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09/12/2024

De la crise à la prospective : pour une politique étrangère de temps long

De la crise à la prospective : pour une politique étrangère de temps long
 Jonathan Guiffard
Auteur
Expert Associé - Défense et Afrique

Dans le prolongement de son article du 27 mars 2024, "La France n’est pas prête face au bouleversement du monde", notre expert associé, Jonathan Guiffard, propose ici une courte réflexion pour changer le tempo de la politique étrangère et de défense, en sortant du réflexe crisogène pour reprendre un champ large. Pourquoi le terme de crise égare-t-il l’analyste ? En quoi l’approche anglo-saxonne du renseignement peut-elle inspirer à l’État une meilleure organisation ? Ni pari risqué, ni prédiction à la Nostradamus, qu’est-ce que la prospective et en quoi est-elle un outil indispensable à la réflexion stratégique ?

Le 27 novembre 2024, le lancement d’une offensive des rebelles syriens situés dans le nord-ouest du pays a remis au centre de l’espace médiatique la crise syrienne et sa crise humanitaire, nouvelle étape de la crise au Proche-Orient. Or, il s’agit avant-tout d’une offensive militaire localisée dans une guerre civile qui dure depuis 12 ans, à l’intérieur d’un espace régional secoué par une "crise" dont on se trouve en peine de situer l’origine : faut-il remonter aux printemps arabes (2011) ? À l’intervention israélienne au Liban (2006) ? La guerre en Irak (2003) ? La guerre civile libanaise (1975) ? La création d’Israël (1948) ou même la dislocation de l’Empire Ottoman (1920) ? Dans ce contexte, le terme de crise a-t-il seulement du sens ?

Est-il souhaitable que la politique étrangère de la France se retrouve au même tempo que nos algorithmes Instagram ?

Cet exemple illustre parfaitement les errements analytiques causés par le culte déraisonnable du vocable de la crise, sémantique qui efface le temps long, qui gomme la complexité et qui accélère artificiellement le tempo. Est-il souhaitable que la politique étrangère de la France se retrouve au même tempo que nos algorithmes Instagram ?

Dans cet article, nous plaidons pour reprendre du champ et de la hauteur dans notre analyse de la géopolitique et des conflits en cours. Le battement très régulier du pouls médiatique et politique de nos sociétés de l’information a progressivement enchâssé nos grilles de lecture dans un écrin de l’urgence et de l’immédiat, nous rendant borgnes face aux dynamiques de moyen et long terme qui se déploient devant nous.

Quitter la sémantique de la crise

Le terme de "crise" a été trop utilisé au XXIe siècle et devrait sortir de notre vocabulaire collectif. Chaque soubresaut de tensions ou de violences en relations internationales a été considéré comme une crise à laquelle il fallait faire face et qu’il fallait gérer, donnant lieu à une sémantique anxiogène spécifique conçue pour satisfaire une prédilection médiatique de l’adrénaline. En 1976, l’historien Randolph Starn expliquait déjà un goût de ses contemporains pour la crise et faisait remonter l’origine du mot à Thucydide et à son étymologie grecque : krinein, signifiant examiner, décider. Il s’agissait pour lui de montrer que ce terme se référait autant aux moments clés et aux points de bifurcation qui impliquaient une décision, qu’à la dimension tragique de ce choix. La volonté de rendre plus intense la situation évoquée par le vocable de crise ne date pas d’hier. Le linguiste Bruno Courbon montre que le terme était périmé au milieu du XXe siècle mais qu’on se l’est ensuite réapproprié, notamment dans la rhétorique politique et médiatique. Il démontre bien l’accroissement quantitatif de l’usage d’un terme d’origine médical désormais utilisé pour juger d’un état normal ou en crise du corps social : le mot, dès lors, matérialise le problème et fabrique l’actualité.

