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05/12/2025
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Emmanuel Macron en Chine : haro sur le messager

Emmanuel Macron en Chine : haro sur le messager
 François Godement
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Asie et États-Unis

​Emmanuel Macron achevait, le 4 décembre, la quatrième de ses visites d'État en Chine. Qu'en retenir ? On aurait tort, nous montre François Godement dans sa tribune, de se concentrer sur les contrats commerciaux ici ou là : les sujets d'opposition sont de plus en plus ouverts entre les deux pays (rivalité technologique, soutien à la Russie) et ne sauraient être considérés comm secondaires face à des enjeux économiques de court terme comme Pékin voudrait le faire croire. Au contraire, ils exigent d'une Europe confrontée au lâchage américain qu'elle raffermisse ses positions.

La visite d’État en Chine d’Emmanuel Macron s’achève, après des honneurs protocolaires remarqués, des échanges parfois publics avec Xi Jinping qu’on peut presque qualifier, selon le langage diplomatique codé, de "francs et sans détours", tant les contradictions sont apparues importantes, de l’Ukraine au rééquilibrage du commerce.

Un président qui avait souvent préféré avec la Chine le "faire" au "dire" est ainsi devenu le porte-parole d’une Europe à la fois inquiète - ce sur quoi capitalisent tous les commentaires officieux chinois - mais peut-être aussi prête à des répliques dans les actes à l’inflexibilité chinoise. Le jour de l’arrivée du président français à Pékin, le 3 décembre, l’Europe publiait sa nouvelle doctrine de sécurité économique. La semaine suivante, elle dévoilera le volet positif de son "accélérateur industriel" qui comprend des obligations de localisation en Europe pour les investissements, à commencer par des quotas de fabrication locale pour éviter les "usines tournevis". 

Un président qui avait souvent préféré avec la Chine le "faire" au "dire" est ainsi devenu le porte-parole d’une Europe à la fois inquiète[...] mais peut-être aussi prête à des répliques dans les actes à l’inflexibilité chinoise.

Or, au cours de ses échanges, le président a évoqué publiquement la perspective d’une "guerre commerciale" nuisible à toutes les parties, soulignant implicitement que les politiques chinoises placent l’Europe devant une alternative redoutable : céder sur toute la ligne ou adopter des lignes de résistance sans précédent.

En France même, la conjonction de diverses oppositions politiques fait que la position du président sera souvent vue à travers l’absence de résultats concrets franco-chinois. Pas de commande d’Airbus pour l’instant - mais un renforcement de la capacité de l’usine de Tianjin et des "coopérations techniques". Pour les avions, il faut bien que la Chine garde des pépites dans ses tractations avec Trump. Le nucléaire civil : on imagine que ce sera un retour d’expériences chinoises, étant donné l’avance pratique acquise après des décennies de transferts technologiques vers la Chine. Mention plus précise de technologies vertes : hydrogène, batteries (hors les domaines les plus avancés sans doute), réseaux électriques. Des avancées dansl’agro-alimentaire avec l’ouverture plus large envisagée des marchés (y compris vins et spiritueux). On hésite à mentionner les pandas, mais il y a quelques points précis : normes sanitaires pour la luzerne, ouverture aux abats de porc…

Il reste une interrogation persistante sur le cognac ces temps-ci, la Chine renonce rarement (sauf avec Trump) à son utilisation toujours possible, qu’elle soit annoncée ou subreptice, de sanctions "à la carte". Mention de l’automobile dans les secteurs de coopération mais de façon vague :  "mobilité durable", standards, intelligence artificielle. La coopération est pourtant une réalité chez nos constructeurs, dans la direction Chine-France, mais ce n’est pas un axe prioritaire du côté chinois. Dans le biomédical et la mise au point des médicaments, une ligne de force française où la Chine monte rapidement en puissance, des coopérations seraient peut-être à même d’éviter le conflit, puisque les acheteurs publics y pèsent d’un grand poids. Dans le domaine spatial, l’IA et surtout les chaînes d’approvisionnement, on en reste à des formulations très vagues.

Cette liste, ambitieuse par son ampleur mais jusqu’à plus ample informé, des plus limitée dans les précisions, illustre bien sûr le basculement des rapports de force technologiques : la Chine dépasse souvent le niveau français, et elle tient à le faire savoir. Et dans certains cas, au contraire, la France est soucieuse de ne pas transférer son avance technologique.

