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28/03/2025

Économie chinoise : en attendant la relance…

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Économie chinoise : en attendant la relance…
 Philippe Aguignier
Auteur
Expert Associé - Asie

Le 4 mars à Pékin s’est ouverte l’Assemblée nationale populaire. Face une demande domestique toujours très morose, à la nécessité de gérer le legs de la crise de l’immobilier de 2022, et à la guerre commerciale ouverte par l’administration Trump, l’État doit assurer une relance conjoncturelle et engager une politique plus favorable à la consommation qui va à l’encontre d’une certaine doxa chinoise. Avec une dette publique jugée importante et des gouvernements locaux en mal de financement, face aux risques de toute réforme fiscale, dans un environnement international très incertain, quels sont les dilemmes de la Chine ? 

Au mois de mars s’est tenue, comme chaque année à Pékin, la réunion annuelle de l’Assemblée nationale populaire chargée de ratifier les nouveaux textes de loi, ainsi qu’un rapport de travail sur l’année passée et le budget de l’État pour l’année en cours, présentés par le Premier ministre Li Qiang. 

Ceux qui attendaient à cette occasion l’annonce de mesures fortes et de réformes structurelles visant à traiter les problèmes économiques de fond, notamment en altérant de manière durable le partage entre consommation et investissement, en ont été pour leurs frais. 

Budget 2025 : beaucoup de bruit pour pas grand-chose ?

Les autorités, à la fois désireuses de rassurer sur leur capacité à maintenir l’économie sur une trajectoire stable malgré un environnement incertain mais réticentes à trop s’écarter des chemins battus, ont annoncé sans surprise un objectif de croissance du PIB maintenu "autour" de 5 %. À cela s’ajoute, une augmentation modeste du déficit budgétaire de 3 à 4 % selon les chiffres officiels

Les autorités ont certes souligné l’importance de la consommation comme moteur de croissance et la nécessité de la stimuler.  - sans pour autant annoncer de nouvelles mesures concrètes et majeures allant dans ce sens. 

Les autorités ont certes souligné l’importance de la consommation comme moteur de croissance et la nécessité de la stimuler - sans pour autant annoncer de nouvelles mesures concrètes et majeures allant dans ce sens. Elles ont simplement rappelé (et intégré formellement dans le budget) des mesures annoncées en octobre 2024, comme l’autorisation donnée aux autorités locales d’émettre des obligations nouvelles pour refinancer des prêts existants pour un montant de 2 000 milliards de RMB (256 milliards d’euros aux taux moyen de mars 2025). 

Elles ont aussi dévoilé quelques initiatives ponctuelles et d’ampleur limitée comme une ligne de subventions de 300 milliards de RMB (40 milliards d’euros) pour les ménages désireux de remplacer certains équipements domestiques.

Les priorités du gouvernement ont été précisées et complétées quelques jours plus tard dans un "Plan d’action spécial pour stimuler la consommation" émanant conjointement du Comité central du Parti et du Conseil d’État. Malgré un langage ferme et résolu ("Le plan (…) vise à stimuler vigoureusement la consommation, à stimuler la demande intérieure dans tous les domaines, et à accroître le pouvoir d'achat en augmentant les revenus et en réduisant les charges financières"), le texte consiste surtout en une liste de déclarations d’intention non quantifiées, ce qui incite à le considérer avec prudence. 

De plus, à le lire attentivement, on y trouve aussi, comme d’ailleurs dans le budget, une réaffirmation du fait que l’investissement dans le développement des "nouvelles forces productives" - nom de code pour les technologies avancées et les activités manufacturières - constitue, au moins au même titre que la stimulation de la consommation, une priorité à laquelle il n’est pas question de renoncer. Au total donc, beaucoup de paroles mais toujours pas de relance ! 

Pourquoi tant de prudence : les explications conjoncturelles

La situation de blocage autour du concept même de soutien à la consommation ou de déploiement de la fonction protectrice de l’État semble avoir évolué : on sait que la plupart des économistes chinois recommandent d’aller dans cette direction, mais que Xi Jinping et d’autres dirigeants y ont été longtemps fondamentalement hostiles pour des raisons idéologiques - ils y voient un pas dans une direction qui conduit à la décadence, comme le montre à leurs yeux l’exemple européen. Le changement de ton récent des déclarations officielles semble indiquer que le débat porte maintenant sur les modalités et le calendrier plus que sur le principe, même si cela doit advenir à contrecœur pour certains.

L’attentisme des dirigeants s’explique, au moins en partie, par le fait qu’ils ne sont pas encore confrontés à une urgence extrême : les banques sont affaiblies par la crise immobilière et par les difficultés financières des gouvernements locaux auxquels elles sont très exposées - mais elles tiennent le choc. Une application souple des règles prudentielles par le régulateur bancaire leur permet d‘étaler sur la durée le poids des provisions à constituer (le budget contient par ailleurs une ligne spécifique de 500 milliards de RMB - 64 milliards d’euros - pour renforcer leurs fonds propres), et il n'y a pas de risque d’implosion du système bancaire à court terme.

La dette publique augmente rapidement, et est en réalité bien supérieure à ce qu’indiquent les statistiques officielles, mais le ratio dette sur PIB reste bien en-deçà de ce qui constituerait un seuil d’alerte (de l’ordre de 120 % dans les estimations les plus pessimistes du FMI, contre par exemple près de 260 % pour le Japon), et le gouvernement n’éprouve aucune difficulté à se financer vu l’abondance de l’épargne domestique.

La situation de blocage autour du concept même de soutien à la consommation ou de déploiement de la fonction protectrice de l’État semble avoir évolué.