Or, la grande majorité des événements désignés comme des "crises" n’en sont nullement mais constituent les jalons de dynamiques de moyen et long terme. Comme l’a rappelé Richard Sinding en 1981 : "Une réflexion sur la notion de crise est une réflexion sur la réflexion, car avant la crise le mal est déjà là, mais irréfléchi, dénié. Avant la crise, il y a toujours déjà la crise, mais dissimulée. Quand la crise commence, on commence à réfléchir. Ce qui se révèle dans la crise, c’est la fragilité de ce qu’on croyait solide, la mortalité de ce qu’on croyait éternel, l’altération de ce qu’on croyait identique, et, pour parler philosophiquement, l’accidentalité de ce qu’on croyait substantiel."

Penser le monde en termes de crise est peut-être grisant, mais il empêche de voir ces dynamiques et de replacer l’événement dans le cours de l’Histoire. La crise actuelle au Proche-Orient prend ses racines au moins depuis la chute de l’Empire Ottoman. Le jihadisme international actuel prend ses racines organiques en Afghanistan, à la fin des années 1980, et idéologiques, entre l’Égypte, la Palestine et la Jordanie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La crise au Sahel a déjà 10 ans si on démarre à Serval, 25 ans si on démarre à l’arrivée du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, ancêtre d’AQMI, Al Qaïda au Maghreb islamique) dans la zone et 62 ans si on démarre à la première rébellion touarègue au Mali. La crise en Ukraine date de 2014 si on commence à la prise de la Crimée, de 2004 si on commence à la révolution orange, de 2000 si on part de la prise de pouvoir de Vladimir Poutine et de 1920 si on démarre par la colonisation de l’Ukraine par l’URSS. Cette mécanique analytique peut s’opérer de la même manière sur l’ensemble des sujets de "crises" suivies ces deux dernières décennies par les autorités françaises et européennes.

Penser le monde en termes de crise est aussi le meilleur moyen de s’user dans l’action car, par définition, la crise génère une illusion : elle peut et doit être réglée rapidement. L’accélération phénoménale de l’information, depuis les années 1980, et le séquençage politique des démocraties libérales ont renforcé la nécessité d’action des responsables politiques. Chaque problème international devient une crise sur laquelle il devient nécessaire de se positionner ou d’agir, peu importe votre connaissance, votre légitimité ou vos moyens d’actions.

"Quand la crise commence, on commence à réfléchir. Ce qui se révèle dans la crise, c’est la fragilité de ce qu’on croyait solide, la mortalité de ce qu’on croyait éternel, l’altération de ce qu’on croyait identique".

Or, comme évoqué dans un article précédent mais aussi dans le "Réveil stratégique : essai sur la guerre permanente" de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, le monde d’aujourd’hui fait face à une multiplication sans précédent des "crises" et, à ressources contraintes ou réduites, les systèmes analytiques étatiques subissent une embolie complète. Celle-ci tend à accroître la part de gestion du temps court au détriment de l’analyse de temps long.

La prime à l’action qu’implique la logique de crise génère trois externalités particulièrement négatives : l’illusion de la réussite rapide, l’usure des leviers d’actions et la difficulté à agir en situation réelle de crise. Dans un cadre international, où un État contrôle peu de facteurs et où les décisions de l’ensemble des acteurs est difficile à anticiper, l’action demeure une manière d’influencer des dynamiques ou d’obtenir des gains, modestes ou substantiels mais temporaires. Elle est permise par plusieurs leviers, dont le principal est la parole politique. Ainsi, l’action permanente, sur tous les sujets et dans tous les domaines, est susceptible d’user la crédibilité et l’efficacité des leviers d’action, les gains étant souvent nuls ou de faible ampleur et les autres acteurs internationaux se réadaptant sans cesse aux actions des uns et des autres. Cette action performative rate souvent l’illusion face à elle d’un règlement rapide de la crise : le plus souvent, les ferments d’une crise sont si complexes qu’il est impensable de dénouer rapidement et durablement la tension. Dans ce contexte, il apparaît sage de distinguer les dynamiques sur lesquelles la France a une influence réelle ou démontrée, pour une action décisive et continue, des dynamiques sur lesquelles la France doit encore démontrer sa plus-value ou son influence. D’autant qu’à mesure que l’action échoue à produire ses effets, la crédibilité sur le dossier ciblé diminue.

