AccueilExpressions par MontaigneMieux indemniser, mieux rémunérerL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.22/02/2024Mieux indemniser, mieux rémunérer EmploiImprimerPARTAGERAuteur Franck Morel Expert Associé - Travail et Dialogue Social Réforme du travail : l'agenda 2024[série Réforme du travail : l'agenda social 2024 2/4] Comment assurer la gestion plus rigoureuse et plus efficace d’une assurance chômage en déficit structurel dans le contexte d’un budget fortement contraint ? Faut-il revoir les conditions auxquelles les bénéficiaires peuvent la percevoir ? Non-recours, recours abusifs : quelles mesures pourraient mettre fin aux logiques d’optimisation ou soutenir les plus vulnérables ? Dans ce deuxième épisode, Franck Morel étudie l’articulation des enjeux complémentaires que sont la meilleure indemnisation et la meilleure rémunération du travail.Activer les dépenses d’indemnisation, contrôler, sanctionner, inciter Des règles d’assurance chômage revuesLe nouveau régime de l'assurance chômage négocié à l’automne, qui devait entrer en vigueur le 1er janvier, attendra. L’accord n’a pas été agréé et le régime précédent a été prolongé par décret pour attendre l’aboutissement de la négociation sur les règles qui y sont relatives dans le cadre du "nouveau pacte de la vie au travail". Un décret du 21 décembre 2023 prolonge les règles actuelles d’indemnisation du régime d’assurance chômage au plus tard jusqu’au 30 juin 2024. En effet, si l’accord répondait globalement au cahier des charges du gouvernement, les mesures concernant la filière senior devaient être complétées. Il a toutefois été insuffisamment souligné que, par cet accord, les signataires représentant les salariés (les syndicats CFDT, CFTC et FO) avaient de fait pour la première fois donné leur aval à la plupart des évolutions issues de la dernière réforme de 2019 et notamment au calcul du salaire journalier de référence, à la dégressivité pour les plus hauts revenus et à la hausse de la durée de travail nécessaire pour s’ouvrir le droit à indemnisation.La dette de l’assurance chômage s’élevait fin 2023 à plus de 55 milliards d’euros, en trajectoire de baisse mais toujours à un niveau important qui représente une année et plus de trois mois de dépenses d’indemnisation des demandeurs d’emploi.Gabriel Attal a annoncé la révision des règles de l’assurance-chômage "si sa trajectoire financière dévie". La dette de l’assurance chômage s’élevait fin 2023 à plus de 55 milliards d’euros, en trajectoire de baisse mais toujours à un niveau important qui représente une année et plus de trois mois de dépenses d’indemnisation des demandeurs d’emploi. La marge de manœuvre du Gouvernement en matière de nouvelle saisie des partenaires sociaux et donc de nouvelles réformes par voie de décret de l’assurance chômage est cependant limitée par la loi. En effet, celle-ci n’admet, dans l’hypothèse où les partenaires sociaux prévoiraient les mesures permettant les 440 M d’économies indiquées dans leur accord, que deux scénarii.Soit à l’échéance de fin juin fixée par le décret, celui-ci est prolongé et l’accord n’est pas agréé - décision politiquement complexe puisque le décret visait uniquement à permettre cet ajout. Du point de vue du droit, cela signifierait que l’accord conclu le 10 novembre et complété sur la question des 440 M d’économies n’était pas compatible avec la trajectoire financière fixée par le document de cadrage d’origine. Pourquoi dans ce cas le décret intervenu n’était-il que d’une durée de quelques mois puisque cette incompatibilité était quasi originelle ? L’autre possibilité serait de constater, en se fondant sur le rapport relatif à la situation financière de l’assurance chômage et aux mesures prises et à prendre pour contribuer à son équilibre, qui devrait être remis aux partenaires sociaux au plus tard le 15 octobre par le Gouvernement, que la trajectoire a dévié. L’article L.5422-25 du code du travail indique que le rapport doit faire état d’un écart significatif entre la trajectoire financière actuelle du régime d’assurance chômage et celle prévue dans l’accord conclu. Les dispositions légales prévoient toutefois le cas de figure alternatif d’une évolution significative de la trajectoire financière décidée par le législateur dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques. Dans ces situations, la possibilité de saisir les partenaires sociaux d’un nouveau document de cadrage suppose donc de pouvoir s’appuyer sur de telles données