AccueilExpressions par MontaigneInnovation en santé, entre leadership et inégalitésL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.22/05/2024Innovation en santé, entre leadership et inégalités États-Unis et amériquesImprimerPARTAGERAuteur Laure Millet Experte Associée - Santé États-Unis, la santé en campagne[SÉRIE : États-Unis, la santé en campagne 3/3] Alors que le salon de l’innovation Vivatech réunit du 22 au 26 mai les entreprises technologiques du monde entier, le troisième épisode de notre série "États-Unis, la santé en campagne" est consacré aux enjeux d’innovation en santé. Avec près de 3,5 % de son PIB investi dans la recherche et développement et une position de tête dans le nombre de prix Nobel scientifiques par habitant, les États-Unis demeurent une nation à la pointe de l’innovation. Le pays investit considérablement dans la recherche médicale et la biotechnologie, avec des financements provenant à la fois du gouvernement fédéral et du secteur privé ; vaccins contre le Covid-19, nouveaux traitements et dispositifs médicaux, avancées majeures dans l’intelligence artificielle générative, ces dernières années ont montré une fois de plus la puissance des États-Unis en la matière. Mais ces progrès scientifiques et médicaux seront-ils suffisants pour contrer les différentes crises de santé publique comme la baisse de l’espérance de vie dans le pays ? En quoi la télémédecine et l’intelligence artificielle peuvent-elles être des leviers d’amélioration de l’état de santé et corriger certaines inégalités d’accès ?Un pays à la pointe en recherche et développement en santéEn 2021, le World Index on Healthcare Innovation mené par la Foundation for Research on Equal Opportunity (Fondation pour la recherche sur l’égalité des opportunités), positionnait les États-Unis à la 6e place d’un classement qui évalue les systèmes de santé de 31 pays développés. Les différentes catégories de ce classement visent à examiner non seulement la qualité des soins, mais aussi la capacité des systèmes de santé à s'améliorer au fil du temps grâce aux avancées scientifiques et médicales. Cet index classait les États-Unis au 1er rang pour ses avancées scientifiques, 10e pour sa qualité, 20e en ce qui concerne l’offre de choix aux patients (accès aux nouveaux traitements, choix et accessibilité de l’assurance santé) mais 29e pour sa soutenabilité financière.Ce classement - même s’il ne prend en compte que certaines variables - met en lumière la puissance des États-Unis en matière de recherche et développement. Le pays se classe également parmi les premiers en termes de prix Nobel scientifiques par habitant, d'impact scientifique dans le milieu universitaire et de dépenses en recherche et développement par habitant. Selon les dernières données de l’OCDE, le pays dépense plus que n’importe quel autre en R&D avec 3,46 % de son PIB investi dans le domaine contre 2,16 % en moyenne pour les pays de l’Union Européenne et 2,6 % en Chine. Plus spécifiquement, les États-Unis investissent considérablement dans la recherche médicale et la biotechnologie, avec des financements provenant à la fois du gouvernement fédéral et de l'industrie privée.Selon les dernières données de l’OCDE, le pays dépense plus que n’importe quel autre en R&D avec 3,46 % de son PIB investi dans le domaine contre 2,16 % en moyenne pour les pays de l’Union Européenne et 2,6 % en Chine.Côté public, le National Institute of Health (NIH) et ses agences locales se sont vu octroyer un budget de plus de 45 milliards de dollars pour l’année 2022, ce qui fait du NIH le plus grand financeur public en recherche biomédicale dans le monde. Ces financements auraient généré une activité économique estimée à plus de 96 milliards de dollars et chaque dollar de financement aurait créé environ 2,64 dollars d'activité économique. À titre de comparaison, le budget 2022 du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation français s'est élevé à 24,6 milliards d’euros la même année, tous domaines de recherche et développement confondus.À ces financements publics s’ajoutent les investissements réalisés par le secteur privé notamment l’industrie pharmaceutique qui, par rapport à son chiffre d'affaires total, est parmi les plus grands investisseurs en recherche et développement du pays et dans le monde. En 2022, selon les données de la Pharmaceutical Research and Manufacturers of America (PhRMA), l'industrie a dépensé environ 20 % de ses revenus mondiaux en R&D soit plus de 100 milliards de dollars, dont 75 % aux États-Unis.Mais si l’innovation pharmaceutique et diagnostique est très dynamique aux États-Unis, elle a un coût élevé pour les patients et elle ne bénéficie pas à l’ensemble d’entre eux. En effet, même au sein du plan d’assurance santé publique Medicare (pour les plus de 65 ans), les patients doivent souvent débourser des sommes importantes pour acheter leurs médicaments. En effet, dans Medicare, la couverture des médicaments est un plan d’assurance à part de la couverture des soins, qui correspond au