En outre, l’action nécessite une information plus dense, fréquente et circulée, générée par la logique de crise, ce qui implique une consommation peu optimale des ressources (humaines, budgétaires, processus…). Celle-ci entraîne une fatigue structurelle mais aussi une adaptation d’un système planificateur à un système de gestion de crises qui ne permet pas la réflexion stratégique. Le problème sous-jacent d’un tel système est sa difficulté à voir venir les évolutions dans les dynamiques qu’on cherche à influencer, mais aussi leur articulation entre elles.

Par définition, la crise génère une illusion : elle peut et doit être réglée rapidement. L’accélération phénoménale de l’information, depuis les années 1980, et le séquençage politique des démocraties libérales ont renforcé la nécessité d’action des responsables politiques.

Un premier pas nécessaire est bien de travailler à abandonner le réflexe et la sémantique de la crise, au profil d’un travail sur les dynamiques. Sur chaque sujet, il semble souhaitable d’identifier quelles sont les dynamiques de court et long terme à l'œuvre. En se posant ensuite la question des intérêts réels et des objectifs recherchés, il devient possible de se poser la question des leviers d’influence et d’action sur le moyen terme. Il ne s’agit pas de faire disparaître la surprise ou la déchirure dans le voile des apparences que constitue la crise, mais de la réintégrer dans une étude plus large des dynamiques afin d’en limiter les effets corrosifs pour le système de décision.

La différence entre l’information de crise et l’analyse stratégique

Pour dépasser la crise, il est nécessaire de s’intéresser au traitement de l’information qui est fait au profit des autorités politiques. La force des administrations de politique étrangère, de défense et de sécurité en France est la capacité de recueil et de synthèse des informations au profit des décideurs qui sont souvent très bien informés et en temps réel. La faiblesse, en revanche, est la difficulté à dépasser cette synthèse pour en produire une analyse structurante et utile à la conception d’une politique étrangère de long terme. Il s’agit bien d’une différence entre la gestion de l’information quotidienne et opérationnelle et la construction d’une réflexion stratégique. Or, les bonnes décisions se prennent aussi sur la base de cette dernière afin d’avoir une compréhension dynamique de la situation internationale et de ses multiples facteurs de complexité.

Dans les systèmes anglo-saxons, cette question s’est posée en ces termes dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, notamment aux services de renseignement car il leur était autant demandé de savoir ce que préparait un ministre soviétique pour la prochaine rencontre officielle que d’évaluer les capacités nucléaires de l’URSS. Sur le plan analytique, l’éventail des besoins était large. Aujourd’hui, de nombreux objectifs supplémentaires se sont ajoutés aux missions des services de renseignement : il leur est demandé d’identifier et d’entraver un projet terroriste, de lutter dans le cyberespace ou d’anticiper les intentions stratégiques de multiples pays. Dans le cas américain, la communauté du renseignement a été chargée de fournir à l’ensemble des décideurs une analyse stratégique, complémentaire du simple recueil de renseignement : à l'origine, la CIA avait été créée en 1947 pour remplir cette fonction. Un de ses cadres fondateurs, Sherman Kent, est d’ailleurs considéré comme le père de cette réflexion méthodologique : comment répondre aux multiples questions analytiques, d’évaluation et de scénarios, que posent les décideurs ? Pour sa part, dans la même logique, le Département d’État (qui correspond au Quai d’Orsay français) a mis en place un Bureau of Intelligence and Research (INR) chargé de proposer une analyse large champ et de temps long aux diplomates.

Pour cette raison, on peut distinguer trois fonctions des services de renseignement : la synthèse d’information, l’aide à la décision et l’analyse stratégique.

  1. La synthèse d’information est le processus classique et systématique de compilation et de transmission d’un corpus, d’information ouverte et/ou de renseignements, susceptible d’éclairer la compréhension d’un sujet pour les analystes et les rédacteurs, mais aussi de rendre compte de manière efficace aux autorités administratives ou politiques.
  2. L’aide à la décision correspond à l’utilisation qui peut être faite d’une ou plusieurs informations ouvertes et/ou renseignements susceptibles d’éclairer la décision politique ou de servir une décision opérationnelle. Ce processus correspond aux circuits mis en œuvre par tous les acteurs de l’écosystème de politique étrangère (diplomatie, armées, services de renseignement, etc.) pour remplir leurs missions opérationnelles ou stratégiques quotidiennes.
  3. L’analyse stratégique est un processus qui cherche à répondre à des questions posées par les autorités administratives ou politiques, notamment sur les stratégies et intentions de moyen-terme des acteurs internationaux, sur leurs capacités, sur les dynamiques politiques/économiques/militaires/sociales en cours dans un espace précis… autant de questions qui peuvent être répondues, en partie, par des informations ouvertes ou renseignements précis et, en partie, par des logiques d’inférence, de suppositions et de scénarios.

