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20/10/2023

La démocratie, otage de la géopolitique mondiale

La démocratie, otage de la géopolitique mondiale
 Alexandre Marc
Auteur
Expert Associé - Amériques et développement

Parés des atours avantageux du nom de démocratie, les forces occidentales chercheraient à garder le contrôle sur le monde à travers un système unipolaire construit autour des États-Unis. La défense du libéralisme servirait, en réalité, un instinct de prédation insoucieux des spécificités culturelles et historiques des autres pays. Les arguments en faveur du respect des droits de l’homme ou de l’intégrité territoriale des États seraient à double-fond. Les pays autoritaires, la Chine en tête, dénoncent ainsi au monde l’hypocrisie supposée des Occidentaux. 

Cette explication fait beaucoup d’adeptes parmi la population des pays émergents et érode la crédibilité de la démocratie. Les efforts des États-Unis pour la contrer sont bien maladroits. Face à la montée des régimes autoritaires et à leur férocité, il semble urgent de définir une nouvelle stratégie, qui ne serait pas fondée pas sur les grands discours d’ordre idéologique qui rappellent trop ceux de la Guerre Froide. 
 
Comment les critiques de la démocratie sont-elles mises au service d’une déstabilisation anti-occidentale ? Sur quels arguments, fondés ou non, les autocrates peuvent-ils s’appuyer pour asseoir leurs positions ? Comment les démocraties peuvent-elles réagir et se défendre malgré leurs erreurs de communication ? Alexandre Marc nous livre son éclairage.

Aujourd’hui, les démocraties sont prises en étau par des tensions géopolitiques qui les mettent en péril. Un des derniers exemples en date est celui du Niger, qui semblait progresser vers un peu plus de transparence sous la présidence de Mohamed Bazoum. Alors que tous les observateurs s’accordent à dire que le coup d’État est lié à des désaccords d’ordre personnel entre élites, les auteurs du putsch ont choisi de justifier leur action par un discours anticolonialiste et anti-occidental. Ils font ainsi un appel du pied aux puissances qui cherchent à affaiblir l’ordre international contrôlé par l’Occident, en l’occurrence, la Russie, la Chine, voire l’Iran, et espèrent infléchir ainsi la pression internationale exercée en faveur d’un retour à l’ordre constitutionnel. Ils cherchent en même temps à se rendre populaires dans leur propre pays parmi ceux, de plus en plus nombreux, qui voient la présence des Occidentaux en Afrique comme une contrainte au développement et à la sécurité. Tout cela rappelle tristement les pires moments de la guerre froide durant laquelle, prise dans la confrontation Est-Ouest, la démocratie avait particulièrement souffert. 

On constate un retour en force de la géopolitique, lié à une explosion des tensions entre grandes puissances. Deux dynamiques internationales en particulier renforcent ces tensions. D’une part, les pays autoritaires tentent de créer des alliances entre eux afin de protéger leurs systèmes politiques, comme l’illustre le rapprochement sino-russe autour de la guerre en Ukraine, et d’autre part de nombreux pays suivent la Chine dans ses efforts pour créer un ordre multilatéral moins dominé par les États-Unis, d’où l’attrait du forum des BRICS. La façon dont ces deux dynamiques se combinent affaiblit fortement la démocratie dans le monde et ce, d’autant plus que les Occidentaux ont souvent été très maladroits dans les réponses qu’ils ont apportées.

Protéger leur système politique : la recherche d’une synergie entre pays autoritaires

Les pays autoritaires cherchent aujourd’hui à se soutenir mutuellement afin d’assurer la pérennité de leur système autocratique. Ils collaborent autant que possible pour empêcher les pays occidentaux d’agiter les oppositions démocratiques de leurs pays. Ils développent ainsi des discours qui discréditent la validité de la démocratie libérale en essayant, non sans difficulté, de se mettre au diapason, bien que leurs histoires, leurs capacités économiques, leurs préoccupations et leurs systèmes politiques soient très différents. Comment comparer, en effet, le système du parti communiste chinois avec les principes iraniens du contrôle d’une hiérarchie religieuse sur la vie publique ou avec le détournement d’un système démocratique au service d’un seul homme comme en Russie ? Il ne s’agit donc pas d’essayer d’élaborer un modèle commun de gouvernement comme cela a été le cas pour le fascisme dans les années 30 mais davantage de se serrer les coudes autour d’une critique de la démocratie libérale, fondée sur l’idée qu’elle est le produit d’une histoire et d’une culture européenne incompatibles avec les leurs. qui n’est pas adaptable à d’autres situations, que la démocratie n'est pas efficace pour assurer une croissance économique qui bénéficie à l’ensemble de la population, qu’elle aboutit toujours à la domination d’une petite oligarchie ou encore qu’elle promeut des valeurs libérales moralement dégradées, une critique venant surtout des Russes et des Iraniens. 