objectives.L’histoire mouvementée des contentieux administratifs ayant occasionné à plusieurs reprises l’annulation par le Conseil d’Etat de textes réglementaires relatifs à l’assurance chômage incite le Gouvernement à faire preuve d’une grande rigueur sur ces points.Une nouvelle saisie, si elle trouvait un fondement légal, aurait vraisemblablement pour objet d’aller plus loin dans la refonte des règles d’indemnisation pour inciter au retour au travail.Mais se pose aussi la question de ce qui pèse sur les dépenses du régime.Ainsi, alors que dans son programme présidentiel de 2017, Emmanuel Macron envisageait que les droits à l’assurance-chômage puissent être ouverts en cas de démission, ce qui a été mis en œuvre, une réflexion sur une réforme de la rupture conventionnelle avait été annoncée par Elisabeth Borne face à la remontée du chômage.Si le nombre de ruptures conventionnelles est en hausse continue depuis la création du dispositif en 2008, pour s’établir à plus de 500 000 en 2022 contre moins de 400 000 en 2017, le nombre de licenciement pour motif personnel a lui aussi augmenté, passant de moins de 700 000 en 2017 à plus de 980 000 en 2022 et celui des démissions également passant de plus de 1 480 000 en 2017 à plus de 2 140 000 en 2022.Le nombre de ruptures conventionnelles est en hausse continue depuis la création du dispositif en 2008.Le renchérissement du coût de la rupture conventionnelle par la hausse récente, le 1er septembre 2023, de la contribution patronale, qui s’élève désormais à 30 %, a eu pour effet de rendre encore plus avantageux un licenciement suivi d’une transaction : approche de politique publique qui semble à la fois illogique et brouillonne. La rupture conventionnelle, créée par les partenaires sociaux dans l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur le marché du travail, a marqué un réel progrès. Elle était attendue de longue date puisque, dès le rapport de Virville remis au Ministre du Travail en janvier 2004 et intitulé "Pour un code du travail plus efficace", on désirait rendre possible une rupture amiable du contrat de travail. Alourdir son coût ou la rendre plus complexe serait donc aller à rebours des évolutions attendues pour le droit du travail, vers plus de souplesse et vers une place plus grande faite aux processus amiables. Son impact sur l’assurance chômage n’est pas plus démontré que celui consistant à élargir son accès aux démissionnaires. Il est heureux que l’actuelle ministre du travail ait manifesté le souhait de ne pas rendre plus restrictives les règles relatives à la rupture conventionnelle.Il est non seulement nécessaire de ne pas la rendre plus complexe et coûteuse mais au contraire d’en encourager l’usage par exemple en facilitant également la conclusion de transaction à sa suite, ce que ne permet la jurisprudence que sur l’exécution du contrat de travail et non sur sa rupture.Si on souhaite lutter contre les mécanismes d’optimisation, notamment pour les seniors, ce sont les indemnités versées pour l’ensemble des ruptures où le salarié n’est pas seul décisionnaire qu’il convient d’harmoniser. Avoir seulement harmonisé le niveau de la contribution sur les ruptures conventionnelles et les mises à la retraite constitue une incitation supplémentaire à procéder à des licenciements suivis de transaction, ce que la mise en place de la rupture conventionnelle voulait précisément éviter. Il serait plus pertinent de baisser la contribution d’un côté, quitte à la rehausser de l’autre sur les licenciements, pour avoir un niveau de contribution unique et identique quel que soit le mode de rupture et sans critère d’âge pour éviter un effet de repoussoir à l’embauche des seniors, comme cela avait été le cas lors de la contribution Delalande de 1987 : en obligeant les employeurs à verser l’équivalent de trois mois de salaire brut à l’Unedic, la mesure a eu l’effet pervers de désinciter à l’embauche des seniors, alors que le but était précisément, en évitant leur licenciement, de les maintenir dans l’emploi.Il serait plus pertinent de baisser la contribution d’un côté, quitte à la rehausser de l’autre sur les licenciements, pour avoir un niveau de contribution unique et identique quel que soit le mode de rupture et sans critère d’âge.Ensuite, la question du contrôle de la recherche d’emploi avait été évoquée par l’ancien ministre du Travail Olivier Dussopt, qui avait annoncé en décembre 2023 vouloir doubler les contrôles (actuellement à chiffré à 500 000 dans