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01/03/2024

La législation face à de nouvelles réalités sociétales

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La législation face à de nouvelles réalités sociétales
 Franck Morel
Auteur
Expert Associé - Travail et Dialogue Social

[série Réforme du travail : l'agenda social 2024 4/4] Quels sont les arbitrages et les défis auxquels les décideurs et les dirigeants doivent faire face pour personnaliser et fluidifier les droits ? La création d’un Compte épargne temps universel est un des thèmes de réflexion primordiaux du Pacte de la vie au travail mais il n’est pas le seul : adaptation du statut d’auto-entrepreneur, semaine de quatre jours, congés parentaux ou formation, ce quatrième épisode revient sur certaines pistes à même de rendre la législation plus proche des besoins des travailleurs.

Le Compte épargne temps universel : assurer la portabilité des droits

Emmanuel Macron en avait fait la promesse en 2022 : étendre à tous les salariés du privé l’actuel Compte épargne temps créé en 1994, qui jusqu’alors est resté un dispositif non obligatoire dans les entreprises. Il pourrait devenir universel, sous le nom de Compte épargne temps universel (ou CETU). Dans les entreprises qui n’ont pas mis en place un CET, les salariés auraient ainsi accès à un CETU externe, qui rendrait portables et monétisables les droits acquis par le salarié. Le portage et la monétisation de ce CETU seront un des points clefs des négociations sur le Pacte de la vie au travail. Quelques points de repères sont donnés dans le document d’orientation transmis aux négociateurs : pas de remise en cause des CET existants actuellement dans les entreprises et qui sont issus d’accords collectifs, gestion centralisée par un opérateur tiers du CETU instauré en complément des CET existants. Selon l’IGAS et l’IGF, seuls 22 % des salariés étaient titulaires en 2017 d’un CET avec, pour les salariés l’utilisant, un nombre moyen de jours stockés de 7,7 jours. Mais les questions et les difficultés sont nombreuses et rendent l’atterrissage incertain. En premier lieu, on peine à déceler la priorité parmi les trois principales finalités mises en avant par l’IGAS et l’IGF, entre la flexibilité dans la gestion pluriannuelle du temps de travail, la hausse du pouvoir d’achat par la conversion en argent de temps de repos ou la gestion de leur temps de travail tout au long de la vie par les actifs. Le document d’orientation et le discours de politique générale du Premier ministre semblent privilégier la dernière option mais comment la mettre en œuvre sans alourdir le coût du travail, la complexité ou la dette publique ?

Entre la flexibilité dans la gestion pluriannuelle du temps de travail, la hausse du pouvoir d’achat par la conversion en argent de temps de repos ou la gestion de leur temps de travail tout au long de la vie par les actifs.

Parmi les questions soulevées, en voici quelques-unes qui montrent que le point d’arrivée n’est pas encore à portée de main. Sur quelle base établir la conversion en salaire des jours de congé stockés sur le CETU puis utilisés (si le salaire du salarié a entre-temps augmenté) et qui finance la hausse éventuelle ? Comment financer les frais de gestion externalisée du CETU dans un contexte de finances publiques dégradé ? Comment garantir la confidentialité du montant des droits stockés et le fait que cette information ne freine pas l’embauche des actifs concernés ?

Une solution concrète et pragmatique pour avancer consiste sans doute à traiter une par une chacune des finalités à laquelle le CETU est censé répondre en évitant les écueils de ces questions.