Mais il y a plus : comme tant d’engagements vagues de la Chine, la suite dépendra sans doute des rapports géopolitiques et de la ligne suivie par la France. Jamais Xi Jinping n’avait déployé en public une telle clarté sur la position chinoise concernant l’Ukraine, opposant un refus aux demandes d’Emmanuel Macron, qui rêve d’impliquer la Chine dans une négociation pour mieux influencer la Russie. La Chine "n’a pas d’influence sur ce dossier ". C’est à l’évidence une contre-vérité : Pékin est le plus grand arrière de Moscou, lui fournit des composants et soutient sa production de drones, réaffirme sans cesse son partenariat.

Il est vrai que Xi doit regarder par-dessus son épaule pour surveiller l’état des concessions faites par Donald Trump à Poutine : comme pour les avions, c’est aussi une donnée américaine qui fait de l’Europe un interlocuteur et un enjeu très secondaires… Xi ne peut que se réjouir, par contre, de voir au même moment la stratégie de "sécurité nationale" de l’Amérique parler de "l’effacement civilisationnel de l’Europe" , un propos que ne renieraient ni Xi Jinping ni bien sûr Vladimir Poutine.

Jamais Xi Jinping n’avait déployé en public une telle clarté sur la position chinoise concernant l’Ukraine, opposant un refus aux demandes d’Emmanuel Macron, qui rêve d’impliquer la Chine dans une négociation pour mieux influencer la Russie.

Dans plusieurs domaines, les répliques à Emmanuel Macron montrent à quel point la Chine officielle se réjouit des doubles difficultés de l’Europe, entre Chine et Russie d’un côté, et les États-Unis trumpiens de l’autre. Ceux qui en France se réjouissent pour des raisons de politique intérieure d’un voyage difficile feraient mieux de lire les analyses chinoises de la situation française. 

Tout comme les appels aux États-Unis à sortir de l’ambiguïté sur Taiwan et à reconnaître la souveraineté pleine et entière de la Chine, ils pointent souvent un "double jeu" français, des "promesses creuses" (un comble quand on connaît le pedigree chinois en la matière). "L’autonomie stratégique" - qu’ils célèbrent, c’est non seulement s’éloigner de Washington, mais aussi de Bruxelles et de l’Europe, en renonçant à la notion d’une Chine en rival stratégique et surtout en supprimant toute barrière à l’éternel transfert de technologies avancées - sans tenir compte, bien sûr, qu’elles sont strictement contrôlées en Chine.

"L’Europe a désespérément besoin du transfert de technologies chinoises" ("欧洲人迫切希望中方技术转移"), conclut une analyse synthétique qui évacue ainsi tous les désaccords géopolitiques ou commerciaux, tandis qu’une autre qualifie l’amitié franco-chinoise et les interactions fréquentes entre les deux dirigeants comme à même de “laisser derrière elles de nombreuses anecdotes diplomatiques” (也留下一段段外交佳话). Plus concrètement encore, un analyste des relations franco-chinoises conditionne les "bonnes relations", cerise sur le gâteau (la touche finale 要么只是锦上添花的作用) à une entente politique et économique, qui passe d’abord par le rejet de la stratégie européenne, de rivalité stratégique et évoque la position française sur le conflit ukrainien comme purement "rhétorique".

Comment sortir de ces impasses ? Une partie de l’extrême-droite française se réjouira de l’appel de Donald Trump aux "forces patriotiques européennes" de renverser le système européen actuel ["We want Europe to remain European, to regain its civilizational self-confidence", "Il faut que l’Europe reste l’Europe, et réaffirme sa confiance dans sa propre civilisation"]: sa doctrine de sécurité européenne n’a qu’une mention de l’Union européenne, pour la dénoncer. L’extrême-gauche - voir le récent rapport parlementaire de Sophia Chikirou - prônera l’alignement sur la Chine. Les deux annoncent un avenir fataliste de faiblesse pour une Europe fragmentée ou soumise. 

Ceux qui en France se réjouissent pour des raisons de politique intérieure d’un voyage difficile feraient mieux de lire les analyses chinoises de la situation française.

Il est clair qu’aucun dirigeant européen n’a par lui-même - et en particulier le président français qui arrivera bientôt en fin de mandat - la possibilité d’éviter seul ces chemins du renoncement

Emmanuel Macron, dont on a parfois critiqué dans le passé la tendance au prophétisme, a ici indiqué aux dirigeants chinois une attitude différente, dont la France - affaire Shein dans l’immédiat - et l’Union européenne - des sanctions contre X à la déclinaison d’une doctrine de défense économique et de politique industrielle - doivent accélérer le déploiement

Copyright image : Sarah Meyssonnier / POOL / AFP
Xi Jinping et Emmanuel Macron à Pékin le 4 décembre 2025.

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