Il ne s’agit pas d’élaborer un modèle commun de gouvernement mais de se serrer les coudes autour d’une critique de la démocratie libérale.

Les nouveaux dictateurs reprennent ces critiques avec vigueur et enthousiasme. À la tribune des Nations Unies, lors de la dernière Assemblée générale, le colonel Mamadi Doumbouya, arrivé au pouvoir en Guinée à travers son coup d‘État de septembre 2021, s’est ainsi livré à une diatribe contre l’imposition de la démocratie en Afrique. Selon lui, la démocratie est un système inadapté au continent et ne fait qu’entretenir la corruption et la cleptocratie. Elle se traduit immanquablement par la manipulation des élections et des constitutions pour maintenir au pouvoir une petite oligarchie. Sa critique a le mérite de présenter clairement les difficultés que rencontre la démocratie en Afrique, mais cela justifie-t-il le retour des militaires au pouvoir sur le continent ? 

Les pays autoritaires n’en restent d’ailleurs pas là. Ils cherchent également à discréditer les systèmes démocratiques dans le monde par une aide active à la falsification des élections et à la manipulation des campagnes. La Russie a appuyé de nombreux gouvernements, en particulier en Afrique, pour propager des théories complotistes, des informations erronées, à travers ce que l’on appelle aujourd’hui les usines à trolls, et à effectuer des attaques cybernétiques sur les opposants ou les systèmes électoraux. Moscou a aussi tenté de perturber directement les élections dans les pays occidentaux et s’en vante régulièrement. Si la Chine est plus discrète, elle apporte également son concours aux pays autoritaires pour qu’ils maintiennent leur contrôle sur les populations. Ces critiques et ces actions perturbatrices servent aussi de faire-valoir aux dictateurs, qui les promeuvent comme des faits d’armes à travers un discours fortement nationaliste et identitaire. Elles semblent rencontrer aujourd’hui un fort écho parmi les populations de pays émergents qui, pour certaines, ne vivent pas toujours la domination du modèle économique occidental de façon très harmonieuse.

Les efforts menés par les puissances émergentes pour créer un monde multipolaire

Favoriser un nouvel ordre mondial qui ne serait plus dominé par les États-Unis et ses alliés occidentaux : voilà l’autre dynamique géopolitique à l'œuvre dans de nombreux pays aujourd’hui. Ce que beaucoup appellent l’émergence d’un monde multipolaire consiste en fait essentiellement en une bipolarité entre les États-Unis d’un côté et la Chine de l’autre. Cette dynamique est menée tambour battant par la Chine qui est devenue depuis quelques années la deuxième économie mondiale. Elle n’entend pas poursuivre son développement économique et affirmer sa présence internationale conformément à des règles qu’elle juge avoir été largement mises en place par les États-Unis à leur avantage et à celui de leurs alliés. Ce conflit de géants entre les États-Unis et la Chine crée une importante fracture dans les relations internationales et est en train de modifier profondément les équilibres sécuritaires. 

La Chine tente de rallier les pays émergents afin de mettre en place les prémices de ce nouvel ordre multipolaire, par des initiatives comme celle des BRICS.
Pour la Chine, la Russie, l’Iran et de nombreux autres, le principe de la souveraineté absolue des pays dans la méthode de gouvernement et dans les relations entre les peuples est cardinal.

En d’autres termes, le régime politique d’une nation lui est réservé et personne n’a le droit d’en discuter. Les puissances autoritaires ont ainsi développé un puissant narratif qui crée un amalgame entre la protection des systèmes autoritaires et les efforts pour créer un nouvel ordre international. Beaucoup de pays démocratiques acceptent volontiers ces règles, que ce soit le Brésil de Lula, l’Inde ou l’Afrique du Sud. 

La Chine tente de rallier les pays émergents afin de mettre en place les prémices de ce nouvel ordre multipolaire.