  • Tout d’abord, pour faciliter la hausse du pouvoir d’achat, il faut permettre de convertir la cinquième semaine de congés payés, comme ce fut le cas temporairement pendant la crise Covid, et quelques jours fériés chômés, en rémunération supplémentaire. Cette mesure simple et directe qui peut être mise en œuvre même sans CETU augmenterait temps travaillé et pouvoir d’achat.
  • L’IGAS et l’IGF estiment que pour un salarié de 58 ans le rachat d’un trimestre de retraite se paye par deux ou trois de salaires. Mais il est sans doute également possible, et sans forcément qu’un CETU existe, de prévoir le versement à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) par l’employeur, sur demande explicite du salarié, du salaire correspondant à des temps de repos non pris ou à des éléments de rémunération, avec le paiement des charges sociales correspondantes qui serait ainsi effectué en une seule fois afin de racheter des trimestres de retraites ou de périodes pensionnées avant liquidation de la retraite et sur la base du niveau de la pension qui serait versée ensuite.
  • La conversion de temps de repos et d’éléments de rémunération en droits monétaires à formation sur le CPF, au-delà des plafonds applicables, pourrait également être rendue possible auprès de la Caisse des dépôts et consignation, en lien avec l’employeur et ceci sans forcément qu’un CETU soit nécessaire.
  • Enfin la rénovation et la simplification du temps partiel existant pour faire face à des besoins personnels, prévues à l’article L. 3123-2 du code du travail, permet d’être occupé selon une durée de travail à temps plein avec parfois, le cas échéant, des heures supplémentaires, tout en réduisant son temps de travail global, avec une priorité d’accès pour les seniors, peut aussi être organisé sans en passer forcément par un CETU.


Une mutation des façons de travailler

Le boom des auto-entrepreneurs

La France compte de plus en plus de travailleurs indépendants et auto-entrepreneurs. C’est une bonne nouvelle et il faut encourager cette tendance. Dans son étude de 2023,  l’Urssaf indique qu’il y a en France 4,3 millions de travailleurs indépendants, parmi lesquels 56,2 % d’autoentrepreneurs, en nombre croissant : + 9,3 % en 2022, après + 15,3 % en 2021 et + 17,5 % en 2020. Une réforme de l’assiette sociale des indépendants aura lieu en 2026, selon les annonces du Premier ministre.

La France compte de plus en plus de travailleurs indépendants et auto-entrepreneurs. C’est une bonne nouvelle et il faut encourager cette tendance.

Il faut continuer à aménager des filets de sécurité et des garanties sociales pour les travailleurs indépendants comme ce fut le cas avec l’accès à l’assurance chômage, trop restreinte mais récemment élargie, ou les mesures mises en œuvre avec les prêts durant la crise Covid. Le modèle de garanties sociales négociées mis en œuvre pour les plateformes d’indépendants dans le secteur de la mobilité constitue un modèle à suivre et à élargir.

Essayer la semaine de 4 jours

Gabriel Attal a annoncé la mise en place d’expérimentations de la semaine en quatre jours, sans réduction du temps de travail, pour certains fonctionnaires dans leurs administrations centrales et déconcentrées.
Cette expérimentation permettra sans doute et devrait permettre de mesurer l’impact de ces formes d’organisation sur la productivité, information intéressante à rapprocher de la nécessité d’une telle mesure jamais effectuée à grande échelle concernant le télétravail. Au vu de ces enseignements, l’action publique pourra s’en trouver orientée.

Un congé de naissance plus court et mieux payé

Le Président de la République avait annoncé le 16 janvier dernier vouloir la mise en place d’un nouveau congé de naissance remplaçant l’actuel congé parental. Il s’agit de viser plus court, avec une durée de 6 mois, mais mieux rémunéré, ouvert aux deux parents. La faible rémunération actuellement prévue avec une indemnité mensuelle de l’ordre de 429€ fait que seulement 14 % des mères et 1 % des pères y ont recours : le nombre de bénéficiaires a régulièrement baissé depuis ces dernières années. Dans un contexte de chute des naissances et de perspectives démographiques préoccupantes, l’enjeu est important. Reste à savoir combien de mois pourront être répartis entre les deux parents ou pris par l’un des deux seulement et le niveau de la rémunération dans un contexte tendu pour les finances publiques. Aucune date n’est annoncée sur l’entrée en vigueur de ce nouveau congé. Il serait pertinent, et cela offrirait une alternative concrète de plus à un CETU complexe, de permettre qu’une petite partie (par exemple jusqu’à un mois) de ce nouveau congé puisse être pris de manière fractionnée et à des dates choisies avec l’accord de l’employeur jusqu’au douzième anniversaire de l’enfant (son entrée en sixième), ce qui constituerait un vrai progrès et offrirait une réponse concrète aux problématiques de garde d’enfants malades.

