en Asie centrale. Les régimes politiques de cette région, très portés sur l’autoritarisme, apprécieront à n’en pas douter que la nouvelle administration américaine se montre moins regardante sur les droits de l’homme, le pluralisme politique et peut-être même le contournement des sanctions anti-russes que celle de Joe Biden, dans l’optique de faire prévaloir une approche résolument "business oriented". En quête de sources alternatives à la Chine pour l’approvisionnement en terres rares de leurs entreprises opérant dans les secteurs de la défense et des innovations, les États-Unis manifestent, depuis la présidence Biden, un intérêt grandissant pour le potentiel de l’Asie centrale, dont l’attractivité en la matière ne devrait assurément pas faiblir aux yeux des investisseurs américains sous la présidence de Donald Trump.Concernant l’hostilité du président Trump à la diplomatie multilatérale, elle est quelque peu en décalage avec la dynamique observée en Asie centrale depuis 2018, et le lancement réussi, à Astana, des Réunions consultatives des chefs d’État d’Asie centrale. Cette plateforme de dialogue, qui rassemble les leaders centrasiatiques chaque année pour parler de leurs intérêts et défis communs, a acculturé aux vertus du dialogue multilatéral des pays qui avaient pour habitude de s’affronter sur des normes douanières, ou pour l’accès à l’eau, comme cela a été le cas entre le Kirghizstan et le Tadjikistan dans le Ferghana, jusqu’à ce que ces deux pays concluent un accord de paix, le 13 mars dernier. Ce que l’on observe depuis le déclenchement des hostilités en Ukraine, c’est que l’Asie centrale est de plus en plus approchée par les puissances extérieures par le biais du multilatéralisme : ainsi des États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), de l’Inde, de l’UE, et de puissances européennes agissant en propre (Allemagne, Italie). Les États-Unis s’étaient, pour leur part, dotés de leur propre mécanisme de dialogue multilatéral avec les États centrasiatiques (C5+1) en 2015, sous la présidence de Barack Obama. Sans être condamné à disparaître sous l’administration Trump - qui pourrait, sur les conseils du Caspian Policy Center, vouloir l’étendre aux pays du Caucase (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie) -, le C5+1 ne sera pas, a priori, l’outil de dialogue privilégié par le nouveau président américain pour intensifier ses synergies avec les pays d’Asie centrale. Cela n’est pas forcément très gênant, car, une fois encore, le multilatéralisme est quelque chose de relativement nouveau (et encore non institutionnalisé) en Asie centrale. Et il n’est clairement pas à exclure que Donald Trump vienne, au cours de son mandant, poser le pied en Ouzbékistan ou au Kazakhstan, pour la première visite d’un président américain en Asie centrale…Pour ce qui est de la rivalité américano-chinoise, les États-Unis auront énormément de difficultés à découpler l’Asie centrale de la Chine, qui trône très loin en tête des partenaires commerciaux de la région.Pour ce qui est de la rivalité américano-chinoise, les États-Unis auront énormément de difficultés à découpler l’Asie centrale de la Chine, qui trône très loin en tête des partenaires commerciaux de la région : à titre de comparaison, la Chine avait réalisé en 2023 pour 90 milliards de dollars d’échanges avec l’ensemble des cinq pays d’Asie centrale (soit le double de l’UE, premier partenaire en affaires du géant kazakhstanais), quand les États-Unis ne franchissaient pas la barre des 5 milliards.Par ailleurs, sur toutes les filières économiques d’avenir en Asie centrale, qu’il s’agisse des terres rares déjà évoquées, mais également des énergies vertes (hydro-électricité au Kirghizstan et au Tadjikistan, par exemple) et de la connectivité (Silk Road Economic Belt et Middle Corridor), de nombreux projets sont déjà financés et mis en œuvre par des entreprises chinoises. Enfin, sur un plan politique, les grandes libertés prises par l’administration Trump avec le respect de l’intégrité territoriale des États (ambition d’incorporer le Canada