Autant l’idée que les systèmes autoritaires et arbitraires sont légitimes peut poser des problèmes à beaucoup dans le monde, autant l’idée que l’ordre mondial ne peut pas continuer à rester dominé par les États-Unis tel qu’il l’est actuellement fait l’objet d’un accord très large en dehors du monde occidental. Aujourd’hui, la montée de nouvelles puissances économiques et leurs efforts pour définir d’autres règles du jeu sur l’échiquier mondial ont pour beaucoup donné l’impression qu’une brèche a enfin été ouverte. Que les États-Unis répugnent fortement à modifier les règles internationales ne fait que confirmer, pour beaucoup de puissances émergentes, que l’ordre actuel sert essentiellement leurs intérêts et ceux de leurs alliés occidentaux. La Chine oublie assez vite qu’elle a largement profité de cet ordre pour réaliser une révolution économique inégalée dans l’histoire du monde. Le renouveau des sentiments anticolonialistes en Afrique se situe dans la même logique de pensée. Ce que la France a mis en place en Afrique de l’Ouest avec le franc CFA, les programmes de coopération étroite entre institutions et la protection sécuritaire assumée par la présence militaire française est présenté par les tenants du néo-anticolonialisme comme un ordre qui profite essentiellement à la France. L’idée que la remise en question de l’ordre occidental sur le monde s’accompagnera d’une sorte de seconde libération des sociétés non-occidentales et de la Russie s’est ancrée dans l’esprit de beaucoup de citoyens des puissantes émergentes. 

Ces discours, qui mettent dans un même panier la promotion de la démocratie par les États-Unis et leurs alliés avec leur refus de laisser un ordre multipolaire apparaître, sont d’autant plus populaires dans ce que l’on appelle le Sud qu’ils soulignent l’hypocrisie occidentale dans son discours sur la primauté de la démocratie : durant la guerre froide, les États-Unis, avec l’appui tacite de leurs alliés des démocraties européennes, ont soutenu la mise en place des pires dictatures un peu partout dans le monde au nom de la lutte pour le libéralisme menacé par l’Union soviétique. 

La guerre contre le terrorisme a également donné lieu à des dérives de la part des États-Unis et de certains de ses alliés. Les Américains souffrent encore énormément du stigmate créé par l’invasion américaine de l’Irak sur l’opinion publique internationale. La guerre en Irak est souvent invoquée, avec raison, pour montrer comment le discours américain prend prétexte de la défense de la démocratie pour justifier des aventures catastrophiques aux conséquences graves pour l’économie et la stabilité de régions entières. Cette invasion s’est faite avec l’appui d’une large coalition de démocraties occidentales qui agissait non par conviction mais par suivisme et par peur de déplaire aux États-Unis.

La défense des démocraties occidentales : une stratégie de communication inadaptée et maladroite

Dans les premières années du mandat de Joe Biden, les États-Unis ont été particulièrement maladroits et ont largement contribué à renforcer la thèse de l’utilisation de la démocratie comme cheval de Troie pour assurer la domination occidentale sur le monde, y compris celle de la France en Afrique de l’Ouest. Joe Biden, dès son arrivée au pouvoir, a essayé de positionner les États-Unis comme chef de file des démocraties libérales afin de contrecarrer les efforts de les régimes autoritaires pour se soutenir mutuellement.

[Sous] Joe Biden, les États-Unis ont largement contribué à renforcer la thèse de l’utilisation de la démocratie comme cheval de Troie.

Lors de sa campagne, Joe Biden avait promis d’organiser des sommets pour promouvoir la démocratie dans le monde, sachant combien ce thème était porteur auprès des Américains. Une fois au pouvoir cependant, le président a eu du mal à créer l’enthousiasme même parmi certains de ses plus proches alliés et, dans un contexte toujours actuel de fortes tensions avec la Chine, ces sommets se sont terminés par un inavouable fiasco. 

Le premier des sommets sur la démocratie s’était tenu virtuellement les 9 et 10 décembre 2021, alors que les États-Unis sortaient de quatre ans de présidence de Donald Trump, durant lesquels la démocratie avait été bafouée comme rarement auparavant et où les États-Unis avaient montré de façon virulente leur volonté de puissance crue. Le monde savait que de très nombreux Américains avaient voté pour Trump et que celui-ci avait perdu avec seulement 47 % du vote populaire : il trouvait déplacé que, quelque mois après, les États-Unis donnent des leçons de démocratie au reste du monde. Le second sommet, toujours virtuel, qui s’est tenu fin mars 2023, n’a guère été plus encourageant. Dans son discours d’ouverture, Joe Biden a fait montre d’un étonnant optimisme, vantant les grands progrès réalisés entre les deux sommets par les démocraties dans le monde à la grande surprise de tous les participants. Biden a ensuite énoncé toutes les politiques intérieures mises en place par les Démocrates, citant en fait de nombreuses mesures qui n’avaient absolument rien à voir avec la démocratie et qui allaient de ses efforts pour répondre aux problèmes du changement climatique à la création d’emploi aux États-Unis : il confirmait ainsi, aux yeux de beaucoup, que ce sommet avait surtout un objectif interne. Il est étonnant que l’administration américaine ne semble pas avoir eu conscience de combien ce mélange des genres était néfaste. Le second sommet s’est donc avéré aussi peu engageant que le premier. Une fois terminé, rien n’a changé, à l’exception d’une accélération de la dégradation des indicateurs démocratiques dans le monde, avec des alliés extrêmement proches des États-Unis et qui avaient participé au sommet, comme Israël, que l’on a vu poursuivre leur marche systématique vers plus d’autocratie.