l’année 2022). Les règles ont été rénovées par un décret à la fin de l’année 2018. La présentation des données des contrôles pour 2022 révélait que ceux-ci avaient abouti à une radiation dans 16% des cas et à une redynamisation de la recherche d’emploi dans 23% des cas.Ces chiffres sont révélés au coup par coup et cette communication sur les données de 2022 suivait une communication en 2018 qui mettait en avant 12 000 contrôles par mois avec un pourcentage de radiation comparable (14%) et de remobilisation initiée moindre (15%).Il est regrettable de ne pas disposer, à la différence de l’activité de corps de contrôle comme l’inspection du travail, de données sur le nombre de contrôles effectués et sur leurs suites, de manière transparente et beaucoup plus régulière. Une présentation annuelle publique serait de nature à faciliter le pilotage de l’action publique en la matière. Une activation des dépenses d’indemnisationGabriel Attal a aussi annoncé la suppression de l’allocation spécifique de solidarité (ASS) pour les chômeurs en fin de droits et sa fusion avec le RSA. Il s’agit de favoriser le travail et le fait que les droits à retraites soient acquis par le travail, l’ASS permettant ce gain. La piste avait été examinée de manière récurrente et ancienne et elle revêt une forme de cohérence mais la mettre en œuvre va néanmoins s’avérer complexe et long. En effet, il est clair qu’elle ne concernera que les personnes en fin de droits à indemnisation par l’allocation de retour à l’emploi après l’entrée en vigueur de la disposition normative, avec une forme de « clause du grand père » donc. Le montant de l’ASS peut aller jusqu’à 552€ par mois et, pour une personne seule sans aide personnalisée au logement, elle est plus faible que le RSA. En revanche, pour un couple, et au regard des règles globales et du plafond de revenus pour accéder à l’aide, le RSA sera moins favorable. L’ASS concernait environ 320 000 bénéficiaires en 2021, pris en charge par l'État, dont 58% de personnes de plus de 50 ans et 43% depuis plus de 5 ans. Le RSA est quant à lui attribué à plus de deux millions de foyers selon la Cour des comptes dans un rapport de 2022, pour une dépense annuelle de 15 milliards d’euros dont plus de 11 milliards pour la seule allocation, financée par les départementsDans sa conférence de presse, Emmanuel Macron en a appelé à des mesures pour permettre de "mieux gagner sa vie par le travail" sur le thème de la "fin de l'assistanat". La loi 2023-1196 du 18 décembre 2023 sur le plein-emploi a prévu que les bénéficiaires du RSA s’acquittent obligatoirement de 15 heures d’activité hebdomadaires, mesure qui entrera en vigueur à partir du 1er janvier 2025.Emmanuel Macron en a appelé à des mesures pour permettre de "mieux gagner sa vie par le travail" sur le thème de la "fin de l'assistanat".Selon le nouvel article L.5411-6 du code du travail, la mesure s’appliquera dans le cadre d’un contrat d’engagement précisant les objectifs d'insertion sociale et professionnelle et, en fonction de la situation du demandeur d'emploi, le niveau d'intensité de l'accompagnement requis, auquel correspond une durée hebdomadaire d'activité du demandeur d'emploi d'au moins 15 heures. Il comporte notamment des actions de formation, d'accompagnement et d'appui. La suspension temporaire du versement du RSA pour sanctionner une situation administrative non conforme sera également possible.Les demandeurs d’emploi risqueront la radiation en cas de non-respect des clauses du contrat d’engagement. La même transparence en matière de contrôles que pour les demandeurs d’emplois serait souhaitable.Une telle ambition supposera la mobilisation de l’ensemble des acteurs participant à cet accompagnement, pour donner consistance à ces 15 heures et à cet accompagnement. Le président de la République avait également pris l’engagement de mettre en œuvre la "solidarité à la source" pour réduire le non-recours estimé à 30% pour le RSA par la Cour des comptes. Des territoires Zéro non-recours se mettent en place sous forme d’expérimentation avec la CAF et ce serait un complément louable et indispensable d’avancer de concert sur cet aspect.Rendre l’activité plus rémunératriceD’autres mesures veulent, en complément, inciter à travailler en rendant l’activité plus avantageuse. La plus importante réside dans la volonté du Premier ministre de "désmicardiser" la France, avec une réforme des bas salaires dès le prochain projet de loi de finances.Le SMIC a augmenté