comme 51e État américain, contestation de la souveraineté danoise sur le Groenland), n’ont pas de quoi ravir les Centrasiatiques, qui composent déjà avec le néo-impérialisme débridé de la Russie. Ici, la Chine a, de nouveau, un réel avantage comparatif par rapport aux États-Unis : son soutien univoque, inconditionnel à l’intégrité territoriale des républiques d’Asie centrale, tel qu’affirmé par Xi Jinping, en face-à-face, au président kazakhstanais Kassym-Jomart Tokaïev, à Astana en septembre 2022, pour le premier déplacement international du chef de l’État chinois depuis la pandémie de Covid-19.Aussi, l’intransigeance trumpienne - autre caractéristique de son approche des relations internationales -, consistant à obtenir un ralliement complet de ses interlocuteurs à sa cause, à défaut de quoi ils sont considérés comme des adversaires de Washington (surtout lorsqu’il s’agit de les détourner de la Chine), pourrait se heurter à des fins de non-recevoir à Tachkent [Ouzbékistan], Astana [Kazakhstan], Bichkek [Kirghizstan], Douchanbé [Tadjikistan] et Achkhabad [Turkménistan].IM - Dans quelle mesure la région occupe-t-elle une place stratégique dans la grande compétition États-Unis / Chine aux yeux de l’administration Trump ? ML - Chacun des cinq pays d’Asie centrale présente des opportunités assez différentes pour les États-Unis, et la Maison-Blanche, comme je l’ai dit, cherche à nouer des relations bilatérales.Le Kazakhstan est un interlocuteur intéressant pour Washington. Le pays est un phare diplomatique, très majoritairement russophone et frontalier de la Russie sans être aligné sur Moscou pour autant, tel que l’a montré la politique étrangère conduite par Astana depuis les événements de 2022 [lors des révoltes de "Janvier sanglant", du 2 au 10 janvier 2022, parties de la libéralisation du prix des carburants, le président Tokaïev a dû faire appel à Moscou afin que 3 000 militaires russes soient déployés au Kazakhstan]. L’autre atout du Kazakhstan est qu’il joue les médiateurs auprès des Russes sur certains dossiers ultra-sensibles (tensions bilatérales avec la Turquie en 2015-2016, processus d’Astana sur la guerre civile syrienne en 2017). C’est aussi le seul pays co-fondateur, aux côtés de Moscou, de toutes les principales organisations de la région (Organisation de coopération de Shanghai, Organisation du Traité de sécurité collective, Union économique eurasiatique). Le Kazakhstan est par ailleurs un grand producteur de pétrole (mais également d’uranium) : si le pays développait ses capacités de production de pétrole pour inonder les marchés et faire baisser les cours, ce serait très positif pour les États-Unis - et pour les gains de pouvoir d’achat promis par l’actuel président pendant sa campagne. La difficulté pour le Kazakhstan n’est donc pas tant de produire du pétrole que de l’exporter et en la matière, la Russie (et son port de Novorossiïsk, donnant sur la mer Noire) offre au Kazakhstan une voie de transit capitale pour approvisionner les clients occidentaux d’Astana. Or, la Russie a voulu faire payer à son voisin son manque de soutien sur le dossier ukrainien depuis 2022 en bloquant, par intermittence, cet accès à son territoire, parfois sur des motifs fantaisistes. Le président Tokaïev installe un discret rapport de force avec Vladimir Poutine. En 2022, il avait même affirmé à Margarita Simonian, la rédactrice en chef de RT, que le Kazakhstan ne reconnaîtrait jamais l'annexion russe des régions ukrainiennes de Lougansk et de Donetsk, pour ne pas devoir reconnaître aussi tous les autres micro-États du monde… La résistance à la Russie n'est pas frontale, mais elle existe, ce qui suscite des tensions larvées qui s’expriment insidieusement des deux côtés.La résistance à la Russie n'est pas frontale, mais elle existe, ce qui suscite des tensions larvées qui s’expriment insidieusement des deux côtés.L'Ouzbékistan est aussi un partenaire stratégique, qui a bien anticipé le retour des Talibans en Afghanistan. Dès l’arrivée de Chavkat Mirzioïev au pouvoir en 2016, Tachkent a mis en œuvre une