AccueilExpressions par MontaigneChina Trends #22 - L'ambition spatiale de la Chine, une quête "sans fin"L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.19/02/2025China Trends #22 - L'ambition spatiale de la Chine, une quête "sans fin" AsieImprimerPARTAGERAuteur Blaine Curcio Fondateur d'Orbital Gateway Consulting Auteur Jyh-Shyang Sheu Assistant Research Fellow, Institut de recherche sur la défense et la sécurité nationales Auteur Raphaël Tavanti-Geuzimian Chargé de projets - Économie Auteur Mathieu Duchâtel Directeur des Études internationales, Expert Résident Auteur Pierre Pinhas Chargé de projets - Programme Asie China Trends : capter les signauxTélécharger ce numéroIntroductionPar Mathieu DuchâtelDeepSeek capte aujourd'hui tous les regards, révélant en creux que la Chine n'a pas encore vécu son "moment Spoutnik" spatial. Certains experts chinois estiment qu'une telle percée pourrait survenir avec la mission Tianwen-3 (2028-2031), chargée de rapporter des échantillons martiens et susceptible, par ricochet, d'offrir à la Chine un avantage décisif sur la mission euro-américaine Mars Sample Return. Mais 2031 reste un horizon lointain.Pendant ce temps, la rivalité technologique entre les États-Unis et la Chine ne cesse de s'intensifier, et une obsession américaine classique imprègne les écrits des experts chinois : Washington demeure l'unique référence digne de ce nom, reléguant l'Europe, l'Inde et le Japon à l’ombre du débat. En ce début d’année 2025, le paysage spatial chinois se dessine avec une clarté saisissante : une stratégie méthodique et de long terme, façonnée par des ambitions de supériorité militaire, une quête de domination technologique, des considérations commerciales omniprésentes et l'emprise familière de l’État sur la politique industrielle. Une vision qui, comme l’a suggéré Xi Jinping, s’inscrit dans une exploration spatiale "sans fin".Depuis le début du XXIème siècle, la Chine est passée d’un rôle marginal dans l’industrie spatiale à celui de puissance incontournable. Il y a vingt ans, elle se décrivait encore avec humilité comme une industrie en apprentissage, tirant constamment des enseignements de ses erreurs. La donne a changé, et les analystes chinois la décrivent désormais en des termes plus élogieux, empruntés à d'autres industries : "grande mais encore perfectible", "en phase de rattrapage", parfois "roulant avec le peloton" et, dans certains cas, "en tête de la course". La qualification de "grande mais perfectible" est issue de l’initiative Made in China 2025, qui classe l’aérospatiale parmi les dix secteurs stratégiques. En théorie, grâce aux économies d'échelle et à des capacités de production massives, les entreprises chinoises devraient pouvoir monter en puissance et s'imposer rapidement comme leaders mondiaux – et le mot clé ici est bien leader. Cette ambition ne se limite pas à l'espace : elle s'étend également à l'infrastructure numérique du pays, aux ports commerciaux et aux industries de pointe, telles que les matériaux avancés et les véhicules propres.En théorie, grâce aux économies d'échelle et à des capacités de production massives, les entreprises chinoises devraient pouvoir monter en puissance et s’imposer rapidement comme leaders mondiaux – et le mot clé ici est bien leader. Cette ambition ne se limite pas à l'espace : elle s'étend également à l’infrastructure numérique du pays, aux ports commerciaux et aux industries de pointe, telles que les matériaux avancés et les véhicules propres.Bien que le secteur spatial chinois n'ait pas encore atteint le niveau de développement des États-Unis, son industrie privée évolue donc à grande vitesse, dans un environnement hautement concurrentiel.La stratégie spatiale chinoise reste sous le contrôle étroit de l'État, tout en cherchant à capitaliser sur le dynamisme du secteur privé. Si Pékin exerce toujours une surveillance rigoureuse sur les plans financier, réglementaire et institutionnel, elle encourage néanmoins l’émergence d’acteurs commerciaux capables de repousser les limites de l'ingénierie et des applications utilisateur. Bien que le secteur spatial chinois n'ait pas encore atteint le niveau de développement des États-Unis, son industrie privée évolue donc à grande vitesse, dans un environnement hautement concurrentiel qui pourrait faire émerger un champion national lors de la prochaine décennie. Dans cette course, ces entreprises prennent SpaceX et son réseau Starlink comme un modèle d’innovation, misant sur l’itération rapide, la réduction des coûts et une forte capacité d’adaptation aux besoins du marché.La stratégie spatiale chinoise reste sous le contrôle étroit de l'État, tout en cherchant à capitaliser sur le dynamisme du secteur privé. Si Pékin exerce toujours une surveillance rigoureuse sur les plans financier, réglementaire et institutionnel, elle encourage néanmoins l’émergence d’acteurs commerciaux capables de repousser les limites de l'ingénierie et des applications utilisateur. Bien que le secteur spatial