Les autorités peuvent donc se permettre d’attendre et garder leurs options ouvertes, en particulier tant que les intentions de la nouvelle administration états-uniennes vis-à-vis de la Chine ne sont pas plus claires. Une déclaration récente du ministre des Finances Lan Fo’an va dans ce sens : "afin de faire face à d'éventuelles incertitudes internes et externes, le gouvernement central a réservé suffisamment d'outils de réserve et d'espace politique". Le soutien à l’industrie et aux exportations étant mis sur le même plan que la stimulation de la consommation en tant que moteur de croissance, il est donc prudent de ne pas se précipiter pour relancer la consommation domestique tant que l’on ne connaît pas la force du vent de face que les exportateurs devront affronter et si l’on veut être sûr de bien doser les efforts.

Les facteurs structurels explicatifs

La complexité, les coûts et les risques des réformes à entreprendre sont des facteurs encore plus puissants pour pousser à l’inertie. Les marges de manœuvre financières du gouvernement sont réelles à court terme, mais elles ne sont pas illimitées à plus longue échéance. L’ampleur réelle du déficit est un premier problème : l’agence de notation internationale Fitch l’estime pour 2025 à 8,8 % du PIB au lieu des 4 % officiels - et le FMI largement au-dessus de 10 %! Ce déficit pèse principalement sur les gouvernements locaux, les mettant devant des choix difficiles entre réduire leurs investissements (ce qui réduit aussi leurs rentrées fiscales, et aggrave donc leurs difficultés) ou rogner sur les services sociaux élémentaires, dont la charge leur incombe selon les règles de répartition des responsabilités entre le gouvernement central et les localités. 

Ce sujet de répartition des ressources fiscales en cache un autre, moins souvent commenté, qui est l’érosion de la part des revenus de l’État dans le PIB, passée de 22,1 % à 16,9 % entre 2015 et 2024. La crise du Covid et la crise immobilière ont contribué à cette baisse, la première par la multiplication des exemptions fiscales consenties aux entreprises, la seconde par l’effondrement des revenus liés aux transactions foncières et immobilières qui constituent un élément essentiel des revenus des gouvernements locaux. Un tel taux d’extraction est beaucoup plus bas que celui de la moyenne des pays de l’OCDE (34 % en 2022).

L’impact de la baisse des revenus fonciers a été d’autant plus fort que les ressources fiscales de l’État chinois sont peu diversifiées, les revenus prélevés sur les particuliers ne représentant par exemple que 6 % des revenus fiscaux, contre 24 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Il serait certainement possible de relever un taux d’extraction global aussi bas, mais cela ne peut pas se faire sans une refonte complète du système fiscal. En l’absence d’une telle réforme, tout effort de relance ou de renforcement des dispositifs de protection sociale ne peut que se traduire par une augmentation immédiate du déficit. Or, nous avons vu qu’il est déjà à un niveau élevé même s’il reste finançable à court terme. Reste l’option de réduire d’autres types de dépenses comme par exemple les dépenses régaliennes, ce qui semble peu plausible. À ce sujet, on notera que la croissance renouvelée de 7,2 % des dépenses militaires dans le budget 2025 est plus rapide que celle du PIB ou de l’ensemble des revenus de l’État.

Une réforme fiscale nécessaire

Les réformes fiscales seront nécessairement compliquées, techniquement, économiquement, et politiquement. On touche là au cœur des intérêts des bureaucraties centrales et locales, et trouver un consensus prendra nécessairement du temps : la dernière grande réforme date de 1992, et avait été en gestation pendant des années. Il faudra réinventer des mécanismes de partage des revenus et de répartition des responsabilités, mais aussi trouver les moyens d’élargir la base fiscale. Entre autres possibilités, augmenter la part des ressources prélevées sur les particuliers serait pertinent à long terme du point de vue fiscal, mais pas forcément opportun d’un point de vue économique à court terme si l’on souhaite dans le même temps stimuler la consommation des particuliers.

Les réformes fiscales seront nécessairement compliquées, techniquement, économiquement, et politiquement. 

Les réformes seront également coûteuses : une des mesures les plus efficaces à long terme pour développer la consommation des particuliers serait d’accélérer l’abolition du hukou. Ce dernier, qui consiste en un système de passeport interne, continue en effet de restreindre l’accès de dizaines voire de centaines de millions de migrants intérieurs issus principalement des campagnes aux mêmes services sociaux que les résidents urbains. 

Une telle réforme a été plusieurs fois officiellement annoncée, mais ses progrès sont freinés par un facteur financier. Selon plusieurs études, l’ordre de grandeur du coût financier de donner aux migrants les mêmes droits qu’aux résidents urbains serait d’au moins 15,000 milliards de RMB (1,920 milliard d’euros), soit près de 12 % du PIB, une charge que des gouvernements locaux déjà fragilisés ne sont pas en état de financer. 

Les autorités sont donc dans une situation paradoxale : elles semblent plus disposées qu'auparavant à tenter de rééquilibrer leur modèle économique, sans pour autant renoncer aux investissements en faveur de la productivité industrielle. Elles doivent néanmoins pour ce faire d’abord entreprendre des réformes de fond qui les exposent à des choix et des risques qu’elles n’ont sans doute pas envie de prendre dans un contexte d’incertitudes extérieures maximales. Comme elles ne sont pas confrontées à des risques de crise aiguë à court terme, la temporisation peut s’imposer, par choix ou par défaut, comme la moins mauvaise option. Le futur n’en sera que plus risqué.

Copyright image : Pedro Pardo / AFP
Xi Jinping et son Premier ministre Li Qiang lors de la cérémonie d’ouverture de la réunion annuelle de l’Assemblée nationale populaire au Palais de l'Assemblée du Peuple, à Pékin, le 4 mars 2025

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