diplomatie proactive avec Kaboul, nouant le dialogue avec toutes les factions politiques de l’Afghanistan, Talibans inclus.L'Ouzbékistan sert d’authentique courroie de transmission pour ce qui concerne l’acheminement des aides internationales en Afghanistan depuis la reconquête du pouvoir à Kaboul par les Talibans, le 15 août 2021. L’Ouzbékistan s’est fait très bien voir par l’administration Trump pour avoir accepté de rapatrier, à ses propres frais, des migrants clandestins centrasiatiques (et non pas exclusivement de nationalité ouzbékistanaise) parvenus aux États-Unis. Le président Mirzioïev s’est aussi illustré pour avoir été le premier chef d’État centrasiatique à féliciter Donald Trump pour sa réélection et, en février dernier, Tachkent a renvoyé aux États-Unis 7 hélicoptères BlackHawks exfiltrés en Ouzbékistan au cours de l’été 2021 par des pilotes de l’armée de l’Air afghane en fuite face à la poussée talibane vers Kaboul.Les relations avec les trois autres pays centrasiatiques sont de moindre importance. Le Turkménistan gravite autour de l’Iran et fournit du gaz à la Chine, c’est un pays qui échappe à l’intérêt américain. Le Kirghizstan est surtout un hub commercial (pour les contrefaçons chinoises) et bancaire vers les autres pays de la région et la Russie, il intéresse peu Washington. Au Tadjikistan, les États-Unis ont à cœur la stabilité du pays, qui partage une longue frontière avec l'Afghanistan et fait figure de digue face à une potentielle déferlante djihadiste sur l'ensemble de la région : ils ont ainsi organisé un exercice de contre-terrorisme dans le pays au cours de l'été 2022, année durant laquelle les États-Unis ont aussi livré des équipements militaires au Tadjikistan, notamment des drones.IM - Précisément les domaines où Donald Trump saborde le soft power américain … Cela amène la question russe. Donald Trump n’est pas perçu comme un rempart face à l'expansionnisme poutinien. De plus, la région est globalement favorable à l’Ukraine et craint à la fois les appétits russes et les conséquences économiques de la guerre. Les Kazakhstanais ne craignent-ils pas d’être les prochains sur la liste ? Les États-Unis apparaissent-ils comme une alternative crédible face à la Russie et la Chine ? ML -Depuis des mois, Moscou distille des discours très agressifs : envers les pays baltes, la Moldavie, l’Arménie (qui remet en cause son alliance avec Moscou depuis le lâchage lors de l'invasion du Haut-Karabagh/Artsakh par l'Azerbaïdjan - Nikol Pachinian boude d’ailleurs systématiquement les réunions de l’Organisation du Traité de sécurité collective, OTSC)...Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, plus particulièrement, essaient de ne pas se laisser entraîner dans l'orbite russe. Les présidents kazakhstanais et ouzbékistanais se sont rendus à reculons au sommet des BRICS de Kazan et quand un officiel russe a affirmé qu’Astana allait rejoindre les BRICS, le président Tokaïev a immédiatement démenti : les deux pays n'acceptent, depuis le 1er janvier 2025, que le statut de "partenaire de dialogue" des BRICS pour donner le change à Moscou, sans s'aliéner les Occidentaux. Ils doivent en permanence jouer les funambules. IM - Est-ce qu’une stratégie régionale concertée se dessine vis-à-vis du nouveau dirigeant américain et de ses rivaux chinois et russe ? ML- Avec les États-Unis, une telle approche est compromise. Un sommet C5+1 s’était bien tenu le 1er novembre 2015 à Samarcande et avait rassemblé les chefs des diplomaties des 5 pays d’Asie centrale et des États-Unis et, en septembre 2023, Joe Biden avait reçu ses cinq homologues centrasiatiques - à savoir Kassym-Jomart Tokaïev (Kazakhstan), Chavkat Mirzioïev (Ouzbékistan), Serdar Berdymoukhamedov (Turkménistan), Sadyr Japarov (Kirghizstan) et Emomali Rakhmon (Tadjikistan) - pour réévaluer à la hausse le dialogue et les coopérations américano-centrasiatiques. Toutefois, Donald Trump est connu pour son hostilité à la diplomatie multilatérale, donc il est à croire que les choses vont se faire plutôt à travers un prisme bilatéral.Le sentiment