chinois n'ait pas encore atteint le niveau de développement des États-Unis, son industrie privée évolue donc à grande vitesse, dans un environnement hautement concurrentiel qui pourrait faire émerger un champion national lors de la prochaine décennie. Dans cette course, ces entreprises prennent SpaceX et son réseau Starlink comme un modèle d’innovation, misant sur l’itération rapide, la réduction des coûts et une forte capacité d’adaptation aux besoins du marché.Les entreprises privées chinoises jouent un rôle clé dans la compréhension des ambitions plus vastes de la Chine dans le domaine spatial. Contrairement à leurs homologues occidentaux, souvent dépendants de contrats gouvernementaux, elles privilégient la commercialisation de produits et services destinés aux consommateurs. Avec une plus grande appétence à la prise de risque, elles adoptent des modèles commerciaux flexibles et intègrent sans hésitation la technologie satellitaire dans les usages du quotidien. Des géants comme Huawei, Xiaomi et BYD proposent ainsi des services de communication par satellite intégrés aux smartphones et aux véhicules électriques, illustrant la volonté chinoise de fusionner technologie spatiale et marchés de masse. Un élément central de cette stratégie consiste également à sécuriser l’accès aux ressources spatiales limitées, notamment le spectre de fréquences satellitaires pour les communications. Alors que SpaceX revendique une part croissante des orbites non géostationnaires, les entreprises chinoises s’efforcent d’assurer leur propre position dans cette compétition.Au-delà des ambitions économiques, l'exploration spatiale chinoise sert à la fois de vitrine technologique et de levier géopolitique. Sous l'impulsion politique de Xi Jinping, la Chine a franchi des étapes majeures : la mission lunaire Chang'e-5, l’achèvement de la station spatiale Tiangong et les missions Tianwen vers Mars témoignent de son autonomie croissante et de sa volonté affirmée de rivaliser avec les États-Unis pour s'imposer comme une puissance spatiale de premier plan.Pour Pékin, l'exploration spatiale est profondément liée à un sentiment de fierté nationale et constitue l'un des nombreux leviers permettant au Parti communiste de cultiver sa légitimité politique. Comme toute réalisation d’envergure capable de susciter un enthousiasme collectif, elle est mise en avant comme un symbole du dynamisme et de l’unité du pays. Le gouvernement présente donc ces succès comme autant de réalisations faisant partie du "grand renouveau" de la Chine, consolidant son image de puissance technologique de premier plan. Si un haut responsable chinois a pu décrire le programme spatial comme "un magnifique poème de l'humanité envoyée de la Terre à l'Univers", il s'agit également d'une déclaration politique, mettant en avant la capacité de la Chine à rivaliser dans les technologies et les innovations de pointe.Cependant, les ambitions spatiales de la Chine ne se limitent pas à une quête de reconnaissance internationale. Elles jouent un rôle encore plus central dans sa stratégie militaire, sa vision de la guerre au XXIème siècle et son interprétation des nouveaux équilibres stratégiques. En avril 2024, Pékin a entrepris une réorganisation majeure de l'Armée populaire de libération (APL), dissolvant la Force de soutien stratégique (FSS), créée lors des réformes militaires de Xi Jinping en 2016. À sa place, trois nouvelles entités ont été placées sous le commandement direct de la Commission militaire centrale : la Force aérospatiale militaire, la Force du cyberespace et la Force de soutien à l'information.La Force aérospatiale militaire est ainsi devenue l'une des deux seules forces spatiales indépendantes au monde, reprenant les missions de l’ancien département des systèmes spatiaux de la FSS. Cette réforme illustre l'engagement continu de la Chine à renforcer ses capacités spatiales, un effort amorcé dès les années 1990 pour réduire la vulnérabilité de son armée face à la supériorité américaine. Les ressources spatiales, cruciales pour le renseignement, les communications et les opérations militaires, sont désormais perçues comme une "infrastructure critique" relevant de la "sécurité spatiale". Plus encore, la Chine envisage l'espace à la fois comme un levier stratégique pour une éventuelle "première frappe" en cas de conflit et comme un champ de guerre hybride, où la compétition se joue bien avant l'ouverture des hostilités.La Chine envisage l'espace à la fois comme un levier stratégique pour une éventuelle "première frappe" en cas de conflit et comme un champ de guerre hybride.Outre l'accent mis sur son potentiel en termes de puissance militaire, l'espace fait également partie intégrante de la politique étrangère chinoise. Si la concurrence avec les États-Unis reste le centre de gravité de son programme spatial, "la Chine est prête à travailler avec toutes les nations pour explorer les mystères de l'Univers, promouvoir l'utilisation pacifique de l'espace et faire