Medicare Part D, et n’est pas systématique pour tous les bénéficiaires. Afin de limiter les coûts pour les patients et la puissance publique, l’administration Biden a récemment mis en place des négociations tarifaires sur un certain nombre de médicaments les plus consommés par les bénéficiaires de Medicare.Un soutien bipartisan à la télémédecine dans la lutte contre les inégalités de santéLa télémédecine bénéficie aujourd'hui d'un large soutien bipartisan : Républicains et Démocrates reconnaissent la valeur des soins à distance, tout comme des millions de patients. Le projet de loi de finances de 2023 porté par le Congrès illustre ce consensus en prolongeant jusqu’au 31 décembre 2024 plusieurs mesures entourant la télémédecine - mesures pour la plupart prises par l’administration Trump en mars 2020 pour faciliter les soins à distance pendant la pandémie. Des discussions sont en cours au Congrès sur l’avenir du cadre réglementaire de la télémédecine après 2024 ; début mai, des Représentants des deux partis ont exprimé de nouveau leur soutien au maintien du paiement étendu de la télémédecine pour les personnes âgées. Les règles de prise en charge des soins virtuels dans le cadre de Medicare devraient donc être prolongées jusqu'en 2026 et les soins à domicile jusqu'en 2029. Mais de nombreux élus et industriels défendent depuis plusieurs années une expansion permanente de ces règles et non un simple renouvellement, qui crée de l’incertitude pour les établissements de santé et un risque pour la continuité des soins à distance.Avant la pandémie de Covid-19, l'accès aux soins virtuels dans le cadre de Medicare était très limité et représentait moins de 1 % de tous les services de Medicare. D’après le Center for Disease Control, l'utilisation de la télémédecine au sein de Medicare a été multipliée par 40 pendant la pandémie et 37 % des patients adultes y ont eu recours en 2021. Ce pourcentage augmente dans les populations dont le niveau d’éducation est plus élevé mais diminue dans les régions les moins urbanisées.Des Représentants des deux partis ont exprimé de nouveau leur soutien au maintien du paiement étendu de la télémédecine pour les personnes âgées.Pour atteindre un nombre de patients encore plus large, les Centers for Medicare & Medicaid Services (CMS) se sont engagés à offrir une éducation en santé numérique aux bénéficiaires de Medicare afin d'améliorer l'accès aux prestations de télémédecine pour les patients les moins à l’aise avec la technologie, qui sont souvent ceux qui sont les plus éloignés du système de santé.Mais l'accès à la télémédecine est conditionné à l’amélioration de l’accès à l’internet haut débit : environ 14,5 millions de foyers n'ont pas accès à l’internet haut débit aux États-Unis. Les communautés rurales, y compris les communautés tribales - la majeure partie des terres dites "tribales" aux États-Unis représentent les réserves amérindiennes où vivent les populations autochtones, et se situent principalement en Californie, en Arizona, au Texas, au Nouveau Mexique, en Alaska ou dans le Colorado - représentent 93 % des zones non desservies par l’internet à haut débit abordable. La Loi sur l'infrastructure bipartite du président Biden a prévu 2 milliards de dollars de financement pour combler cette lacune en matière d'infrastructure. Ce financement s'ajoute aux 2 milliards de dollars alloués à un autre programme nommé ReConnect, qui visent particulièrement les populations vivant en zones rurales et tribales. Pour soutenir les usages de la télémédecine, l'Indian Health Service (IHS), agence publique chargée de fournir des services de santé fédéraux aux Amérindiens et autochtones d'Alaska, collabore avec des navigateurs numériques qui se rendent dans les établissements de santé ruraux afin d'inscrire les membres des tribus à un programme de connectivité abordable, permettant l’installation d’un internet à bas prix.Améliorer l’accès aux soins à distance pour les populations particulièrement touchées par les maladies chroniques est clé. Le CDC estime qu'environ la moitié de la population adulte aux États-Unis a au moins une maladie chronique : près de 6 adultes américains sur 10 ont une maladie chronique et 4 adultes sur 10 en ont deux ou plus.La télésurveillance médicale représente également une réelle opportunité d’améliorer l’état de santé de ces patients en permettant un suivi plus régulier voire constant, grâce à des dispositifs médicaux connectés, capables de prévenir les situations d’urgence.Plus particulièrement, 13,6 % des Amérindiens et Natifs d’Alaska adultes souffrent du diabète - le plus fort taux de prévalence par ethnie dans le pays - contre 6,9 % chez les populations blanches non hispaniques. De même, les Amérindiens et Natifs d’Alaska adultes ont 10 % de plus de risque d’avoir de l’hypertension artérielle que les populations blanches non hispaniques. La télésurveillance médicale représente également une réelle opportunité d’améliorer l’état de santé de ces patients en permettant un suivi plus régulier voire