Favoriser l’alternance et les reconversions

Les négociations interprofessionnelles devraient aussi réfléchir aux moyens de favoriser l'alternance et les reconversions professionnelles. Le recours à l’alternance a triplé depuis le Covid et la réforme de 2018, passant à 900 000 jeunes concernés aujourd’hui. Il s’agit de concilier responsabilité budgétaire et poursuite de l’essor de l’apprentissage. Le pilotage initié doit être poursuivi pour rendre le dispositif plus performant. On retrouve au sujet de la formation professionnelle les mêmes questions qu’avait posées le compte épargne temps : comment concilier pilotage budgétaire et élargissement de l’accès ? Les efforts de rationalisation avec un reste à charge modeste et le contrôle des organismes doivent notamment permettre de dégager des marges de manœuvre pour augmenter les droits des plus éloignés de la formation que sont les seniors et les personnes les moins qualifiées.

  • Les pistes évoquées dans la note Reconversion professionnelle pour le meilleur et pour l’avenir  et celle sur l’emploi des seniors déjà évoquée sont toujours pertinentes à ce sujet, avec un dispositif de seconde chance pour ceux qui n’a pas eu de formation depuis de nombreuses années, une hausse des droits des moins qualifiés au prix d’une légère baisse de ceux des autres et un déplafonnement du compte des seniors à hauteur d’un abondement réalisé par l’employeur, la fusion et la simplification des différents dispositifs  de reconversion existants.
  • Enfin l’abondement possible des droits inscrits sur son compte par le titulaire lui-même par conversion de temps de repos ou d’éléments de rémunération serait aussi une alternative à un CETU compliqué à mettre en œuvre.


Le chantier du droit du travail est toujours ouvert.

Annoncé pour l’automne, ce chantier a connu un point d’orgue avec les ordonnances de septembre 2017 qui, sur certains sujets, ont permis d’atteindre un point d’équilibre à préserver, par exemple en matière de barème d’indemnisation de licenciements sans cause réelle et sérieuse ou d’organisation de la représentation élue du personnel. Il existe certains sujets où il est pertinent d’aller plus loin, comme nous l’avions proposé . Parmi ceux-ci, on trouve la réduction du délai de recours en matière de contestation des licenciements ou la possibilité d’ouvrir par accords d’entreprise le recours aux contrats de chantiers ou encore le décompte en jours du temps télétravaillé.  Ce chantier devra être effectué dans le respect des règles légales de concertation avec les partenaires sociaux.

A l’heure où la confiance dans les organisations syndicales connaît un regain dans les enquêtes d’opinion ainsi que celle dans les entreprises privées, il est essentiel de prendre en considération les corps intermédiaires dans le processus décisionnel.

La feuille de route est dense et de nombreuses pistes s’ouvrent. L’essentiel est de procéder aux choix les plus efficaces de manière pragmatique mais toujours dans la concertation. A l’heure où la confiance dans les organisations syndicales connaît un regain dans les enquêtes d’opinion ainsi que celle dans les entreprises privées, il est essentiel de prendre en considération les corps intermédiaires dans le processus décisionnel.La place des partenaires sociaux, qui ouvrent la séquence avec la négociation en cours, et la manière dont ils accompagneront ces changements sera importante pour garantir la durabilité de ceux-ci, comme le montre l’expérience des réformes précédentes lorsqu’elles ne peuvent s’appuyer sur la légitimité d’un programme électoral choisi par nos concitoyens.

Copyright image : Bertrand GUAY / AFP

Réforme du travail : l'agenda 2024 (17 pages)Télécharger
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