de 15€ le 1er janvier. Il concernait au 1er janvier 2023 plus de 17% des salariés et représentait en 2022, selon l’OCDE, plus de 60% du salaire médian, soit le niveau le plus élevé par rapport à celui de nos voisins. Il en résulte un écrasement régulier des progressions salariales et notamment un rattrapage de plusieurs grilles salariales de branches avec régulièrement et encore en dernier lieu une action du ministère du travail pour inciter les négociateurs à revoir lesdites grilles. Même si, en réalité, seule une dizaine de branches sont structurellement en difficulté par rapport à ces questions, le sujet occupe régulièrement le débat, notamment quant à la question de l’éventuelle conditionnalité des allègements et de freins juridiques : on pourrait sanctionner les entreprises qui paient leurs salariés au-dessus des minima du fait de la célérité insuffisante des négociateurs de branches. La loi 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail avait ainsi prévu que les allègements de cotisations sociales soient calculés non pas sur le SMIC mais sur un salaire minimum de branche de pied de grille si le ratio entre, d'une part, le nombre de branches de plus de cinq mille salariés dont le montant mensuel du salaire minimum national professionnel des salariés sans qualification n'ayant pas été porté à un niveau égal ou supérieur au SMIC au cours des deux dernières années et, d'autre part, le nombre de branches de plus de cinq mille salariés n’avait pas diminué d’au moins 50% deux ans après. Il a diminué dans ces proportions et la mesure n'est pas entrée en vigueur mais le sujet revient régulièrement sur la table, comme le montre le rapport des économistes Antoine Bozio et Etienne Wasmer, missionnés fin novembre par la Première ministre pour formuler des recommandations au regard des trappes à bas revenus que peuvent constituer les mécanismes d’allègements de charges sur les bas salaires et de prime d’activité. Le Premier ministre indiquait ainsi dans son discours de politique générale que pour augmenter un salarié au SMIC de 100€, il en coûte 238€ à l’employeur, que le salarié perd 39€ de prime d’activité, et paie 26€ de cotisations sociales en plus.Dans l’attente de la restitution de ce rapport et pour alimenter le débat, deux orientations doivent pouvoir être explorées.En premier lieu, la Cour des comptes avait examiné dans un rapport de 2008 la barémisation des allègements de cotisations sociales pour les intégrer définitivement à un barème revu des cotisations sociales en fonction des niveaux de revenus avec une définition spécifique, déconnectée du SMIC. Une telle option pourrait être de nouveau examinée.Surtout, avec Bertrand Martinot, nous avions proposé dès 2016, dans l’essaiUn autre droit du travail est possible, que le SMIC soit négocié branche par branche et non plus fixé pour l’avenir par décret, conformément à ce qui se pratique chez plusieurs de nos voisins. Cette conventionnalisation du SMIC, qui pourrait ouvrir la possibilité de fixer des montants différents par zone géographique dans les branches qui le souhaitent, aurait pour mérite de permettre aux branches d’appréhender pleinement l'échelle des rémunérations dans leur ensemble. Elle permettrait de payer mieux que le SMIC encore dans les secteurs en tension et qui ont plus de moyens financiers. Elle correspondrait encore mieux aux dynamiques économiques et sociales. Elle s’accompagnerait probablement d’une nouvelle phase de restructuration des branches pour s’assurer de la capacité des acteurs de la négociation à se saisir des enjeux. On pourrait imaginer enfin que dans les moins de 5% de secteurs non couverts par une branche, le salaire minimum applicable soit défini chaque année sur la base des résultats des négociations dans les branches. Une telle évolution serait de plus, dans le contexte d’une réforme annoncée du droit du travail qui va donner plus d’espace à l’entreprise, un signal de confiance envoyé aux négociateurs des branches.Mais c’est plus largement l’organisation et la place du travail qui va aussi donner lieu à des évolutions.Copyright image : Philippe DESMAZES / AFP Réforme du travail : l'agenda 2024 (17 pages)TéléchargerImprimerPARTAGERcontenus associés 22/02/2024 Retour du chômage et emploi des seniors : une adaptation nécessaire Franck Morel 29/02/2024 Baisse de la productivité et mutations du travail : moderniser et adapter Franck Morel 01/03/2024 La législation face à de nouvelles réalités sociétales Franck Morel