 

L’analyse stratégique s’effectue par des méthodes inspirées de la recherche scientifique, tout en intégrant les demandes et contraintes du gouvernement. Il s’agit de s’appuyer sur les travaux scientifiques, de les enrichir des corpus d’informations ouvertes ou secrètes et d’analyser l’ensemble avec des outils et méthodologies précises pour limiter les biais et réfléchir aux recommandations utiles. Ainsi, la réflexion stratégique ne peut pas se passer d’universitaires et d’experts géographiques/thématiques, ni d’une analyse multi-dynamique de temps court et temps long. Elle ne peut pas non plus se passer d’une logique d’anticipation, en mesure d’aider à la décision politique.

Dès lors, pour sortir du quotidien de la crise, nos décideurs politiques et administratifs pourraient travailler à améliorer les capacités d’analyse stratégique de l’État, en travaillant étroitement avec la recherche scientifique universitaire et privée, ce qui pourrait permettre de définir des politiques de plus long terme sur les différents enjeux internationaux.

L’art de la prospective : un oracle bien utile

Le continuum analytique complet d’aide à la décision implique de travailler sur le temps court (crise), le temps moyen-long (dynamiques) et le futur, ce dernier pouvant être approché par la prospective. Buzzword actuel dans les systèmes administratifs européens, il est souvent mal compris par les responsables qui en bénéficient. Le plus souvent, la prospective ne parvient pas à convaincre car elle est (mal) comprise comme une méthode d’anticipation du futur. Or, si elle est entendue ainsi, soit elle se trompe et se décrédibilise, soit elle ne se trompe pas mais se projette dans un temps long dont le responsable "de crise" ne saurait se saisir. La posture "Je vous l’avais bien dit" n’a aucune raison d’être dans le domaine de la décision, si elle n’a pas permis de convaincre le décideur d’agir.

Plus qu’une méthode de prédiction, la prospective est avant-tout un outil d’anticipation et de préparation. En proposant des scénarios mais surtout les étapes qui permettent de les réaliser, la prospective permet d’anticiper la survenue d’un scénario parmi d’autres et de limiter les effets de surprise.

Plus qu’une méthode de prédiction, la prospective est avant-tout un outil d’anticipation et de préparation.

Elle permet aussi de s’y préparer, en anticipant les décisions à prendre dans tous les champs pertinents. Il ne s’agit donc pas d’avoir raison ou de lire l’avenir dans le marc de café, mais bien de donner au responsable politique, administratif ou opérationnel une carte des différents chemins qu’une dynamique peut emprunter, des moyens d’identifier leur matérialisation et une liste de décisions à prendre en conséquence.

En outre, il convient de comprendre qu’un travail prospectif est à la portée de tous les chercheurs et experts d’un sujet, car il s’agit avant tout d’une méthode d’analyse précise :
- identifier un maximum d’acteurs et de facteurs agissant sur le phénomène observé ;
- étudier leurs évolutions de temps court, moyen et long ;
- préciser les relations entre ces facteurs et leurs dynamiques réciproques ;
- analyser les rapports de force entre les acteurs et leurs stratégies propres ;
- caractériser les éléments de rupture possibles et leur chance de survenir.

Il ne s’agit pas de faire des modèles statistiques complexes, mais de projeter et croiser des dynamiques multiples pour en anticiper les évolutions. Celles-ci permettent de faire émerger quelques scénarios réalistes et possibles. Les étapes de ces scénarios doivent être clairement mises en lumière, ainsi que les facteurs de déclenchement, pour offrir des moyens d’anticiper leur apparition. Sur cette base, un corpus de recommandations d’actions peut être proposé en anticipation ou en réaction de tel ou tel scénario qui se déploie progressivement dans le temps. Il s’agit de construire des grilles de lecture du futur.