progresser la technologie spatiale au profit de l'humanité dans sa globalité", selon Xi Jinping. La Station internationale de recherche lunaire (International Lunar Research Station en anglais), développée en partenariat avec la Russie, souligne ainsi son ambition de bâtir une alliance spatiale internationale alternative.Alors que la guerre en Ukraine complexifie la participation de la Russie, la Chine continue de nouer des partenariats par le biais d'initiatives telles que la station spatiale Tiangong et les programmes internationaux de satellites. Jusqu'à présent, et par ordre chronologique d’adhésion, le Venezuela (qui fournit l'accès aux stations au sol), l'Afrique du Sud, l'Azerbaïdjan, le Pakistan, la Biélorussie, l'Égypte, la Thaïlande, le Nicaragua, la Serbie, le Kazakhstan et le Sénégal ont rejoint l'ILRS. L'Argentine, qui accueille une station chinoise dans l'espace lointain en Patagonie, est également un point nodal de cette stratégie internationale.Les faits et les analyses des experts chinois démontrent donc comment le programme spatial chinois reflète plus largement son modèle de développement industriel : méthodique, guidé par l'État et visant à détenir des avantages stratégiques à long terme en visant les économies d'échelle. La Chine n'a peut être pas encore vécu son "moment Spoutnik" spatial mais, indéniablement, elle travaille d'arrache-pied pour créer les conditions d'une telle percée stratégique.Copyright Image : ADEK BERRY / AFPL'article d'introduction de Mathieu Duchâtel a également été publié par The Diplomat.Les ambitions spatiales du secteur privé chinoisPar Blaine CurcioLes entreprises chinoises scrutent avec attention les réussites nationales et internationales, cherchant à intégrer rapidement les dernières innovations technologiques dans leurs produits. Inspirées par le triomphe de SpaceX et de Starlink, elles s’efforcent de se détacher du carcan de contraintes imposé par les entreprises publiques. Leur priorité : favoriser l'innovation, concentrer leurs efforts sur des produits et services répondant aux besoins des consommateurs, et adopter des processus itératifs, n'hésitant pas à accepter les échecs en cours de route. Selon Blaine Curcio, fondateur d'Orbital Gateway Consulting, ces entreprises privées, aux côtés des acteurs étatiques, deviennent des acteurs stratégiques de plus en plus influents dans le domaine spatial. Curcio souligne que l'essor du secteur privé représente une clé de compréhension essentielle pour évaluer les ambitions spatiales de la Chine dans son ensemble.▶ Lire l'articleLa course aux étoiles : les États-Unis comme seule référencePar Pierre Pinhas and Raphaël Tavanti-GeuzimianLes succès de la Chine en orbite terrestre basse, sur la Lune et sur Mars ont une portée symbolique considérable et servent le discours politique du Parti communiste chinois (PCC) tant au niveau national qu'international. À travers une analyse des commentaires d'experts, Pierre Pinhas et Raphaël Tavanti-Geuzimian, de l'Institut Montaigne, montrent comment Pékin se positionne peu à peu comme une puissance spatiale dominante. Bien que l’exploration spatiale demeure un domaine relativement pacifique, la recherche de la comparaison avec le spatial américain est omniprésente. Le discours chinois s’inscrit régulièrement dans ce cadre comparatif, d'autant qu’un nouveau chapitre de la rivalité géopolitique entre les deux pays semble s'ouvrir.▶ Lire l'articleGuerre spatiale : opérations hybrides et risque de première frappePar Jyh-Shyang SheuLe caractère dual des technologies spatiales offre aux régimes autoritaires une opportunité de transformer l'espace en un terrain propice aux activités de zone grise. Au fil du temps, la Chine a redéfini l’espace comme un domaine stratégique, essentiel à la modernisation de l'Armée populaire de libération (APL) et à la neutralisation des capacités de ses rivaux. Jyh-Shyang Sheu, de l'Institute for National Defense and Security Research à Taipei, propose une perspective historique sur l'évolution de l'espace dans la stratégie militaire chinoise. Dans les cercles de réflexion sécuritaires et militaires chinois, les satellites de communication et autres technologies spatiales sont considérés comme des éléments stratégiques incontournables. Si l’espace pourrait devenir le théâtre d'une "première frappe" dans un conflit armé, il semble destiné à accueillir davantage d’opérations hybrides en temps de paix.▶ Lire l'article China Trends #22 - China's Dream of Space with "No End" (22 pages)TéléchargerImprimerPARTAGERcontenus associés 09/10/2024 China Trends #21 - La Chine et l’axe révisionniste : un jeu d’équilibriste François Godement Pierre Pinhas Adam Cathcart Marcin Kaczmarski 09/07/2024 China Trends #20 - COSCO, Huawei, State Grid : géants chinois des infrastru... Mathieu Duchâtel Misha Lu Anders Hove Léonie Allard Pierre Pinhas 09/04/2024 China Trends #19 - Chine-Inde : une paix chaude François Godement Mathieu Duchâtel Manoj Kewalramani Jabin T. Jacob Pierre Pinhas