constant, grâce à des dispositifs médicaux connectés, capables de prévenir les situations d’urgence.La régulation de l’IA, autre terrain de rivalité entre États et gouvernement fédéralAlors que Trump aurait décrit l’IA comme "la chose probablement la plus dangereuse qui existe" lors d’un récent déplacement dans le cadre de la campagne électorale, le président Joe Biden a publié fin 2023 un Executive Order afin de poser les principes d’une future régulation de l’IA. Le président actuel s’est également engagé sur une réponse coordonnée et rapide de ses agences, notamment la Food and Drug Administration (FDA) sur les applications en santé, afin de garantir la sécurité et l'efficacité de l'IA. Mais évaluer l'IA est une tâche monumentale qui nécessite de repenser le paradigme existant de la FDA : lorsque l’agence approuve des médicaments et des dispositifs médicaux, elle n'a pas besoin de suivre l'évolution de leur performance alors que les logiciels d’IA sont, par définition, en constante évolution. Pour créer cette nouvelle approche, l'agence souhaite avoir plus de prérogatives, y compris l'accès à certaines données pour mieux réguler les algorithmes, allant au-delà de son cadre traditionnel d'évaluation des risques pour les médicaments et les dispositifs médicaux. À ce titre, une coalition pour l’IA en santé, Coalition for Health AI (CHAI), vient d’être créée. Son objectif est d'apporter son soutien aux autorités publiques, notamment la FDA, de faire collaborer décideurs publics, entreprises et société civile, pour réfléchir aux meilleures pratiques en matière de développement des algorithmes en santé. Elle vise également à contribuer à l'élaboration d'une régulation adéquate de l'IA dans ce domaine.Mais plusieurs élus questionnent la mise en place d’une régulation de l’IA et ne la jugent pas prioritaire : "Il n'y a pas d'urgence nationale en matière d'IA", a déclaré le sénateur républicain Mike Rounds. De nombreuses résistances se font déjà jour à mesure que les débats sur la régulation de l’IA se structurent. Celles-ci montrent comment les tentatives de créer des normes de sécurité pour une technologie en plein essor pourraient entraîner des désaccords politiques plus larges que la seule régulation des algorithmes ou des entreprises qui les fabriquent. Certains de ces désaccords concernent, une fois de plus, le rôle du gouvernement fédéral et de ses agences vs. celui des États. Si le Congrès ne prend pas d'initiatives opérationnelles dans les prochains mois, les États risquent d’avancer avec leurs propres dispositions concernant la régulation de l'IA. Certains d’entre eux envisagent déjà de créer de nouveaux organismes locaux liés à l'IA, sollicitent des expertises scientifiques et citoyennes sur des projets de régulation et considèrent leur leadership futur en matière d'IA comme une opportunité de se démarquer, tant au niveau national que mondial. Par ailleurs, les États ne font pas face aux barrières partisanes présentes à Washington : un certain nombre d’entre eux sont contrôlés par l'un ou l'autre parti ce qui leur permet de faire avancer la législation plus rapidement.Une autre question que pose la régulation de l’IA est la collecte et l’utilisation des données personnelles. Les citoyens américains pourraient bientôt bénéficier d’une loi fédérale sur la vie privée, 20 ans après que la Federal Trade Commission a exhorté le Congrès à réglementer la collecte de données en ligne.Une autre question que pose la régulation de l’IA est la collecte et l’utilisation des données personnelles.Début avril, une représentante républicaine et une sénatrice démocrate ont présenté un projet de loi bipartisan, l'American Privacy Rights Act, qui vise à fournir un ensemble complet de règles régissant l'utilisation des données personnelles des citoyens. "Cette législation bipartisane et bicamérale est la meilleure opportunité que nous ayons eue depuis des décennies pour établir une norme nationale en matière de protection et de sécurité des données". Ce projet de loi est une avancée encourageante, notamment ses applications dans le champ de la santé, où la protection des patients, l’accès équitable et la lutte contre les biais algorithmiques deviennent de plus en plus pressants. Mais là encore, des désaccords politiques émergent ; le sénateur républicain Ted Cruz a prévenu qu'il examinerait le projet de loi mais ne soutiendrait pas les dispositions qui permettraient de donner plus de pouvoirs à la Federal Trade Commission, une agence… fédérale.Copyright image : Drew Angerer / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFPImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneOctobre 2020Trump ou BidenComment reconstruire la relation transatlantique ? Trump ou Biden quoiqu’il arrive, un nouveau dialogue transatlantique est à inventer.Consultez la Note 26/03/2024 Accès aux soins et droit à l’avortement, un pays divisé Laure Millet 26/02/2024 État de santé, un bilan préoccupant Laure Millet 26/02/2024 Radioscopie du système de santé états-unien Laure Millet