Il s’en est suivi également un certain nombre de désaveux publics qui ont largement contribué à humilier les États-Unis et à montrer qu’en fin du compte, la promotion de la démocratie et des droits humains était secondaire pour les États-Unis. Le plus flagrant a probablement été celui infligé à Joe Biden par le prince Mohammed ben Salmane. Lors de l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, l’Arabie saoudite s’est trouvée dans la ligne de mire des efforts du président américain pour mettre le soutien à la démocratie et à la protection des droits humains au centre de la politique internationale des États-Unis, alors que son prédécesseur avait ostensiblement montré son goût pour la fréquentation des dictateurs et des hommes forts.

[Des] désaveux publics ont largement contribué [...] à montrer que la promotion de la démocratie et des droits humains était secondaire pour les États-Unis.

Dès son arrivée au pouvoir, Joe Biden a clairement accusé le prince Mohammed ben Salmane, de facto leader du royaume, d’être responsable de l’assassinat du journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi - assassiné dans le consulat de l’Arabie saoudite en 2018 et son corps dissout dans de l’acide pour faire disparaître toute trace du crime. Devant l’envolée des prix du pétrole, après les sanctions sur le pétrole russe mises en place par les Occidentaux, Joe Biden a effectué un voyage en Arabie saoudite pour recalibrer les relations avec le leader du pays et éviter qu’il ne se rapproche de la Russie et de la Chine. Biden voulait surtout pousser l’Arabie saoudite à accroître la production de pétrole afin de réduire la pression à la hausse des prix internationaux.

Le message était clair : si les États-Unis veulent une collaboration avec l’Arabie saoudite, les droits humains ne seront pas à l’agenda. Ils ont rapidement obtempéré.

Non seulement le prince s’est défendu des critiques de Biden en mentionnant les abus des droits humains auxquels se sont livré les États-Unis, notamment en Irak et en Palestine à travers leur alliés israéliens, mais une fois Joe Biden rentré à Washington, il n’a absolument rien fait pour augmenter la production de pétrole au sein de l’OPEC, laissant les prix du pétrole s’envoler et livrant le président américain à une humiliation publique. Le message était clair : si les États-Unis veulent une collaboration avec l’Arabie saoudite, les droits humains ne seront pas à l’agenda. Et les États-Unis ont rapidement obtempéré. 

Il ne s’agit pas là des seules erreurs commises par les puissances occidentales : les arguments utilisés pour justifier le soutien à l’Ukraine en furent une nouvelle. Le discours qui présente l’Ukraine comme une barrière contre l’autocratie dans le monde s’adresse surtout aux publics occidentaux mais il s’est révélé très contre-productif dans les pays émergents et en particulier en Afrique. L’argument de poids pour justifier le soutien à l’Ukraine aurait dû être le respect des frontières reconnues par le droit international et le rejet des invasions militaires comme façon de régler les différends. Cet argument aurait eu beaucoup plus de poids en dehors du monde occidental que celui de la protection de la démocratie. L’Ukraine est bien une démocratie mais qui est loin d’être parfaite, avec un niveau de corruption qui n’a rien à envier à celui de la Russie. Faire de l’Ukraine un paravent démocratique est reçu avec un énorme scepticisme en dehors de l’Occident : cela rappelle bien trop les discours de la Guerre Froide. 

Beaucoup de pays ne voient pas d’un bon œil ce qu’ils comprennent comme un chantage des Américains qui exigent d’eux qu’ils choisissent un camp. La Chine, même si elle est très loin de la puissance économique américaine, offre des opportunités commerciales et d’investissement importantes dont les pays émergents ont bien l’intention de profiter et ils ne considèrent pas le pays comme un danger pour eux.