de sympathie pro-iranien qui prévalait en Asie centrale ne s’est pas traduit dans des actes concrets.Les cinq États d’Asie centrale sont avant tout prudents ; leurs dirigeants s’illustrent par leur neutralité sur les dossiers sensibles. IIs veillent à ne pas prendre position. Ainsi, lors de la Guerre des 12 jours menée par Israël et les États-Unis contre l’Iran, le sentiment de sympathie pro-iranien qui prévalait en Asie centrale ne s’est pas traduit dans des actes concrets ou une aide quelconque à Téhéran.Ces États sont avant tout des pays enclavés qui aspirent à être intégrés aux circuits économiques mondiaux - en cela, l’appel d’air généré par la guerre en Ukraine et ses conséquences économiques leur est déjà profitable. Le Turkménistan et l’Ouzbékistan cherchent à rejoindre l’OMC (dont les trois autres États centrasiatiques sont déjà membres), ce qui implique qu’il leur faille avoir de bonnes relations avec les États-Unis. D’un autre côté, Achkhabad comme Tachkent accusent des liens de dépendance tant vis-à-vis de la Russie que de la Chine, tout en entretenant des liens avec l’Iran et en s’employant à développer des coopérations plus abouties avec l’Europe.Parmi leurs partenaires, la Chine tient quand même une place à part : là où Moscou est perçu comme vecteur d'instabilité, Pékin fait figure de partenaire fiable. La première visite à l’étranger de Xi Jinping après le Covid s’est faite en septembre 2022 au Kazakhstan, où le président chinois a affirmé à Kassym-Jomart Tokaïev le soutien total de Pékin à l'intégrité territoriale d’Astana. En Asie centrale, on tend un peu moins à considérer Pékin comme le "Vampire du Milieu", et davantage comme un allié aux vues convergentes sur le respect de l’intégrité territoriale des États - en un mot, comme une puissance régionale sécurisante et stabilisatrice. Face aux encouragements russes au démembrement des territoires ukrainien et géorgien (Ossétie du Sud, Abkhazie), Pékin - qui n’a pas davantage reconnu l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie que l’une quelconque des régions ukrainiennes annexées par Vladimir Poutine depuis 2014 - paraît même plus digne de confiance que Washington. Symétriquement, Taïwan est considéré comme relevant légitimement du giron chinois, ainsi que le président Tokaïev l’a très clairement affirmé durant son échange tendu avec Vladimir Poutine et Margarita Simonian au cours de la vingt-cinquième édition du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, précédemment mentionné.Le mythe d’une division du travail en Asie centrale, entre la Russie qui servirait de gendarme et la Chine de banquier ne tient plus : la Chine est désormais bien plus que cela. Pékin s’est complètement affranchi de l’Organisation de coopération de Shanghai [OCS, créée en 2001 à partir du "Groupe de Shanghai" établi en 1996 et qui regroupe à ce jour la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, l'Inde, le Pakistan, l'Iran et le Bélarus] pour dialoguer en propre avec l’Asie centrale. Il n’est pas certain que Moscou apprécie de se faire marginaliser de la sorte dans une région qu’il estime ressortir de son pré-carré civilisationnel et stratégique… La Chine dispose d’un avant-poste militaire au Tadjikistan avec sa base du Haut-Badakhchan, à la frontière tadjiko-afghane - un coup de canif supplémentaire au leadership sécuritaire russe. Le Turkménistan, qui envoyait l’immense majorité de son gaz à la Russie jusqu’au début des années 2010, a réorienté ses exportations vers le marché chinois, aidé en cela par l’immense gazoduc financé par Pékin qui relie le gisement géant de Galkynych au Xinjiang par l’intermédiaire de l’Ouzbékistan et du Kazakhstan. Quitte à choisir, les Russes ont préféré voir cette gigantesque manne gazière se déverser à l’Est plutôt qu’en Europe ; ceci étant, cet intense partenariat énergétique sino-turkménistanais a ouvert la voie à d’autres coopérations. La Chine a ainsi vendu des drones et des missiles sol-air au Turkménistan, dès le milieu de la décennie 2010, avant d’étendre son activisme sécuritaire aux pays