Nous avons effectué plusieurs travaux d’ordre prospectif pour illustrer l’intérêt de cette réflexion et la nécessité d’intégrer cette méthode analytique dans l’analyse stratégique de l’État. Quelques exemples utiles qui démontrent la pertinence de cette approche :

  • Le 11 janvier 2023, nous avons dressé l’évolution à venir de la situation sécuritaire au Mali et au Burkina Faso. Le parti-pris était prospectif et se plaçait du point de vue de l’acteur jihadiste pour mettre en lumière les dynamiques à attendre, dès lors que les facteurs sur le terrain ne changeraient pas. 5 des 6 prévisions ont eu lieu ou se poursuivent encore. La 6e de temps plus long peut encore survenir à l’avenir ;
  • En février 2023, nous avons indiqué sur TV5 Monde que la demande de départ des militaires français du Burkina Faso par la nouvelle junte militaire au pouvoir annonçait l’arrivée prochaine de militaires russes dans le pays. Cette position a été très critiquée sur les réseaux sociaux et remise en cause jusqu’à l’arrivée des intéressés. Cette prédiction aurait pu ne pas avoir lieu, mais le scénario argumenté offrait la possibilité de s’y préparer ;
  • Pour la nouvelle année 2024, nous avons publié un thread X/Twitter contenant 12 propositions d’anticipation des dynamiques internationales. La plupart d’entre elles se sont réalisées, car elles étaient suffisamment larges pour constituer des dynamiques de long terme, mais aussi suffisamment précises pour qu’elles aient des implications directes et importantes sur la politique étrangère. Elles n’ont pas été proposées au doigt-mouillé et celles qui se sont révélées inexactes concernent d’ailleurs des sujets plus éloignés de notre expertise actuelle, ce qui confirme l’importance de l’expertise suivie et de long terme dans le domaine de l’analyse prospective et stratégique. Le manque de méthode et d’expérience sur un sujet est une garantie de se tromper sur l’avenir, ce qui est souvent la marque des mauvais décideurs ou des mauvais conseillers ;
  • Dans le prolongement de ces propositions, nous avons expliqué dans un tweet du 28 janvier 2024, que le Tchad allait sortir progressivement de l’orbite française, ce que nous avons argumenté dans de multiples entretiens, publics et privés, au cours des mois suivants et que nous avons détaillé dans un article du 15 juillet 2024. Cette analyse ne tenait ni du renseignement, ni de la boule de cristal, mais d’un argumentaire analytique de plusieurs dynamiques importantes en cours à la fois à N'djamena, dans son espace régional et sur l’ensemble du globe, susceptible de donner des clés pour anticiper cela. Il était tout à fait possible de contester cette analyse et il aurait été tout à fait possible qu’elle s’avère fausse, mais elle pouvait servir de base à un scénario pour se préparer et ne pas se laisser prendre de court par les récentes déclarations tchadiennes.

 

L’État doit muscler sa capacité d’analyse stratégique en travaillant étroitement avec la recherche scientifique, en intégrant les méthodologies étrangères, en développant de nouveaux outils propres.

Ces illustrations confirment l’intérêt de l’analyse prospective et stratégique, mais aussi les difficultés pour les responsables à s’en saisir. Les surprises stratégiques survenues ces deux dernières décennies avaient toutes été anticipées par des chercheurs et experts (même la pandémie de Covid-19), ce qui confirme sa faisabilité. En difficulté sur certains enjeux actuels, l’État doit muscler sa capacité d’analyse stratégique en travaillant étroitement avec la recherche scientifique, en intégrant les méthodologies étrangères, en développant de nouveaux outils propres, en la distinguant de la synthèse d’information quotidienne et en l’articulant avec les contraintes gouvernementales.

Cet effort peut permettre de réinsérer l’action et l’influence française dans le courant continu des dynamiques internationales.

Copyright image : Bashar TALEB / AFP
Un missile israélien explose à Khan Younès, le 13 novembre 2024

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