Ils ne veulent pas faire dépendre leur développement économique et financier d’une nouvelle guerre idéologique entre démocratie libérale et autoritarisme, d’autant plus que celle-ci semble surtout s'engager pour préserver l’avantage géopolitique des États-Unis dans le contrôle de l’ordre international. L’Inde, le Brésil et beaucoup d’autres ont l’intention de collaborer avec les deux camps afin d’augmenter les bénéfices économiques qu’ils peuvent tirer de chacun d’eux. 

Faire de l’Ukraine un paravent démocratique est reçu avec un énorme scepticisme en dehors de l’Occident : cela rappelle bien trop la Guerre Froide. 

L’urgence d’établir une nouvelle stratégie pour promouvoir la démocratie

Les États-Unis ont assez vite compris qu’il fallait changer de cap et, de façon discrète mais déterminée, ils sont revenus à une "Realpolitik" qui adopte une approche beaucoup plus pragmatique. La différence de position entre les États-Unis et la France au Niger en est une démonstration flagrante. Contrairement à la France, les États-Unis ont adopté une approche beaucoup plus pragmatique et ont maintenu un dialogue avec les militaires, mettant en avant les intérêts à long terme de la lutte contre le jihadisme. De manière générale, avec la guerre en Ukraine, les Occidentaux se sont résolus à une approche plus fonctionnelle qui met en veilleuse leurs critiques sur la démocratie, et peut-être celle-ci ne s’en porte-t-elle finalement pas plus mal. Les Occidentaux se sont trouvés pris au piège des narratifs que les puissances autoritaires ont réussi à élaborer, liant la promotion de la démocratie avec les efforts des pays occidentaux pour maintenir leur domination sur l’ordre international. Cela ne peut que nuire au développement de la démocratie dans le monde, qui ne devrait pas être perçu comme le résultat de conditions occidentales mais comme un système choisi et géré par les populations elles-mêmes. Les grands discours occidentaux sur la démocratie ont même eu un effet contraire puisque l’autoritarisme a continué à se renforcer ces dernières années.

Les Occidentaux se sont trouvés pris au piège des narratifs que les puissances autoritaires ont réussi à élaborer.

Il ne fait cependant aucun doute que les individus et les groupes qui luttent pour un retour des libertés et de la démocratie dans le monde ont plus que jamais besoin de soutien. On ne peut abandonner les citoyens de l’Iran, de l’Afghanistan, de la Birmanie, du Soudan, du Venezuela, de la Russie et de la Biélorussie ainsi que ceux de très nombreux autres pays où les droits humains sont constamment bafoués. Les pays occidentaux doivent activement démontrer que la démocratie est également source de progrès économiques à leurs propres citoyens.

Pour cela, l’Occident doit élaborer une nouvelle stratégie pour promouvoir la démocratie dans le monde. Celle-ci devrait privilégier le soutien direct aux groupes qui luttent pour la démocratie dans leur pays et à l’extérieur et mettre en sourdine les grands discours de principe. Les Occidentaux devraient considérablement renforcer les organisations civiques et pro-démocratiques afin de mener des actions beaucoup plus efficaces qu’à l’heure actuelle pour mettre en difficulté les régimes autoritaires. Un effort particulier devrait être porté, de façon coordonnée, vers le domaine cybernétique. Les mêmes techniques que les Russes utilisent pour mettre en difficulté les pays démocratiques peuvent être utilisées pour mettre à mal les systèmes de désinformation dans les pays qui bafouent les droits de leurs citoyens et qui manipulent les élections. Cela demande des technologies sophistiquées et en particulier un usage des récentes innovations en Intelligence artificielle et un important appui financier aux organismes de la société civile qui se consacrent à ces activités. L’appui aux opposants politiques à l’intérieur et à l’extérieur doit être renforcé pour leur permettre de s’organiser et de mener des actions à long terme. Il est de notoriété publique que les sanctions ne sont pas très efficaces, mais elles doivent être maintenues car, même si elles n’ont pas un effet immédiat, elles ont un certain effet dissuasif, surtout les sanctions contre les individus.

L’Occident doit s’assurer que les normes internationales ne sont pas diluées dans les négociations sur les nouveaux accords internationaux. Une telle stratégie demande un important niveau de coordination entre les Occidentaux et une concertation active avec les oppositions dans les pays autoritaires.

L’Occident doit élaborer une nouvelle stratégie pour promouvoir la démocratie dans le monde.

Les Occidentaux doivent arrêter de donner des leçons de morale et augmenter leurs actions, concrètes et résolues mais discrètes, afin de mettre en difficulté les régimes autoritaires et de soutenir les opposants et les sociétés civiles. 

Copyright Image : TIMOTHY A. CLARY / AFP

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