voisins (déploiement de sociétés militaires privées au Kirghizstan en 2016, année de l’implantation du premier avant-poste militaire chinois au Tadjikistan, dans la région autonome du Haut-Badakhchan, frontalière de l’Afghanistan). Aussi, dans la sphère sécuritaire, on peut dire que la Chine a réussi à renverser la table en l’espace de seulement quelques années.IM - Si les pays d’Asie centrale aspirent à être des puissances moyennes, cela implique déjà qu’elles accèdent au statut de puissance : le partenariat avec l’Europe pourrait-il le faciliter ? Quelles conclusions tirer pour la coopération entre puissances régionales et européennes ?ML -Les 3 et 4 avril derniers, un sommet a réuni, à Samarcande (Ouzbékistan), l’Union européenne et l’Asie centrale, à l’issue duquel une déclaration conjointe a montré des terrains de convergence : lutte contre le changement climatique, développement de la connectivité… Les sujets politiques ont été laissés à l’écart (droits de l’homme, questions sociétales).Au sein de l’Europe, des pays comme l’Allemagne et l’Italie disposent de leur propre plateforme de dialogue avec les cinq États d’Asie centrale. Tel n’est, à ce jour, pas le cas de la France, qui privilégie donc les relations bilatérales, en mettant tout particulièrement l’accent sur l’Ouzbékistan et le Kazakhstan.Au sein de l’Europe, des pays comme l’Allemagne (depuis septembre 2023) et l’Italie (depuis mai 2025) disposent de leur propre plateforme de dialogue avec les cinq États d’Asie centrale. Tel n’est, à ce jour, pas le cas de la France, qui privilégie donc les relations bilatérales, en mettant tout particulièrement l’accent sur l’Ouzbékistan et le Kazakhstan. Nicolas Sarkozy avait initié une coopération commerciale lors d’une visite à Astana en octobre 2009 et la France caressait, récemment encore, l’espoir d’être retenue pour construire une nouvelle centrale nucléaire dans le pays - un espoir douché par Rosatom.Emmanuel Macron et le président de l’Ouzbékistan ont une excellente relation personnelle ; Chavkat Mirzioïev s’est d’ailleurs rendu à Paris en mars 2025 pour une visite d’État. La France est une puissance considérée (et appréciée) en Asie centrale : Paris est doté de la bombe atomique, siège au Conseil de Sécurité des Nations unies, est intervenu en Afghanistan dans la foulée du 11 Septembre… L’Élysée a une vision régionale panoramique qui plaît. L'agriculture (les équipements sont très vétustes), la formation de médecins, la transition énergétique, les projets éoliens et solaires, le réseau hydraulique (au Turkménistan) sont autant de sujets où une coopération peut être envisagée (quand ce n’est pas déjà le cas). La France a aussi intérêt à collaborer avec les pays de la région, au regard de leur accès privilégié à la Russie, et des renseignements qu’ils peuvent fournir (singulièrement l’Ouzbékistan et le Tadjikistan) au sujet du voisin afghan.Néanmoins, l’Asie centrale est d’abord et avant tout dans l’orbite russe, même si elle cherche à atténuer cette dépendance, et est de plus en plus attirée par la Chine. Le Kazakhstan, pays le plus important de la région et supposé être "l’îlot de stabilité" préservé des crises qui ont émaillé la vie de la région depuis 1991, est par exemple tout à fait conscient que, sans l’Organisation du Traité de sécurité collective et l’aide de Moscou, le président Tokaïev aurait pu être renversé en janvier 2022. Si une nouvelle crise majeure devait venir ébranler ce pays, il est à croire qu’il se tournera, non pas vers la Chine ou la Turquie, mais bien vers la Russie, et ceci, en dépit des réelles tensions bilatérales nées de l’annexion russe de la Crimée et de Sébastopol le 18 mars 2014 et aggravées par l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022. Propos recueillis par Hortense MiginiacCopyright image : Alan DucarreImprimerPARTAGERcontenus associés 15/07/2025 [Le Monde de Trump vu par lui-même] - Walter Russell Mead "Trump est l'ambi... Michel Duclos 15/07/2025 [Le monde de Trump vu d’Indonésie] - Dino Patti Djalal "Le monde n’a pas be... Michel Duclos